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Date : 20230725


Dossier: T-2348-22

Référence: 2023 CF 1015

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2023

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

ROD VERDIE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Rod Verdie, le demandeur, invite la Cour à examiner la décision qu’un conseiller principal en matière de programmes de la Direction des recours a prise au nom du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le délégué du ministre). Dans sa décision, le délégué du ministre a conclu (1) que M. Verdie a contrevenu à l’article 7.1 de la Loi sur les douanes SRC (1985), c 1 (2e suppl) en faisant intentionnellement une fausse déclaration sur la valeur d’un bateau et d’une remorque qu’il importait au Canada, et (2) que le bateau et la remorque ont été légitimement saisis en vertu de l’article 110 de cette loi. Le délégué du ministre a également conclu que la somme de 5 779,87 $, versée par M. Verdie afin que les marchandises saisies lui soient restituées, était raisonnable et qu’elle lui serait confisquée.

[2] Pour les motifs ci-après, je conclus que notre Cour n’est pas compétente pour trancher la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Verdie et que, de toute façon, la décision contestée était raisonnable. Par conséquent, je rejetterai la demande.

I. Contexte

[3] Le 28 mai 2022, M. Verdie est entré au Canada au point d’entrée d’Aldergrove, en Colombie-Britannique, au volant d’une voiture tirant une remorque chargée d’un bateau. Interrogé par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), M. Verdie a déclaré qu’un individu lui avait fait don du bateau et de la remorque aux États-Unis. Il a présenté à l’agent un acte de vente indiquant que ces marchandises lui avaient été données. M. Verdie a déclaré que la valeur combinée du bateau et de la remorque était de 2 000 $US. L’agent a ordonné une inspection secondaire des marchandises afin d’en vérifier la valeur.

[4] M. Verdie a présenté le même acte de vente au deuxième agent de l’ASFC, qui lui a alors demandé si le vendeur avait tenté de vendre le bateau ou la remorque en ligne. M. Verdie lui a répondu par la négative. Cependant, muni du numéro d’enregistrement du bateau, l’agent a repéré une offre de vente en ligne du bateau au prix de 11 250 $US. L’agent a présenté cette information à M. Verdie, qui, aux dires de l’agent [TRADUCTION] « était à court de mots ». Invité par l’agent à fournir une preuve de paiement du bateau, M. Verdie a fourni, à partir de son téléphone cellulaire, des relevés bancaires qui faisaient notamment état d’un virement bancaire de 10 250 $US au vendeur.

[5] Le deuxième agent a saisi le bateau et la remorque en vertu de l’article 110 de la Loi sur les douanes. La somme à payer pour dédouaner les marchandises a été fixée à cinquante-cinq pour cent du montant sous-évalué étant donné que M. Verdie avait présenté un faux acte de vente. Par la suite, M. Verdie a signé un nouvel acte de vente indiquant qu’il avait payé 10 250 $US pour acquérir les marchandises et versé la somme de 5 779,87 $ CA pour les dédouaner.

[6] Le 29 mai 2022, M. Verdie a fait appel de la mesure d’application de la loi prise par le deuxième agent et demandé une réduction du montant à payer pour dédouaner les marchandises. Il a admis avoir versé la somme de 10 250 $US au vendeur, mais il a expliqué avoir présenté le faux acte de vente parce que le vendeur lui avait dit de le faire pour éviter de payer des taxes. M. Verdie a déclaré qu’il se sentait coupable d’avoir agi ainsi et qu’il s’abstiendrait à l’avenir de fournir des renseignements trompeurs. Il a demandé qu’on fasse preuve de sympathie à son égard et qu’on réduise la pénalité qui lui avait été imposée relativement à la saisie.

[7] Par la suite, M. Verdie a mentionné dans un courriel qu’au moment où il avait franchi la frontière le 28 mai 2022, il avait seulement amorcé le virement de fonds au vendeur et que ce dernier n’avait reçu le paiement que le 30 mai 2022. Encore une fois, il a déclaré qu’il se sentait coupable et demandé qu’on fasse preuve de sympathie à son égard.

II. Décision faisant l’objet du contrôle

[8] Dans sa décision du 17 octobre 2022 concernant l’appel déposé par M. Verdie, le délégué du ministre a tiré les conclusions suivantes :

(1) Qu’en application de l’article 131 de la Loi sur les douanes, il a déterminé que M. Verdie avait contrevenu à l’article 7.1 de cette loi en fournissant intentionnellement des renseignements qui n’étaient pas véridiques, exacts et complets relativement à la valeur du bateau et de la remorque et que ces marchandises avaient été légitimement saisies en vertu de l’article 110 de la Loi sur les douanes;

(2) Qu’en vertu de l’article 133 de la Loi sur les douanes, la somme de 5 779,87 $, que M. Verdie avait versée pour dédouaner le bateau et la remorque saisis, lui serait confisquée.

[9] Dans sa décision, le délégué du ministre a d’abord résumé les faits entourant l’entrée de M. Verdie au Canada le 28 mai 2022, tel qu’ils ont déjà été décrits, pour ensuite décrire les positions des deux parties (l’ASFC et M. Verdie) ainsi que le cadre légal qu’il a appliqué pour prendre la décision.

[10] Le délégué du ministre a souligné qu’il incombait à M. Verdie de faire des déclarations complètes et véridiques au sujet de la valeur du bateau et de la remorque à son entrée au Canada et de payer les droits et les taxes applicables sur les marchandises en question. Il ressort de la preuve que M. Verdie s’est vu accorder la possibilité de faire une déclaration à son arrivée au Canada et qu’il a alors déclaré au premier agent que la valeur du bateau et de la remorque était de 2 000 $. Toutefois, M. Verdie a plus tard admis au deuxième agent qu’en réalité, il avait acheté le bateau et la remorque pour la somme de 10 250 $US. Bien qu’il ait accepté la promesse de M. Verdie de s’abstenir de fournir des renseignements erronés à l’avenir, le délégué du ministre a néanmoins conclu que ce dernier avait intentionnellement tenté d’éviter de payer les droits et les taxes applicables. Même si le virement de fonds lancé par M. Verdie n’avait peut‑être pas été complété au moment de la prise des mesures d’application de la loi, il n’en demeure pas moins que la somme sur laquelle M. Verdie et le vendeur s’étaient entendus pour la vente des marchandises était de 10 250 $US.

[11] Par conséquent, le délégué du ministre a conclu que M. Verdie avait contrevenu à l’article 7.1 de la Loi sur les douanes et que le bateau et la remorque avaient été légitimement saisis en vertu de l’article 110 de cette loi. Le délégué du ministre a examiné la proposition faite à M. Verdie en vue de dédouaner les marchandises saisies (à savoir le paiement d’une somme équivalant à cinquante-cinq pour cent du montant sous-évalué, qui était de 10 508,85 $ CA) et conclu qu’elle était raisonnable.

[12] Le délégué du ministre a ensuite exposé les recours d’appel que M. Verdie pouvait exercer :

Pour en appeler de la décision prise en vertu de l’article 131 (contravention à l’article 7.1 et saisie en vertu de l’article 110), M. Verdie peut introduire une action devant la Cour fédérale en vertu de l’article 135 de la Loi sur les douanes;

Pour en appeler de la décision prise en vertu de l’article 133 (que la saisie/la somme pour le dédouanement étaient raisonnables), M. Verdie peut présenter une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales LRC (1985), c F-7.

[13] Le 3 novembre 2022, M. Verdie a déposé la présente demande de contrôle judiciaire.

III. Question préliminaire : inadmissibilité d’éléments de preuve contenus dans le dossier de M. Verdie

[14] Le défendeur soutient que les pièces C et D jointes à l’affidavit de M. Verdien ne sont pas admissibles, car le délégué du ministre n’en disposait pas. Il s’agit d’une copie d’un relevé bancaire faisant état d’un « Virement de fonds mondial CIBC » effectué le 30 mai 2022 au profit du vendeur et d’une copie du virement indiquant que ce dernier avait été lancé le 28 mai 2022.

[15] La règle générale en matière de contrôle judiciaire est que, sous réserve de certaines exceptions, la Cour ne peut pas prendre en considération les éléments de preuve dont le décideur ne disposait pas (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux paras 19 et 20). Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les pièces C et D ne sont pas admissibles et que la Cour ne doit donc pas les prendre en considération, car elles n’avaient pas été fournies au délégué du ministre en tant que partie intégrante du dossier d’appel. Je signale à M. Verdie, en sa qualité de partie non représentée par un avocat, que même si les deux documents avaient été admissibles, cela n’aurait rien changé à mon appréciation de ses arguments.

IV. La compétence de la Cour pour entendre la présente demande

[16] Je traiterai tout d’abord de l’argument du défendeur selon lequel la Cour n’est pas compétente pour entendre la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Verdie. Selon le défendeur, la seule question litigieuse que M. Verdie a soulevée dans la présente demande est celle de savoir si la conclusion du délégué du ministre selon laquelle il a contrevenu à l’article 7.1 de la Loi sur les douanes en faisant une déclaration inexacte quant à la valeur du bateau et de la remorque était légale. Du point de vue légal, il s’agit d’une conclusion tirée par le ministre en application du paragraphe 131(1) de la Loi sur les douanes. Or, comme l’a souligné le délégué du ministre dans la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire, c’est par voie d’action devant la Cour fédérale qu’il est possible de contester une telle conclusion (article 135 de la Loi sur les douanes) et non, comme l’a fait M. Verdie, en présentant une demande de contrôle judiciaire (paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales).

[17] Il est bien établi que la décision d’un délégué du ministre relativement à l’infraction et sa décision relativement à la pénalité sont deux décisions distinctes à contester séparément (Chen c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CAF 170 au para 9). Or, le délégué du ministre a clairement établi cette distinction en décrivant les deux recours qui s’offraient à M. Verdie pour contester l’un ou l’autre aspect de la décision du 17 octobre 2022.

[18] Pour déterminer si M. Verdie a déposé la présente demande de contrôle judiciaire pour contester (1) la décision relative à l’infraction (articles 7.1 et 131(1) de la Loi sur les douanes) ou (2) la somme à payer pour dédouaner le bateau et la remorque, à savoir 5 779,87 $ CA (article 133(1) de la Loi sur les douanes), je dois d’abord cerner la nature essentielle du litige soulevé par M. Verdie (Célestin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 223 au para 23).

[19] Le point de départ de l’analyse est l’avis de demande présenté par M. Verdie. Dans cet avis, les motifs de la demande sont décrits de la façon suivante :

[TRADUCTION]

La somme de 10 250 $US n’avait pas été transférée le jour où la frontière a été franchie, le 28.05.22, et elle n’a rien à voir avec le bateau.

[20] M. Verdie demande la restitution du plein montant qu’il a payé pour dédouaner les marchandises.

[21] Je suis convaincue que M. Verdie a déposé la présente demande pour contester essentiellement la décision relative à la contravention à l’article 7.1, à savoir qu’il a fourni aux agents de l’ASFC, au point d’entrée, de faux renseignements relativement à la valeur du bateau et de la remorque qu’il importait au Canada. Dans son avis de demande et dans les arguments qu’il a présentés à la Cour, M. Verdie conteste la conclusion du délégué du ministre selon laquelle les fonds qu’il avait versés au vendeur étaient, en fait, le prix d’achat du bateau et de la remorque. Il soutient plutôt avoir fait parvenir ces fonds au vendeur pour rembourser un prêt que ce dernier lui avait consenti (il n’a pas présenté cet argument au délégué du ministre). M. Verdie avance également que, de toute façon, les fonds n’étaient pas encore parvenus au vendeur au moment où il a franchi la frontière.

[22] Pour contester la décision du délégué du ministre selon laquelle il a contrevenu à l’article 7.1 de la Loi sur les douanes, M. Verdie devait en appeler par voie d’action devant la Cour fédérale, comme l’exige le paragraphe 135(1) de cette loi. Or, il ne l’a pas fait et a plutôt présenté une demande de contrôle judiciaire en invoquant l’article 133 de cette loi.

[23] Il est vrai que M. Verdie a demandé la restitution de la somme qu’il a versée pour dédouaner le bateau et la remorque, mais c’est à titre de réparation qu’il l’a fait sur le fondement de son argument essentiel voulant qu’il n’avait pas contrevenu à la Loi sur les douanes. M. Verdie ne soutient pas, dans le cadre de la présente demande, que cette somme était déraisonnable (s’il l’avait fait, cela aurait constitué à juste titre le fondement de la demande de contrôle judiciaire). La demande est plutôt axée sur l’infraction elle-même.

[24] Je conclus donc que la Cour n’est pas compétente pour examiner la présente demande de contrôle judiciaire et je la rejetterai.

V. La décision faisant l’objet du contrôle était-elle raisonnable?

[25] À titre subsidiaire, je conclus que la décision du délégué du ministre était raisonnable. En effet, le délégué du ministre a soigneusement et correctement examiné la preuve au dossier et il a pris en considération la conduite de M. Verdie ainsi que les explications que ce dernier a fournies au poste-frontière le 28 mai 2022, les excuses qu’il a présentées pour avoir donné de faux renseignements, le courriel qu’il a par la suite fait parvenir à l’ASFC, de même que les arguments qu’il a présentés en appel. Par ailleurs, le délégué du ministre a appliqué les dispositions pertinentes de la Loi sur les douanes et de la Loi sur les Cours fédérales et il a exposé des motifs détaillés pour justifier sa décision relative à l’infraction et à la saisie ainsi que sa décision quant à la somme à verser en guise de pénalité. Enfin, le délégué du ministre a clairement expliqué à M. Verdie les deux recours qui s’offraient à lui pour contester l’un ou l’autre aspect de sa décision.

[26] L’argument tardif de M. Verdie voulant que les fonds qu’il avait fait parvenir au vendeur n’avaient rien à voir avec le bateau et la remorque et son insistance sur le fait qu’il n’avait pas encore fait parvenir de fonds à ce dernier au moment où il est rentré au Canada ne sont pas convaincants. Ces arguments contredisent les déclarations qu’il avait initialement faites aux agents de l’ASFC et ils diffèrent de ceux qu’il a présentés en appel au délégué du ministre. L’idée que le retardement du paiement, qu’il ait été intentionnel ou non, permettait à M. Verdie d’éviter de payer les droits et les taxes applicables sous le régime de la Loi sur les douanes est dénuée de tout fondement. Comme l’a souligné le délégué du ministre, la somme de 10 250 $US était la valeur transactionnelle des marchandises sur laquelle M. Verdie et le vendeur s’étaient entendus.

[27] En outre, je souscris à la conclusion du délégué du ministre selon laquelle la somme de 5 779,87 $ CA à verser pour dédouaner les marchandises était raisonnable. J’estime donc qu’elle ne justifie pas l’intervention de la Cour. L’imposition d’une somme au niveau 3 pour dédouaner les marchandises (au taux de cinquante-cinq pour cent du montant sous-évalué de la valeur du bateau et de la remorque) est conforme au Manuel d’exécution de l’ASFC et aux faits de la présente affaire, à savoir que M. Verdie a présenté intentionnellement un acte de vente dans lequel ces marchandises étaient faussement sous-évaluées.

VI. Conclusion

[28] La demande de contrôle judiciaire présentée par M. Verdie à l’égard de la décision du délégué du ministre en date du 17 octobre 2022 sera rejetée. La Cour n’est pas compétente pour instruire la demande, car, sur le fond, il s’agit d’une contestation de la décision relative à l’infraction. M. Verdie devait plutôt contester cette décision en intentant une action en vertu de l’article 135 de la Loi sur les douanes. À titre subsidiaire et par souci d’exhaustivité, j’ai également conclu que la décision était raisonnable.

[29] Compte tenu de la demande initiale du défendeur relativement aux dépens, des plaidoiries de ce dernier à l’audience et des circonstances de la présente affaire, la Cour ordonnera à M. Verdie de verser au défendeur la somme de 500 $ au titre des dépens.

[30] L’intitulé de la cause sera modifié, conformément à l’alinéa 303(1)a) et au paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, de sorte que le défendeur approprié y soit désigné, à savoir le procureur général du Canada.


JUGEMENT dans le dossier T-2348-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Le défendeur a droit à des dépens de 500 $.

  3. L’intitulé est modifié de sorte que le procureur général y soit désigné à titre de défendeur.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2348-22

 

INTITULÉ :

ROD VERDIE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 JUILLET 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 JUILLET 2023

 

COMPARUTIONS :

M. Rod Verdie

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

M. Il Hoon Ezra Park

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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