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Date : 20230713


Dossier : IMM-8435-22

Référence : 2023 CF 962

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2023

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

JOVY TIBAY

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 4 juillet 2022 (la « décision ») par laquelle un agent des visas (l’« agent ») a rejeté la demande de permis de travail de la demanderesse. L’agent n’était pas convaincu que l’offre d’emploi présentée par la demanderesse correspondait véritablement à un travail de préposée à l’entretien ménager et au nettoyage — travaux légers, tel qu’il est énoncé dans la Classification nationale des professions (« CNP ») 6731.

II. Contexte

[2] La demanderesse, Mme Jovy Tibay, est citoyenne des Philippines. Le 11 août 2021, Emploi et Développement social Canada a émis une étude d’impact sur le marché du travail (« EIMT ») favorable à un employeur canadien en vue de l’embauche d’un travailleur étranger temporaire comme préposé à l’entretien ménager et au nettoyage — travaux légers, conformément à la CNP 6731. Le 27 novembre 2021, la demanderesse a présenté une demande de permis de travail pour entrer au Canada afin de travailler pendant 12 mois et pourvoir ce poste.

[3] Le 16 juin 2022, l’agent a envoyé une lettre à la demanderesse pour la convoquer en entrevue et pour lui demander de fournir des renseignements supplémentaires à propos de l’employeur pour qui elle comptait travailler.

[4] Le 29 juin 2022, l’agent a procédé à l’entrevue, lors de laquelle il a informé la demanderesse de ses doutes quant à l’authenticité de son offre d’emploi. Selon lui, la demanderesse ne travaillerait pas en tant que préposée à l’entretien ménager résidante, mais plutôt en tant que gardienne des enfants de cet employeur.

[5] Le 4 juillet 2022, l’agent a rejeté la demande de permis de travail de la demanderesse. Le 18 août 2022, la demanderesse a sollicité un réexamen de la décision et l’agent a rejeté cette demande le jour même.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[6] L’agent a rejeté la demande de permis de travail de la demanderesse parce que, selon lui, l’offre d’emploi qu’elle avait présentée n’était pas véritablement une offre de préposée à l’entretien ménager, conformément à la CNP 6731, mais plutôt une offre de travailler en tant qu’aide familiale résidante. Il a souligné que la demanderesse avait pu vouloir l’induire en erreur concernant la nature de l’emploi parce que les instructions du ministre précisaient que les aides familiaux ne devaient pas être admis sous le code CNP 6731. L’agent a conclu que les facteurs suivants jetaient un doute sur l’authenticité de l’offre d’emploi :

  1. La demanderesse possède une expérience considérable en tant que gardienne d’enfants, puisqu’elle a travaillé comme aide à domicile pendant six ans pour une même famille à Hong Kong.

  2. L’employeur canadien pour qui elle souhaite travailler a deux jeunes enfants âgés de cinq et deux ans. Celui-ci a déclaré qu’il était travailleur autonome, qu’il avait un horaire flexible et qu’il avait donc moins besoin de services de garde d’enfants. Toutefois, il n’a pas fourni de preuve à l’appui de cette position. En outre, l’employeur soutient que les grands-parents, qui vivent à proximité, seraient en mesure d’assurer la garde des enfants en cas de besoin. Toutefois, un grand-parent n’a pas l’obligation de prendre soin des enfants et, quoi qu’il en soit, il y aurait des situations où cette responsabilité serait assumée par la demanderesse.

  3. La demanderesse a trouvé l’emploi par l’intermédiaire d’une organisation appelée « Nannies Inc », un site web sur lequel sont publiées des offres d’emploi pour les nourrices et les gardiennes d’enfants.

[7] L’agent a également souligné que, lors de l’entrevue du 29 juin 2022, la demanderesse a eu l’occasion de répondre à ses doutes quant à l’authenticité de l’offre d’emploi. La demanderesse a dit à l’agent qu’elle refuserait tout travail de garde d’enfants qui lui serait proposé, mais l’agent n’en a pas été convaincu.

[8] La décision a été communiquée à la demanderesse par une lettre datée du 4 juillet 2022.

IV. Questions en litige

  1. L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale?

  2. L’agent a-t-il commis une erreur en ne prenant pas en compte les éléments de preuve?

V. Norme de contrôle

[9] Les questions relatives à un manquement à l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte ou une norme ayant la même portée (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CCP] aux para 34-35,54-55, citant Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79).

[10] La norme de contrôle qui s’applique au fond de la décision est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25).

VI. Analyse

A. L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale?

[11] La demanderesse soutient que l’agent a manqué à son devoir d’équité procédurale de deux façons :

  1. L’agent ne l’a pas suffisamment informée de ses doutes quant à l’authenticité de l’offre d’emploi qu’elle a présentée.

  2. L’agent s’est fondé à tort sur des hypothèses pour dire que la demanderesse avait une raison de l’induire en erreur à propos de l’emploi, étant donné les instructions du ministre au sujet de la CNP 6731.

[12] Je conclus qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. La demanderesse a eu amplement l’occasion de dissiper les doutes de l’agent à l’entrevue du 29 juin 2022. Dans la lettre par laquelle il convoque la demanderesse en entrevue, l’agent lui demande spécifiquement de fournir une [traduction] « preuve d’emploi » ou une « preuve de la présence de toute autre personne qui travaille à titre d’aide familiale au domicile de l’employeur ou, dans le cas des enfants, de la présence de gardiennes ». Il n’en fallait pas davantage pour prévenir la demanderesse que l’agent avait des doutes quant à l’authenticité de l’offre d’emploi et quant à savoir si elle répondait aux exigences de la CNP 6731.

[13] Par ailleurs, une lettre du représentant en immigration de la demanderesse datée du 28 juin 2022 était accompagnée d’une déclaration solennelle qui répondait précisément à ces doutes. L’employeur canadien pour qui la demanderesse comptait travailler y déclarait qu’il n’avait pas besoin d’un service de garde d’enfants en raison de son horaire de travail flexible et de la disponibilité des grands-parents et des services de garde pour prendre soin de ses enfants.

[14] De plus, lors de l’entrevue du 29 juin 2022, l’agent a posé plusieurs questions à la demanderesse au sujet de l’emploi proposé et celle-ci s’est vu offrir amplement la possibilité de faire valoir ses arguments.

[15] La demanderesse était au courant des doutes de l’agent et a eu la possibilité d’y répondre (CCP, au para 56). Il n’y a pas de manquement à l’équité procédurale.

B. L’agent a-t-il commis une erreur en ne prenant pas en compte les éléments de preuve?

[16] La demanderesse soutient que, pour en arriver à sa décision, l’agent a fait abstraction d’éléments de preuve importants ou les a écartés. La demanderesse relève les éléments de preuve suivants qui, selon elle, auraient dû établir que l’offre d’emploi était authentique :

  1. La déclaration solennelle de l’employeur canadien concernant les tâches que la demanderesse accomplirait.

  2. Le fait qu’une EIMT favorable avait été émise.

  3. Le contrat de travail entre la demanderesse et l’employeur dans lequel était précisée la nature des tâches à accomplir.

  4. La déclaration de la demanderesse à l’entrevue du 29 juin 2022.

[17] Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse. L’agent n’a pas été déraisonnable en faisant abstraction d’éléments de preuve ou en les écartant. Dans ses motifs, l’agent a fait expressément référence aux déclarations et aux éléments de preuve tirés de la déclaration solennelle de la demanderesse, ainsi qu’aux déclarations qu’elle a faites à l’entrevue. De plus, la demanderesse invoque à tort la présomption de crédibilité liée aux déclarations faites sous serment énoncée dans l’arrêt Maldonado c Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302 (CA), puisque cette présomption peut être réfutée par des éléments de preuve contradictoires. En l’espèce, l’agent n’a tout simplement pas cru la demanderesse à la lumière du reste de la preuve concernant son expérience professionnelle, le profil de l’employeur et la manière dont elle avait été recrutée pour le poste.

[18] Une telle conclusion était raisonnable et il était loisible à l’agent d’y arriver, d’autant plus qu’à l’entrevue du 29 juin 2022, la demanderesse a eu la possibilité, sur le plan procédural, de dissiper les doutes de l’agent en matière de crédibilité.

[19] La demande est rejetée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-8435-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8435-22

INTITULÉ :

JOVY TIBAY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 juillet 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

DATE DES MOTIFS :

LE 13 juillet 2023

COMPARUTIONS :

Tatiana Gulyaeva

Pour la demanderesse

Nadine Silverman

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Tatiana Gulyaeva

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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