Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20060202

Dossier : GST-5774-05

Référence : 2006 CF 119

Montréal (Québec), le 2 février 2006

EN PRÉSENCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DANS L'AFFAIRE DE LA LOI SURLA TAXE D'ACCISE

ET

DANS L'AFFAIRE D'UNE COTISATION OU DES COTISATIONS ÉTABLIES PAR LE SOUS-MINISTRE DU REVENU DU QUÉBEC EN VERTU DE LA LOI SURLA TAXE D'ACCISE

ENTRE :

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU DU QUÉBEC

créancier judiciaire

et

BERTRAND BEAUPRÉ

débiteur judiciaire et opposant

et

MARTHE ST-GERMAIN

opposante

et

BERTRAND BEAUPRÉ, DENIS MORIN ET JACQUES ST-PIERRE

opposants

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit en l'espèce de statuer sur l'opposition formée en vertu des articles 596 et 597 du Code de procédure civile (C.p.c.) par trois groupes d'opposants à l'encontre d'une saisie mobilière effectuée par le créancier saisissant le 8 novembre 2005 aux résidences principale et secondaire du débiteur fiscal, M. Bertrand Beaupré.

[2]                Ce dernier, en vertu de l'article 596 C.p.c., ainsi que son épouse, Mme Marthe St-Germain, en vertu de l'article 597 C.p.c., ont chacun formé une opposition à la saisie qui, rendue à l'étape de l'audition, ne visait plus qu'un seul bien respectivement, soit, tant pour M. Beaupré que pour Mme St-Germain, un portrait de chacune de ces deux personnes fait par l'artiste peintre Tom Hopkins.

[3]                Il ressort que chacun de ces portraits présenterait, même à l'extérieur de la famille des opposants, une valeur certaine, d'où l'on peut imaginer l'intérêt du créancier judiciaire, soit le sous-ministre du Revenu du Québec, de s'intéresser à la saisie et à la vente éventuelle de ces biens.

[4]                La troisième opposition provient de trois fiduciaires (Messieurs Denis Morin, Jacques St-Pierre et également ici M. Bertrand Beaupré) et porte sur une collection d'oeuvres d'art (ci-après la collection de tableaux). Ces trois fiduciaires allèguent collectivement que cette collection de tableaux fait partie du patrimoine de la fiducie à qui ces tableaux auraient été donnés en 2003 par la constituante de la fiducie, soit Mme Marthe St-Germain, épouse du débiteur judiciaire.

Analyse

[5]                Le principe établi par l'article 2644 du Code civil du Québec (C.c.Q.) est à l'effet que tous les biens du débiteur constituent le gage commun de ses créanciers et que tout créancier peut, selon l'article 2646 du C.c.Q., faire saisir et vendre les biens de son débiteur. En conséquence, tout bien du débiteur est saisissable, l'insaisissabilité est l'exception et doit s'interpréter restrictivement.

[6]                De plus, en matière d'opposition à la saisie exécution, il est reconnu que le fardeau de preuve repose sur les épaules de l'opposant lequel doit établir son droit à cet effet.

[7]                Forts de ces principes, il y a lieu maintenant de nous pencher sur chacune des oppositions en litige.

I.           Opposition de M. Bertrand Beaupré

[8]                Bien que le dossier de requête de ce dernier ne soit pas explicite à cet égard, il est ressorti à l'audition, tel que l'a présumé au départ le créancier judiciaire, que c'est en vertu du paragraphe 553(2) du C.p.c. que M. Beaupré fait valoir son opposition à la saisie de son portrait. Ce paragraphe 553(2) du C.p.c. se lit :

553. Sont insaisissables :

(...)

2. Les papiers et portraits de famille, les médailles et autres décorations;

[Non souligné dans l'original.]

553. The following are exempt from seizure :

(...)

(2) Family papers and portraits, medals and other decorations;

[9]                On note au départ que cet article ne parle pas simplement de tout portrait ou de tout portrait d'un débiteur ou de sa famille. Non, l'expression utilisée au C.p.c. est « portraits de famille » . Les procureurs n'ont pas soumis à la Cour d'arrêts de jurisprudence où cette expression au paragraphe 553(2) fut analysée.

[10]            En termes de doctrine, la procureure de M. Beaupré a fait référence à un bref passage de l'ouvrage de Charles Belleau, Précis de procédure civile du Québec, Vol. 2, 4e édition, 2003 où l'auteur indique que ce paragraphe 553(2) vise à protéger des objets qui ont une valeur sentimentale. Cette précision ne nous aide pas vraiment quant à savoir si l'expression « portraits de famille » peut inclure un portrait même du débiteur judiciaire.

[11]            Suivant les définitions soumises toutefois par le créancier judiciaire, il semble que cette expression « portraits de famille » ne vise que les aïeux, les ancêtres et non le portrait même d'une personne. Aux paragraphes 11 à 14 de ses représentations écrites, le créancier judiciaire souligne ce qui suit :

11.            Ainsi, le dictionnaire Quillet de la langue française donne la définition suivante du terme « portraits de famille » dans la définition du mot portrait :

« portrait : Image d'une personne faite à l'aide du dessin, de la peinture, de la photographie, etc. Portraits de famille, portraits des aïeux. - Portrait en pied, portrait qui représente la personne entière. - Fig. C'est son portrait, tout son portrait, se dit, au physique et au moral, d'une personne qui ressemble beaucoup à une autre.

Par anal. Présentation des caractères physiques, moraux ou intellectuels d'une personne ou d'une réalité à laquelle on prête vie. Portraits littéraires.

ÉPITHÈTES COURANTES : fidèle, ressemblant, frappant, vivant, parlant, expressif, magistral, beau, admirable, célèbre, fameux, joli, fin, délicat, distingué, brillant, étudié, flatté, ridicule, grotesque, peu flatteur, mangé, etc.

SYN. - V. EFFIGIE et TABLEAU »

(notre souligné)

12.            Ce même dictionnaire donne la définition suivante du mot « aïeul »

« aïeul, n.m. Grand-père. Parfois ancêtre. - Au pl. Aïeuls, les grands-parents.

AÏEUX, n.m. pl., les ancêtres.

SYN. - Aïeux, ceux qui ont précédé de loin les générations actuelles : Nos aïeux les Gaulois. - Ancêtres, les plus anciens de ceux qui ont vécu avant nous : Nos ancêtres de la préhistoire. - Pères, ceux qui nous ont précédés dans la vie : Du temps de nos pères on vivait autrement. »

(notre souligné)

13.            Pour sa part, le dictionnaire Larousse Universel en 2 volumes donne la définition suivante du terme « Portrait de famille » dans la définition du mot portrait :

« portrait n.m. de portraire. Image d'une personne, reproduite par la peinture, le dessin, la photographie, etc.; Hyacinthe Rigaud a laissé de remarquables portraits. Objet d'une ressemblance parfaite : enfant qui est le portrait de son père. Littér. Description des traits ou d'un caractère, d'une époque, etc. : La Bruyèreexcelle dans les portraits. Portrait en pied, portrait qui représente la personne tout entière. Portrait parlant, portrait si expressif qu'il semble parler. Portrait de famille, celui qui représente un des aïeux de la famille. Pop. Figure : s'abimer le portrait »

(notre souligné)

14.            Le même dictionnaire donne la définition suivante du mot aïeul :

« aïeul. Le grand-père, la grand-mère. Pl. des aïeuls, aïeules, n.m. pl. Les aïeux, les ancêtres. Se dit de ceux qui ont devancé les autres dans une entreprise : Renaudot a été l'aïeul des journalistes. »

(nos soulignés)

[12]            L'approche proposée par le créancier judiciaire m'apparaît être celle à retenir. Je ne considère donc pas que M. Bertrand Beaupré puisse se réclamer du paragraphe 553(2) C.p.c. pour soustraire à la saisie en litige le portrait qu'a fait de lui l'artiste Tom Hopkins. En conséquence, son opposition à la saisie sera rejetée, le tout sans frais.

II.         Opposition de Mme Marthe St-Germain

[13]            Quant à cette dernière, elle cherche également, tel que mentionné précédemment, à soustraire de la saisie un portrait, soit le sien, réalisé par le même artiste Tom Hopkins. Elle se dit en être la propriétaire et l'avoir payé comptant. C'est donc en sa qualité de propriétaire qu'elle revendique ce portrait. Son approche est donc différente de celle de son époux.

[14]            Bien que son dossier de requête et son interrogatoire sur affidavit nous amènent à réaliser qu'elle ne bénéficie pas d'un titre écrit de propriété, je considère néanmoins que les pages 35 et 36 des notes sténographiques de son interrogatoire permettent à Mme St-Germain de soutenir valablement - quant à ce portrait précis - qu'elle en est la propriétaire. Son témoignage quant aux circonstances entourant la confection et l'achat de ce bien précis me convainc qu'elle peut être vue comme en étant la propriétaire. En conséquence, son opposition à la saisie de ce bien est maintenue, le tout sans frais.

III.        Opposition des trois fiduciaires quant à une collection de tableaux

[15]            Il ressort que c'est en novembre 2003 que par acte notarié Mme Marthe St-Germain a constitué une fiducie par laquelle elle donnait à son époux, le débiteur judiciaire, ainsi qu'à leurs enfants, la collection de tableaux. Or, il ressort d'un rapport d'évaluation de 1998 desdits biens que M. Bertrand Beaupré ainsi que Mme St-Germain étaient tous les deux propriétaires en commun des tableaux. De plus, l'interrogatoire sur affidavit de ces deux personnes démontre que les tableaux de la collection ont été achetés tant par madame que par monsieur et que l'un et l'autre ne peuvent établir quels tableaux ont été achetés par l'un ou l'autre.

[16]            Or, seule Mme Marthe St-Germain est donatrice à l'acte ayant créé la fiducie. Il n'y a aucune preuve au dossier de requête, tel que constitué, que M. Bertrand Beaupré ait fait donation à la fiducie entre 1998 et 2003 de sa part de la collection des tableaux.

[17]            Partant, je suis d'avis que les fiduciaires n'ont pas établi clairement par prépondérance de preuve qu'ils peuvent revendiquer la collection entière de tableaux ou une partie précise de celle-ci. Vu cette conclusion, je n'ai pas à me prononcer sur l'autre moyen de rejet soulevé par le créancier judiciaire, à savoir que la fiducie en litige aurait été constituée dans un but frauduleux.

[18]            En conséquence, je me dois de rejeter l'opposition des fiduciaires, le tout avec dépens en faveur du créancier judiciaire.

« Richard Morneau »

Protonotaire


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

INTITULÉ :


GST-5774-05

Dans l'affaire de la Loi sur la taxe d'accise,

- et -

Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le sous-ministre du Revenu du Québec en vertu de la Loi sur la taxe d'accise

ENTRE

LE SOUS-MINISTRE DU REVENU DU QUÉBEC

et

BERTRAND BEAUPRÉ

et

MARTHE ST-GERMAIN

et

BERTRAND BEAUPRÉ, DENIS MORIN ET JACQUES ST-PIERRE


LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            19 décembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE MORNEAU

DATE DES MOTIFS :                                   2 février 2006

ONTCOMPARU:


Me Pierre Bouchard

POUR LE CRÉANCIER JUDICIAIRE

Me Émilie Whiteside

POUR LE DÉBITEUR JUDICIAIRE ET LES OPPOSANTS


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:


Veillette, Larivière

Montréal (Québec)

POUR LE CRÉANCIER JUDICIAIRE

Heenan Blaikie

Montréal (Québec)

POUR LE DÉBITEUR JUDICIAIRE ET LES OPPOSANTS


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.