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Date : 20230720

Dossier : IMM-8405-22

Référence : 2023 CF 987

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2023

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

PERLA JANISSE CORTEZ ESCOBEDO

JORGE HERNANDEZ GOMEZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 3 août 2022 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2] Les demandeurs affirment que la décision de la SAR était déraisonnable, au motif que : a) la SAR a commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse principale; et b) la SAR a commis une erreur en ne procédant pas à sa propre analyse indépendante du dossier.

[3] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que les demandeurs ont démontré que la décision de la SAR était déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Contexte

[4] La demanderesse principale, Perla Janisse Cortez Escobedo, et son époux, Jorge Hernandez Gomez, le demandeur associé, sont des citoyens du Mexique. Les demandeurs affirment craindre le groupe criminel organisé connu sous le nom de cartel de Jalisco Nouvelle Génération [CJNG].

[5] Dans l’exposé circonstancié joint à leur formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA], les demandeurs ont déclaré qu’en mars 2018, ils ont contracté un prêt aux entreprises auprès d’une société du nom de Mundo Facil. Les demandeurs estimaient que Mundo Facil était une institution financière légitime.

[6] Au début du mois de février 2019, un agent de recouvrement de Mundo Facil a appelé le demandeur associé pour l’informer que le taux d’intérêt de son prêt augmenterait. Le même jour, les demandeurs ont entendu une rumeur selon laquelle un pêcheur local, qui avait lui aussi contracté un prêt auprès de Mundo Facil, avait également vu le taux d’intérêt de son prêt augmenter de manière injustifiée.

[7] Une semaine plus tard, à la mi-février 2019, le pêcheur local s’est fait voler une importante somme d’argent et a été assassiné. Par conséquent, les demandeurs ont déclaré craindre pour leur sécurité. La demanderesse principale s’est rendue au bureau de Mundo Facil pour y découvrir que la société avait soudainement fermé.

[8] La demanderesse principale s’est présentée une fois de plus au bureau de Mundo Facil et a constaté que ses annonces avaient retirées et que le bureau avait en fait disparu. Lorsqu’elle a questionné une personne de la région à propos de Mundo Facil, elle lui a répondu que la société n’avait jamais eu de bureau à cet endroit. Les demandeurs ont déclaré qu’ils avaient commencé à craindre de se faire extorquer.

[9] Les demandeurs ont ensuite été accostés par des hommes dans une station-service. La demanderesse principale a affirmé qu’elle avait déjà vu la voiture des hommes à l’extérieur de son lieu de travail. Les hommes ont volé les demandeurs et leur ont dit qu’ils avaient un compte non réglé avec eux. Les demandeurs ont déclaré qu’ils craignaient pour leur vie et pour celle de leur fille (qui se trouve toujours au Mexique).

[10] Le 22 février 2019, les demandeurs se sont rendus au poste de police pour dénoncer les agents de recouvrement de Mundo Facil. La police les a informés qu’il s’agissait d’une affaire au civil impliquant une dette et que, par conséquent, elle ne pouvait rien faire. Dans leur exposé circonstancié, les demandeurs ont déclaré que les agents de recouvrement étaient des membres du CJNG, bien qu’ils n’aient pas mentionné comment ils en ont pris connaissance. Dans leur exposé circonstancié, les demandeurs ont également fait référence à une organisation criminelle du nom de « Drop to Drop » qui, selon eux, les a persécutés, mais n’ont fourni aucune explication sur les liens entre ce groupe et le CJNG ni sur la façon dont ils ont été mis au fait de ce renseignement.

[11] Les demandeurs ont déclaré avoir fui le Mexique et être arrivés au Canada le 2 juillet 2019, à la suite d’incidents d’extorsion et de menaces de mort de la part du CJNG. Après leur arrivée au Canada, les demandeurs ont affirmé avoir été informés que les agents de recouvrement avaient détruit leur entreprise et menaçaient des gens afin d’obtenir des renseignements sur l’endroit où ils se trouvaient.

[12] Les demandeurs ont présenté une demande d’asile en novembre 2020.

[13] Dans sa décision datée du 21 février 2022, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs. La question déterminante était celle de la crédibilité des demandeurs. La SPR a conclu que le témoignage de la demanderesse principale était évasif, confus et incohérent. La SPR a jugé que la présomption de véracité avait été réfutée parce que le défaut des demandeurs de fournir des documents attestant du prêt et les incohérences importantes et les omissions entre l’exposé circonstancié joint au formulaire FDA de la demanderesse principale et son témoignage n’avaient pas été raisonnablement expliqués. Ces incohérences importantes comprenaient le moment de la mort du pêcheur, l’incident survenu à la station-service et, surtout, la façon dont les demandeurs ont appris qu’ils étaient victimes d’extorsion de la part du CJNG et le moment où ils l’ont appris. De plus, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas expliqué de façon raisonnable les raisons pour avoir tardé à demander l’asile au Canada.

[14] Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR, faisant valoir que la SPR avait fait preuve de zèle en relevant des incohérences microscopiques sur des questions peu pertinentes qui n’étaient pas capitales à leurs allégations et qu’elle avait mal interprété certaines parties du témoignage de la demanderesse principale. Les demandeurs ont fait valoir que les incohérences étaient mineures et que la demanderesse principale était extrêmement nerveuse lorsqu’elle a témoigné.

[15] Dans sa décision datée du 3 août 2022, la SAR a confirmé les conclusions de la SPR. La SAR était d’avis que la SPR n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que le témoignage de la demanderesse principale était incompatible avec l’exposé circonstancié joint à son formulaire FDA et des éléments clés des allégations des demandeurs. La SAR a convenu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

II. Question en litige et norme de contrôle

[16] La seule question à trancher est de savoir si la décision de la SAR était raisonnable.

[17] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit établir si la décision faisant l’objet d’un contrôle, y compris son raisonnement et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 15, 85]. La Cour n’interviendra que si elle est convaincue que la décision présente des lacunes graves à un tel point qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence [voir Adeniji-Adele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 418 au para 11].

III. Analyse

[18] Le demandeur soutient que la SAR a adopté une approche fautive dans l’appréciation de la crédibilité de la demanderesse principale lorsqu’elle a conclu que : a) le témoignage de la demanderesse principale sur la façon dont les demandeurs ont appris que le CJNG était impliqué était évasif; b) il y avait des incohérences dans le témoignage de la demanderesse principale concernant le décès du pêcheur; c) la demanderesse principale a omis de mentionner dans son formulaire FDA les menaces à la vie des demandeurs pendant l’incident de la station-service, sans fournir d’explication raisonnable pour justifier les omissions; et d) les demandeurs n’avaient pas fourni de documents corroborants au sujet de leur contrat de prêt avec Mundo Facil, sans fournir d’explication raisonnable pour justifier l’absence de tels documents.

[19] Lors de l’examen des affirmations des demandeurs, il faut garder à l’esprit que les conclusions sur leur crédibilité font partie du processus de recherche des faits et qu’il faut faire preuve d’une grande déférence à leur égard lors du contrôle judiciaire. La Cour doit s’abstenir d’apprécier indûment à nouveau la preuve prise en compte par la SAR en l’absence de circonstances exceptionnelles [voir Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 au para 6; Vavilov, précité, au para 125].

[20] Après avoir passé en revue la preuve présentée à la SAR, je suis convaincue que la conclusion qu’elle a tirée concernant la crédibilité de la demanderesse principale était raisonnable. Il était loisible à la SAR de tenir compte des récits changeants et contradictoires de la demanderesse principale quant aux aspects clés de l’exposé circonstancié des demandeurs. Je juge que la SAR a exposé de façon raisonnable les diverses incohérences et contradictions dans la preuve présentée par les demandeurs au sujet des allégations d’importance capitale relatives à l’extorsion par le CJNG. La SAR a tenu compte de l’argument concernant la nervosité de la demanderesse principale et a raisonnablement conclu qu’il n’expliquait pas son incapacité à répondre aux questions simples qui lui ont été posées (qui ont été clarifiées à plusieurs reprises) et qui mettaient en doute des éléments clés de sa demande d’asile.

[21] De plus, je ne relève rien de déraisonnable dans les conclusions de la SAR relativement au manque d’explication raisonnable pour justifier l’absence de toute documentation relative au prêt de Mundo Facil (y compris les documents qui auraient démontré l’utilisation des fonds empruntés) et à l’omission de la menace pour la vie des demandeurs lors de l’incident de la station-service.

[22] Les demandeurs ont affirmé en outre que la SAR a omis de tenir compte de la plausibilité d’un contrat de prêt verbal conclu avec Mundo Facil et qu’elle n’a pas accordé à la preuve corroborante du locateur concernant le prêt le poids qu’elle méritait. Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, la SAR a tenu compte de la plausibilité de l’accord verbal et l’a rejetée, mais a toutefois examiné la preuve dont elle disposait au sujet du prêt en supposant qu’un tel accord avec Mundo Facil était plausible. En ce qui concerne la preuve corroborante du locateur, il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve dont la SAR disposait.

[23] Je juge que l’affirmation des demandeurs selon laquelle la SAR n’a pas procédé à une appréciation indépendante n’est pas fondée. Après avoir examiné les motifs de la SAR, je suis convaincue que la SAR a fourni sa propre analyse indépendante de l’exposé circonstancié et du témoignage des demandeurs. C’est ce qui ressort clairement du fait que la SAR a fourni d’autres exemples d’incohérences dans le témoignage de la demanderesse principale qui n’avaient pas été relevées par la SPR. Le fait que la SAR est parvenue à des conclusions qui concordent avec celles de la SPR ou qu’elle y est parvenue en raison des mêmes motifs que la SPR ne signifie pas qu’elle n’a pas procédé à une appréciation indépendante [voir Sinnaraja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 274 aux para 7-9; Hassan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1623 aux para 20, 21].

IV. Conclusion

[24] Pour les motifs énoncés plus haut, je juge que les demandeurs n’ont pas démontré que la décision de la SAR était déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[25] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.

JUGEMENT dans le dossier IMM-8405-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et aucune n’est soulevée.

« Mandy Aylen »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8405-22

INTITULÉ :

PERLA JANISSE CORTEZ ESCOBEDO, JORGE HERNANDEZ GOMEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JUILLET 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

LE 20 JUILLET 2023

COMPARUTIONS :

Alexander Fomcenco

POUR LES DEMANDEURS

Andrea Mauti

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fomcenco Law

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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