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Date : 20051014

Dossier : T-87-05

Référence : 2005 CF 1392

Ottawa (Ontario), le 14 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

IBRAHIM KHALIL EL-SALEM SAQER

et KHATIB AREEJ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'un appel en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi) des décisions du juge de la citoyenneté Gilbert Decoste (le juge de la citoyenneté) du 30 septembre 2004 rejetant les demandes de citoyenneté des demandeurs, selon lesquelles ils ne satisfaisaient pas aux exigences de l'alinéa 5(1)c) de la Loi. Les demandeurs, ayant reçu le 17 mars 2005, l'autorisation de poursuivre leurs recours dans un seul dossier par ordonnance du protonotaire Me Richard Morneau, cherchent à obtenir une ordonnance accueillant cet appel, annulant les décisions contestées, et les référant à un autre juge de la citoyenneté.


QUESTION EN LITIGE

[2]                Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur de droit justifiant l'intervention de la Cour en manquant aux principes d'équité procédurale lors du rejet des demandes de citoyenneté canadienne des demandeurs?

[3]                Pour les motifs suivants, l'appel sera rejeté.

FAITS

[4]                Les demandeurs sont citoyens jordaniens. Ils ont obtenu le statut de résident permanent le 25 août 1998.

[5]                Les demandeurs déposent chacun une demande de citoyenneté canadienne le 24 avril 2004. Dans sa demande, le demandeur déclare avoir été présent au Canada 1 064 jours pendant la période exigée par l'alinéa 5(1)c) de la Loi, tandis que la demanderesse prétend avoir été présente au Canada 1 131 jours pendant cette même période.

[6]                Le 19 juillet 2004, après avoir réussi leurs examens de citoyenneté, les demandeurs rencontrent séparément le juge de citoyenneté, qui leur demande de présenter des preuves documentaires supplémentaires à l'appui de leurs déclarations de présence au Canada pendant la période visée par la Loi.

[7]                Les demandeurs allèguent que le juge de la citoyenneté ne leur a jamais mentionné qu'ils devaient lui faire parvenir cette documentation dans un délai particulier.

[8]                Dans ses notes écrites datées du 30 septembre 2004, le juge de la citoyenneté affirme avoir donné 20 jours aux demandeurs pour lui faire parvenir la documentation.

[9]                Au 30 septembre 2004, soit soixante-treize jours après avoir rencontré les demandeurs, le juge de la citoyenneté n'a pas reçu la documentation demandée. En se basant sur les informations dont il dispose dans les dossiers des demandeurs, il conclut qu'ils n'ont pas démontré qu'ils ont été présents au Canada pendant la période requise à l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

[10]            Le 30 novembre 2004, soit cent trente-cinq jours après les rencontres du 19 juillet et conformément aux paragraphes 14(3) et 14(4) de la Loi, le juge de la citoyenneté communique par écrit aux demandeurs sa décision refusant leurs demandes.

DÉCISIONS CONTESTÉES

[11]            Les décisions du juge de la citoyenneté reposent essentiellement sur le fait que les demandeurs ne l'ont pas convaincu qu'ils avaient résidé au Canada pendant un total d'au moins trois ans dans les quatre années précédant leurs demandes.

[12]            Dans ses lettres du 30 novembre 2004, le juge de la citoyenneté déclare en outre qu'il ne voit pas de circonstances lui permettant de recommander au gouverneur en conseil l'exercice du pouvoir discrétionnaire découlant du paragraphe 5(4) de la Loi d'ordonner au ministre d'attribuer la citoyenneté à toute personne qu'il désigne afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada.

ANALYSE

[13]            Les dispositions pertinentes de la Loi se lisent comme suit :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

[...]

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

[...]

(4) Afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada, le gouverneur en conseil a le pouvoir discrétionnaire, malgré les autres dispositions de la présente loi, d'ordonner au ministre d'attribuer la citoyenneté à toute personne qu'il désigne; le ministre procède alors sans délai à l'attribution.

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

[...]

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

[...]

(4) In order to alleviate cases of special and unusual hardship or to reward services of an exceptional value to Canada, and notwithstanding any other provision of this Act, the Governor in Council may, in his discretion, direct the Minister to grant citizenship to any person and, where such a direction is made, the Minister shall forthwith grant citizenship to the person named in the direction.

14. (1) Dans les soixante jours de sa saisine, le juge de la citoyenneté statue sur la conformité -- avec les dispositions applicables en l'espèce de la présente loi et de ses règlements -- des demandes déposées en vue de :

a) l'attribution de la citoyenneté, au titre du paragraphe 5(1);

[...]

(3) En cas de rejet de la demande, le juge de la citoyenneté en informe sans délai le demandeur en lui faisant connaître les motifs de sa décision et l'existence d'un droit d'appel.

[...]

(4) L'obligation d'informer prévue au paragraphe (3) peut être remplie par avis expédié par courrier recommandé au demandeur à sa dernière adresse connue.

(5) Le ministre et le demandeur peuvent interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté en déposant un avis d'appel au greffe de la Cour dans les soixante jours suivant la date, selon le cas :

a) de l'approbation de la demande;

b) de la communication, par courrier ou tout autre moyen, de la décision de rejet.

14. (1) An application for

(a) a grant of citizenship under subsection 5(1),

[...]

shall be considered by a citizenship judge who shall, within sixty days of the day the application was referred to the judge, determine whether or not the person who made the application meets the requirements of this Act and the regulations with respect to the application.

[...]

(3) Where a citizenship judge does not approve an application under subsection (2), the judge shall forthwith notify the applicant of his decision, of the reasons therefor and of the right to appeal.

[...]

(4) A notice referred to in subsection (3) is sufficient if it is sent by registered mail to the applicant at his latest known address.

(5) The Minister or the applicant may appeal to the Court from the decision of the citizenship judge under subsection (2) by filing a notice of appeal in the Registry of the Court within sixty days after the day on which

(a) the citizenship judge approved the application under subsection (2); or

(b) notice was mailed or otherwise given under subsection (3) with respect to the application.

[14]            La norme de contrôle concernant un appel d'une décision d'un juge de la citoyenneté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi a été traitée par le juge Rouleau dans Badjeck c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1804 (C.F. 1ère inst.) (QL), aux paragraphes 38 à 40 :

D'entrée de jeu, il convient de noter que la norme de contrôle applicable dans les appels en matière de citoyenneté a été établi par la jurisprudence comme étant celle de l'absence d'erreur : Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177 au para. 33; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Hung, [1998] A.C.F. no 1927, au para. 12 (QL) (C.F.). Bien qu'il faille faire preuve de retenue à l'égard des conclusions de fait des juges de la Citoyenneté, la décision du juge de la Citoyenneté en l'espèce pourra être annulée si celle-ci fit complètement abstraction d'éléments de preuve importants sans fournir d'explications : Hung, supra.

Une personne qui fait une demande d'attribution de la citoyenneté au titre du paragraphe 5(1)c) de la Loi doit avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans dans les quatre années précédant la date de sa demande. Cette Cour a noté à maintes reprises que les décisions judiciaires aux interprétations radicalement divergentes ont gravement compliqué l'application de la loi. L'appréciation de la jurisprudence au regard de la condition de résidence faite par la juge de la Citoyenneté en l'espèce n'est guère un exemple de précision et d'éloquence, et la manière dont elle cite les éléments développés par les différents courants jurisprudentiels peut certes porter à confusion. Or, dans l'affaire Lam, supra au para. 33, le juge Lutfy fait remarquer que la décision d'un juge de la Citoyenneté ne doit pas être annulée simplement parce qu'une partie au différend n'accepte pas le critère qui a été appliqué pour déterminer la résidence. Voici ce que le juge Lutfy a écrit à ce sujet :

Cependant, lorsqu'un juge de la citoyenneté, dans les motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence. C'est dans cette mesure qu'il faut faire montre de retenue envers les connaissances et l'expérience particulières du juge de la citoyenneté durant la période de transition.

[15]            Dans Yang c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 114, au paragraphe 16 (C.F. 1ère inst.) (QL), le juge Rouleau s'est exprimé ainsi:

Depuis la décision Lam, précitée, du juge Lutfy, la jurisprudence de notre Cour indique qu'il faut faire montre d'une certaine retenue envers les connaissances et l'expérience particulières des juges de la citoyenneté. Ainsi, un juge de la citoyenneté a le droit de préférer une interprétation à une autre pour déterminer si les conditions concernant la résidence sont respectées. Tant et aussi longtemps que l'interprétation choisie par le juge de la citoyenneté est correctement appliquée, l'intervention de notre Cour n'est pas justifiée.

[16]            Cependant, dans la présente affaire, la question centrale n'est pas réellement la justesse de l'interprétation du concept de résidence qu'a retenue le juge de la citoyenneté. Il s'agit plutôt de déterminer si l'absence d'une mention explicite par le juge de la citoyenneté d'un délai particulier pour fournir des renseignements supplémentaires viole l'équité procédurale et justifie l'intervention de cette cour.

[17]            Les demandeurs soutiennent que la réponse à cette question doit être affirmative, citant, inter alia, le juge L'Heureux-Dubé dans Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 22 :

[...] les droits de participation faisant partie de l'obligation d'équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d'une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu'ils soient considérés par le décideur.

[18]            Les demandeurs ont pourtant eu l'occasion de présenter des éléments de preuve supplémentaires pour infirmer les doutes du juge de la citoyenneté relativement aux exigences de l'alinéa 5(1)c) de la Loi. Le rejet de leurs demandes a lieu le 30 septembre 2004, soit soixante-treize jours après les rencontres initiales et treize jours après l'expiration du délai prévu par l'alinéa 14(1)a) de Loi pour que le juge de la citoyenneté rende sa décision.

[19]            Étant donné que les demandeurs sont censés connaître la Loi, la question de savoir si le délai de vingt jours fut ou non explicitement mentionné par le juge de la citoyenneté devient peu pertinente. En effet, ce dernier est censé rendre sa décision dans les soixante jours, un délai qui relève du droit procédural (Chung (Re), [1998] A.C.F. no 754 (C.F. 1ère inst.) (QL) au paragraphe 9, et Ho (Re), [1997] A.C.F. no 1154 (C.F. 1ère inst.) (QL) au paragraphe 14).

[20]            Or, il incombait aux demandeurs de démontrer qu'ils ont rencontré les exigences de l'alinéa 5(1)c). Dans Maharatnam c. Canada (ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [2000] A.C.F. no 405 (C.F. 1ère inst.) (QL), le juge Gibson écrit ainsi au paragraphe 5 :

Je suis persuadé qu'il incombe à la personne qui sollicite la citoyenneté canadienne de convaincre le juge de la citoyenneté qu'elle remplit les exigences de la Loi ou que le juge de la citoyenneté est fondé à exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 15(1).

[21]            La preuve de la rencontre de ces exigences doit être faite selon la norme de la prépondérance des probabilités, comme l'indique le juge Pinard dans Malevsky c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1554 (C.F. 1ère inst.) (QL), au paragraphe 7 :

Le fardeau de preuve imposé au demandeur pour établir les exigences de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loiest le simple fardeau de preuve civile, soit la preuve selon la prépondérance des probabilités.

[22]            Après une étude des documents du dossier ainsi que des décisions contestées, je suis satisfait que le juge de la citoyenneté n'a pas commis d'erreur de droit justifiant l'intervention de la Cour. Les notes écrites du juge de la citoyenneté, quoique brèves, mentionnent qu'il a considéré les demandes des demandeurs, leurs passeports et leurs déclarations de résidences, et qu'elles ne lui ont pas démontré que les demandeurs s'étaient conformés aux exigences de la Loi. Lesdécisions du juge de la citoyenneté me paraissent suffisamment motivées pour répondre aux normes établies par la jurisprudence applicable en ce qui a trait à la justice naturelle.

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que les appels déposés par les demandeurs soient rejetés.

« Michel Beaudry »

JUGE


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-87-05

INTITULÉ :                                        IBRAHIM KHALIL EL-SALEM SAQER et

                                                            KHATIB AREEJ c. LE MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 12 octobre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                         LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                       le 14 octobre 2005

COMPARUTIONS:

Mélanie Viguié-Bilodeau                                                POUR LES DEMANDEURS

Evan Liosis                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Bohbot & Associés                                                       POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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