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Date : 20230713


Dossier : IMM-1858-22

Référence : 2023 CF 957

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2023

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

JUNJIE LI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision (la « décision ») datée du 10 décembre 2021 par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi (l’« agent ») a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (l’« ERAR ») du demandeur.

II. Contexte

[2] Le demandeur, Junjie Li, est un citoyen de la Chine âgé de 29 ans. Le 20 juin 2016, il est entré au Canada avec son père et a présenté une demande d’asile. Le père du demandeur était le demandeur d’asile principal.

[3] Le 30 septembre 2016, la Section de la protection des réfugiés (la « SPR ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a entendu la demande d’asile du demandeur et de son père. La demande d’asile était fondée sur la persécution subie par le demandeur et son père de la part des autorités chinoises en raison de leur religion parce qu’ils étaient des fidèles de l’Église du Dieu tout-puissant, interdite par la loi. Le 24 novembre 2016, la SPR a rendu la décision par laquelle elle a refusé leur demande. Elle a conclu que la demande et le demandeur manquaient de crédibilité. Elle a tiré les conclusions suivantes :

  1. Le témoignage du père du demandeur sur la manière dont ils ont quitté la Chine était invraisemblable. Si le demandeur et son père avaient été identifiés par les autorités chinoises comme des fidèles de l’Église du Dieu tout-puissant, ils auraient été reconnus par les autorités aéroportuaires grâce à la base de données du Bouclier d’or de la Chine. Cette invraisemblance a ébranlé l’allégation selon laquelle ils étaient des fidèles de l’Église du Dieu tout-puissant recherchés par les autorités chinoises.

  2. La preuve à l’appui avait peu de poids et certains des éléments étaient frauduleux.

  3. Le profil du père du demandeur tel que présenté dans sa demande de visa de résident temporaire canadien (le « VRT ») ne correspondait pas aux renseignements personnels figurant dans son formulaire Fondement de la demande d’asile. Le VRT ne mentionnait pas la seconde épouse du père du demandeur et il n’y avait pas d’explication raisonnable à cela. Cette omission a affaibli l’allégation du père selon laquelle il avait été poussé à rejoindre l’Église du Dieu tout-puissant à la suite du décès de sa première épouse.

  4. Les connaissances du demandeur et de son père sur les enseignements de l’Église du Dieu tout-puissant étaient limitées et rudimentaires.

  5. La preuve n’était pas suffisante pour fonder une demande d’asile sur place. Bien que le demandeur et son père aient produit des éléments de preuve montrant leur participation à des messes au Canada, la preuve était insuffisante pour établir que les autorités chinoises étaient au courant.

[4] Le demandeur a fait appel de la décision de la SPR auprès de la Section d’appel des réfugiés (la « SAR ») et, le 19 avril 2017, celle-ci a rejeté l’appel du demandeur et a confirmé le raisonnement de la SPR.

[5] En conséquence, une mesure de renvoi exécutoire a été prise contre le demandeur. Le 19 juillet 2017, son père est décédé. Cinq mois plus tard, en décembre 2017, le demandeur affirme avoir appris de sa belle-mère que les autorités chinoises s’étaient rendues à son domicile à deux reprises pour s’enquérir de lui et de son père et les accuser de se livrer à des activités religieuses de l’Église du Dieu tout-puissant au Canada.

[6] En avril 2021, le demandeur a présenté sa demande d’ERAR. Dans le cadre de sa demande, le demandeur a produit des éléments de preuve censés démontrer qu’il continue de se réunir régulièrement avec son groupe local de l’Église du Dieu tout-puissant à Markham, en Ontario, ainsi qu’une lettre soi-disant de sa belle-mère dans laquelle elle affirme que les autorités chinoises recherchent le demandeur en raison de ses croyances religieuses. De plus, le demandeur a communiqué des documents nationaux à jour afin de démontrer que la liberté de religion s’est détériorée en Chine et que les membres de l’Église du Dieu tout-puissant courent un risque sérieux d’arrestation, de détention et d’abus de la part des autorités chinoises.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[7] Le 10 décembre 2021, l’agent a rejeté la demande d’ERAR du demandeur. Il n’a pas tenu d’audience.

[8] L’agent a tiré les conclusions pertinentes suivantes :

  1. L’agent d’ERAR doit respecter les décisions de la SPR et de la SAR. Après le rejet d’une demande d’asile par la SPR ou la SAR, de nouveaux éléments de preuve ne peuvent être présentés que s’ils satisfont aux critères de nouveauté prévus à l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

  2. La lettre de sa belle-mère présentée à l’appui de la demande d’asile sur place du demandeur n’a qu’une valeur probante minime. Le certificat de traduction ne comportait pas de numéro de membre enregistré pour la traduction. En outre, la SPR n’était pas convaincue de l’existence réelle de la belle-mère du demandeur et celui-ci n’a fourni aucune preuve pour l’établir. La lettre se fonde également sur l’identité religieuse du demandeur en tant que membre de l’Église du Dieu tout-puissant, ce que la SPR n’a pas jugé crédible.

  3. De même, la preuve de la fréquentation par le demandeur de l’Église du Dieu tout-puissant avait peu de poids. La SPR disposait déjà d’éléments de preuve de cette nature lorsqu’elle a tiré ses conclusions.

  4. Les documents sur la situation du pays établissent que les fidèles de l’Église du Dieu tout-puissant en Chine sont confrontés à des conditions pouvant s’apparenter à une persécution religieuse. Toutefois, la SPR a déterminé que l’allégation du demandeur selon laquelle il était membre de l’Église du Dieu tout-puissant manquait de crédibilité et que celui-ci n’a donc pas établi qu’il se heurterait à un risque sérieux de persécution.

IV. Questions en litige

  1. L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas d’audience?

  2. L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation des nouveaux éléments de preuve du demandeur?

V. Norme de contrôle

[9] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au paragraphe 25 [Vavilov]).

VI. Analyse

A. L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas d’audience?

[10] L’alinéa 113b) de la LIPR prévoit qu’une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires. L’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR], énumère ces facteurs réglementaires :

167 Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

167 For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

[11] Le demandeur soutient qu’une audience était nécessaire parce que l’agent a tiré des conclusions concernant sa crédibilité à la lumière de ses éléments de preuve.

[12] Je suis du même avis que le demandeur. En l’espèce, les éléments de preuve font intervenir les trois facteurs réglementaires énoncés à l’article 167 du RIPR.

[13] Il est souvent difficile de faire la distinction entre une conclusion de preuve insuffisante et une conclusion défavorable en matière de crédibilité. En l’espèce, toutefois, l’agent n’a pas cru les nouveaux éléments de preuve du demandeur ni ses affirmations qui portaient essentiellement qu’il était un véritable membre et fidèle de l’Église du Dieu tout-puissant et qu’il était poursuivi par les autorités chinoises. Cela a soulevé de graves problèmes de crédibilité qui étaient au cœur de la demande d’ERAR.

[14] Même si l’agent avait le droit de s’appuyer sur les conclusions de la SPR en matière de crédibilité à la lumière des éléments de preuve dont il disposait, les nouveaux éléments de preuve et les tentatives du demandeur ont soulevé de nouveaux problèmes de crédibilité à l’égard desquels l’agent, dans sa décision, a implicitement tiré de nouvelles conclusions sans tenir d’audience (Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 au para 13). L’agent ne croyait pas à l’existence de la belle-mère du demandeur et il a laissé entendre que la lettre prétendument fournie par le demandeur pouvait être frauduleuse. En outre, l’agent a maintenu que le demandeur n’était pas un véritable fidèle de l’Église du Dieu tout-puissant, malgré la preuve que celui-ci avait continué à fréquenter l’église au Canada. Ces deux conclusions suggèrent que l’agent a jugé que la preuve du demandeur et le demandeur lui-même n’étaient pas crédibles.

[15] Bien que l’agent puisse tirer de telles conclusions après la tenue d’une audience, laquelle permet au demandeur de répondre aux préoccupations de l’agent, il était déraisonnable pour l’agent de décider de ne pas tenir d’audience du tout.

B. L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation des nouveaux éléments de preuve du demandeur?

[16] Vu la conclusion qu’une audience était nécessaire, la question de savoir s’il était raisonnable d’examiner les nouveaux éléments de preuve du demandeur devrait être tranchée après la tenue d’une audience.

VII. Conclusion

[17] La demande sera accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1858-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour un nouvel examen au terme d’une audience.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1858-22

INTITULÉ :

JUNJIE LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 juin 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

DATE DES MOTIFS :

Le 13 juillet 2023

COMPARUTIONS :

Elyse Korman

Pour le demandeur

David Cranton

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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