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Date : 20230628


Dossiers : T-1121-22

T-1122-22

T-1248-22

T-1249-22

Référence : 2023 CF 912

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2023

En présence de l’honorable juge Manson

ENTRE :

JANSSEN INC. ET

JANSSEN PHARMACEUTICA N.V.

demanderesses

et

APOTEX INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

(Jugement et Motifs confidentiels émis le 28 juin 2023)

I. Introduction

[1] Les demanderesses, Janssen Inc. et Janssen Pharmaceutica N.V. (collectivement « Janssen »), présentent une requête en jugement sommaire dans les dossiers T-1121-22, T-1122-22, T-1248-22 et T-1249-22. Il s’agit de quatre actions connexes en contrefaçon de brevet (collectivement les « actions au principal ») intentées sous le régime du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS /93-133 (le « Règlement »). Dans le cadre de chacune de ces actions, Janssen affirme que la défenderesse, Apotex Inc., va contrevenir au brevet canadien no 2 655 335 (le « brevet 335 »). Apotex oppose aux actions l’invalidité du brevet 335, car il porte sur un objet non brevetable, à savoir une méthode de traitement médical.

[2] Dans le cadre de la requête en jugement sommaire, Janssen affirme que le principe de la chose jugée fait obstacle à la défense fondée sur l’invalidité du brevet opposée par Apotex et que cette défense constitue un abus de procédure, compte tenu des litiges antérieurs relatifs au brevet 335.

II. Faits

A. Brevet 335

[3] Le brevet 335 est inscrit au registre des brevets conformément au Règlement. Il porte sur la suspension de paliperidone palmitate, commercialisée par Janssen sous la marque INVEGA SUSTENNA, et préparée dans des seringues préremplies de 50 mg/0,5 ml, 75 mg/0,75 ml, 100 mg/1,0 ml et 150 mg/1,5 ml. Janssen Pharmaceutica N.V. est le propriétaire enregistré du brevet 335.

[4] L’INVEGA SUSTENNA est le traitement indiqué pour la schizophrénie et les troubles connexes. Le brevet 335 est intitulé « Posologie associée aux esters de paliperidone injectables à action prolongée ».

[5] Les revendications 1, 17 et 33 du brevet 335 décrivent ainsi le régime de dosage applicable aux patients nécessitant un traitement pour la schizophrénie ou d’autres troubles connexes qui ne souffrent pas de troubles rénaux :

  1. Une première dose de charge de 150 équivalent milligrammes (« eq-mg ») de paliperidone palmitate administrée dans le deltoïde le jour 1 du traitement;

  2. Une deuxième dose de charge de 100 eq-mg de paliperidone palmitate administrée dans le deltoïde le jour 8 ± 2 jours;

  3. Des doses d’entretien de 75 eq-mg de paliperidone palmitate administrées dans le deltoïde ou le muscle glutéal tous les mois ± 7 jours après la deuxième dose de charge.

[6] Les revendications 2, 18 et 34 décrivent le régime de dosage applicable aux patients atteints de troubles rénaux, qui suit le même calendrier, plages et sites d’injection que pour les patients qui ne souffrent pas de troubles rénaux. Toutefois, les doses de charge sont de 100 eq-mg et 75 eq-mg, et les doses d’entretien sont de 50 eq-mg.

[7] Apotex cherche à commercialiser au Canada une version générique de l’INVEGA SUSTENNA (le « produit APO »). La présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) no 233882 (la « PADN no 1 ») porte sur des seringues préremplies |||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| du produit APO. La PADN no 239939 (la « PADN no 2 ») porte sur des seringues préremplies ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

B. Litiges relatifs au brevet 335

[8] Le brevet 335 a été l’objet de trois actions intentées par Janssen qui sont pertinentes en l’espèce.

[9] En février 2018, Janssen a intenté une action (T-353-18) contre Teva Canada Limitée (« Teva ») concernant le brevet 335 et la version générique de Teva d’INVEGA SUSTENNA (l’« action contre Teva »). Janssen invoquait la contrefaçon des revendications 1 à 48 du brevet 335. Au procès, Teva a opposé à l’action une défense fondée sur l’évidence et l’absence de contrefaçon et a renoncé à ses prétentions concernant un objet non brevetable. Le 5 mai 2020, la Cour a décidé que les revendications 1 à 48 étaient valides et n’étaient pas évidentes et que Teva enfreindrait les revendications 1 à 16 et 33 à 48 (Janssen Inc c Teva Canada Ltd, 2020 CF 593). Teva a interjeté appel de la décision au sujet de la contrefaçon directe et de la validité, et Janssen a interjeté un appel incident, soulevant la question de l’incitation à la contrefaçon. Dans un arrêt daté du 23 mars 2023, la Cour d’appel a rejeté l’appel de Teva et accueilli l’appel incident interjeté par Janssen (voir Teva Canada Limited c Janssen Inc, 2023 CAF 68).

[10] En novembre 2020, Janssen a intenté une action devant notre Cour (T-1441-20) contre Pharmascience Inc. (« PMS ») à l’égard du brevet 335 et de la version générique de l’INVEGA SUSTENNA élaborée par cette dernière (l’« action contre PMS »). Dans l’ordonnance rendue à l’égard de la requête sollicitant la tenue d’un procès sommaire, le 19 janvier 2022, la Cour a déterminé que PMS contreferait les revendications du brevet 335 (Janssen Inc c Pharmascience Inc, 2022 CF 62 [PMS-paliperidone 1]; appel interjeté à la Cour d’appel fédérale). Par voie de jugement rendu le 23 août 2022, la Cour a tranché les autres questions soulevées dans l’action contre PMS. Elle a conclu que PMS n’avait pas démontré l’évidence du brevet 335 ni ses prétentions selon lesquelles ce dernier portait sur une méthode de traitement médical (Janssen Inc v Pharmascience Inc, 2022 CF 1218 [PMS-paliperidone 2]; appel interjeté à la Cour d’appel fédérale).

[11] Les parties aux actions au principal ont également esté en justice sur la question de la contrefaçon éventuelle par Apotex du brevet 335. Apotex a transmis à Janssen un avis d’allégation à l’égard de la PADN n1 le 4 décembre 2020 (le premier avis d’allégation). Elle y affirme qu’elle ne contreferait pas le brevet 335 si elle mettait en marché le produit APO |||| ||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. Elle n’a pas invoqué l’invalidité du brevet 335 dans le premier avis d’allégation.

[12] Le 18 janvier 2021, en réponse au premier avis d’allégation, Janssen a intenté une action devant notre Cour (T-124-21) (la « première action contre Apotex »). Dans sa déclaration, Janssen invoque la présomption de validité du brevet, prévue au paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, LRC (1985), c P-4. Apotex a transmis sa défense le 17 février 2021. Elle y soulève l’absence de contrefaçon, mais ne conteste pas la validité du brevet 335.

[13] Le 4 mai 2021, Apotex a présenté une requête en vue d’obtenir un procès sommaire. La question de fond dont la Cour était saisie consistait à savoir s’il y aurait contrefaçon par Apotex du brevet 335 même si cette dernière n’avait pas demandé l’approbation |||||||||||||||||||||||| |||||||| de sa version générique du paliperidone palmitate. À l’appui de sa prétention fondée sur l’absence de contrefaçon du brevet, Apotex a déposé un affidavit assorti de copies des formulaires V présentés à Santé Canada dans la PADN no 1 et la PADN no 2. Dans la section réservée aux allégations du formulaire V contenu dans la PADN no 1, Apotex indique qu’elle soulève l’absence de contrefaçon du brevet, mais ne mentionne pas de thèse fondée sur l’invalidité. Dans le formulaire V contenu dans la PADN no 2, elle accepte le fait que l’avis de conformité ne sera pas délivré avant l’expiration du brevet 335 et ne mentionne aucun argument fondé sur l’absence de contrefaçon ou l’invalidité.

[14] Le 31 janvier 2022, la Cour conclut qu’Apotex contreferait le brevet 335, et ce même si elle n’avait pas demandé l’approbation ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. La Cour a prononcé une déclaration de contrefaçon et une injonction à l’égard du produit proposé par Apotex dans la PADN no 1 (voir Janssen Inc c Apotex Inc, 2022 CF 107 [APO-paliperidone 2022]). Au procès, Apotex a affirmé qu’elle attendrait l’expiration du brevet 335 pour vendre |||||||||||||||||||||| ||||||||, à défaut de quoi il lui faudrait signifier un avis d’allégation distinct à l’égard de la PADN no 2.

[15] Par suite de la décision dans l’affaire APO-paliperidone 2022, Apotex a sollicité l’autorisation de modifier sa défense dans le dossier T-124-21 pour y ajouter un argument fondé sur l’invalidité pour cause d’objet non brevetable, car il s’agit d’une méthode de traitement médical. Apotex a ensuite retiré sa demande de modification des actes de procédure. Elle a plutôt modifié le formulaire V contenu dans la PADN no 1 et la PADN no 2 pour y inclure les prétentions relatives à l’invalidité.

[16] Apotex a interjeté appel du jugement rendu le 31 janvier 2022 dans la première action contre Apotex devant la Cour d’appel fédérale, qui n’a pas encore tranché.

C. Les actions au principal

[17] Apotex a transmis à Janssen deux avis d’allégation datés du 20 avril 2022 portant sur la PAND no 1 et la PADN no 2 respectivement. En réponse à Janssen qui jugeait ces avis d’allégation inadéquats, Apotex a transmis un autre avis d’allégation visant chaque PADN, le 5 mai 2022. Dans chacun des avis d’allégation, Apotex prétend que les revendications du brevet 335 sont invalides, car elles portent sur un objet non brevetable, à savoir des méthodes de traitement médical. Apotex ne fait pas valoir l’absence de contrefaçon.

[18] Janssen a ensuite intenté les actions dans les dossiers T-1122-22 et T-1248-22 par suite des deux avis d’allégation portant sur la PADN no 1 (les « actions concernant la PADN no 1 ») et les actions dans les dossiers T-1121-22 et T-1249-22 par suite des deux avis d’allégation portant sur la PADN no 2 (les « actions concernant la PADN no 2 »). Les actions dans les dossiers T-1121-22 et T-1122-22 ont été intentées le 2 juin 2022, et celles dans les dossiers T-1248-22 et T-1249-22 l’ont été le 16 juin 2022.

[19] Les parties conviennent du fait que l’absence de contrefaçon n’est pas soulevée dans les actions au principal.

[20] Apotex a déposé sa défense dans les actions au principal le 27 juillet 2022. Par voie d’ordonnance datée du 23 novembre 2022, la date de début du procès dans les actions au principal a été fixée au 18 mars 2024. Les parties ont procédé à la première ronde d’interrogatoires préalables.

III. Questions

  1. La requête en jugement sommaire présentée par Janssen est-elle hors délai?

  2. L’affaire se prête-t-elle à un jugement sommaire?

  3. Les actions au principal soulèvent-elles une véritable question litigieuse?

  • (1)Le principe de la chose jugée empêche-t-il Apotex d’opposer une défense aux actions au principal?

  • (2)La doctrine de l’abus de procédure empêche-t-elle Apotex d’opposer une défense aux actions au principal?

  • (3)Le principe de l’exercice du choix empêche-t-il Apotex d’opposer une défense aux actions concernant la PADN no 2?

IV. Analyse

A. La requête en jugement sommaire présentée par Janssen est-elle hors délai?

[21] La requête en jugement sommaire est régie par les articles 213 à 215 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les « Règles »). Le paragraphe 213(1) prévoit qu’une partie peut présenter une requête en jugement sommaire après avoir déposé sa défense, mais avant que la date et le lieu du procès ne soient fixés :

213 (1) Une partie peut présenter une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire à l’égard de toutes ou d’une partie des questions que soulèvent les actes de procédure. Le cas échéant, elle la présente après le dépôt de la défense du défendeur et avant que les heure, date et lieu de l’instruction soient fixés.

213 (1) A party may bring a motion for summary judgment or summary trial on all or some of the issues raised in the pleadings at any time after the defendant has filed a defence but before the time and place for trial have been fixed.

[22] En l’espèce, Apotex a déposé sa défense dans les dossiers T-1121-22 et T-1122-22 le 12 juillet 2022 et, dans les dossiers T-1248-22 et T-1249-22, le 27 juillet 2022. L’ordonnance indiquant la date, l’heure et le lieu du procès a été rendue le 23 novembre 2022.

[23] Selon le dossier, Janssen envisageait de solliciter un jugement sommaire dès les premières étapes des actions au principal :

  1. Dans une lettre du 10 juin 2022, Janssen informe la Cour qu’elle [traduction] « pourrait présenter des requêtes en jugement sommaire ».

  2. Dans une lettre du 20 juillet 2022, Janssen indique que les requêtes mentionnées dans la lettre du 10 juin 2022 [traduction] « sont toujours envisagées » et qu’elle n’est pas « en mesure de dire si ou quand elle présentera les requêtes avant le dépôt des derniers actes de procédure au plus tôt ».

  3. Après le dépôt des derniers actes de procédure, Janssen indique par voie de lettre adressée à la Cour, en date du 11 août 2022, qu’elle « a[vait] l’intention de présenter des requêtes en jugement sommaire dans les quatre actions ».

  4. Par la suite, Janssen confirme par voie de lettre en date du 14 septembre 2022 qu’elle a toujours l’intention de déposer des requêtes en jugement sommaire. Janssen informe aussi la Cour qu’elle solliciterait la modification de l’ordonnance conservatoire et de confidentialité en vigueur dans la première action contre Apotex pour lui permettre de produire des éléments confidentiels provenant de cette action dans les actions au principal à l’appui de ses requêtes en jugement sommaire.

[24] Or, Janssen n’a déposé l’avis de requête en jugement sommaire que le 24 mars 2023.

[25] Par conséquent, Apotex affirme que les requêtes en jugement sommaire présentées par Janssen sont irrecevables.

[26] Selon Apotex, Janssen aurait pu présenter les requêtes en jugement sommaire à n’importe quelle date au cours des quatre mois qui se sont écoulés entre le dépôt de la défense (27 juillet 2022) et l’ordonnance ayant fixé le lieu et la date du procès (22 novembre 2022), mais a tout simplement choisi de n’en rien faire. Janssen a présenté l’avis de requête le 24 mars 2023, soit quatre mois après que le lieu et la date du procès aient été fixés. Apotex affirme que, comme les requêtes en jugement sommaire ne portent pas sur la défense fondée sur l’invalidité qu’elle oppose, elle se trouve à avancer sur deux fronts à la fois, car la communication préalable et les requêtes suivent leur cours dans les actions au principal alors qu’elle doit opposer une défense aux requêtes.

[27] Apotex affirme également que l’affaire ne présente pas de « circonstances spéciales », au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’article 55 des Règles, qui permettraient à la Cour de modifier les délais prévus au paragraphe 213(1) ou d’exempter une partie de leur application.

[28] Janssen affirme au contraire que ses requêtes devraient être autorisées à suivre leur cours, vu les faits particuliers de l’affaire. Elle signale qu’Apotex savait pertinemment que Janssen solliciterait un jugement sommaire, et ce dès les premières étapes du litige et que Janssen avait accepté qu’une date soit fixée pour le procès sous réserve de son droit de présenter la requête. En outre, Janssen fait observer que, dans les actions intentées sous le régime du Règlement, les parties sont invitées à fixer une date de procès dès le début de la gestion de l’instance, de sorte que les litiges puissent être réglés en toute efficacité dans une période de deux ans.

[29] Je ne suis pas d’accord avec Apotex. Sur le plan procédural, la Cour n’a pas à se prononcer sur la question des délais, en raison de l’application des articles 56 et 58 des Règles. L’article 56 précise que l’inobservation des Règles n’entache pas une instance de nullité; il s’agit plutôt d’une « irrégularité » à traiter conformément aux articles 58 à 60.

56 L’inobservation d’une disposition des présentes règles n’entache pas de nullité l’instance, une mesure prise dans l’instance ou l’ordonnance en cause. Elle constitue une irrégularité régie par les règles 58 à 60.

56 Non-compliance with any of these Rules does not render a proceeding, a step in a proceeding or an order void, but instead constitutes an irregularity, which may be addressed under rules 58 to 60.

[30] L’article 58 précise qu’il incombe à la partie qui conteste les mesures prises par l’autre sur le fondement des Règles de présenter sa requête « le plus tôt possible » :

58 (1) Une partie peut, par requête, contester toute mesure prise par une autre partie en invoquant l’inobservation d’une disposition des présentes règles.

58 (1) A party may by motion challenge any step taken by another party for non-compliance with these Rules.

(2) La partie doit présenter sa requête aux termes du paragraphe (1) le plus tôt possible après avoir pris connaissance de l’irrégularité.

(2) A motion under subsection (1) shall be brought as soon as practicable after the moving party obtains knowledge of the irregularity.

[31] En l’espèce, Janssen a présenté sa requête hors du délai précisé au paragraphe 213(1) des Règles. Il s’agit d’une irrégularité envisagée à l’article 56 des Règles qui n’entache pas de nullité la requête de Janssen. Apotex ne saurait opposer une défense à la requête en jugement sommaire fondée sur l’inobservation des Règles par Janssen. Il incombait à Apotex de présenter une requête conforme à l’article 58 des Règles pour contester pareille inobservation le plus tôt possible, ce qu’elle n’a pas fait.

[32] En outre, l’article 59 des Règles prévoit que la Cour ne peut intervenir en cas d’irrégularité que « sur requête présentée en vertu de la règle 58 ». À la lumière du paragraphe 47(2), suivant lequel les pouvoirs dont les Règles prévoient l’exercice sur requête ne peuvent être exercés par la Cour que sur requête, force est de constater qu’il ne revient pas à la Cour, de son propre chef, d’invalider une instance ou une mesure prise dans une instance sur le fondement d’irrégularités procédurales.

[33] Quoiqu’il en soit, vu la genèse des instances et le contexte pertinent qui est mentionné plus haut, j’aurais conclu à l’existence des « circonstances spéciales » prévues à l’article 55 qui me justifient de permettre à la requête de Janssen de suivre son cours.

B. Les actions au principal soulèvent-elles une véritable question litigieuse?

[34] Aux termes du paragraphe 215(1) des Règles, si la Cour « est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence ». L’alinéa 215(2)b) prévoit que, si la seule question véritable est un point de droit, la Cour peut trancher ce dernier et rendre un jugement sommaire en conséquence.

[35] La Cour est contrainte, à l’égard d’une requête en jugement sommaire comme de toute autre mesure prévue aux Règles, de respecter les principes énoncés à l’article 3, de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

[36] L’affaire ne soulève pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès lorsque le juge est en mesure de tirer les conclusions de fait nécessaires, d’appliquer les règles de droit aux faits et de rendre une décision juste et équitable au fond (Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, par 49).

[37] Janssen présente une requête en jugement sommaire sur le fondement de l’historique du litige portant sur le brevet 335. Plus précisément, Janssen affirme que la défense fondée sur l’invalidité qu’Apotex oppose aux actions au principal contrevient au principe de la chose jugée et constitue un abus de procédure.

[38] Je suis convaincu que ces questions se prêtent à un jugement sommaire. Il n’existe aucun litige entre les parties quant aux litiges antérieurs portant sur le brevet 335, et notamment à la caractérisation des allégations d’Apotex dans la première action contre Apotex ni dans les actions au principal, ou le moment pertinent où chaque allégation a été formulée. Le seul litige entre les parties fait intervenir des points de droit et l’application des règles de droit aux faits constatés à l’égard des questions relatives à la remise en cause soulevées par Janssen.

[39] Ainsi, trancher ces questions par jugement sommaire respecterait les objectifs énoncés à l’article 3 des Règles. Si la Cour les tranchait sur requête, elle apporterait une solution juste, expéditive et éventuellement plus économique au litige que si elle attendait le procès, où elle ne serait pas mieux placée pour apprécier les faits non contestés en question et appliquer les règles de droit.

(1) Le principe de la chose jugée empêche-t-il Apotex d’opposer une défense dans les actions au principal?

[40] Le principe de la chose jugée est fondé sur la thèse selon laquelle le litige qui est tranché de manière définitive ne peut être soumis à nouveau aux tribunaux (Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44 au para 18 [Danyluk]).

[41] Le principe de la chose jugée se divise en deux branches, à savoir la préclusion fondée sur la cause d’action et la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. La première interdit à une partie d’intenter une action qui soulève une cause d’action qui a déjà été jugée par un tribunal compétent. La seconde survient dans les cas où une question de fait ou un point soulevé a déjà été décidé (Angle c MNR, [1975] 2 RCS 248, à la p 254 [Angle]).

(a) Préclusion fondée sur la cause d’action

[42] Les critères applicables à la préclusion fondée sur la cause d’action sont les suivants :

  1. Un tribunal ayant la compétence voulue doit avoir rendu une décision définitive;

  2. Les parties au litige subséquent doivent avoir été parties à l’action antérieure ou avoir connexité d’intérêt avec les parties à l’action antérieure;

  3. La cause d’action dans l’action antérieure ne doit pas être distincte;

  4. Le fondement de la cause d’action dans l’action subséquente a été ou aurait pu être plaidé dans l’action antérieure si les parties avaient fait preuve d’une diligence raisonnable.

(Grandview c Doering, [1976] 2 RCS 621 aux pages 636 à 637 [Grandview])

[43] Selon Janssen, tant les actions concernant la PADN no 1 que les actions concernant la PADN no 2 satisfont aux critères applicables à la préclusion fondée sur la cause d’action. Quant aux premières, Janssen énonce les arguments suivants à l’égard de chacun des volets du critère énoncé dans l’arrêt Grandview :

  1. La décision rendue par la Cour sur le fond de la première action contre Apotex est définitive; le fait qu’elle soit l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale ne change rien à son caractère définitif.

  2. Les parties aux actions au principal sont les mêmes que celles dans la première action contre Apotex.

  3. Les causes d’action ne sont pas distinctes, car Janssen sollicite la même réparation, à savoir une déclaration de contrefaçon, dans les actions au principal que celle accordée par la Cour dans la première action contre Apotex. En outre, la première action contre Apotex visait la PADN no 1, qui présentait les mêmes doses de |, | | | du produit injectable de paliperidone palmitate d’Apotex que les actions au principal.

  4. Apotex aurait pu, si elle avait fait preuve de diligence raisonnable, invoquer l’invalidité dans la première action contre Apotex. L’interprétation des revendications du brevet 335 n’a pas été contestée dans la première action contre Apotex. En effet, les revendications ont été interprétées par la Cour dans l’action contre Teva, et l’invalidité fondée sur un objet non brevetable, à savoir une méthode de traitement médical, avait été soulevée dans l’action contre PMS. Par conséquent, Apotex disposait de tous les faits nécessaires pour plaider l’invalidité dans le cadre de la première action contre Apotex.

[44] En outre, selon Janssen, ces arguments s’appliquent tout autant aux actions concernant la PADN no 2. Même si la PADN no 2 présente |||||||||||||||||||||||||||||| du produit APO que la PADN no 1, la distinction importe peu lorsqu’il s’agit de déterminer la validité du brevet 335.

[45] Pour sa part, Apotex nie que Janssen a satisfait au critère applicable à la préclusion fondée sur la cause d’action. Elle présente les arguments suivants sur le fondement du critère énoncé dans l’arrêt Grandview :

  1. La décision rendue dans la première action contre Apotex n’est pas définitive, car elle fait l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale. Il importe peu que Janssen ait invoqué, dans la première action contre Apotex, la présomption de validité des brevets prévue au paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, car cette disposition ne donne pas lieu à une présomption juridique, mais impose un fardeau de preuve.

  2. Apotex ne nie pas que les parties à la première action contre Apotex sont les mêmes que celles qui s’opposent dans les actions au principal.

  3. Les causes d’action sont distinctes. L’application du principe de la chose jugée doit tenir compte de la « nature extraordinaire » du Règlement et de la procédure qui y est prévue. Aux termes du paragraphe 5(2.1) et de la jurisprudence qui porte sur la version antérieure du Règlement, une allégation d’absence de contrefaçon se distingue d’une allégation d’invalidité. En outre, sous le régime du Règlement, la « seconde personne » détermine la cause d’action et les questions en litige. Il était loisible à Apotex de soulever deux causes d’action distinctes.

  4. Point n’était besoin à Apotex de soulever l’invalidité dans la première action contre Apotex. La question est non pas celle de savoir si Apotex aurait pu opposer ce moyen de défense dans le cadre de la première action contre Apotex, mais celle de savoir si elle aurait dû.

[46] Aussi, Apotex affirme que les arguments fondés sur l’autorité de la chose jugée soulevés par Janssen, même si la Cour y ajoutait foi, ne s’appliquent pas aux actions concernant la PADN no 2. Les causes d’action et les questions en litige dans la première action contre Apotex intéressaient uniquement |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| du produit APO. La Cour n’a pas rendu de jugement déclaratoire à l’égard de |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| la PADN no 2.

[47] J’estime que les actions au principal ne satisfont pas au volet portant sur la préclusion fondée sur la cause d’action du critère énoncé dans l’arrêt Grandview. Je ne suis pas d’avis qu’il existe à l’heure actuelle une décision définitive.

[48] La jurisprudence concernant la question de savoir si une décision portée en appel est définitive avant l’issue de l’appel est contradictoire. Les arrêts qui lient la Cour tendent à affirmer qu’une décision n’est pas définitive avant l’issue de l’appel. Dans une remarque incidente, la Cour suprême du Canada signale, à l’égard de l’abus de procédure, « [u]ne décision est irrévocable ou définitive et elle lie les parties seulement lorsque tous les recours possibles en révision sont épuisés ou ont été abandonnés » (Toronto (Ville) c SCFP, section locale 79, 2003 CSC 63 au para 46 [SCFP]).

[49] La Cour d’appel fédérale reprend l’énoncé de la Cour suprême dans l’arrêt SCFP dans une affaire mettant en jeu la préclusion fondée sur la cause d’action (autorité de la chose jugée) :

[…] ce en quoi consiste le caractère irrévocable des décisions pour l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Une décision est définitive et lie les parties « lorsque tous les recours possibles en révision sont épuisés ou ont été abandonnés ».

(Eli Lilly Canada Inc c Teva Canada Limited, 2018 CAF 53 au para 83)

[50] Le juge Stratas, dans l’arrêt Canada c MacDonald, 2021 CAF 6, adopte le même raisonnement :

Si un appel est interjeté, la cour d’appel peut modifier l’ordonnance ou le jugement. Par conséquent, l’ordonnance ou le jugement portés en appel ne sont donc pas définitifs pour l’application du principe de la chose jugée. Il est toutefois un aspect du caractère définitif qui demeure : la cour qui a rendu l’ordonnance ou le jugement ne peut réexaminer, suspendre, annuler ou modifier cette ordonnance ou ce jugement.

(au para 15)

[51] Il n’est pas contesté en l’espèce que le jugement de la Cour dans l’affaire APO-paliperidone 2022 a été porté en appel, dans le dossier A-36-22, devant la Cour d’appel fédérale, qui n’a pas encore tranché. Vu les conclusions quant à l’irrévocabilité des décisions tirées par la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale, je suis d’avis qu’il n’existe pas de décision définitive en l’espèce. Il n’est donc pas satisfait au premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Grandview.

(b) Issue Estoppel

[52] Le critère relatif à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est le suivant :

  1. La même question a été décidée;

  2. La décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion est finale;

  3. Les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit sont les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la préclusion est soulevée ou leurs ayants droit.

(Danyluk au para 25)

[53] Les volets (1) et (2) reprennent des volets du critère relatif à la préclusion fondée sur la cause d’action. Par conséquent, la conclusion selon laquelle la décision de la Cour dans l’affaire APO-paliperidone 2022 n’est pas définitive s’applique tout autant à cet égard.

[54] La préclusion découlant d’une question déjà tranchée se distingue de la préclusion fondée sur la cause d’action, car la première exige que la même question – par opposition à la même cause d’action – ait été tranchée.

[55] Selon Janssen, la question pertinente dans la première action contre Apotex était celle de savoir si le produit injectable de paliperidone palmitate d’Apotex contreferait une revendication valide du brevet 335, selon la PADN no 1 d’Apotex. La Cour y a répondu directement dans la première action contre Apotex.

[56] Apotex n’accepte pas la manière dont Janssen définit la question pertinente. Apotex affirme que la question que soulevait la première action contre Apotex concernait la contrefaçon, alors que la question que soulèvent les actions au principal porte sur l’invalidité.

[57] Je suis d’accord avec Apotex. La question pertinente concerne la validité du brevet 335, et cette question n’a pas été tranchée dans la première action contre Apotex.

[58] Certes, les tribunaux canadiens ont élargi la notion de la question pertinente pour l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, mais la Cour suprême du Canada a toujours préféré une vision plus « traditionnelle » de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, c’est-à-dire que la même question est soulevée et tranchée dans l’instance antérieure. Dans l’arrêt Grandview, le juge Ritchie fait l’observation suivante :

De toute évidence, la question de savoir si l’eau s’est infiltrée ou non dans la couche aquifère, saturant ainsi les terres de l’intimé, n’a pas été tranchée au cours de l’action de 1969 puisqu’elle n’a pas été soulevée; par conséquent, il serait inexact de dire que la présente affaire en est une de issue estoppel [. . .]

[Non souligné dans l’original.]

(Grandview à la p 638)

[59] Dans l’arrêt Angle, le juge Dickson affirme qu’il « ne suffira pas que la question ait été soulevée de façon annexe ou incidente dans l’affaire antérieure ou qu’elle doive être inférée du jugement par raisonnement » (à la p 255).

[60] Dans l’arrêt R c Van Rassel, [1990] 1 CRS 225, la juge McLachlin affirme que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’applique « que dans les circonstances où il ressort nettement des faits que la question a déjà été tranchée » (à la p 238).

[61] Plus récemment, le juge Binnie adopte ce raisonnement dans l’arrêt Danyluk où il indique que « la préclusion vise les faits substantiels, les conclusions de droit ou les conclusions mixtes de fait et de droit (« les questions ») à l’égard desquels on a nécessairement statué (même si on ne l’a pas fait de façon explicite) dans le cadre de l’instance antérieure » (au para 24).

[62] La question de savoir si le brevet 335 est invalide, car il concerne une méthode de traitement médical, soulevée dans les actions au principal n’a pas été tranchée dans la première action contre Apotex, ni expressément ni implicitement. Si Janssen a invoqué la présomption de validité des brevets prévue au paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets dans ses actes de procédure, Apotex n’a présenté aucun argument sur la validité du brevet 335. Dans ses motifs, la Cour fait expressément observer que l’invalidité n’est pas en litige en ces termes : « la validité du brevet ne constitue pas une question en litige, puisqu’Apotex n’allègue pas l’invalidité » (APO-paliperidone 2022 au para 105).

[63] En outre, la prétention de Janssen selon laquelle une conclusion implicite quant à la question de l’invalidité du brevet 335 avait été tirée n’est absolument pas fondée, compte tenu de l’action contre PMS. Dans cette affaire, les questions relatives à l’absence de contrefaçon ont été examinées par voie de procès sommaire, tandis que celles concernant l’invalidité ont été traitées au procès. Lorsque la Cour a indiqué que la contrefaçon serait examinée dans le cadre d’un procès sommaire, elle ne s’est pas prononcée « implicitement » sur la question de la validité aussi. La Cour a plutôt conclu que les questions relatives à la validité restaient en suspens et seraient examinées au procès, et elles l’ont été (voir PMS-paliperidone 1; PMS-paliperidone 2).

[64] La préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’applique pas non plus aux actions concernant la PADN no 2, car le produit générique d’Apotex |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| pour lequel cette dernière sollicite l’approbation dans la PADN no 2 n’était pas visé dans la première action contre Apotex. Même selon Janssen, la question en litige dans la première action contre Apotex ne portait pas sur |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| les actions concernant la PADN no 2. La question est celle de savoir [traduction] « si le produit injectable de paliperidone palmitate d’Apotex contrefera une revendication valide du brevet 335, suivant la PADN no 1 d’Apotex ».

(2) Le principe de l’abus de procédure empêche-t-il Apotex d’opposer une défense dans les actions au principal?

[65] La doctrine de l’abus de procédure vient empêcher la tenue de litiges inutiles susceptibles de ne pas satisfaire aux exigences précises de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou de la préclusion fondée sur la cause d’action (SCFP au para 42).

[66] Janssen prétend, pour essentiellement les mêmes raisons que celles qu’elle avance à l’appui de la préclusion fondée sur la cause d’action et de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, que le fait pour Apotex de [traduction] « tester une allégation d’absence de contrefaçon avant d’invoquer l’invalidité » constitue un abus de procédure. Selon Janssen, permettre que de telles actions suivent leur cours mènerait à un résultat absurde : les fabricants de médicaments génériques seraient libres de transmettre un avis d’allégation ne comportant qu’une seule allégation et de faire trancher cette dernière pour ensuite transmettre un nouvel avis d’allégation comportant une nouvelle allégation portant sur le même brevet et le même médicament. Janssen signale que, suivant le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation qui accompagne les modifications apportées au Règlement en 2017, « [les modifications font en sorte qu’] il n’est pas nécessaire d’introduire une procédure distincte pour examiner toutes les revendications d’un même brevet » (Gazette du Canada, partie II, vol 151, édition spéciale publiée le 7 septembre 2017).

[67] Selon Apotex, l’abus de procédure constitue un recours extraordinaire qui ne saurait s’appliquer que rarement dans les affaires où la remise en cause est soulevée. En outre, Apotex insiste pour dire qu’il faut examiner l’abus de procédure à la lumière du Règlement, qui établit une distinction entre l’invalidité et l’absence de contrefaçon. Également, si le gouverneur en conseil avait envisagé la transmission d’avis d’allégation visant la contrefaçon et l’invalidité en même temps, il aurait prévu une telle exigence expressément dans la législation.

[68] Je suis d’accord avec les parties pour dire que l’abus de procédure doit être examiné à la lumière du régime complet érigé par le législateur dans le Règlement. Le Règlement confère le droit d’intenter une action et énonce la procédure applicable. Au bout du compte, la question doit être celle de savoir si Apotex, en faisant naître les actions concernant la PADN no 1 et les actions concernant la PADN no 2, commet un abus de cette procédure.

[69] À mon avis, ce n’est pas le cas. Le Règlement, interprété à la lumière du contexte et de son objet, n’interdit pas la transmission de deux avis d’allégation successifs visant le même brevet, l’un alléguant l’absence de contrefaçon et l’autre l’invalidité.

[70] Le Règlement ne prévoit aucunement que la « seconde personne » (essentiellement, ce terme renvoie à un fabricant de médicaments génériques) peut signifier un seul avis d’allégation à l’égard de chaque brevet. Au contraire, le Règlement exige qu’un avis d’allégation soit signifié au titulaire du brevet pour chaque allégation, ce qui mène, dans certains cas, à une succession d’avis d’allégation et de litiges.

[71] Le paragraphe 5(1) du Règlement prévoit qu’un fabricant de médicaments génériques qui sollicite un avis de conformité doit inclure dans sa présentation les déclarations ou allégations prévues au paragraphe 5(2.1). L’alinéa 5(2.1)c) énumère une liste exhaustive de catégories d’allégations susceptibles d’être avancées par ce fabricant :

5(2.1) c) soit toute allégation portant que :

5(2.1)(c) an allegation that

(i) la déclaration faite par la première personne en application de l’alinéa 4(4)d) est fausse,

(i) the statement made by the first person under paragraph 4(4)(d) is false,

(ii) le brevet ou le certificat de protection supplémentaire est invalide ou nul,

(ii) that patent or certificate of supplementary protection is invalid or void,

(iii) le brevet ou le certificat de protection supplémentaire est inadmissible à l’inscription au registre,

(iii) that patent or certificate of supplementary protection is ineligible for inclusion on the register,

(iv) en fabriquant, construisant, exploitant ou vendant la drogue pour laquelle la présentation ou le supplément est déposé, la seconde personne ne contreferait pas le brevet ou le certificat de protection supplémentaire,

(iv) that patent or certificate of supplementary protection would not be infringed by the second person making, constructing, using or selling the drug for which the submission or the supplement is filed,

(v) le brevet ou le certificat de protection supplémentaire est expiré,

(v) that patent or certificate of supplementary protection has expired, or

(vi) dans le cas d’un certificat de protection supplémentaire, celui-ci ne peut pas prendre effet.

(vi) in the case of a certificate of supplementary protection, that certificate of supplementary protection cannot take effect.

[72] Il ressort des sous-alinéas 5(2.1)c)(ii) et (iv) que l’allégation d’invalidité et celle d’absence de contrefaçon sont distinctes. Or, il n’existe pas de telle distinction entre les divers motifs d’invalidité. Le fabricant de médicaments génériques qui tente de signifier un second avis d’allégation en vue de faire valoir d’autres motifs d’invalidité qu’il n’a pas soulevés dans une instance antérieure commettrait sans aucun doute un abus de la procédure prévue au Règlement.

[73] Apotex n’a pas commis d’abus. Elle a fait valoir uniquement l’absence de contrefaçon dans le formulaire V avant la première action contre Apotex. Elle a ensuite modifié ce formulaire pour faire valoir l’invalidité. Il n’est pas controversé que les formulaires V peuvent être modifiés, sur le plan administratif.

[74] Dès lors qu’une allégation prévue à l’alinéa 5(2.1)c) est avancée, le fabricant de médicaments génériques n’a d’autre choix que de signifier un autre avis d’allégation, qui respecte les prescriptions énoncées. L’alinéa 5(3)a) est libellé en termes impératifs. Il indique que le fabricant de médicament générique « est tenu[. . .] de signifier à la première personne » (essentiellement la société pharmaceutique innovatrice) un avis d’allégation; le fabricant de médicaments génériques doit obtempérer. La société innovatrice intente alors, dans les 45 jours, une action pour obtenir une déclaration de contrefaçon en application du paragraphe 6(1) du Règlement.

[75] En outre, il faut interpréter le passage du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation – suivant lequel il n’est pas nécessaire d’intenter « une procédure distincte » pour toutes les revendications – à la lumière du régime mis en place par l’ancien Règlement. La multiplication des litiges que les modifications au Règlement avaient pour objet d’empêcher n’était pas celle découlant d’avis d’allégation successifs visant un seul brevet. Les nouvelles dispositions ont plutôt pour objet d’empêcher le dédoublement des litiges qui pouvaient se produire sous le régime de l’ancien Règlement, car il restreignait les questions de validité ou de contrefaçon pouvant être tranchées de manière sommaire par voie d’ordonnance d’interdiction, et ces questions étaient à nouveau soumises à la Cour à titre d’actions pour contrefaçon sur le fondement de la Loi sur les brevets. Le nouveau Règlement règle le problème en ce sens qu’il confère le droit d’intenter une action en bonne et due forme au paragraphe 6(1) et interdit les actions fondées sur la Loi sur les brevets à l’article 6.01 (voir aussi Sunovion Pharmaceuticals Canada Inc v Taro Pharmaceuticals Inc, 2021 CF 37 aux paras 11 à 25).

[76] Dès lors qu’Apotex a modifié son formulaire V, elle était tenue de signifier un nouvel avis d’allégation. Janssen disposait alors de 45 jours pour intenter une action sous le régime du paragraphe 6(1), ce qu’elle a fait. C’est la procédure imposée par le nouveau Règlement et c’était l’intention du législateur à cet égard. Si l’abus de procédure est une doctrine souple, elle doit toutefois être réservée aux cas les plus manifestes (R c Mahalingan, 2008 CSC 63 au para 42, citant Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 au para 120). La présente espèce n’appartient pas à l’un de ces cas; il n’y a pas d’abus de procédure.

[77] Je conviens avec Apotex pour dire que les arguments de Janssen relatifs à l’abus de procédure et à la remise en cause ne sont pas applicables aux actions concernant la PADN no 2. Ces actions distinctes concernent d’autres avis d’allégations et soulèvent des allégations distinctes signifiées à l’égard d’une autre PADN déposée et |||||||||||||||||||||| du produit d’APO dont la Cour n’a pas été saisie antérieurement. L’argument de Janssen sur le principe de l’exercice du choix est le seul argument applicable aux actions concernant la PADN no 2.

(3) Le principe de l’exercice du choix empêche-t-il Apotex d’opposer une défense aux actions concernant la PADN no 2?

[78] Janssen invoque le principe de l’exercice du choix dans les actions concernant la PADN no 2. Ce principe découle de celui selon lequel une partie ne peut exercer un droit qui entre en conflit avec un autre dont elle s’est consciemment et clairement prévalue (Teva Canada Limited c Wyeth LLC, 2012 CAF 141 au para 29).

[79] Selon Janssen, dans le dessein de ne pas être déclarée coupable de contrefaçon dans la première action contre Apotex, cette dernière s’est consciemment prévalue du choix d’étayer son allégation d’absence de contrefaçon sur le fait qu’elle attendrait l’avis de conformité à l’égard de |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| jusqu’à l’expiration du brevet 335. De l’avis de Janssen, le principe de l’exercice du choix devrait faire obstacle à la tentative par Apotex de renier sa décision de ne pas solliciter d’avis de conformité |||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||| dans les actions concernant la PADN no 2.

[80] Selon Apotex, Janssen tente à mauvais droit de glisser une prétention fondée sur l’exercice du choix dans sa prétention quant à l’abus de procédure, même s’il s’agit de deux doctrines distinctes, et ce, car elle n’a pas invoqué la première dans sa déclaration dans les actions concernant la PADN no 2. Apotex soutient également qu’il n’y a pas de contradiction, car [traduction] « si Apotex obtient gain de cause dans les actions au principal et que la Cour prononce l’invalidité du brevet 335, ce dernier sera en fait expiré ».

[81] Je n’ajoute pas foi à la prétention selon laquelle le brevet 335, s’il est déclaré invalide, sera « en fait expiré ». Avant de modifier son formulaire V à l’égard de la PADN no 2, Apotex a affirmé qu’elle attendrait l’expiration du brevet 335 avant de commercialiser son produit |||||||| ||||||||||||||||, une allégation qui n’a rien à avoir avec l’invalidité. Si ces deux allégations sont équivalentes, comme le prétend Apotex, elle n’aurait pas eu besoin de modifier son formulaire V à l’égard de la PADN no 2 après la première action contre Apotex.

[82] Toutefois, il ressort clairement des passages pertinents de la transcription du procès sommaire tenu dans le cadre de la première action contre Apotex que cette dernière n’a pas affirmé consciemment et clairement à la Cour qu’elle attendrait l’expiration du brevet 335 avant de solliciter l’approbation de ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. Apotex s’est de toute évidence ménagé la possibilité de modifier son formulaire V à l’égard de la PADN no 2 et de signifier à Janssen un avis d’allégation à ce moment. Dans sa plaidoirie sur le caractère judicieux d’un procès sommaire, l’avocat d’Apotex a tenu les propos suivants [traduction] : « si [le formulaire V contenu dans la PADN no 2] est modifié et si mon client décide de présenter une allégation, mon client est tenu par le [Règlement] de signifier cette allégation qui est susceptible de donner lieu à un litige ».

[83] Le principe de l’exercice du choix n’est pas applicable.

V. Conclusion

[84] La requête est rejetée.

[85] Apotex a demandé l’adjudication des dépens, mais n’a présenté aucune observation à cet égard. Dans son avis de requête, Janssen a demandé que lui soient accordés les dépends relatifs à la présente requête sur la base avocat-client ou, subsidiairement, la somme correspondant à 25 p. 100 des frais véritablement engagés par Janssen et 100 p. 100 de ses débours. Compte tenu des positions des deux parties, j’accorde à la partie ayant eu gain de cause, Apotex, des dépens équivalant à 25 p. 100 de ses frais véritablement engagés et 100 p. 100 de ses débours.


JUGEMENT DANS LES DOSSIERS T-1121-22, T-1122-22, T-1248-22, T-1249-22

Le jugement de la Cour est le suivant :

  1. La requête est rejetée.

  2. Les dépens sont adjugés à Apotex, à hauteur de 25 p. 100 des frais véritablement engagés et de 100 p. 100 des débours engagés dans le cadre de la présente requête.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-1121-22, T-1122-22, T-1248-22, T-1249-22

 

INTITULÉ :

JANSSEN INC. ET JANSSEN PHARMACEUTICA N.V. c APOTEX INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 12 mai 2023

 

jugement et motifs PUBLICS :

le juge MANSON

 

DATE :

le 28 juin 2023

 

COMPARUTIONS

Peter Wilcox

Marian Wolanski

Megan Pocalyuko

Oleyna Strigul

 

pour les demanderesses

 

Andrew Brodkin

Daniel Cappe

 

pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Belmore Neidrauer LLP

Barristers and Solicitors

Toronto (Ontario)

 

pour les demanderesses

 

Goodmans LLP

Barristers and Solicitors

Toronto (Ontario)

 

pour la défenderesse

 

 

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