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Date : 20230713


Dossier : T-1135-22

Référence : 2023 CF 947

Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2023

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

FERNAND KENNEY

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] M. Fernand Kenney sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 3 mai 2022 par le comité en réexamen du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) [le Comité en réexamen] rejetant sa demande de réexaminer la décision du comité d’appel de l’évaluation du même Tribunal [le Comité d’appel] rendue quant à elle le 19 juillet 2021. Le Comité d’appel avait alors essentiellement (1) majoré l’allocation pour soins accordée à M. Kenney aux termes de l’article 38 de la Loi sur les pensions, LRC 1985, c P‑6 du taux de la Catégorie 5 qui lui avait précédemment été accordé vers le taux supérieur de la catégorie 4; et (2) accordé cette nouvelle catégorie à partir du mois de mars 2015, date de la déclaration de M. Kenney.

[2] M. Kenney soutient quant à lui qu’il devrait recevoir une allocation pour soins de catégorie supérieure, soit une Catégorie 2 « Aide importante » ou subsidiairement une Catégorie 3 « Aide intermittente », et il soutient aussi que cette allocation doit lui être accordée à partir de la date de sa demande initiale en décembre 2013 plutôt qu’à partir de la date de sa déclaration.

[3] Il est important de noter que les pouvoirs du Comité en réexamen sont énoncés au paragraphe 32(1) de Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, ch 18 [Loi sur le Tribunal] reproduit en annexe. Ainsi, selon cette disposition, le Comité en réexamen peut, sur demande, confirmer, modifier ou annuler une décision antérieure si l’auteur de la demande allègue que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit (de la décision antérieure) sont erronées ou si de nouveaux éléments de preuve sont présentés.

[4] Il est aussi important de noter que lorsqu’il est saisi d’une telle demande de réexamen, le Comité en réexamen procède en deux étapes. Lors de la première étape, il vérifie d’abord s’il existe un des motifs précités de réexamen prévus au paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal. Il s’agit ainsi d’une étape préliminaire. Si le Comité en réexamen conclut qu’il existe un tel motif, il passe à la deuxième étape et il réexamine la décision antérieure. Si le Comité en réexamen conclut qu’il n’existe pas un tel motif, il ne passe pas à la seconde étape et il ne réexamine donc pas la décision antérieure. Le critère minimal à respecter est relativement peu exigeant (Thomson c Canada (Procureur général), 2022 CAF 97 au para 25 [Thomson]).

[5] Ainsi, devant le Comité en réexamen, M. Kenney devait d’abord présenter de nouveaux éléments de preuve ou démontrer que les conclusions sur les faits de la décision du Comité d’appel ou que son interprétation du droit étaient erronées. Or, devant le Comité en réexamen, M. Kenney n’a soumis aucun nouvel élément de preuve et n’a énoncé ni comment le Comité d’appel aurait commis une erreur de fait, ni comment le Comité d’appel aurait commis une erreur dans l’interprétation du droit. M. Kenney a alors plaidé qu’une catégorie supérieure aurait dû lui être accordée et que le Comité d’appel a mal interprété la preuve.

[6] Dans sa décision du 3 mai 2022, le Comité en réexamen examine les trois motifs prévus au paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal permettant de procéder à un réexamen et, faute de motifs, il rejette la demande de réexamen de M. Kenney au niveau de l’étape préliminaire. Ayant ainsi rejeté la demande à l’étape préliminaire, le Comité en réexamen n’a pas réexaminé la décision du Comité d’appel, il ne s’est pas prononcé au mérite de l’affaire et a maintenu la décision du Comité d’appel sur le choix de la catégorie et sur la date de début de l’allocation pour soins versée à M. Kenney.

[7] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, M. Kenney n’explique pas à la Cour comment le Comité en réexamen a erré en appliquant le paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal et en concluant que l’étape préliminaire ne pouvait être franchie. M. Kenney s’attaque plutôt de nouveau au mérite de l’affaire et selon toute vraisemblance, à la décision du Comité d’appel plutôt qu’à la décision du Comité en réexamen.

[8] Devant la Cour, M. Kenney soutient que le vice fondamental qui affecte la décision est « l’utilisation et l’analyse erronés de la preuve présentée en lien avec les caractéristiques à prendre en compte pour lui permettre de déterminer à quelle catégorie le demandeur se classifie pour son allocation pour soins » (Mémoire des faits et du droit du demandeur au paragraphe 4). M. Kenney ajoute qu’en omettant d’appliquer les éléments de preuve au regard des caractéristiques, ou en effectuant une analyse ou une évaluation superficielle desdits éléments devant guider le Tribunal pour la détermination de la catégorie, cela a eu pour effet de rendre la décision déraisonnable. M. Kenney demande que l’affaire soit renvoyée au Tribunal pour un nouvel examen par un comité différemment constitué.

[9] Le défendeur, le Procureur général du Canada [le PGC] répond essentiellement que la décision du Comité en réexamen est raisonnable puisque M. Kenney n’a pas établi l’existence d’un des motifs de réexamen prévu par la Loi sur le Tribunal donnant ouverture au réexamen. Le PGC ajoute que le Comité en réexamen n’a pas commis d’erreur qui puisse justifier l’intervention de cette Cour et que la demande de contrôle judiciaire doit conséquemment être rejetée.

[10] Je suis sensible à la situation de M. Kenney; toutefois, ce dernier n’a pas démontré que la décision du Comité en réexamen est déraisonnable compte tenu du dossier et des représentations qui lui ont été soumises. Ainsi, et pour les motifs détaillés ci‑après, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Contexte

[11] M. Kenney est un ancien combattant. Du 8 juillet 1976 au 23 octobre 2005, il sert dans les Forces régulières et, plus particulièrement, du 28 avril 1993 au 30 octobre 1993, il sert en zone de service spécial en Bosnie.

[12] Aux termes de l’article 21 et du paragraphe 72(1) de la Loi sur les pensions, M. Kenney reçoit une pension d’invalidité à plus de 100 p. 100 et une allocation d’incapacité exceptionnelle. De plus, l’Agence du Revenu du Canada juge que la situation de M. Kenney lui permet d’être admissible au crédit d’impôt pour personnes handicapées pour les années d’imposition 2003 à 2022. Dans le cadre de la demande qu’il a soumise à l’Agence du Revenu du Canada, M. Kenney a inclus un rapport d’évaluation préparé par la Dre Villeneuve.

[13] Le 5 décembre 2013, M. Kenney présente une demande d’allocation pour soins en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi sur les pensions. Au soutien de cette demande, M. Kenney soumet un rapport d’évaluation de l’infirmière Gagné du 29 octobre 2013, rapport préparé pour évaluer sa situation dans le cadre de la demande d’allocation d’incapacité exceptionnelle.

[14] Le 7 mars 2014, le ministère des Anciens Combattants Canada accorde à M. Kenney une allocation pour soins de Catégorie 5 à compter du 5 décembre 2013, soit la date de sa demande initiale d’allocation pour soins. Conformément aux directives contenues au chapitre 5 de la Table des invalidités d’Anciens Combattants Canada, cette catégorie est accordée à ceux qui ont besoin d’une « aide occasionnelle » au regard de la majorité des six activités de base de la vie quotidienne, soit : alimentation, se laver, habillement, aller à la toilette, médication et mobilité.

[15] Insatisfait de cette décision du ministère, M. Kenney loge un appel au comité de révision de l’évaluation du Tribunal [le Comité de révision] en vertu de l’article 18 de la Loi sur le Tribunal. Il soutient qu’il y a lieu de majorer le niveau de l’allocation pour soins qui lui a été octroyé de la Catégorie 5 à une catégorie supérieure, soit la Catégorie 2. M. Kenney dépose alors une déclaration écrite signée le 3 mars 2015 et la même preuve qu’il a déposée pour soutenir sa demande de révision de l’allocation d’incapacité exceptionnelle.

[16] Le 12 mars 2015, en considération de la preuve revue à l’audience et de l‘information apparaissant dans l’évaluation de l'infirmière du 29 octobre 2013, le Comité de révision constate que la Catégorie 5 accordée est toujours adéquate. Le Comité de révision confirme donc la décision du ministère accordant à M. Kenney une allocation pour soins à la Catégorie 5 à partir du 5 décembre 2013.

[17] M. Kenney porte cette décision en appel au Comité d’appel du même tribunal conformément à l’article 26 de la Loi sur le Tribunal et il demande la majoration du niveau de l’allocation pour soins à une Catégorie 2, à compter de la date de sa demande initiale le 5 décembre 2013.

[18] Il soutient alors que la preuve démontre très clairement qu’il rencontre minimalement la Catégorie 2. Il détaille la preuve à son dossier à la lumière de chaque élément des activités de la vie courante énuméré ci-dessus, suivant les éléments proposés au Tableau 4 du chapitre 5 de la Table des invalidités d’Anciens Combattants Canada et il identifie la preuve qui soutient sa prétention.

[19] M. Kenney dépose en preuve complémentaire, en liasse, son appréciation de l’évaluation de son allocation pour soins et des éléments de preuve supplémentaires, notamment le fait que les gouvernements du Canada et du Québec reconnaissent son état et sa condition en lui accordant un crédit d’impôt. Il indique alors que ces éléments de preuve ne reflètent pas une situation nouvelle, mais viennent confirmer de façon claire ses arguments détaillés plus haut, et il demande ainsi au Comité d’appel d’en tenir compte (Dre Villeneuve, le 10 janvier 2018 (Dossier du défendeur p 81; demande de crédit d’impôt); Rapport infirmière 2010 quant aux demandes d’allocations spéciales (Dossier du Défendeur, p 185); Évaluation de Dre Villeneuve de 2017 (Dossier du Défendeur, p 200)).

[20] Le 19 juillet 2019, le Comité d’appel estime qu’il y a lieu de majorer l’allocation pour soins de M. Kenney à la Catégorie 4 et d’en fixer la date d’entrée en vigueur au 3 mars 2015. Cette catégorie 4 est accordée à ceux qui ont besoin d’une « aide minime » au regard de la majorité des six activités de base de la vie quotidienne énoncées plus haut.

[21] Le Comité d’appel examine chacun des éléments proposés au Tableau 4 du chapitre 5 de la Table des invalidités, souligné par M. Kenney, à la lumière de la preuve au dossier et des soumissions de M. Kenney. Le Comité d’appel tire alors les conclusions suivantes :

· Se nourrir : pour répondre à la Catégorie 2 « Aide importante », M. Kenney doit être aidé (ne doit pas se nourrir lui-même avec ou sans équipement spécial) ou supervisé en tout temps lorsqu’il mange. Selon la preuve au dossier, notamment l’évaluation de l’infirmière de 2013 et la déclaration de M. Kenney du 3 mars 2015, il a parfois besoin d’aide pour couper sa nourriture, son épouse doit toujours lui préparer ses repas et il nécessite une motivation pour s’alimenter ce qui correspond plutôt à la Catégorie 5 « Aide occasionnelle ». Le Comité note que le fait que son épouse doit toujours préparer ses repas, comme le soumet M. Kenney, n’est pas un facteur dont on doit tenir compte en vertu du Tableau 4.

· Se laver : alors que la déclaration de M. Kenney du 3 mars 2015 indique que ce dernier ne prend pas de bain par manque de souplesse et qu’il a besoin d’une présence lorsqu’il prend sa douche en raison de pertes d’équilibre, l’infirmière indique dans son rapport d’évaluation de 2013 que M. Kenney prend sa douche seul. Le Comité d’appel constate qu’il y a une divergence assez importante entre la déclaration de M. Kenney de 2015 et l’évaluation de l’infirmière de 2013 sur cet aspect et conclut qu’il n’est pas établi par la preuve que M. Kenney nécessite une aide ou supervision constante pendant qu’il prend une douche. Cependant, le Comité d’appel lui accorde le bénéfice du doute et conclut que M. Kenney satisfait au critère a besoin d’une certaine aide ou supervision lorsqu’il prend son bain pour une Catégorie 4 « Aide minime », et ce en considération du fait que sa conjointe doit lui laver certaines parties du corps et qu’il doit garder la porte ouverte lorsqu’il prend sa douche.

· S’habiller : bien que le Comité d’appel convienne que M. Kenney a besoin de motivation pour s’habiller, sa conjointe doit lui sortir ses vêtements et l’aider à enfiler ses bas, son soutien pour son genou et parfois ses chaussettes, ceci correspond plutôt au critère prévu à la Catégorie 4 « Aide minime », soit « a besoin d’une certaine aide ou supervision pour s’habiller (p. ex., aide pour ce qui est des chaussettes, fermetures éclair et/ou boutons, directives ou motivations, etc.) » et non à la Catégorie 2 « Aide importante » qui prévoit que M. Kenney doit « constamment être aidé ou supervisé par une autre personne lorsqu’il s’habille ».

· Aller à la toilette : le Comité d’appel constate que le rapport de l’infirmière indique que M. Kenney est indépendant pour aller à la toilette. Il ressort de la preuve que bien que M. Kenney garde la porte ouverte lorsqu’il va à la toilette, il ne requiert pas d’aide ou de supervision, ce qui correspond à la Catégorie 5 « Aide occasionnelle » qui prévoit qu’une personne a parfois besoin d’aide ou de supervision pour aller à la toilette.

· Médicament : M. Kenney a déclaré utiliser des dosettes, mais on doit lui rappeler de prendre ses médicaments tous les jours et son épouse doit s’assurer de séparer les dosettes par jour et détacher les doses du matin, midi, souper, et coucher. Selon le rapport de l’infirmière, M. Kenney possède une dosette avec illustration de tous ses médicaments et indication du temps pour le prendre, il s’occupe lui-même de sa dosette et présente une bonne discipline. Le Comité d’appel note que, pour répondre au critère prévu à la Catégorie 2 « Aide importante », M. Kenney aurait besoin qu’on lui administre les médicaments pour assurer un usage approprié. Le Comité d’appel indique qu’il ne ressort pas de la preuve que ceci est le cas pour M. Kenney, et ce même en retenant le témoignage de M. Kenney. En effet, à une Catégorie 4 M. Kenney est capable de prendre les médicaments, par lui-même, mais a besoin d’emballages coques ou de dosettes préparées par une autre personne, et peut avoir besoin de rappels quotidiens. Il ressort des éléments de preuve que cela correspond à la situation de M. Kenney et le Comité d’appel retient ainsi la Catégorie 4 « Aide minime ».

· Mobilité : le Comité d’appel considère que les éléments de preuve démontrent que M. Kenney a de la difficulté à se déplacer, mais qu’il ne nécessite pas d’aide ou de supervision d’une autre personne pour ce faire, ce qui correspond à une Catégorie 5 « Aide occasionnelle ». Le Comité d’appel constate que le Tableau 4 prévoit qu’une personne n’a pas besoin d’aide si elle peut se déplacer par elle-même avec ou sans équipement spécial et sans aide ou supervision d’une autre personne (p. ex., est capable de marcher, utiliser une canne, une marchette, un scooter ou un fauteuil roulant par elle-même).

[22] Le Comité d’appel conclut que les besoins en soins de M. Kenney sont évalués à une Catégorie 4 « Aide minime » relativement à trois activités de la vie quotidienne (se laver, s’habiller et la prise de médicaments) et à une Catégorie 5 « Aide occasionnelle » au regard des trois autres activités de la vie quotidienne (aller à la toilette, se nourrir et mobilité). Conséquemment, le Comité d’appel détermine que l’allocation pour soins doit être établie à une Catégorie 4, conformément aux directives contenues au chapitre 5 de la Table des invalidités.

[23] Le 23 août 2021, insatisfait de cette décision, M. Kenney demande le réexamen de la décision du Comité d’appel devant le Comité en réexamen. Il dépose à cet égard un formulaire de demande de réexamen dans lequel il consigne que (1) il n’y a pas de nouveaux éléments de preuve; (2) il existe une erreur de fait, mais ne donne aucun détail, référant le lecteur à un mémoire joint en annexe; et (3) il existe une erreur de droit, mais ne donne aucun détail, référant le lecteur à un mémoire joint en annexe.

[24] Cependant, dans ledit mémoire joint en annexe, M. Kenney ne détaille malheureusement pas non plus ce qui constituerait l’erreur de fait ou l’erreur de droit alléguée commise par le Comité d’appel. Il passe plutôt en revue chacun des critères du Tableau 4 du chapitre 5 (alimentation, bain, habillement, toilette, médication et mobilité) en référant à la preuve, notamment au témoignage de sa conjointe, à sa déclaration de mars 2015, notes de 2010 R1 Annexe K1, au rapport de l’infirmière d’octobre 2013, au rapport de la Dre Villeneuve daté du 10 janvier 2018, et au dossier de l’Agence du revenu du Canada sur le crédit d’impôt pour personnes handicapées.

[25] Dans son mémoire au Comité en réexamen, M. Kenney soutient essentiellement que le Comité d’appel n’a pas tenu compte de tous les éléments pertinents au moment d’octroyer la Catégorie 4, sans toutefois préciser quels éléments auraient été omis, et qu’une catégorie supérieure devrait être octroyée rétroactivement au 5 décembre 2013.

[26] Le 3 mai 2022, aux termes du paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal, le Comité en réexamen rejette la demande de réexamen de M. Kenney au niveau de l’étape préliminaire vu l’absence de nouveaux éléments de preuve et vu l’absence de conclusions erronées sur une question de fait ou de droit dans la décision du Comité d’appel. Ayant rejeté la demande à l’étape préliminaire, le Comité en réexamen ne passe pas à la deuxième étape, ne se prononce pas sur le mérite de l’affaire, et maintient la décision du Comité d’appel.

[27] C’est sur cette décision que porte la présente demande de contrôle judiciaire.

III. Décision du Comité en réexamen

[28] Dans sa décision, le Comité en réexamen rappelle le pouvoir qui lui est conféré par l’article 32 de la Loi sur le Tribunal, soit :

L’article 32 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) confère au Tribunal le pouvoir de réexaminer la décision d’appel s’il existe, pour ce faire, des motifs fondés sur de nouveaux éléments de preuve, une erreur de fait ou de droit. L’existence d’un seul de ces motifs est nécessaire; toutefois, un réexamen peut être fondé sur les trois motifs.

L’audience de réexamen comporte deux étapes. La première est un examen préliminaire, pendant lequel le comité vérifie s’il existe un motif de réexamen. Le comité détermine si la décision d’appel est entachée d’une erreur de fait ou de droit et si les nouveaux éléments de preuve satisfont au critère à quatre volets (applicable aux nouveaux éléments de preuve). S’il n’existe aucun motif, la demande de réexamen est rejetée. Si le bien-fondé d’un ou de plusieurs motifs est établi, le comité passe à la deuxième étape, soit l’audience de réexamen, au cours de laquelle le comité réexamine la décision faisant l’objet de l’appel.

[29] Le Comité en réexamen estime que la première question dont il est saisi est en lien avec la première étape, l’examen préliminaire. Ainsi, le Comité en réexamen considère qu’il doit déterminer si le vétéran a fourni des motifs suffisants pour justifier la tenue d’une audience de réexamen. Autrement dit, la décision d’appel relative à l’évaluation devrait-elle être réexaminée? Le Comité en réexamen définit l’erreur de droit et l’erreur de fait et note les représentations écrites et orales de M. Kenney.

[30] Ainsi, le Comité en réexamen note que, dans sa demande de réexamen, M. Kenney coche les cases confirmant qu’il y a erreur de fait et erreur de droit et réfère alors à un Mémoire en annexe pour expliquer ses raisons. Toutefois, même en se référant au Mémoire en annexe, le Comité en réexamen note avoir été incapable d’identifier les motifs invoqués en lien avec une erreur de droit ou une erreur de fait, et note aussi que l’avocat a noté que « le comité d’appel a erré ».

[31] Le Comité en réexamen note qu’à l’audience, M. Kenney, par la voix de son avocat, (1) a expliqué que les cinq pièces et l’annexe qu’il a soumises ne sont pas considérées comme de nouveaux éléments de preuve; (2) a confirmé que le Comité d’appel a mal interprété la preuve lorsqu’il a seulement accordé une majoration pour l’allocation pour soins à une Catégorie 4 au lieu d’accorder une majoration à ce que M. Kenney avait demandé, soit une Catégorie 2; et (3) n’a rien identifié pour appuyer la demande en lien avec une erreur de fait.

[32] Le Comité en réexamen rappelle les obligations imposées par l’article 39 de la Loi sur le Tribunal.

[33] Le Comité en réexamen note ensuite de nouveau que l’argument de M. Kenney selon lequel le Comité d’appel aurait dû accorder une catégorie plus élevée pour l’allocation pour soins n’établit pas que le Comité d’appel a commis une erreur de fait.

[34] Le Comité en réexamen note l’argument de M. Kenney selon lequel le Comité d’appel aurait mal interprété la preuve, ce qui constituerait une erreur de droit. Le Comité en réexamen note cependant que le Comité d’appel a très bien détaillé les raisons qui appuyaient sa conclusion et qu’il a analysé le rapport de l’infirmière, le témoignage de l’épouse et celui de M. Kenney. De plus, le Comité en réexamen observe que, dans les instances où il y a des divergences dans la preuve de l’infirmière et des témoins, le Comité d’appel a démontré avoir appliqué les dispositions des articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal dans sa décision.

[35] Le Comité en réexamen conclut ainsi que le Comité d’appel n’a pas commis d’erreur de droit, et qu’il n’y a pas lieu de réexaminer la décision faisant l’objet de la demande de réexamen.

IV. Discussion

[36] Tel que mentionné plus haut, M. Kenney soutient que le vice fondamental qui affecte la décision du Comité en réexamen est « l’utilisation et l’analyse erronés de la preuve présentée en lien avec les caractéristiques à prendre en compte pour lui permettre de déterminer à quelle catégorie le demandeur se classifie pour son allocation pour soins ». M. Kenney soutient d’une part, que le Comité en réexamen n’a pas révisé la décision du Comité d’appel en appréciant de façon concrète le poids de chaque élément de preuve qui aurait permis un changement de catégorie, ce qui a eu pour conséquence de rendre déraisonnable la décision. Il réitère essentiellement les éléments de preuve devant le Comité en réexamen sans expliquer en quoi la décision du Comité en réexamen est déraisonnable. M. Kenney soutient aussi que le Comité en réexamen a omis d’appliquer l’article 39 de la Loi sur le Tribunal lors de l’étude des critères servant à établir la catégorie pour laquelle M. Kenney se qualifie.

[37] Le PGC répond que la décision du Comité en réexamen est raisonnable, M. Kenney n’ayant pu établir l’existence d’un des motifs de réexamen prévu par la Loi sur le Tribunal. Il ajoute que le Comité en réexamen n’a pas commis d’erreur qui puisse justifier l’intervention de cette Cour, ainsi la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[38] La Cour doit déterminer si le Comité a erré en rejetant la demande de réexamen de M. Kenney à l’étape préliminaire.

[39] Comme les deux parties l’ont mentionné dans leurs soumissions, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 25, 31, 48 et 49 [Vavilov]; voir aussi Thomson c Canada (Procureur général), 2021 CF 606 au para 32). Au moment d’appliquer la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci (Vavilov au para 99).

[40] En contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas de soupeser la preuve ou de remplacer la conclusion du décideur par une autre qu’elle préfère (Vavilov au para 125; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 727 au para 10 citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59; Bhatti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1386 au para 36). Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte (Vavilov au para 126). Ainsi, à défaut de circonstances exceptionnelles, les cours de révision doivent s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » (Vavilov au para 125).

[41] Les pouvoirs du Tribunal en matière de réexamen sont énoncés au paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal, reproduit en annexe. Ainsi, selon cette disposition, le Comité en réexamen peut notamment, sur demande, confirmer, modifier ou annuler une décision antérieure si l’auteur de la demande allègue que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit (de la décision antérieure du Comité d’appel) sont erronées ou si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés.

[42] Lorsqu’il est saisi d’une demande de réexamen fondée sur le paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal, le Comité en réexamen procède en deux étapes. Lors de la première étape, il vérifie d’abord s’il existe un motif de réexamen; dans l’affirmative, il entame la deuxième étape et il réexamine la décision antérieure. Si le comité en réexamen est d’avis qu’il y a absence de motif, ou plus précisément absence d’erreur de fait ou de droit, ou qu’aucun nouvel élément de preuve ne lui est présenté, il ne procédera pas à la seconde étape. Le critère minimal à respecter est relativement peu exigeant (Thomson au para 25; Blount c Canada (Procureur général), 2017 CF 647 au para 26).

[43] Devant le Comité en réexamen, M. Kenney avait donc le fardeau d’établir que l’un des motifs prévus au paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal était rencontré. Le formulaire de demande de réexamen et le mémoire qui y était joint en annexe se trouvent aux pages 127 et suivantes du Dossier de réponse du PGC. Le Comité en réexamen a également indiqué, dans sa décision, les soumissions orales de l’avocat de M. Kenney lors de l’audience. Devant la Cour M. Kenney a confirmé que les arguments relatés dans la décision du Comité en réexamen correspondent effectivement aux arguments oraux présentés par son avocat.

[44] Il convient d’examiner les soumissions que M. Kenney a présentées au Comité en réexamen en lien avec chacun des trois motifs de réexamen prévus au paragraphe 32(1) précité afin de déterminer si la décision de ce dernier est raisonnable ou non.

[45] Premièrement, en lien avec de nouveaux éléments de preuve, il n’est pas contesté que M. Kenney n’a présenté aucun nouvel élément de preuve devant le Comité en réexamen. Devant la Cour, M. Kenney ne soulève aucun argument contestant cette conclusion du Comité en réexamen et, compte tenu de la preuve, ce dernier pouvait raisonnablement conclure que ce motif de réexamen n’était pas rencontré.

[46] Deuxièmement, M. Kenney ne conteste pas non plus devant la Cour qu’il n’a soulevé aucun argument identifiable en lien avec une possible erreur de fait dans son mémoire au Comité en réexamen. À l’audience devant le Comité en réexamen, M. Kenney a simplement ajouté que le Comité d’appel aurait dû accorder une catégorie plus élevée pour l’allocation aux soins, sans autres explications. Ainsi, et n’ayant reçu aucun argument au contraire, le Comité en réexamen a conclu que l’argument ne l’avait pas convaincu que le Comité d’appel a commis une erreur de fait. Devant la Cour, M. Kenney ne soulève aucun argument contestant cette conclusion du Comité en réexamen et, compte tenu de la preuve, ce dernier pouvait raisonnablement conclure que ce motif de réexamen n’était pas rencontré.

[47] Troisièmement, en lien avec une possible erreur de droit, M. Kenney a soumis au Comité en réexamen que le Comité d’appel aurait mal interprété la preuve. Le Comité en réexamen a lu attentivement la décision du Comité d’appel et a conclu que ce dernier n’avait pas commis d’erreur dans l’interprétation du droit. Devant la Cour, M. Kenney ne soulève aucun argument contestant cette conclusion et, compte tenu de la preuve, le Comité en réexamen pouvait raisonnablement conclure que ce motif de réexamen n’était pas rencontré puisqu’aucune erreur de droit n’a été alléguée.

[48] Bien que le Comité en réexamen ait rendu une décision uniquement à la première étape, celle de l’examen préliminaire (Thompson), les observations de M. Kenney devant la Cour portent entièrement et exclusivement sur le fond de sa demande, soit la deuxième étape. En effet, devant la Cour, M. Kenney n’indique pas comment la Comité en réexamen a erré en examinant les motifs ouvrant la voie à un réexamen selon le paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal.

[49] Dans son mémoire, M. Kenney ignore le rôle du Comité en réexamen; et il demande plutôt à la Cour de refaire l’analyse des éléments de preuve et de conclure qu’une catégorie supérieure pour l’allocation pour soins aurait dû être reconnue, ce qu’elle ne peut pas faire. Les arguments avancés par M. Kenney équivalent plus à une demande de nouvelle instruction du mérite de sa demande d’allocation pour soins plutôt qu’à une demande de contrôle judiciaire de la décision du Comité en réexamen, décision limitée à la première étape du paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal.

[50] En outre, et à tout évènement M. Kenney ne m’a pas convaincue que le Comité en réexamen a erré dans « l’utilisation et l’analyse erronés de la preuve présentée en lien avec les caractéristiques à prendre en compte pour lui permettre de déterminer à quelle catégorie le demandeur se classifie pour son allocation pour soins » (Mémoire du demandeur au paragraphe 4) de façon à rendre la décision déraisonnable. M. Kenney ne m’a pas convaincue que le Comité en réexamen « s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov au para 126) ou que le Comité en réexamen a déraisonnablement conclu que le Comité d’appel avait correctement appliqué l’article 39 de la Loi sur le Tribunal dans sa décision.

[51] Comme l’a observé le Comité en réexamen, le Comité d’appel a (1) pris en compte notamment de l’évaluation de l’infirmière du 11 octobre 2013, le témoignage de M. Kenney et celui de son épouse; (2) démontré avoir examiné ces éléments de preuve sous le jour étant le plus favorable possible au demandeur et avoir tranché toute incertitude en sa faveur conformément à l’article 39 de la Loi sur le Tribunal; et (3) bien détaillé les raisons qui appuient sa conclusion. Une lecture de la décision du Comité d’appel en corrélation avec la preuve au dossier démontre effectivement que le Comité d’appel a procédé à une analyse complète de la preuve au dossier et des arguments présentés par M. Kenney au regard des six éléments à prendre en considération pour déterminer le niveau de catégorie.

V. Conclusion

[52] La décision du Comité en réexamen est transparente, intelligible et justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques auxquelles le Comité était assujetti (Vavilov au para 99). Compte tenu des représentations laconiques présentées par le demandeur devant le Comité en réexamen en lien avec le paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal, la décision est entièrement raisonnable, et rien ne justifie l’intervention de la Cour.

[53] Le PGC ne demande pas de dépens et aucun ne sera accordé.


JUGEMENT dans T-1135-22

LA COUR STATUE que :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Aucun dépens n’est accordé.

« Martine St-Louis »

Juge


Veterans Review and Appeal Board Act, SC 1995, c 18)

Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18)

Construction

Principe général

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

Rules of evidence

Règles régissant la preuve

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1135-22

INTITULÉ :

FERNAND KENNEY c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 juin 2023

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 13 juillet 2023

COMPARUTIONS :

Me Karine Bourassa

POUR LE DEMANDEUR

Me Marieke Bouchard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fontaine Panneton Bourassa Avocats

Sherbrooke (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur générale du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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