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                                                                                                                                  Date : 20050708

                                                                                                                             Dossier : T-2302-04

                                                                                                                     Référence : 2005 CF 947

ENTRE :

                                                             BENOIT OUELLET

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                          - et -

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                          Défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Il s'agit ici d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 29 novembre 2004 par le chef d'état-major de la défense (CEMD), autorité de dernière instance en matière de griefs, selon l'article 29.11 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, (la Loi) rejetant la demande de redressement de grief du demandeur.


[2]         Le demandeur, un membre des Forces canadiennes qui travaillait à la base militaire de Valcartier, a été muté au 202e dépôt d'ateliers de Montréal le 21 juillet 1999. Le demandeur devait établir sa résidence dans la zone de service de Montréal, puisque les Forces canadiennes ont comme politique d'obliger leurs membres, lorsqu'ils n'habitent pas sur une base militaire, de résider dans une zone géographique définie avoisinant leur lieu de travail. Le demandeur a demandé de bénéficier d'une dérogation à la politique en question afin de pouvoir habiter à Blainville, dans les Basses-Laurentides. Il a invoqué comme raison que son épouse travaillait dans cette région. Cette dérogation lui fut accordée de telle sorte que le demandeur a été autorisé à installer sa résidence à Blainville, municipalité en dehors de la zone de service de Montréal.

[3]         Les Forces canadiennes ont instauré une politique visant à octroyer une indemnité dite « indemnité différentielle de vie chère » (IVC) aux miliaires qui doivent habiter dans certaines zones de service. Cette politique d'indemnisation est entrée en vigueur le 1er avril 2000.

[4]         Le 31 juillet 2000, les Forces canadiennes émettaient une directive demandant aux commandants de réévaluer les limites géographiques des zones de service. Le commandant responsable de la zone de service de Montréal a réévalué les limites de cette dernière zone de service en fonction des critères précisés dans la directive et, le 30 octobre 2000, il a conclu au maintien de la zone de service de Montréal dans les limites qu'elle avait déjà. À la suite de cette réévaluation, la ville de Blainville s'est retrouvée dans la zone de service de Mirabel et la politique des Forces canadiennes ne prévoit pas le versement de l'IVC aux militaires qui habitent cette zone de service (DOA 5e GSS 8001-14).

[5]         Le 2 avril 2001, le demandeur a déposé une demande de redressement afin de faire réviser les limites géographiques de Montréal.

[6]         Le 4 juillet 2001, le commandant, le colonel Daniel Benjamin, a rejeté le redressement justifiant qu'il était satisfait des limites géographiques déjà en place.


[7]         Le 5 septembre 2001, le demandeur a déposé une demande d'appel de grief au Comité des griefs des Forces canadiennes (CGFC). Le 29 juillet 2004, le CGFC a remis son rapport au CEMD mentionnant le manque de cohérence dans les règles à suivre pour délimiter la zone de Montréal et recommandant au CEMD que soient révisées les limites géographiques de la zone de Montréal afin d'y inclure la ville de Blainville aux fins de l'IVC.

[8]         Le 29 novembre 2004, le CEMD a transmis sa décision et a rejeté la demande d'appel de grief du demandeur. C'est cette décision qui est visée par la présente demande de contrôle judiciaire.

                                                             * * * * * * * * * * * *

[9]         Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :



   29.11 Le chef d'état-major de la défense est l'autorité de dernière instance en matière de griefs.

   29.12 (1) Avant d'étudier un grief d'une catégorie prévue par règlement du gouverneur en conseil, le chef d'état-major de la défense le soumet au Comité des griefs pour que celui-ci lui formule ses conclusions et recommandations. Il peut également renvoyer tout autre grief devant le Comité.

   (2) Le cas échéant, il lui transmet copie :

a) des argumentations écrites présentées par l'officier ou le militaire du rang à chacune des autorités ayant eu à connaître du grief;

b) des décisions rendues par chacune d'entre elles;

c) des renseignements pertinents placés sous la responsabilité des Forces canadiennes.

   29.13 (1) Le chef d'état-major de la défense n'est pas lié par les conclusions et recommandations du Comité des griefs.

   (2) S'il choisit de s'en écarter, il doit toutefois motiver son choix dans sa décision.

   29.15 Les décisions du chef d'état-major de la défense ou de son délégataire sont définitives et exécutoires et, sous réserve du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales, ne sont pas susceptibles d'appel ou de révision en justice.

   29.11 The Chief of the Defence Staff is the final authority in the grievance process.

   29.12 The Chief of the Defence Staff shall refer every grievance that is of a type prescribed in regulations made by the Governor in Council to the Grievance Board for its findings and recommendations before the Chief of the Defence Staff considers and determines the grievance. The Chief of the Defence Staff may refer any other grievance to the Grievance Board.

   (2) When referring a grievance to the Grievance Board, the Chief of the Defence Staff shall provide the Grievance Board with a copy of

(a) the written submissions made to each authority in the grievance process by the officer or non-commissioned member presenting the grievance;

(b) the decision made by each authority in respect of the grievance; and

(c) any other information under the control of the Canadian Forces that is relevant to the grievance.

   29.13 (1) The Chief of the Defence Staff is not bound by any finding or recommendation of the Grievance Board.

   (2) If the Chief of the Defence Staff does not act on a finding or recommendation of the Grievance Board, the Chief of the Defence Staff shall include the reasons for not having done so in the decision respecting the disposition of the grievance.

   29.15 A decision of a final authority in the grievance process is final and binding and, except for judicial review under the Federal Courts Act, is not subject to appeal or to review by any court.


[10]       La norme de contrôle applicable lors du contrôle judiciaire d'une décision du CEMD lorsqu'il répond à une demande de redressement de grief est celle de la décision manifestement déraisonnable (Doyle c. Canada (Chef d'état-major de la défense), [2004] A.C.F. no 1563 (C.F.) (QL)).

[11]       La détermination de la zone de service donnant droit à l'IVC est essentiellement l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire du commandant et est à l'abri de tout contrôle judiciaire à moins que le CEMD n'ait pas exercé ses pouvoirs discrétionnaires de bonne foi, que la décision ait été prise illégalement, ou pour des motifs non pertinents (Kohl c. Canada (ministère de l'Agriculture), [1995] A.C.F. no 1076 (C.A.F.) (QL)).

[12]       Je suis d'opinion que le CEMD n'a pas commis d'erreur en rejetant le grief du demandeur. Ce dernier soumet que le CEMD aurait dû suivre les recommandations du CGFC, mais le paragraphe 29.13(1) de la Loi stipule que le CEMD n'est pas lié par les conclusions et recommandations du CGFC.


[13]       Malgré le fait que le CGFC a recommandé au CEMD de faire droit au grief du demandeur, je suis d'avis que le CEMD a bien justifié sa décision selon le paragraphe 29.13(2) de la Loi. La directive du 31 juillet 2000 prévoit des critères relativement à l'exercice du pouvoir discrétionnaire du commandant afin de fixer les limites des zones géographiques (Review of Geographic Boundaries Places of Duty Within Canada, dossier du défendeur, aux pages 62 et 63); il est important de noter le texte du paragraphe 2 de cette directive qui renforce la nature discrétionnaire des limites :

To ensure some consistency of approach, the following guidelines are provided, recognizing that command discretion will prevail and local situations may warrant a deviation from the guidelines:

[. . .]

[14]       Le demandeur soutient que Blainville doit être inclus dans la zone de Montréal, puisque le parcours entre sa maison et le travail requiert 35 minutes. Bien que les imprimés MapQuest au dossier indiquent un temps de trajet de son domicile à son lieu de travail de 35 minutes pour parcourir 46,73 km, le 4 juillet 2001 le colonel Daniel Benjamin a estimé le temps moyen de 75 minutes pour parcourir cette distance un matin de semaine. Il est vrai que cette évaluation n'a été faite qu'une seule fois, mais le facteur de temps n'est pas le seul critère dont on doit tenir compte dans la création des zones. La directive du 31 juillet 2000 prévoit aussi que les « boundaries should be described in terms of dominant physical features (e.g. major highways, rivers, lakes) and/or existing defined boundaries . . . » .

[15]       Le commandant a bien utilisé l'autoroute 640 comme limite. La preuve révèle que le centre de la ville de Blainville est situé à 6 km au nord de l'autoroute 640. L'urbaniste de la ville de Blainville a indiqué que seulement 0,5 à 0,6 p. 100 de la ville de Blainville va au sud de l'autoroute 640, que ce secteur est rural et qu'il comprend deux ou trois maisons et un centre de jardin. Il n'y a pas de prévisions de développement au sud de l'autoroute 640. Je suis d'avis que tous ces facteurs contribuent à la justification de garder les zones comme elles le sont présentement et que le CEMD n'a pas erré en ne donnant pas droit au grief du demandeur.


[16]       Incidemment, le demandeur n'a pas été autorisé, dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, à déposer une preuve additionnelle qu'il alléguait pouvoir établir que certaines municipalités situées au nord de l'autoroute 640 faisaient tout de même partie de la zone de Montréal. Sa requête à cet effet a été rejetée par le protonotaire Morneau au motif fondamental que cette preuve n'était pas devant le CEMD. Cette décision du protonotaire n'a pas été portée en appel et le délai pour le faire est expiré.

[17]       Dans les circonstances, je ne vois rien de manifestement déraisonnable ou de clairement irrationnel dans l'exercice par le chef-d'état major de la défense du pouvoir discrétionnaire à lui conféré par la Loi. Au contraire, les motifs de son choix, requis par le paragraphe 29.13(2) de la Loi, m'apparaissent tout à fait raisonnables. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

                                                               

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 8 juillet 2005


                                                               COUR FÉDÉRALE

                                     NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                       T-2302-04

INTITULÉ :                                                      BENOIT OUELLET c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                               Le 7 juin 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                  Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                          Le 8 juillet 2005           

COMPARUTIONS:

M. Benoit Ouellet                                              POUR SON PROPRE COMPTE

Me Mariève Sirois-Vaillancourt              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Benoit Ouellet                                              POUR SON PROPRE COMPTE

Blainville (Québec)                                           

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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