Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230630


Dossier : IMM-6953-22

Référence : 2023 CF 917

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2023

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

KULWINDER KAUR BEHLEEM

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] La demanderesse, Kulwinder Kaur Behleem, est une citoyenne de l’Inde. Elle prétend que sa vie et celle des membres de sa famille en Inde sont menacées par son ex-petit ami, dont le père est policier et le frère, un gangster impliqué dans le commerce de la drogue. La demanderesse est venue au Canada en 2017 grâce à un permis d’études. Elle a présenté une demande d’asile à l’expiration de son permis d’études en 2020.

[2] Mme Behleem sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 29 juin 2022 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté son appel et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui avait rejeté sa demande d’asile au motif qu’elle n’avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[3] La question déterminante pour la SPR était la crédibilité. Mme Behleem était représentée par un conseil à l’audience devant la SPR. Bien qu’un parajuriste autorisé ait préparé les observations que Mme Behleem a soumises à la SAR, la demanderesse a agi pour son propre compte à l’audience devant la SAR. Cette dernière a affirmé qu’elle était consciente du fait que la demanderesse agissait pour son compte et qu’elle a gardé cela à l’esprit lorsqu’elle s’est penchée sur les questions liées à la crédibilité. La SAR a néanmoins conclu qu’il y avait trop de contradictions et d’omissions à l’égard d’éléments essentiels et importants de la demande, ce qui portait atteinte à la crédibilité de Mme Behleem. La SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles qui démontraient que Mme Behleem avait la qualité de réfugiée au sens de la Convention et que la demande d’asile, dans l’ensemble, n’était pas crédible.

[4] Un avocat a préparé la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire que la demanderesse a présentée à l’encontre de la décision de la SAR. Quelques jours avant l’audition de la présente affaire, l’avocat inscrit au dossier de Mme Behleem, soit Me Eyouck, a présenté à la Cour une requête pour cesser d’occuper. Cependant, Me Eyouck n’a pas produit d’éléments de preuve ou donné d’indication qui démontraient qu’il avait avisé sa cliente qu’il souhaitait cesser de la représenter ou qu’il n’assisterait pas à l’audience. Le défendeur s’est opposé à la requête à ce stade avancé. Me Eyouck s’est fait dire qu’il devait continuer à défendre les intérêts de sa cliente et à se préparer en vue de l’audience, et que sa requête pour cesser d’occuper serait instruite de vive voix au début de l’audience.

[5] À l’ouverture de l’audience, Me Eyouck était prêt à faire valoir sa requête, mais, de son propre aveu, il n’était pas du tout prêt à plaider la demande de contrôle judiciaire. Mme Behleem s’était présentée à la Cour pour assister à l’audience. Me Eyouck ignorait que Mme Behleem assisterait à l’audience; il ne lui avait rien envoyé pour l’aviser que le mode d’audience avait changé et qu’elle aurait lieu par vidéoconférence. Ce changement avait été effectué sur demande parce que Me Eyouck avait attendu à la dernière minute pour demander de cesser d’occuper. Je remercie M. de Sousa, l’agent du greffe, qui s’est empressé d’agir pour que Mme Behleem puisse assister confortablement à l’audience dans les locaux du greffe.

[6] Après discussion, Mme Behleem a fini par choisir d’agir pour son propre compte. Me Eyouck a donc été relevé de son obligation de présenter des observations au nom de Mme Behleem. Je lui ai toutefois adressé un avertissement sévère concernant la requête qu’il a déposée à la dernière minute et ses obligations envers sa cliente.

[7] Les documents sous-jacents en l’espèce sont, à l’instar de la décision de la SAR, en anglais. Me Eyouck avait toutefois préparé le dossier de la demanderesse en français. Par conséquent, le défendeur avait formulé en français les observations présentées en réponse. Or, Mme Behleem ne comprend pas le français. L’audience qui devait se dérouler en français a donc eu lieu en anglais. Je tiens à féliciter l’avocat du défendeur, Me Haganji, qui a pu s’adapter aussi rapidement pour présenter ses observations en anglais même s’il les avait rédigées en français.

II. Question en litige et norme de contrôle

[8] La question en litige dans le cadre du présent contrôle judiciaire consiste à savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

[9] Au début de l’audience, j’ai donné à Mme Behleem des explications détaillées concernant la norme de la décision raisonnable, soit la norme de contrôle applicable en l’espèce. En outre, j’ai précisé qu’il lui incombait d’établir le caractère déraisonnable de la décision de la SAR. Il importe néanmoins d’expliquer cette norme.

[10] Une décision raisonnable est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 85).

[11] Il incombe à la demanderesse de démontrer le caractère déraisonnable de la décision de la SAR (Vavilov, au para 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de révision que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que les lacunes ou les insuffisances reprochées ne sont pas « simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov, au para 100).

[12] La Cour doit centrer son attention sur la décision même qu’a rendue le décideur administratif, notamment sur sa justification, et non sur la conclusion à laquelle elle serait parvenue à la place du décideur administratif. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12-13). Ainsi, il y a lieu de faire preuve de retenue, en particulier à l’égard des conclusions de fait et de l’appréciation de la preuve.

[13] À moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne devraient pas modifier les conclusions de fait, et il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov, au para 125).

III. Analyse

[14] Après avoir examiné le dossier soumis à la Cour, y compris les observations écrites et orales des parties ainsi que le droit applicable, j’en arrive à la conclusion que Mme Behleem ne m’a pas convaincue que la décision de la SAR est déraisonnable. J’ai pris en considération les arguments avancés dans les observations écrites formulées par Me Eyouck, de même que les arguments présentés de vive voix par Mme Behleem.

[15] Dans ses observations écrites, Mme Behleem soutient essentiellement que la SAR a commis une erreur dans l’analyse de sa crédibilité puisqu’il existe une présomption de véracité et que la SAR n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve. La demanderesse n’a toutefois pas précisé quels éléments de preuve n’avaient pas été pris en compte.

[16] Dans ses observations orales, Mme Behleem a répété qu’il serait dangereux pour elle de retourner en Inde parce que son ex-petit ami est possessif, obsessif, et constitue un danger pour elle. Le frère de ce dernier est membre d’une [traduction] « bande de gangsters » et « son père a des contacts importants au sein de la police ». Elle a déclaré que les membres de sa famille en Inde se font discrets parce qu’ils [traduction] « ont vu un homme qui les surveillait devant la maison ». La demanderesse a expliqué qu’elle n’avait pas présenté beaucoup d’éléments de preuve devant la SPR et la SAR parce que les membres de sa famille n’avaient pas été en mesure de l’aider. Ces derniers [traduction] « ne font pas grand-chose parce qu’[il] [les] surveille ».

[17] Le défendeur affirme qu’il s’agit d’une question purement factuelle et que la SAR a tiré une conclusion raisonnable quant à la crédibilité à la lumière des faits qui lui ont été présentés. De l’avis du défendeur, Mme Behleem ne s’est tout simplement pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir le caractère déraisonnable de la décision de la SAR.

[18] Après avoir examiné le dossier attentivement, dont l’ensemble des éléments de preuve produits par Mme Behleem, tant documentaires que testimoniaux, je remarque que la SAR n’a pas omis de prendre en compte un élément de preuve, ce qui aurait rendu sa décision déraisonnable.

[19] Qui plus est, la question déterminante pour la SAR était la crédibilité. Les conclusions quant à la crédibilité font partie du processus de recherche des faits et commandent une grande retenue à l’étape du contrôle (Fageir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 966 au para 29 [Fageir]; Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 721 au para 35 [Tran]; Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 au para 6). De telles conclusions tirées par la SPR et la SAR appellent un degré élevé de retenue judiciaire, et il n’y a lieu de les infirmer que « dans les cas les plus évidents » (Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 720 au para 12).

[20] Les décisions quant à la crédibilité ont été décrites comme constituant « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits, […] et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve » (Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1207 au para 26; Fageir, au para 29; Tran, au para 35; Gong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 165 au para 9).

[21] Dans l’affaire qui nous occupe, la SAR a analysé les éléments de preuve de manière détaillée, approfondie et réfléchie, a mis de nombreuses incohérences en évidence et a tiré des conclusions raisonnables. Je juge que la SAR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a déterminé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour conclure que bon nombre des événements décrits par la demanderesse s’étaient réellement produits. La présente affaire ne vise pas une situation où les décisions en matière de crédibilité ont été rendues sans tenir compte des éléments de preuve ou étaient abusives ou arbitraires. Par conséquent, je refuse d’intervenir.

IV. Conclusion

[22] Je reconnais que la situation ébranle Mme Behleem, qui éprouve une détresse à l’idée de retourner en Inde. Toutefois, pour les motifs qui précèdent, elle ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable. En conséquence, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

[23] Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6953-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6953-22

INTITULÉ :

KULWINDER KAUR BEHLEEM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 JUIN 2023

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE ROCHESTER

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 30 JUIN 2023

COMPARUTIONS :

Kulwinder Kaur Behleem

Pour la demanderesse

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Me Boris Haganji

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.