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     T-2515-94

ACTION IN REM CONTRE LE NAVIRE "MARGARET ELIZABETH NO. 1" et IN PERSONAM CONTRE LES PROPRIÉTAIRES, AFFRÉTEURS ET TOUS LES AUTRES AYANTS DROIT DUDIT NAVIRE.

OTTAWA (ONTARIO), LE MARDI 10 JUIN 1997

EN PRÉSENCE DU JUGE RICHARD

ENTRE :


MARY ELLEN HAWKINS, mineure représentée par

son tuteur à l'instance, Thomas Hawkins,

     demanderesse,

     et


LE NAVIRE "MARGARET ELIZABETH NO. 1", SES PROPRIÉTAIRES,

VONNDEL II FISHERIES LTD., SES AFFRÉTEURS ET

TOUS SES AUTRES AYANTS DROIT,

     défendeurs,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     tierce partie.

     JUGEMENT

     Vu l'action que la demanderesse a intentée contre les défendeurs et la procédure relative à tierce partie déposée par ceux-ci,

     les défendeurs sont condamnés à verser à la demanderesse un montant de 438 995,65 $ et les dépens de la présente action. L'indemnité est répartie comme suit :

1.      Dommages-intérêts spéciaux      20 999,85 $
2.      Dommages-intérêts généraux
     1)      préjudice non financier              75 000,00 $
     2)      préjudice financier
         a)      frais de recyclage              50 725,80 $
         b)      frais au titre des
             services de valeur              103 740,00 $
         c)      perte de capacité
             de gain                  111 200,00 $
         d)      retraite prématurée              77 330,00 $
             Sous-total          417 995,80 $

Total      438 995,65 $

     Le montant de 1 557,51 $ de ces dommages-intérêts spéciaux portera intérêts au taux d'intérêts simples de 3 1/2 % l'an depuis le 21 juillet 1994.

     Les dommages-intérêts généraux non financiers de 75 000 $ porteront intérêts au taux d'intérêts simples de 7 % l'an depuis le 12 octobre 1994.

     L'indemnité relative aux frais au titre des services de valeur portera intérêts au taux d'intérêts simples de 7 % l'an depuis le 26 mai 1997.

     La procédure relative à tierce partie est rejetée avec dépens à l'encontre des défendeurs.

                            

                                     Juge

Traduction certifiée conforme             

                                     Martine Guay, LL.L.

     T-2515-94

ACTION IN REM CONTRE LE NAVIRE "MARGARET ELIZABETH NO. 1" et IN PERSONAM CONTRE LES PROPRIÉTAIRES, AFFRÉTEURS ET TOUS LES AUTRES AYANTS DROIT DUDIT NAVIRE.

ENTRE :


MARY ELLEN HAWKINS, mineure représentée par

son tuteur à l'instance, Thomas Hawkins,

     demanderesse,

     et


LE NAVIRE "MARGARET ELIZABETH NO. 1", SES PROPRIÉTAIRES,

VONNDEL II FISHERIES LTD., SES AFFRÉTEURS ET

TOUS SES AUTRES AYANTS DROIT,

     défendeurs,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     tierce partie.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RICHARD

         Le 21 juillet 1994, la demanderesse, alors âgée de 17 ans, pêchait le maquereau au bout du quai brise-lames public en béton de Beaver Harbour (N.-B.), connu sous le nom de quai de Beaver Harbour, dont le gouvernement du Canada est propriétaire et exploitant. Aux environs de 15 h, un membre de l'équipage du Margaret Elizabeth No. I, un bateau de pêche construit en 1971 et jaugeant 369 tonnes brutes, a prié la demanderesse et les autres personnes pêchant sur le quai de rembobiner leurs lignes pour ne pas qu'elles s'emmêlent dans l'hélice du bateau. La demanderesse a acquiescé à cette demande et, pendant qu'elle rembobinait sa ligne, elle a entendu quelqu'un crier : "Attention". En se retournant, elle a été heurtée soudainement et violemment par un lampadaire en béton préfabriqué tombé d'un ouvrage longitudinal de défense de cinq pieds de hauteur situé entre elle et le bateau. Le bateau de pêche avait accosté du côté extérieur du quai quelques heures auparavant pour remplacer ses sennes (filets). Lorsqu'il a quitté le quai, la corne de chargement en débordement, couramment appelée chèvre, située à tribord et utilisée pour stabiliser la canalisation d'aspiration du poisson, a frappé le lampadaire qui s'est cassé net à sa base et, sous l'effet de retenue d'un câble d'alimentation relié à une aide à la navigation à l'extrémité du quai, est tombé sur la demanderesse, la heurtant au cou, au dos et à la jambe gauche et lui causant de graves blessures.

     La preuve démontre que la chèvre du bateau était en position basse alors qu'elle aurait dû être bloquée en position relevée avant le départ du bateau. Aucune explication n'a été donnée concernant cette omission. La preuve établit également que la chèvre déployée a frappé perpendiculairement le lampadaire à mi-hauteur. Ce dernier s'est cassé net et est tombé sur la demanderesse, qui n'a eu aucune possibilité d'éviter le choc. Je considère que les défendeurs ont été négligents et sont à 100 % responsables. La demanderesse a été la malheureuse victime de cet accident auquel elle n'a aucunement contribué. Je traiterai plus loin de la demande d'indemnisation des défendeurs à l'encontre du propriétaire et exploitant du quai.

     La demanderesse réclame les dommages-intérêts suivants aux défendeurs :

     A.      Dommages-intérêts spéciaux

         1.      Régime d'assurance-

             maladie                              19 442,34 $

         2.      Chiropraticien                          193,00

         3.      Vêtements                              495,00

         4.      Hôpital - radiographies                      13,62

         5.      St. George Pharmacy                      15,89

         6.      Kilométrage                              840,00

         Total des dommages-intérêts spéciaux                  20 999,85 $

     B.      Dommages-intérêts généraux;

     C.      Perte de revenus futurs;

     D.      Frais des soins futurs;

     E.      Intérêts avant jugement aux taux en vigueur.

Dommages-intérêts spéciaux

     Les parties conviennent du montant que la demanderesse réclame à titre de dommages-intérêts spéciaux ainsi que du paiement d'intérêts simples au taux de 3 1/2 % l'an depuis le 21 juillet 1994 sur le montant de 1 557,51 $ desdits dommages-intérêts et j'ordonne aux défendeurs de verser les sommes en question.

Dommages-intérêts généraux     

     Principes généraux

     Les principes régissant la détermination des indemnités à verser dans les affaires concernant un préjudice personnel sont énoncés dans l'arrêt Andrews1, où le juge Dickson, qui a prononcé le jugement au nom de la Cour suprême du Canada, a statué que, pour déterminer le montant de dommages-intérêts généraux, il convient d'accorder des montants sous différents chefs plutôt que de fixer une somme globale. C'est la seule façon de procéder qui permet d'examiner de façon significative en appel l'indemnité qui a été attribuée et d'obtenir des critères d'orientation valables pour l'avenir. De plus, ce qui est tout aussi important, cette façon de procéder indique aux parties et à leurs conseillers les éléments de l'indemnité globale et leur prouve que chacun des différents chefs d'indemnité dont se compose la réclamation a été examiné attentivement.

     Le juge Dickson a également statué que la personne lésée a le droit d'obtenir pleine réparation de la perte financière subie. Il est bien certain qu'aucune personne ayant subi des préjudices graves et permanents ne peut être replacée dans la position dans laquelle elle se serait trouvée si la faute n'avait pas été commise. L'argent ne peut guère remplacer la santé et le bonheur; cependant, dans la mesure où il peut servir à maintenir ou à améliorer l'état de santé physique ou mentale de la personne lésée, il peut être envisagé comme forme de réparation. Il ne peut y avoir d'indemnisation complète ou totale; l'indemnité attribuée doit être modérée et équitable pour les deux parties.

     En conséquence, l'indemnité vise principalement à dédommager le plus possible la partie demanderesse à l'égard des préjudices qu'elle a subis.

     Préjudices de nature non financière

     À la date de l'accident, la demanderesse était âgée de 17 ans et avait un jeune fils; elle poursuivait également ses études à une école secondaire (11e année) et son rendement était supérieur à la moyenne.

     Il appert de la preuve médicale que la demanderesse, qui souffrait beaucoup, a été transportée par ambulance au service d'urgence de l'Hôpital régional de Saint John, où le personnel lui a donné des antibiotiques. Elle a subi, notamment, une fracture ouverte de grade élevé (grade 111 A) au fémur gauche. Elle a été victime d'une fracture comminutive du fémur gauche ainsi que de la rotule gauche. Après avoir été transportée dans la salle d'opération, elle a subi sous anesthésie générale un débridement de la fracture du fémur gauche. La plaie était très large, atteignant environ 25 cm de diamètre par endroits, et touchait la face antérieure de la cuisse, à peu près à mi-chemin entre la hanche et le genou. Après le débridement, le chirurgien orthopédiste, le Dr T.A. Barnhill, a stabilisé les fractures en insérant un dispositif intramédullaire. Au cours de la même opération, il a également traité la fracture qu'elle avait subie à la rotule du même côté. En raison de la grande quantité de petits fragments associés à cette fracture, une bonne partie de sa rotule a été enlevée et le tiers seulement des fragments qui restaient ont pu être gardés. La grande blessure subie sur la face antérieure de la cuisse a été laissée ouverte. La demanderesse a également subi une légère fracture intra-articulaire sans déplacement de l'extrémité inférieure du tibia du même côté. De plus, elle a eu des éraflures au dos et au membre opposé.

     Elle est retournée en salle d'opération le 26 juillet 1994. Avec l'aide d'un spécialiste en chirurgie plastique, le Dr Barnhill a à nouveau pratiqué une incision dans la plaie. De la peau provenant de la partie proximale latérale de la cuisse gauche a été greffée sur la plaie de la face antérieure de la cuisse. Les éclisses de la demanderesse ont été réinstallées. Celle-ci a reçu son congé le 5 août 1994, mais elle a été revue par la suite à la clinique d'orthopédie.

     Le 24 octobre 1994, elle a dû être anesthésiée une troisième fois pour subir une intervention au genou. Une partie de la musculature entourant le genou avait figé à l'endroit de la fracture, si bien qu'elle avait du mal à regagner de la flexion au genou. Le chirurgien a également retiré les deux vis distales de blocage du fémur ainsi que la tige qui avait été fixée à la rotule. Elle a été reliée à un appareil CPM (mouvements passifs continus) pendant trois jours, ce qui devait permettre d'accroître la flexion de son genou, et a reçu son congé le 27 octobre 1994.

     Le 20 octobre 1995, quelque 15 mois après l'accident, la demanderesse a été transportée à la salle d'opération pour subir deux interventions sous anesthésie trachéale générale. Le Dr Barnhill a retiré un clou du fémur gauche, qui était maintenant cicatrisé. Le Dr G.C. Sparkes a examiné à nouveau l'endroit de la plaie où une greffe de peau avait été faite sur la face antérieure de la cuisse.

     Le Dr Barnhill a envoyé la demanderesse en physiothérapie le 15 août 1994. La série de 19 traitements a débuté le 26 août 1994 pour se terminer le 30 décembre de la même année. La demanderesse a également été traitée par un chiropraticien, qu'elle a vu huit fois entre le 13 décembre 1994 et le 23 mai 1995.

     À la date de l'accident, la demanderesse était en bonne santé. Dans un rapport écrit en date du 2 mai 1995, le Dr Barnhill, qui a également témoigné à l'instruction, a indiqué que le genou gauche de la demanderesse resterait sans doute faible, en raison des dommages causés au muscle lors de l'accident ainsi que de la très vilaine fracture de la rotule, qui gênera sans doute le fonctionnement du genou. Lorsqu'il a témoigné à l'instruction, le Dr Barnhill a dit que le genou de la demanderesse ne fonctionnait pas normalement et que celle-ci devra éviter tout travail intensif. Il a ajouté que, d'ici deux ans, il était possible que la demanderesse souffre d'arthrite au genou, que cette situation ne dépendait pas de l'âge et que l'arthrite pourrait s'aggraver. Il a confirmé qu'il y avait maintenant une bonne consolidation de la fracture subie au fémur. Il a cependant ajouté que la demanderesse était préoccupée par la cicatrice assez marquée qui découlait de la greffe de peau faite à la cuisse.

     Au cours de son témoignage, la demanderesse a énuméré comme suit les blessures et dommages qu'elle avait subis : blessures au cou, éraflures et ecchymoses de la tête au pied, contusion du muscle du bras droit, blessures au dos, fracture ouverte du fémur gauche, écrasement du genou gauche, fêlure à la cheville gauche et ecchymoses à la jambe droite. Elle souffrait beaucoup lorsqu'elle a été transportée à l'hôpital. Après avoir reçu son congé de l'hôpital le 5 août 1994, elle a souffert constamment pendant six mois; elle ne pouvait ni manger ni s'asseoir, et ne pouvait pas non plus dormir, s'habiller ou aller à la salle de bains. Elle ne pouvait pas s'occuper de son fils, alors âgé d'un an et demi. Elle est restée au lit à la maison et a tenté sans succès de retourner à l'école. Elle est parvenue tant bien que mal à terminer un cours en faisant des travaux à la maison. Elle n'a donc pu obtenir son diplôme d'études secondaires au printemps 1995 et a dû attendre un an à ce chapitre.

     Même aujourd'hui, elle éprouve des douleurs deux ou trois fois par semaine et doit prendre des médicaments. Ses activités intérieures et extérieures sont limitées. Elle ne peut se pencher, courir, frotter, balayer, peler ou couper des légumes à chair ferme, danser, nager, grimper, faire de longues randonnées à pied ou conduire un véhicule sur de longues distances. Son sommeil est troublé et elle est constamment fatiguée. Trois ans après l'incident, elle éprouve encore des problèmes au cou et au dos. Son genou gauche ne fonctionne pas normalement. Elle a perdu de la force dans le genou et il est vraiment possible qu'elle souffre d'arthrite. Elle a également une cicatrice visible sur la cuisse gauche. Il n'est pas question pour elle d'exécuter des tâches exigeantes sur le plan physique.

     La mère de la demanderesse a également témoigné pour expliquer à quel point l'accident a touché sa fille. Celle-ci était auparavant une jeune femme en santé qui était active et très sociable. Aujourd'hui, elle éprouve des douleurs et ses capacités ne sont pas aussi grandes. Elle est calme, elle pleure beaucoup et elle a perdu une bonne partie de son sens de l'humour; elle est aussi plus craintive et plus gênée.

     La demanderesse a subi des blessures majeures. Elle souffre d'une incapacité partielle permanente et éprouve des douleurs.

     Les avocats de la demanderesse et des défendeurs ont porté à mon attention un certain nombre de décisions qui ont été publiées entre 1989 et 1995 et qui concernaient des indemnités attribuées à l'égard de préjudices personnels. Ces indemnités varient de 60 000 $ à 90 000 $ dans les décisions citées par la demanderesse et de 26 500 $ à 70 000 $ dans celles que les défendeurs ont mentionnées. Compte tenu de tous les facteurs applicables, la demanderesse a droit à une indemnité élevée et je lui accorde un montant de 75 000 $ à l'égard des dommages-intérêts généraux non financiers qu'elle a subis.

     Les parties ont convenu que les dommages-intérêts généraux de nature non financière porteront intérêt à un taux d'intérêts simples de 7 % l'an depuis le 12 octobre 1994.

     Préjudice financier

     La demanderesse réclame sous ce chef une indemnité relative aux frais de recyclage ultérieur, à la perte future de capacité de gain, à la perte future de gains au cours de la vie active, à la retraite prématurée et aux frais au titre des services de valeur.

     En plus de faire témoigner sa cliente et la mère de celle-ci, l'avocat de la demanderesse a appelé à la barre les témoins experts suivants :

     - le Dr T.A. Barnhill, M.D., E.R.C.S.(C);

     - Mark McGovern, conseiller en réadaptation;

     - Conrad Ferguson, fellow de l'Institut canadien des actuaires.

     L'avocat de la demanderesse a également cité d'autres rapports médicaux et rapports sur la réadaptation, qui ont été déposés en preuve suivant le consentement des parties. L'avocat des défendeurs n'a présenté aucun témoignage d'expert à cet égard et s'est contenté de contre-interroger les témoins experts de la demanderesse.

     Dans son rapport et au cours de son témoignage, M. McGovern a souligné que la demanderesse avait maintenu une moyenne d'environ 84 % tout au long de ses études. Ces notes sont impressionnantes et indiquent qu'elle avait un potentiel académique considérable. Avant son accident, la demanderesse avait formé le projet de présenter une demande d'admission à la GRC. Selon M. McGovern, compte tenu de l'accident, il était peu probable que la demanderesse réussisse le test TAPE de la GRC (Test d'aptitudes physiques essentielles), qui vise à évaluer les aptitudes physiques, notamment la capacité de courir, de pousser, de tirer, de grimper, de sauter, de faire de la voltige et de soulever des poids dans un laps de temps restreint. Par conséquent, en raison des exigences physiques s'y rapportant, une carrière au sein de la GRC ne convient pas pour la demanderesse, qui ne peut plus exercer d'occupation comportant des exigences physiques considérables, comme l'obligation de courir, de marcher pendant des périodes prolongées et de grimper. De l'avis du témoin expert, compte tenu des conséquences de l'accident dont elle a été victime sur le plan fonctionnel, la demanderesse a dû modifier ses aspirations professionnelles et elle a décidé d'étudier afin d'obtenir un baccalauréat en sciences infirmières, ce qui nécessite quatre ans d'études. Selon lui, si la demanderesse choisit cette carrière, il y aura peut-être lieu qu'elle poursuive des études supérieures dans le même domaine pendant deux autres années afin de minimiser les activités physiques qu'elle serait appelée à exercer dans le cadre de cette carrière.

     Au cours de son témoignage, la demanderesse a dit qu'elle avait formé le projet de faire carrière au sein de la GRC. Même si elle était âgée de dix-sept ans à la date de l'accident, elle respectait les critères de base pour présenter une demande d'admission, se soumettre aux examens et entrevues nécessaires à l'âge de dix-huit ans et commencer sa formation à dix-neuf ans. Lorsqu'elle a témoigné, la mère de la demanderesse a confirmé que sa fille avait manifesté le désir de joindre les rangs de la GRC ou d'un service de police une fois qu'elle aurait obtenu son diplôme d'études secondaires. M. McGovern n'a pu dire si elle aurait été acceptée au sein de la GRC, mais il estimait quant à lui qu'elle avait manifesté de l'intérêt en ce sens et qu'elle avait le potentiel académique nécessaire. Si elle avait été acceptée, elle aurait eu la possibilité de suivre une formation à l'égard d'une carrière qui n'aurait pas nécessité d'études universitaires prolongées ou une autre forme de préparation qu'il lui aurait fallu payer avant de commencer à travailler.

     De l'avis de M. McGovern, l'accident a eu pour effet de restreindre l'éventail de possibilités de carrière qui s'offrent à la demanderesse et laissera des séquelles permanentes sur la formation et le travail qu'elle choisira. Quelle que soit la carrière vers laquelle elle s'oriente, elle doit acquérir des aptitudes qui contrebalanceront ses restrictions sur les plans physique et fonctionnel et les options qui s'offrent à elle sont limitées à cet égard.

     Selon M. McGovern, les frais de scolarité relatifs à un baccalauréat de quatre ans s'élèveraient à environ 16 500 $, auquel montant il faudrait ajouter une somme d'environ 6 600 $ en dollars de 1996 pour deux années d'études supérieures.

     Les défendeurs ont fait témoigner la caporale Michelle Martin, agente de recrutement de la GRC, qui a décrit les différents critères et exigences qu'un citoyen canadien doit respecter pour être accepté au sein de la GRC. Selon elle, l'âge moyen d'adhésion chez les femmes est de 26 ans; au cours de la dernière année, la requérante la plus jeune qui a été admise au Nouveau-Brunswick était âgée de 19 ans, tandis que la plus âgée avait 40 ans.

     Conrad Ferguson, qui a été reconnu comme un expert dans le domaine de l'actuariat, a préparé un rapport en date du mois d'avril 1997 dans lequel il a déterminé la valeur actualisée de la perte future de capacité de gain ainsi que des frais futurs au titre des services de valeur de Mary Ellen Hawkins par suite des blessures qu'elle a subies. Voici les données personnelles sur lesquelles il s'est fondé :

     Nom de la demanderesse :                      Mary Ellen Hawkins

     Date de naissance :                          4 mars 1977

     Date de la valeur actualisée :                  26 mai 1997

     Âge à la date de l'accident :                  17,4 ans

     Âge à la date de la valeur actualisée :              20,2 ans

     Il a souligné que, étant donné que la demanderesse est relativement jeune, il ne peut se fonder sur les gains antérieurs que celle-ci aurait pu accumuler autrement.

     En ce qui a trait à la nature du préjudice, le témoin s'exprime comme suit :

         [TRADUCTION] À la date de l'accident, soit le 22 juillet 19942, la demanderesse poursuivait des études secondaires et avait l'intention de faire carrière comme policière au sein de la GRC. Étant donné qu'elle est relativement jeune, elle n'a pas fait de gains pouvant constituer le fondement de la présente évaluation.             

         ...

         Pour les besoins de la cause, j'ai déterminé la valeur actualisée de la capacité de gain future de la demanderesse avant l'accident en présumant qu'elle aurait atteint son objectif et qu'elle serait devenue agente de police au sein de la GRC.             
         En ce qui a trait à la capacité de gain résiduelle, je comprends qu'elle désire maintenant travailler dans le domaine des sciences infirmières. Je comprends également que le Dr Barnhill lui a proposé de tenter d'obtenir une maîtrise en sciences infirmières afin d'améliorer ses chances d'obtenir un poste de nature administrative ou un poste spécialisé qui exigerait moins d'efforts physiques. J'ai donc calculé la valeur actualisée de la capacité de gain résiduelle en présumant qu'elle poursuivrait une carrière dans le domaine des sciences infirmières.             
         Les scénarios pouvant servir à évaluer la perte de capacité de gain dans la présente affaire sont nombreux. Pour faire mon évaluation, je me suis fondé sur ma perception des objectifs de carrière de la demanderesse et des préférences qu'elle a manifestées tant avant qu'après l'accident.             

         ...

         L'évaluation du préjudice en fonction des possibilités de gain inhérentes à une carrière d'infirmière par opposition à une carrière comme constable de la GRC ainsi que des multiplicateurs fournis permettra aux parties ou à la Cour, selon le cas, d'examiner différentes méthodes servant à évaluer la perte de capacité de gain en l'espèce.             

     Je résume ci-dessous les résultats des calculs de ce témoin expert en examinant séparément la perte future de capacité de gain, les multiplicateurs relatifs à la perte future permanente de capacité de gain, les données concernant la retraite prématurée et les frais futurs au titre des services de valeur.

     Perte future de capacité de gain

     Le témoin expert a souligné que la valeur actualisée de la perte future de capacité de gain réside dans la différence entre la valeur actualisée de la capacité de gain future de la demanderesse avant l'accident et sa capacité de gain résiduelle pour l'avenir.

     Le témoin a calculé la valeur actualisée de la capacité de gain précédant l'accident en présumant que la demanderesse commencerait à travailler comme cadet de la GRC le 26 mai 1997 et évoluerait par la suite pour devenir un gendarme de première classe. Pour calculer la capacité de gain résiduelle, il a présumé que la demanderesse pourrait commencer à travailler comme infirmière à compter du printemps de 2003, après avoir obtenu son baccalauréat et sa maîtrise en sciences infirmières. Il a présumé qu'après avoir travaillé onze ans dans le domaine des sciences infirmières, elle gagnerait un salaire équivalent à celui qu'elle aurait gagné comme gendarme de la GRC.

     Le résultat des calculs du témoin figure au tableau I de son rapport.


TABLEAU I

Valeur actualisée de la perte future de capacité de gain

(données arrondies à la centaine près)

Poste      Montant

     $

Valeur actualisée de la capacité de gain future

avant l'accident comme agente de police au 26 mai 1997

(d'après l'annexe 1)      609 600

Moins la valeur actualisée de la capacité de gain

résiduelle future comme infirmière au 26 mai 1997

(d'après l'annexe 2)      354 900

Perte future nette de capacité de gain      254 700

     Risque inhérent à la perte future permanente de capacité de gain

     Le témoin expert a présumé que la demanderesse perdrait en moyenne deux semaines de salaire par année en raison de l'accident dont elle a été victime. Compte tenu du montant annuel maximal de gains se rapportant à la capacité de gain résiduelle, cette perte représenterait un montant annuel d'environ 2 000 $. La valeur actualisée de la perte future permanente de capacité de gain équivaudrait donc à un montant de 2 000 $, multiplié par le facteur de multiplication de 16,9, ce qui donnerait un total de 33 800 $.

     Risque inhérent à la retraite prématurée

     Le témoin expert a présenté au tableau 2 les facteurs de multiplication relatifs au risque inhérent à une retraite antérieure à l'âge normal de la retraite en raison des blessures que la demanderesse a subies. Il a présumé à tour de rôle une retraite qui serait prise cinq ans avant l'âge normal de la retraite, puis dix ans avant l'âge normal.


TABLEAU 2

Valeur actualisée de la perte possible

de capacité de gain en raison d'une retraite prématurée

Période de retraite prise avant l'âge normal de la retraite

5 ans

10 ans

Facteur de multiplication par tranche de 1 $

Année de perte

     1,9

     4,2

Gains annuels

     $

     51 000

     51 000

Exemples de

Valeur de perte

     $

     96 900

     214 200

     Frais au titre des services de valeur

     Le témoin expert a utilisé un multiplicateur de 25,8 avant impôts et de 39,0 après impôts pour chaque tranche de 1 $ de frais futurs annuels au titre des services de valeur. Il a calculé le multiplicateur en présumant que des services auraient été fournis jusqu'à l'âge de 70 ans. Pour expliquer sa façon de procéder, il a donné l'exemple suivant :

         [TRADUCTION] Supposons que le montant annuel de frais au titre des services de valeur s'établit à 1 000 $. La valeur actualisée des frais futurs au titre des services de valeur équivaudrait à un montant de 1 000 $, multiplié par le facteur de multiplication de 39, ce qui donnerait un total de 39 000 $.             

     À la fin de son rapport, il a formulé l'avertissement suivant :

         [TRADUCTION] Il importe de souligner que tous les exemples susmentionnés sont donnés à titre d'illustration seulement. Le montant définitif de la perte future permanente de capacité de gain, de la perte découlant de la retraite prématurée et des frais au titre des services de valeur devra être négocié entre les parties ou déterminé par le tribunal, en fonction de la preuve présentée à l'instruction.             

     Les défendeurs ont contesté la présomption de M. Ferguson selon laquelle la demanderesse aurait été acceptée dans la GRC à l'âge de 19 ans sans être tenue de suivre une formation supplémentaire, académique ou autre. Ils ont également contesté la nécessité pour la demanderesse d'étudier pendant deux autres années après l'obtention de son baccalauréat. Si ces deux années étaient retranchées, la demanderesse commencerait à travailler comme infirmière deux ans plus tôt, ce qui abaisserait l'évaluation de la perte future nette de capacité de gain de 85 000 $, laquelle s'établirait à 169 700 $ plutôt qu'à 254 700 $. Cependant, M. Ferguson a mentionné que, si la demanderesse n'obtient pas de diplôme universitaire, elle ne pourra peut-être pas gagner, en qualité d'infirmière, un salaire équivalent à celui d'un gendarme de la GRC après onze ans de travail dans le domaine des sciences infirmières, soit à l'âge de 36 ans.

     L'avocat des défendeurs a admis que la demanderesse avait droit à une indemnité au titre de la perte de capacité de gain; ce qu'il contestait, c'était le montant. Selon lui, un montant global de 100 000 $ devrait être attribué à ce titre. Il n'a pas contesté non plus les multiplicateurs utilisés, soit 16,9 ou 22,5; seule la façon de procéder a été mise en doute. De plus, l'avocat ne s'est pas opposé au calcul des droits et frais de scolarité; il a toutefois contesté le raisonnement sous-jacent à ce calcul. Il a reconnu que l'indemnité demandée à l'égard des frais au titre des services de valeur était fondée jusqu'à un certain point, mais il n'a pas admis le montant réclamé. Selon lui, le montant annuel devrait s'établir à 1 000 $ plutôt qu'à 2 600 $. Comme je l'ai déjà mentionné, les défendeurs n'ont présenté aucun témoin expert au sujet du calcul du préjudice financier.

     Lorsqu'il a examiné la perte future de gains dans l'arrêt Andrews, le juge Dickson a formulé les remarques suivantes :

         Il faut encore aller plus loin dans notre rôle de devin. Quelle aurait été la vie professionnelle de la victime de l'accident? Quelles étaient ses possibilités et ses perspectives d'avenir avant l'accident? La victime doit être indemnisée non pas de la perte de revenus, mais plutôt de la perte de sa capacité de gagner un revenu : La Reine c. Jennings, [1966] R.C.S. 532. Un avoir en capital a été perdu : quelle était sa valeur?             

     Comme juge de première instance, je dois déterminer l'indemnité à accorder.

     Dans l'arrêt Bulmer v. Horsman3, la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick a dû se prononcer sur la situation d'une victime âgée de 18 ans qui souffrait d'incapacité partielle et qui n'avait exercé aucun emploi avant l'incident. S'exprimant au nom de la Cour, le juge Hoyt, qui est maintenant le juge en chef du Nouveau-Brunswick, a dit ce qui suit :

         D'après moi, les opinions actuarielles sont aussi valables dans les cas où l'incapacité est partielle que dans les cas où elle est totale, pourvu que les hypothèses qui sous-tendent ces opinions soient fondées sur la preuve. Naturellement, je reconnais qu'on introduit ainsi une autre variable, à savoir la capacité de gain probable de la personne dont l'invalidité n'est que partielle. Cependant, il s'agit là d'une question de preuve et lorsque dans des causes comme celle en l'espèce, le juge du procès est convaincu que la preuve est suffisante, l'affaire est close. Je n'estime pas non plus qu'une personne ne possédant aucune expérience de travail ne peut être l'objet d'une opinion actuarielle. Comme je l'ai déjà mentionné, il suffit que le juge du procès soit convaincu que dans les circonstances de l'espèce l'hypothèse est fondée. Dans des arrêts comme Floyd v. Bowers (1978), 89 D.L.R. (3d) 559 (H.C. Ont.) et Bogusinski v. Rashidagich, [1974] 5 W.W.R. 53 (C.-B.) (où la situation est semblable à la cause en l'espèce), les intimés étaient des étudiants, le tribunal a utilisé leur expérience scolaire pour évaluer leur capacité de gain éventuelle. Dans Arnold c. Teno, [1978] 2 R.C.S. 287; 19 N.R. 1; 83 D.L.R. (3d) 609; 3 C.C.L.T. 272, des dommages-intérêts pour la perte de revenus futurs ont été accordés à un enfant de quatre ans et demi qui, bien entendu, n'avait pas d'antécédents professionnels.             

     Au début de sa plaidoirie, l'avocat de la demanderesse a présenté ce qu'il a décrit comme trois scénarios possibles en vue du calcul d'une indemnité au titre du préjudice financier.

     Chacun des trois scénarios comporte une réclamation à l'égard des frais de recyclage, du préjudice découlant de la retraite prématurée et des frais au titre des services de valeur. Ces données sont constantes et calculées comme suit :


     Frais de recyclage
     BA en sciences infirmières -
     125 $ x 3,8
     Maîtrise en sciences infirmières -
     3 330 $ x 1,76
     Déplacements - 150 km par jour à 0,20 $ x 35 semaines pendant quatre ans (5 250 $) x 3,8
     pendant six ans (5 250 $) x 5,56
     15 675,00 $
     5 860,80 $
         19 950,00 $
         29 190,00 $

Retraite prématurée

Compte tenu de gains de 40 700 $

Cinq ans plus tôt (multiplicateur de 1,9)

Dix ans plus tôt (multiplicateur de 4,2)

         77 330,00 $
         170 940,00 $

Frais au titre des services de valeur

Entretien ménager, enlèvement de la neige et entretien de la pelouse

Compte tenu d'une somme globale annuelle de 2 660 $ multipliée par un facteur de multiplication de 0,39


         103 740,00 $

     Dans deux des scénarios présentés (les scénarios 1 et 2), un montant est réclamé au titre de la perte future de gains au cours de la vie active. Ce montant est calculé comme suit :


Indemnité pour les absences au travail, 4 jours sur 5 par semaine, en raison de blessures découlant de l'accident, compte tenu d'un revenu annuel de 40 700 $ comme infirmière diplômée (782,69 $ par semaine - 156,53 $ par jour)

156,53 $ x 52 jours = 8 139,56 $ x un facteur de multiplication de 16,9

             137 558,56 $

     L'autre différence entre les trois scénarios concerne le calcul de la perte future de capacité de gain.

     Le scénario numéro 1 reprend le calcul qui se trouve au tableau I du rapport actuariel et qui donne un résultat de 254 000 $.

     Dans le scénario numéro 2, le montant réclamé se limite à la perte de capacité de gain au cours de la période de recyclage. Ce montant est calculé comme suit :


Quatre ans de perte de gains pour le recyclage en vue d'obtenir un diplôme en sciences infirmières à 20 000 $ l'an x 3,8

Six ans de perte de gains pour le recyclage en vue d'obtenir un bac et une maîtrise en sciences infirmières à 20 000 $ l'an x 5,56

             76 000 $

             111 200 $

     Dans le scénario numéro 3, un montant global de 200 000 $ est réclamé pour la diminution de la capacité de gain.

Conclusion

     Frais de recyclage

     À mon avis, les blessures que la demanderesse a subies ont eu pour effet de restreindre l'éventail de carrières qui s'offrent à elle et la possibilité qu'elle a d'obtenir un emploi sans engager d'autres frais de formation académique ou autre. La demanderesse a été admise à l'Université du Nouveau-Brunswick à Saint John pour la session qui débutera à l'automne 1997. Elle a l'intention de faire la navette entre son domicile et l'université. Par conséquent, il convient de lui accorder un montant au titre des frais de recyclage. À mon sens, si la demanderesse poursuivait des études supérieures pendant deux ans après avoir obtenu son baccalauréat, elle aurait plus de chances de se trouver un emploi qui exigerait moins d'activités physiques de sa part. J'accorde donc une période de six ans pour le recyclage et un montant de 50 725,80 $ pour ce chef de réclamation.

     Frais au titre des services de valeur

     J'estime également qu'en raison de l'incapacité partielle permanente dont elle souffre et qui limite l'éventail d'activités intérieures et extérieures qu'elle peut poursuivre, la demanderesse a droit à une indemnité représentant les frais au titre des services de valeur et j'accorde un montant de 103 740 $ pour ce chef de réclamation.

     Perte de capacité de gain

     Il n'est pas certain que la demanderesse aurait été admise dans la GRC à l'âge de 19 ans. Le principal facteur utilisé pour calculer la perte future nette de capacité de gain au tableau I, qui vise à comparer sa capacité de gain avant l'accident comme cadet et gendarme de la GRC avec sa capacité de gain résiduelle comme infirmière, réside dans la première période de six ans au cours de laquelle elle ne gagnera aucun revenu en raison de la nouvelle formation qu'elle doit suivre. À mon avis, il convient davantage de retenir le calcul présenté dans le scénario numéro 2, qui permet de déterminer la perte de capacité de gain au cours du recyclage et pendant la période de six ans. Cette perte est fondée sur un revenu annuel de 20 000 $. J'accorde donc un montant de 111 200 $ sous ce chef.

     Retraite prématurée

     Je suis d'avis qu'en raison de l'incapacité partielle permanente dont elle souffre et du risque d'arthrite auquel elle est exposée, il convient d'accorder à la demanderesse une indemnité à l'égard de la retraite prématurée et j'accorde un montant de 77 330 $ pour ce chef de réclamation.

     Perte future de gains au cours de la vie active

     La demanderesse a obtenu une indemnité au titre des frais de recyclage, ce qui comprend deux ans d'études supérieures qui devraient lui permettre de minimiser les risques auxquels elle serait exposée quant à la poursuite d'activités physiques. La demanderesse a également obtenu un montant qui lui permettra de prendre sa retraite cinq ans avant l'âge normal de la retraite. La preuve n'établit nullement que, dans ces circonstances, la demanderesse pourra travailler seulement quatre jours sur cinq. En conséquence, je n'accorde aucun montant pour ce chef de réclamation.

     Intérêts

     Conformément à l'entente exprimée par tous les avocats, l'indemnité accordée à l'égard des frais au titre des services de valeur portera des intérêts simples au taux de 7 % l'an depuis le 26 mai 1997.

     Total de l'indemnité

1.      Dommages-intérêts spéciaux      20 999,85 $
2.      Dommages-intérêts généraux
     1)      préjudice non financier              75 000,00 $
     2)      préjudice financier
         a)      frais de recyclage              50 725,80 $
         b)      frais au titre des
             services de valeur              103 740,00 $
         c)      perte de capacité
             de gain                  111 200,00 $
         d)      retraite prématurée              77 330,00 $
             Sous-total          417 995,80 $

Total      438 995,65 $

     Les défendeurs sont condamnés à verser à la demanderesse un montant de 438 995,65 $ ainsi que les dépens.

Procédure relative à tierce partie

     Les défendeurs cherchent à obtenir une ordonnance portant que la tierce partie est tenue de les indemniser de toutes les sommes qu'ils devront verser à la demanderesse.

     Le Margaret Elizabeth No. 1 est un bateau à coque d'acier servant à la pêche du hareng à la senne. Il est exploité sur les champs de pêche au large du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, depuis la baie de Fundy jusqu'au large du Cap-Breton. Il est la propriété de Vonndel II Fisheries Ltd., une entreprise familiale actuellement dirigée par Delma Doucette. L'exploitation du Margaret Elizabeth No. 1 est la seule entreprise de Vonndel II Fisheries Ltd.

     Le Margaret Elizabeth No. 1 a acquitté à la Couronne fédérale ses droits de mouillage établis par règlement, ce qui l'autorisait à accoster au quai de Beaver Harbour et à l'utiliser.

     Selon les défendeurs, la preuve établit que la tierce partie, ou ses représentants, connaissait ou aurait dû connaître le défaut du lampadaire et serait donc tenue d'indemniser les défendeurs.

     Les défendeurs considèrent que la tierce partie avait une obligation à leur endroit et que, en raison de l'omission de sa part de remplacer le lampadaire défectueux, de signaler la défectuosité ou d'aviser qu'elle n'avait pas pris de mesures pour s'assurer que les lampadaires étaient sans danger, elle est tenue d'indemniser les défendeurs pour tous frais que ces derniers devraient verser à la demanderesse.

     La tierce partie reconnaît qu'elle était propriétaire et exploitante du quai de Beaver Harbour.

     Le 21 juillet 1994, le Margaret Elizabeth No. 1 a accosté à Beaver Harbour pour changer de filet, puisque sa deuxième senne était entreposée sur le quai. Aux environs de 15 h, le changement de filet étant terminé, l'équipage a appareillé pour reprendre la mer.

     La partie du bateau qui a heurté le lampadaire est appelée la chèvre, une plate-forme faite de tuyaux d'acier qui pivote sur la tour tribord du bateau. Elle sert à hisser et à descendre la canalisation d'aspiration servant à pomper le poisson contenu dans la senne du bateau. La chèvre a heurté et renversé le lampadaire de béton sur le bord du muret du quai.

     Le lampadaire qui est tombé est le dernier d'une série qui bordait le quai et était raccordé par un câble à un feu de navigation situé à l'extrémité du quai. Le lampadaire était fait de béton massif avec armature d'acier. La tierce partie admet que le lampadaire était défectueux puisque les barres d'armature ne se prolongeaient pas dans la base.

     Delma Doucette, qui était à la barre au moment de l'accident, a confirmé que la chèvre était abaissée et qu'elle avait heurté le lampadaire sur le quai. À ce moment, le bateau dérivait latéralement en direction du quai. La chèvre a heurté le lampadaire à mi-hauteur. Le lampadaire a cassé à sa base et est tombé sur la demanderesse. M. Doucette a dit que les bateaux accostaient normalement de l'autre côté du quai, où il n'y a pas de lampadaires, mais que son bateau, comme d'autres, s'amarrait fréquemment de l'autre côté pour remplacer des sennes. Cela ne lui a jamais été interdit.

     M. Doucette reconnaît que la chèvre n'aurait pas dû être abaissée et qu'un membre de l'équipage avait oublié de la relever.

     Ronald Kennedy était le membre de l'équipage qui a demandé aux pêcheurs sur le quai, y compris la demanderesse, de rembobiner leurs lignes. Il a vu le lampadaire casser nettement et tomber. Il a dit que la chèvre qui a heurté le lampadaire n'était pas endommagée, sauf pour sa peinture à l'avant.

     Daniel MacPherson était membre de l'équipage du Margaret Elizabeth No. 1 lors de l'accident. Il a confirmé que l'équipage remplaçait les sennes. Il était à l'arrière du bateau et a vu le lampadaire et le feu de navigation tomber sur le quai. Avant cela, il n'a rien vu, rien ressenti et ne s'était pas aperçu que le bateau avait heurté quoi que ce soit. Il n'a pas vu le bateau heurter le lampadaire.

     L'avocat des défendeurs a lu des parties de l'interrogatoire préalable de deux agents de la Couronne, MM. Graham Frampton et Régis Doucet. La Direction des ports pour petites embarcations du ministère des Pêches et des Océans a pour mandat de construire, d'entretenir et d'exploiter les ports publics destinés à la pêche commerciale, y compris, depuis 1972, le quai de Beaver Harbour. M. Doucet convient qu'un lampadaire bien conçu aurait comporté une armature d'acier se prolongeant complètement dans sa base et que celui qui avait blessé la demanderesse ne répondait pas à cette norme. Il a également déclaré qu'à la suite de l'accident du 21 juillet 1994, les autres lampadaires ont été enlevés. On s'est alors rendu compte que l'armature de l'un d'eux ne se prolongeait pas jusque dans la base. Ces lampadaires avaient été fournis par l'entrepreneur qui a construit le quai. Leur conception, des poteaux de classe A tronqués de cinq pieds à l'extrémité, avait été approuvée par Travaux publics avant la soumission.

     Les défendeurs ont déposé en preuve un rapport d'ingénierie daté du 10 mai 1995 et préparé par James B. Holder, M.Eng. et ingénieur de l'étude Williamson, Estabrooks Engineering Ltd. M. Holder a été accepté comme expert dans le domaine de la conception des structures en béton. Il a examiné le quai une première fois au début de septembre 1994, après que les avocats des défendeurs ont retenu ses services.

     Son enquête et son analyse l'ont mené aux quatre conclusions suivantes :

         1.      L'armature du lampadaire en porte-à-faux se terminait à sa base, l'endroit où s'exerce la contrainte maximale de flexion.                 
         2.      Le lampadaire s'est cassé soudainement, d'une manière inattendue, à l'endroit où l'armature se terminait.                 
         3.      La terminaison de l'armature au point de flexion est en contravention du Code national du bâtiment du Canada 1965 et de la norme CSA S6-1966, Calcul des ponts-routes.                 
         4.      Compte tenu de la géométrie du quai ainsi que de la configuration et de la position du bateau, l'armature d'acier jusque dans la base, si elle avait été présente, aurait eu une ductilité suffisante pour empêcher la rupture brusque et catastrophique du lampadaire, empêchant ainsi toute blessure aux personnes se trouvant sur le quai.                 

     M. Holder a expliqué que la chèvre du navire ne pouvait déplacer le lampadaire que sur une distance horizontale maximale d'environ 50 mm à une certaine hauteur au-dessus de la base. Cette distance a été déterminée en mesurant la distance horizontale sur laquelle la chèvre dépassait du bateau. De cette mesure, il a soustrait la distance entre le mur de défense et le bord côté mer du lampadaire. Il s'agit là de la distance maximale sur laquelle le bateau aurait pu déplacer le lampadaire perpendiculairement à la longueur du quai, avant que le navire soit arrêté par le quai. La présence de ballons de défense de 900 mm de diamètre n'a pas été prise en considération dans ce calcul. Il a effectué ces calculs en se fondant sur l'hypothèse que le bateau était de niveau et que la hauteur des vagues était négligeable au moment de l'accident. La hauteur à laquelle s'est produit le choc était d'environ 2 760 mm au-dessus de la base du lampadaire (dessus de la traverse). Cela a été établi à partir des données qu'il avait demandées sur la hauteur des marées.

     Son rapport et ses conclusions sont fondés sur l'information suivante :

         (1)      Des visites au quai de Beaver Harbour pour mesurer la structure existante et pour inspecter le reste de la base du lampadaire en question.4                 
         (2)      L'examen du Code national du bâtiment du Canada 1965, de la norme CSA S6-1966, Calcul des ponts-routes et de manuels connexes de conception des ouvrages maritimes.                 
         (3)      Une visite du Margaret Elizabeth I pour mesurer différentes dimensions et pour interroger le pilote au moment de l'accident, M. Delma Doucette.                 
         (4)      Les données sur les intempéries et sur les marées à la date et à l'heure de l'accident.                 
         (5)      Des photographies du lampadaire démoli prises par la GRC sur le quai.                 

     Au moment de la préparation du rapport, ni les dessins techniques du quai ni les dessins d'atelier du lampadaire et du quai n'étaient disponibles pour examen.

     Lors du contre-interrogatoire, l'expert a reconnu que la conclusion no 4 n'était pas fondée sur la charge, mais bien sur la ductilité. Il a également admis que, si le bateau de pêche n'avait pas heurté le lampadaire, celui-ci serait probablement encore debout puisqu'il avait résisté au vent et aux intempéries depuis 27 ans. Il a également reconnu que les résultats de ses calculs pourraient varier si les hypothèses qu'il avait faites concernant les marées, la force du vent, la direction et la vitesse du bateau, la hauteur des vagues et d'autres mesures étaient différentes.

     La tierce partie a fait témoigner le constable Eric Larose de la GRC, qui a mené l'enquête le jour de l'accident. Il a identifié certaines photographies du quai qu'il avait prises le lendemain de l'accident et a confirmé qu'aucune accusation au criminel n'avait été portée et qu'il n'y avait aucune raison de penser que Delma Doucette était sous l'influence de l'alcool ou de drogues au moment de l'accident.

     Edward Spear, entrepreneur-électricien, a expliqué comment il a enlevé les cinq autres lampadaires en janvier 1995, à l'aide d'un camion-grue et d'un marteau-piqueur. Un des lampadaires, dont l'armature ne se prolongeait pas jusque dans la base, s'est cassé facilement, mais les autres ont plié et résisté et il a fallu les couper.

     Regis Doucet, ingénieur en génie civil de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, a décrit les inspections de routine qu'il a faites des cinquante quais de son district, y compris le quai de Beaver Harbour. Ces quais font l'objet d'une inspection une fois par an et souvent plus fréquemment. Les réparations mineures peuvent être effectuées à même un budget existant, tandis que les réparations majeures nécessitent une approbation budgétaire spéciale. Le quai de Beaver Harbour a subi une inspection majeure de ses pieux tubulaires en 1985 et de ses principaux composants en 1993. Aucune de ces inspections ne visait expressément les lampadaires. M. Doucet a inspecté les lieux après l'accident. Les autres lampadaires ont été retirés par mesure de précaution à la suite de l'accident. Il a dit qu'il ne s'inquiétait pas des fissures dans les poteaux.

     Charles Ponder, ex-ingénieur principal de la firme ADI Engineering, maintenant à la retraite, a participé à la conception et à la surveillance sur le chantier du quai de Beaver Harbour en 1964. L'entrepreneur était McNamara Construction. Les lampadaires ont été fabriqués par Jos. A. Likely Limited, de Saint John. Leur conception prévoyait que l'armature d'acier se prolonge sur toute la longueur du poteau. Toutefois, une fois les poteaux fabriqués, il n'y a aucun moyen d'inspecter l'intérieur. Le poteau a été inséré dans une ouverture carrée de 12 po. de côté et l'espace vide l'entourant a été rempli de coulis sans retrait. La durée de vie prévue du poteau était de 40 ans.

     M. Ponder a expliqué que le poteau a été raccourci de cinq pieds par rapport à sa longueur habituelle avant le coulage parce qu'il devait reposer sur un muret de défense de cinq pieds sur le quai. Cette longueur réduite est prévue par la norme CSA, qui traite spécifiquement des longueurs hors-tout maximales. Ce poteau n'excédait pas la longueur maximale permise. C'était un poteau standard raccourci de 5 pieds, c.-à-d. que le fabricant l'a coulé cinq pieds plus court que ce qui est indiqué sur le dessin de la CEENB (Commission d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick).

     M. Ponder a également déclaré que son contrat n'incluait pas l'inspection à l'usine et que, si une telle inspection avait été prévue, elle aurait été effectuée par Travaux publics Canada. En contre-interrogatoire, il a reconnu que, si un poteau de béton préfabriqué devait être inspecté, il le serait normalement par l'acheteur, soit Travaux publics. Il a également déclaré que le défaut provenait d'une erreur de Jos A. Likely Ltd., le fabricant. Il a ajouté qu'à son avis, il était facultatif d'inspecter les installations du fabricant et que les articles produits par une usine de béton préfabriqué ne sont pas nécessairement tous inspectés par l'acheteur.

     Ainsi, toute inspection des installations du fabricant serait effectuée par l'acheteur. Il n'a pas inspecté ces installations et ne sait pas si Travaux publics l'a fait. Il ne s'attendait pas à ce que l'acheteur soit présent pendant tout le processus de fabrication.

     Jos. A. Likely Limited était un fournisseur régulier de poteaux de classe A, comme ceux du quai, pour la Commission d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick. R.G. Likely, de Jos. A. Likely Limited, était membre du Comité CSA des poteaux de béton armé au moment de la fabrication des lampadaires.

     L'appendice B de la norme CSA 14.1 est intitulé "Privilège de l'acheteur". Une note explique que cet appendice ne fait pas partie intégrante de la norme. L'article B1 se lit comme suit :

             
         L'acheteur, ou son représentant, devrait, à toute heure raisonnable, avoir accès au lieu de fabrication des poteaux pour examen, échantillonnage, essais sur les matériaux employés et inspection de la fabrication.                 

     Cet appendice n'impose pas à l'acheteur l'obligation de surveiller la fabrication des poteaux.

     Denis Mitchell, docteur en génie et professeur à l'Université McGill, a été accepté comme expert dans la conception et le comportement des structures en béton et dans l'analyse des défaillances. Depuis 1989, il est président du Comité de la norme CSA A23.3, "Calcul des ouvrages en béton dans les bâtiments", et membre du Comité permanent du calcul des structures associé au Code national du bâtiment du Canada. Il a participé en tant qu'expert-conseil au projet de la tour du Stade olympique à Montréal.

     Son rapport, daté du 21 avril 1997, a été versé au dossier. Il se lit comme suit :

         RAPPORT SUR LA DÉFAILLANCE         
         D'UN POTEAU DE BÉTON À BEAVER HARBOUR         
         Le présent rapport succinct traite des problèmes techniques reliés à la défaillance d'un lampadaire à Beaver Harbour, le 21 juillet 1994 :                 
         1.      La terminaison de l'armature à la base du poteau, où le moment maximal se produit, constitue un défaut. Cette terminaison de l'armature à cet endroit est interdite par les normes de conception du Canada.                 
         2.      Les dessins et devis pour ce projet exigeaient la conformité aux règles de l'art.                 
         3.      Il n'est pas pratique courante de calculer un poteau de béton en prévision des chocs des navires.                 
         4.      Le défaut n'aurait pas été apparent à quiconque présent sur le chantier pendant la construction.                 
         5.      Au cours de ses 28 ans de service, le poteau n'a laissé voir aucun signe de ce défaut.                 
         6.      Les procédés habituels d'inspection du quai ne pouvaient révéler ce défaut.                 
         7.      Une photographie du poteau, prise le 18 mai 1994, un peu plus de deux mois avant l'accident, ne permet pas de déceler le défaut.                 

     Dans un rapport daté du 5 mai 1997 et versé au dossier, M. Mitchell corrobore les trois premières conclusions du rapport préparé par la firme Williamson, Eastabrook Engineering Ltd. et présenté en preuve par James B. Holder. Par contre, M. Mitchell exprimait certaines divergences par rapport à la dernière conclusion, qui se lit comme suit : [TRADUCTION] "Compte tenu de la géométrie du quai ainsi que de la configuration et de la position du bateau, l'armature d'acier jusque dans la base, si elle avait été présente, aurait eu une ductilité suffisante pour empêcher la rupture brusque et catastrophique du lampadaire, empêchant ainsi toute blessure aux personnes se trouvant sur le quai".

     Il a résumé ces divergences comme suit :

         [TRADUCTION]                 
         1.      La force globale pondérée du vent calculée à la page 46 du rapport est de 2,71 kN, soit une force horizontale d'environ 609 livres. Le choc d'un bateau jaugeant 369 tonnes brutes peut produire une force bien supérieure à 609 livres sur le lampadaire.                 
         2.      Le rapport contient certains calculs visant à démontrer que "l'armature d'acier jusque dans la base, si elle avait été présente, aurait eu une ductilité suffisante pour empêcher la rupture brusque et catastrophique du lampadaire". Bon nombre des hypothèses faites pour en arriver à cette conclusion sont contestables. ...                 
         Un certain nombre d'hypothèses importantes ont été posées, dont plusieurs à partir d'entrevues après l'accident, notamment les suivantes : que la vitesse du bateau était négligeable (aucune augmentation de la charge due au choc sur le poteau); que la chèvre a heurté le poteau tout à fait perpendiculairement au quai (aucun effet de torsion sur le poteau); que le bateau était de niveau (aucun roulis du bateau qui aurait pu donner beaucoup plus de force de choc et permettre un plus grand déplacement); que la hauteur des vagues était négligeable (une mer calme sur ce côté du brise-lames et donc pas de roulis du bateau); que le bateau a à peine touché le lampadaire (aucun effet de choc et faible effet de force). Le rapport ne traite pas de l'amplitude de la force de choc, en particulier à la lumière des photographies montrant les dommages au lampadaire de béton à proximité du trou de poing. Ces dommages ne sont pas expliqués dans le rapport.                 
         Le rapport traite d'une situation hypothétique où les barres d'armature iraient jusqu'au fond de la base du poteau de béton. La conclusion no 4 du rapport veut que "l'armature d'acier jusque dans la base, si elle avait été présente, aurait eu une ductilité suffisante pour empêcher la rupture brusque et catastrophique du lampadaire". Dans l'évaluation de cette situation hypothétique, le bateau, avec sa grande masse, aurait pu produire une force assez grande pour renverser le poteau. Par ailleurs, je ne peux écarter la possibilité de rupture brusque, comme une rupture en cisaillement dans la région du trou de poing, qui pourrait causer un effondrement soudain du poteau même dans cette situation hypothétique.                 

Conclusion

     La tierce partie n'était pas au courant du défaut du poteau. Les défendeurs plaident qu'elle aurait dû le savoir en faisant des inspections, soit au lieu de fabrication, soit au quai une fois les poteaux installés.

     J'accepte le témoignage du professeur Mitchell selon lequel le défaut du poteau était caché et n'aurait pu être décelé par les inspections habituelles sur le quai. Les fissures et les éclats de béton sur le lampadaire en cause et sur les autres lampadaires du quai étaient mineurs et ne réduisaient pas la résistance structurale du poteau. L'acier n'était pas apparent et il n'y avait aucun signe de corrosion. Son témoignage selon lequel les fissures et les éclats dans le béton n'étaient pas significatifs sur le plan de la résistance structurale est compatible avec toute la preuve.

     L'avis du professeur Mitchell selon lequel le défaut caché ne pouvait être décelé par une inspection ordinaire est confirmé par le fait que MM. Holder et Doucet, qui ont inspecté les autres lampadaires après l'accident, n'ont pas vu qu'un autre lampadaire était affecté du même défaut que celui qui est tombé sur la demanderesse.

     Les défendeurs soutiennent que la tierce partie avait l'obligation d'inspecter les poteaux pendant la construction. Aucun des témoins entendus n'a prétendu qu'il serait raisonnable pour l'acheteur de garder quelqu'un à l'usine pendant toute la fabrication. Les témoins ont convenu qu'une fois les poteaux fabriqués, l'armature est noyée dans le béton. Je ne vois rien dans la preuve qui pourrait laisser croire que l'acheteur aurait dû raisonnablement prévoir que le fabricant produirait des poteaux non conformes aux plans et devis. Le fabricant fournissait des poteaux de cette nature à la Commission d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick et l'un de ses propriétaires était membre du comité de la norme relative à ces poteaux. Bien que les normes permettent à l'acheteur, sur avis préalable, de se rendre à l'établissement du fabricant, je constate que l'acheteur n'est nullement tenu de le faire et que, même s'il l'avait fait, la défectuosité n'aurait pas nécessairement été décelée lors de cette visite.

     Le professeur Mitchell conteste la conclusion de M. Holder selon laquelle, s'il y avait eu une armature jusqu'à la base, le lampadaire aurait eu une ductilité suffisante pour empêcher l'effondrement. À l'instar du professeur Mitchell, j'admets que les normes pertinentes sont conçues en fonction de la résistance aux forces dues au vent et aux intempéries et non aux chocs d'un bateau. Si le bateau de pêche n'avait pas heurté le lampadaire, il est fort probable que ce dernier serait encore debout aujourd'hui.

     J'estime qu'il n'y a eu aucun manquement à l'obligation de prudence qu'avait la tierce partie envers les défendeurs.

     En conséquence, la procédure relative à tierce partie est rejetée et les défendeurs devront rembourser les frais s'y rapportant à la tierce partie.

                            

                                 Juge

Ottawa (Ontario)

10 juin 1997

Traduction certifiée conforme             

                                 Martine Guay, LL.L.

__________________

     1      J.A. Andrews et al c. Grand & Toy Alberta Ltd. et al, [1978] 2 R.C.S. 229.

     2      En réalité, l'accident est survenu le 21 juillet 1994.

     3      (1987), 82 N.B.R. (2d) 107, p. 123.

     4      Les propriétaires du Margaret Elizabeth No. 1 ont reçu l'ordre de retirer le lampadaire du quai à leurs propres frais. Il a été placé à bord du bateau de pêche et jeté à la mer en août 1994.

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