Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230628


Dossier : IMM-5553-22

Référence : 2023 CF 903

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 28 juin 2023

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

SHAKTI, Daanya MALHOTRA, lndu MALHOTRA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Shakti [le « demandeur principal »], son épouse Indu Malhotra et leur fille mineure Daanya Malhotra [collectivement, les « demandeurs »] sont des citoyens de l’Inde.

[2] Selon l’exposé circonstancié du formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA], le demandeur principal s’est livré à diverses activités qui ont suscité la colère d’autorités indiennes, de trafiquants de drogue et de leurs hommes de main. Dans son formulaire FDA, le demandeur principal a déclaré qu’il avait lancé un club d’aide sociale pour les jeunes en 2016 afin d’aider les membres du quartier appartenant à des castes inférieures à déposer des documents auprès de différents ministères. Les demandeurs ont également déclaré que la police les avait interrogés et torturés en raison du soutien apporté par le demandeur principal à une femme qui avait travaillé chez lui après qu’elle eut été agressée par des hommes non identifiés, au motif que l’époux de cette dernière aurait été impliqué dans des activités terroristes musulmanes. Lors de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés [la SPR], le demandeur principal a déclaré qu’il s’était également exprimé ouvertement contre les bandits de la collectivité qui vendaient de la drogue, harcelaient les membres de la collectivité et leur extorquaient de l’argent, et que c’était la principale raison menant à sa persécution.

[3] Le demandeur principal a fui l’Inde et est arrivé au Canada en décembre 2017, suivi par son épouse et sa fille quelque temps après la remise en liberté de son épouse par la police en mars 2018. Les demandeurs ont présenté une demande d’asile en juin 2018.

[4] La SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs en février 2022 pour des motifs de crédibilité. Dans sa décision datée du 25 mai 2022 [la décision], la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé les conclusions en matière de crédibilité et la décision de la SPR selon laquelle les demandeurs n’ont ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[5] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision est raisonnable, et je rejetterai la demande.

II. Question à trancher et norme de contrôle

[6] La seule question à trancher est celle de savoir si les conclusions tirées par la SAR en matière de crédibilité étaient déraisonnables à la lumière de la preuve dont elle disposait.

[7] Les parties conviennent que la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[8] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif pertinent, du dossier dont le décideur était saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes touchées par ses conséquences : Vavilov, aux para 88-90, 94 et 133-135.

[9] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes : Vavilov, au para 100. Les erreurs que comporte une décision ou les doutes qu’elle soulève ne justifient pas tous une intervention. Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui‑ci : Vavilov, au para 125. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure » : Vavilov, au para 100.

III. Analyse

[10] Les demandeurs contestent principalement la conclusion de la SAR concernant leur omission d’avoir mentionné le militantisme antidrogue du demandeur principal dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA. La SPR et la SAR ont interprété l’allégation des demandeurs comme une affirmation selon laquelle ces activités antidrogue ont motivé les auteurs du préjudice à cibler le demandeur principal. Interrogé sur cette omission lors de l’audience devant la SPR, le demandeur principal a fait valoir que son utilisation du mot [traduction] « social » incluait son militantisme contre les drogues illicites. La SPR et la SAR n’ont pas jugé que cette explication était raisonnable.

[11] La SAR a été plutôt d’accord avec la SPR que l’omission dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA de l’allégation selon laquelle le militantisme antidrogue du demandeur principal avait motivé les auteurs du préjudice, a considérablement miné la crédibilité des demandeurs, étant donné qu’il s’agissait de l’activité même qui avait donné lieu à la persécution. De plus, la SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle l’omission des premiers cas de harcèlement par la police dans le formulaire FDA minait la crédibilité des demandeurs, mais elle a estimé que cette omission n’était pas déterminante en soi.

[12] Les demandeurs prétendent maintenant devant la Cour que la SAR a mal interprété la preuve pour en arriver à sa conclusion. Ils soutiennent qu’un examen attentif de l’exposé circonstancié du formulaire FDA du demandeur principal, lu dans son intégralité, révèle que le militantisme antidrogue n’a pas été omis, car il est clair que le demandeur principal se livrait à une lutte contre les hommes de main qui vendaient également de la drogue, et donc que le demandeur principal militait activement contre la drogue.

[13] Les demandeurs soulignent l’extrait suivant de leur exposé circonstancié :

[traduction]

Parallèlement, nous avons lutté contre les hommes de main qui percevaient des paiements de protection (goonda tax) et harcelaient les gens, y compris les femmes. Nous avons également appris qu’ils vendaient de la drogue dans la région et que la population avait peur d’eux.

[14] Ainsi, les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SPR et de la SAR, selon laquelle la participation du demandeur principal à des activités antidrogue a été omise, est déraisonnable. En se fondant sur la définition du mot anglais « omit » [omettre] dans le dictionnaire en ligne Merriam Webster, les demandeurs soutiennent que la participation du demandeur principal dans la lutte contre la drogue n’a pas été exclue ou laissée de côté dans son exposé circonstancié, puisqu’elle a été mentionnée, mais pas de façon détaillée.

[15] Je rejette les arguments des demandeurs pour les motifs qui suivent.

[16] Premièrement, je souligne que la SAR a examiné le passage cité ci-dessus tiré de l’exposé circonstancié des demandeurs et a noté que, le demandeur principal « mentionne bel et bien qu’il y a de la drogue et des trafiquants de drogue dans sa collectivité, mais il n’affirme nulle part dans ses documents écrits avoir été pris pour cible en raison de son militantisme contre les drogues ». Les demandeurs n’ont relevé aucune erreur susceptible de contrôle en ce qui a trait à cette conclusion, mais ont seulement réitéré que le demandeur principal, dans son exposé circonstancié lu intégralement, a fait mention de son militantisme contre les hommes de main qui vendaient de la drogue, et qu’il a donc participé à la lutte contre la drogue. Comme le souligne le défendeur, l’argument des demandeurs ne remet pas en cause le caractère raisonnable de l’analyse de la SAR, mais revient à demander à la Cour de procéder à un contrôle selon la norme de la décision correcte.

[17] Deuxièmement, je conclus que les affaires invoquées par les demandeurs se distinguent de l’espèce quant aux faits.

[18] Les demandeurs s’appuient sur la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Chen, 2004 CF 1403 [Chen], dans laquelle la SPR avait accepté les explications de la demanderesse concernant les incohérences et les omissions entre son témoignage de vive voix et son exposé circonstancié : au para 14. En examinant la décision, la Cour a confirmé les conclusions de la SPR, soulignant qu’elle avait d’autres motifs lui permettant de conclure de manière raisonnable que la demanderesse était un témoin honnête et crédible malgré les incohérences et les omissions; ces motifs comprenaient la prise en compte par la SPR de son comportement, de son jeune âge, de son incapacité de parler l’anglais, de sa longue détention et de son anxiété générale : Chen, au para 14.

[19] Comme le fait valoir le défendeur, et j’en conviens, l’essentiel de la décision Chen est qu’il faut faire preuve de déférence à l’égard du décideur qui tire une conclusion en matière de crédibilité, qu’elle soit favorable ou défavorable.

[20] En outre, l’affaire Chen se distingue de la présente affaire sur plusieurs autres aspects. En l’espèce, hormis une brève référence au fait qu’il vivait dans la peur et qu’il avait peut-être oublié certains détails, le demandeur principal n’a présenté aucune preuve médicale attestant qu’il avait des troubles de mémoire au moment de préparer le formulaire FDA, et il n’a mentionné aucune autre considération susceptible d’atténuer les doutes de la SAR quant à sa crédibilité.

[21] Par ailleurs, contrairement à Chen, la décision n’était pas fondée uniquement sur l’omission susmentionnée, mais sur l’ensemble des conclusions défavorables quant à la crédibilité. Par exemple, la SAR a examiné divers documents à l’appui présentés par les demandeurs qui minaient, selon elle, leur crédibilité. Elle a également conclu qu’un rapport médical expliquant le traitement reçu par le demandeur principal après son agression n’était pas authentique, car ce rapport ne mentionnait pas les traitements importants que le demandeur principal avait déclaré avoir reçus. Enfin, la SAR a conclu que deux citations à comparaître présentées par les demandeurs n’étaient pas authentiques selon la preuve sur les conditions dans le pays, qui expliquait le processus de délivrance des citations à comparaître et la forme qu’elles devaient prendre. Les demandeurs ne contestent aucune de ces autres conclusions quant à la crédibilité dans la présente demande.

[22] Les demandeurs ont également invoqué la décision Veres c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst), [2001] 2 CF 124 [Veres], dans laquelle la Cour a confirmé que toute omission dans un exposé circonstancié du formulaire FDA doit être évaluée dans les circonstances entourant l’omission : au para 25. J’estime que les demandeurs se fondent sur Veres à tort, car les principes juridiques énumérés dans cette affaire portent principalement sur les cas où un demandeur n’a pas présenté de preuve principale, et où une omission est révélée lors de son contre-interrogatoire : au para 25.

[23] Enfin, l’affaire Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 694 se distingue de la présente affaire, car la SPR et la SAR ont toutes deux en l’espèce fourni une analyse et se sont penchées expressément sur les explications du demandeur principal concernant les omissions dans son formulaire FDA.

[24] Devant moi, les demandeurs ont également fait valoir que la conclusion de la SAR concernant leur omission d’avoir mentionné le militantisme antidrogue était si importante qu’elle pouvait avoir influencé toutes les autres conclusions en matière de crédibilité tirées par la SAR. Ils ont en outre fait valoir que, même si d’autres doutes en matière de crédibilité auraient pu être jugés raisonnables, cette seule erreur concernant l’omission était si grave qu’elle rendait la décision déraisonnable dans son ensemble.

[25] Je rejette ces arguments supplémentaires. La SAR a clairement indiqué que ses conclusions en matière de crédibilité ne reposaient pas uniquement sur l’omission d’avoir mentionné le militantisme antidrogue, mais également sur plusieurs incohérences et doutes, qui n’ont pas été contestés, concernant la fiabilité de la preuve documentaire présentée par les demandeurs. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les conclusions non contestées suffisent à elles seules à étayer la décision. Je reconnais également que, si la SAR a jugé que l’omission du harcèlement par la police n’était pas déterminante, cela ne signifie pas que toutes les autres conclusions défavorables en matière de crédibilité ne l’étaient pas non plus.

[26] En conclusion, les demandeurs ont omis de soulever plusieurs autres conclusions importantes en matière de crédibilité, à l’exception de l’omission des premiers cas de harcèlement par la police que la SAR a jugé non déterminante. Ils n’ont pas démontré l’existence d’une erreur susceptible de contrôle dans la conclusion de la SAR relative à l’omission d’avoir mentionné des activités antidrogue dans leur formulaire FDA. Par conséquent, je conclus qu’il était raisonnable pour la SAR de tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité en raison de l’omission d’un élément que le demandeur principal a déclaré comme étant une activité principale ayant mené à ses problèmes en Inde.

IV. Conclusion

[27] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[28] Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5553-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Avvy Yao‑Yao Go »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIER :

IMM-5553-22

INTITULÉ :

SHAKTI, DAANYA MALHOTRA, INDU MALHOTRA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 juin 2023

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE GO

DATE DES MOTIFS :

Le 28 juin 2023

COMPARUTIONS :

Alaa Abu‑Hijleh

Pour les demandeurs

Zofia Rogowska

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alaa Abu‑Hijleh

Blanshay Law

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.