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Date : 20230609


Dossier : IMM-2658-23

Référence : 2023 CF 821

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

ROLANDO SERAFIN PARUNGAO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Rolando Serafin Parungao, a déposé une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada qui avait été prise contre lui et qui doit avoir lieu le 12 juin 2023.

[2] Le demandeur implore la Cour de surseoir à son renvoi aux Philippines jusqu’à ce qu’une décision soit rendue quant à une demande sous-jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue le 25 janvier 2023 par un agent principal (l’agent) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) à l’issue d’un examen des risques avant renvoi (ERAR).

[3] Pour les motifs qui suivent, la requête sera rejetée. Le demandeur ne satisfait pas au critère à trois volets qui doit être respecté pour que soit accordé un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi.

I. Les faits et la décision sous‑jacente

[4] Le demandeur est un citoyen des Philippines âgé de 39 ans.

[5] Le demandeur est arrivé au Canada le ou vers le 23 avril 2019 muni d’un visa temporaire et d’un permis de travail. Le 20 novembre 2020, il a été arrêté et détenu jusqu’au 5 octobre 2021, date à laquelle il a été déclaré coupable des infractions suivantes prévues au Code criminel, LRC 1985, c C-46 (le Code), pour des incidents survenus en juin, en septembre et en novembre 2020 : port d’arme dans un dessein dangereux (art 88 du Code); désarmer un agent de la paix (art 270.1(2) du Code); omission de se conformer à une promesse (art 145(4)a) du Code); étouffement (art 267c) du Code). Le demandeur a été condamné à une peine de détention présentencielle de neuf mois pour chacune de ces infractions.

[6] Le 17 mars 2022, le demandeur a présenté une demande d’asile, mais il a été jugé interdit de territoire pour cause de criminalité. L’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) lui a fourni un formulaire de demande d’ERAR. Dans sa demande d’ERAR, le demandeur a allégué que sa vie serait en danger s’il retournait aux Philippines, parce qu’il s’était incriminé en publiant sur les médias sociaux des photos où on le voyait fumer du cannabis et afficher son appui à l’utilisation de ce produit. Il a soutenu que cela l’expose à un risque de persécution aux mains du gouvernement, lequel cible activement les personnes qui consomment et qui distribuent de la drogue, comme le cannabis. Le 25 janvier 2023, l’agent a rendu une décision défavorable relativement à la demande d’ERAR.

[7] L’ASFC a convoqué le demandeur à des entrevues préalables au renvoi les 26 avril et 15 mai 2023, et elle lui a remis une directive lui enjoignant de se présenter pour son renvoi. Le demandeur a demandé à l’ASFC de reporter son renvoi, mais celle-ci a refusé dans une décision datée du 12 juin 2023.

II. Analyse

[8] Le critère à trois volets régissant l’octroi d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi est bien établi : Toth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302 (CAF) (Toth); Manitoba (P.G.) c Metropolitan Stores Ltd., 1987 CanLII 79 (CSC), [1987] 1 RCS 110 (Metropolitan Stores Ltd.); RJR-MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 RCS 11 (RJR-MacDonald); R c Société Radio-Canada, 2018 CSC 5 (CanLII), [2018] 1 RCS 196.

[9] Le critère énoncé dans l’arrêt Toth est conjonctif, en ce sens que, pour qu’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi lui soit accordé, le demandeur doit établir : i) que la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente soulève une question sérieuse; ii) qu’un préjudice irréparable sera causé s’il est renvoyé; iii) que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis.

A. L’existence d’une question sérieuse

[10] Dans l’arrêt RJR‑MacDonald, la Cour suprême du Canada a conclu que, pour trancher la question de savoir si le premier volet du critère a été respecté, il faut procéder à « un examen extrêmement restreint du fond de l’affaire » (RJR‑MacDonald, à la p 314). La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’exécution est celle de la décision raisonnable (Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81 (CanLII), [2010] 2 RCF 311 au para 67).

[11] En ce qui a trait au premier des trois volets du critère, le demandeur soutient que la demande sous-jacente soulève des questions sérieuses à propos du caractère raisonnable de la décision défavorable rendue par l’agent relativement à sa demande d’ERAR, notamment en ce qui concerne l’examen que celui-ci a fait de la preuve fournie à l’appui de sa demande.

[12] Le défendeur fait valoir qu’il n’y a pas de question sérieuse à trancher parce que l’agent a raisonnablement évalué la demande d’ERAR, au regard des faits et de la preuve.

[13] Après avoir examiné les documents de requête des parties et la décision sous‑jacente, je conviens qu’il existe une question sérieuse à trancher. La demande de contrôle judiciaire sous-jacente soulève des questions suffisamment sérieuses concernant l’évaluation que l’agent a faite de la preuve fournie à l’appui de la demande d’ERAR du demandeur pour satisfaire au premier volet du critère établi dans l’arrêt Toth.

B. L’existence d’un préjudice irréparable

[14] Pour satisfaire au deuxième volet du critère, le demandeur doit démontrer qu’il subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé. Le terme « irréparable » n’a pas trait à l’étendue du préjudice; le préjudice irréparable désigne plutôt un préjudice auquel il ne peut être remédié ou qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire (RJR‑MacDonald, à la p 341). La Cour doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice n’est pas hypothétique, mais elle n’a pas à être convaincue que le préjudice sera causé (Xu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 746; Horii c Canada(C.A.), [1991] ACF no 984, [1992] 1 CF 142 (CAF)).

[15] Le demandeur affirme qu’il subirait un préjudice irréparable s’il était renvoyé aux Philippines. Il soutient qu’il risque d’y être persécuté, parce qu’il s’est incriminé sur les médias sociaux en s’affichant comme un consommateur de cannabis et un partisan de son utilisation. Il ajoute que les questions sérieuses dans la décision sous-jacente concernant l’ERAR équivalent à une conclusion que le renvoi entraînerait un préjudice irréparable.

[16] Le défendeur fait valoir que l’existence d’un préjudice irréparable n’a pas été établie en l’espèce. Il souligne que, pour établir l’existence d’un préjudice irréparable, le demandeur se fonde sur les mêmes allégations de risque qui ont déjà été évaluées de façon adéquate par l’agent dans le cadre de la demande d’ERAR. Le défendeur soutient qu’une conclusion selon laquelle il existe une question sérieuse à trancher ne veut pas automatiquement dire qu’il y a un préjudice irréparable, et que le demandeur n’a pas fourni de preuve claire et non conjecturale qu’il serait exposé à un risque s’il était renvoyé aux Philippines.

[17] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il n’y a pas de préjudice irréparable en l’espèce. Tout d’abord, les allégations de risque qui ont déjà été évaluées par un juge des faits compétent ne peuvent servir de fondement pour établir l’existence d’un préjudice irréparable dans une requête en sursis (Jean c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 593 au para 56). Ensuite, l’argument du demandeur selon lequel une conclusion de question sérieuse à trancher entraîne une conclusion de préjudice irréparable n’est pas fondé en l’espèce. Le demandeur doit quand même fournir une preuve du préjudice irréparable dans un volet distinct du critère applicable au sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, et il ne l’a pas fait.

C. La prépondérance des inconvénients

[18] Le troisième volet du critère suppose l’appréciation de la prépondérance des inconvénients — qui consiste à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond (RJR‑MacDonald, à la p 342; Metropolitan Stores, à la p 129). Il a parfois été dit que, « [l]orsque la Cour est convaincue que l’existence d’une question sérieuse et d’un préjudice irréparable a été établie, la prépondérance des inconvénients militera en faveur du demandeur » (Mauricette c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 420 (CanLII) au para 48). Toutefois, la Cour doit également tenir compte de l’intérêt public à ce que le système d’immigration soit administré de façon adéquate.

[19] Le demandeur soutient que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. Il fait valoir que le risque de préjudice auquel il serait exposé à son retour aux Philippines l’emporte sur l’inconvénient que représente pour le défendeur l’incapacité d’exécuter la mesure de renvoi.

[20] L’insuffisance de la preuve de l’existence d’un préjudice irréparable est déterminante quant à l’issue de la présente requête. Néanmoins, la prépondérance des inconvénients joue en faveur du défendeur, particulièrement compte tenu des antécédents criminels du demandeur. Selon le paragraphe 48(2) de la LIPR, les mesures de renvoi doivent être exécutées dès que possible. Comme la preuve est insuffisante pour établir l’existence d’un préjudice irréparable, la prépondérance des inconvénients favorise l’exécution de l’ordonnance de renvoi rapidement par le ministre.

[21] En définitive, le demandeur ne satisfait pas au critère à trois volets qui doit être respecté pour que soit accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. La requête sera donc rejetée.


ORDONNANCE dans le dossier IMM-2658-23

LA COUR ORDONNE QUE la requête en sursis de la mesure de renvoi visant le demandeur est rejetée.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2658-23

 

INTITULÉ :

ROLANDO SERAFIN PARUNGAO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JUIN 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 JUIN 2023

 

COMPARUTIONS :

Sina Ogunleye

 

Pour le demandeur

 

Nicole Paduraru

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sina Ogunleye

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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