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Date : 20230621

Dossier : IMM-8775-22

Référence : 2023 CF 873

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 juin 2023

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE:

PAOLA CAMILLE VERGEL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 31 août 2022 par laquelle un agent d’immigration [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a refusé la demande de permis de travail de la demanderesse au motif que la demande ne répondait pas aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement].

[2] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que la demanderesse a démontré que la décision de l’agent était déraisonnable ou qu’elle a été privée de son droit à l’équité procédurale. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Contexte

[3] La demanderesse est une citoyenne des Philippines âgée de 34 ans. CVH (No. 3) LP, faisant affaire sous le nom de Maple View et Southbridge Owen Sound [Southbridge], voulait embaucher la demanderesse en tant que fournisseuse de soins personnels dans l’un de ses foyers de soins de longue durée. Le 16 mai 2022, Southbridge a obtenu une étude d’impact sur le marché du travail [l’EIMT] favorable pour l’emploi de la demanderesse.

[4] Le 28 juin 2022, la demanderesse a présenté depuis l’étranger sa demande de permis de travail fondée sur l’EIMT, ainsi qu’une demande visant à obtenir un permis de travail ouvert pour son époux qui l’accompagnerait et un visa pour son enfant à charge. À l’époque, la demanderesse résidait (depuis dix ans) en Arabie saoudite, où elle travaillait en tant qu’infirmière autorisée au service de pédiatrie de l’hôpital mère-enfant de ce pays.

[5] Dans une lettre datée du 31 août 2023, la demanderesse a été informée qu’il avait été jugé que sa demande ne répondait pas aux exigences de la LIPR et du Règlement. Plus précisément, elle a été informée que sa demande de permis de travail et les demandes connexes de son époux et de son enfant avaient été refusées pour les motifs suivants :

[traduction]

· Votre statut d’immigrante à l’extérieur de votre pays de nationalité ou de résidence habituelle.

· Vous avez des liens familiaux solides au Canada.

· Le salaire ou les avantages indiqués dans votre offre d’emploi ainsi que vos actifs et votre situation financière sont insuffisants pour financer le but déclaré de votre propre voyage (et de celui de tout membre de la famille qui vous accompagnerait, le cas échéant).

[6] Les notes de l’agent dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC], qui font partie des motifs de sa décision, indiquent ce qui suit :

[traduction]

Femme, PHL, 33 ans, mariée. Époux PTO et 1 enfant mineur acc. PdV : EIMT pour fournisseur de soins personnels - salaire horaire 18,43 $CAN. Formation antérieure indiquée - LdI au baccalauréat en sciences infirmières aux PHL fournie - DP employée en tant que spécialiste en soins infirmiers depuis 2019. LdI dans le dossier. Expérience préalable notée. CV dans le dossier. Contrat de travail au Cda dans le dossier - valable 2 ans et signé par la DP. Niveau de compétence C (CNP 3413) - tâches principales mentionnées dans le contrat de travail. CP du SAU et des PHL dans le dossier. Fonds 2 000 SAR (environ 666 $CAN), examens médicaux réussis. La demanderesse a peu de liens avec son PdR/PdN. Au vu des éléments de preuve, la demandeure n’a pas démontré [qu’]elle possède des actifs suffisants pour pouvoir s’établir au Cda en tant que famille, ce qui rendrait cette dépense déraisonnable, et elle n’a pas non plus établi l’existence de liens suffisants pour l’obliger à quitter le pays à la fin de la période autorisée. Refusée.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[7] La présente demande soulève les deux questions suivantes : i) La décision de l’agent de refuser la demande de permis de travail était‑elle raisonnable? ii) La demanderesse a-t-elle été privée de son droit à l’équité procédurale?

[8] En ce qui concerne la première question, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris son raisonnement et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 15, 85]. La Cour n’interviendra que si elle est convaincue que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence [voir Adeniji-Adele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 418 au para 11].

[9] En ce qui a trait à la deuxième question, les manquements à l’équité procédurale dans le contexte administratif sont considérés comme étant assujettis à la norme de la décision correcte ou à un « exercice de révision […] “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » [voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54]. L’obligation d’équité procédurale est « éminemment variable », intrinsèquement souple et tributaire du contexte. Elle doit être déterminée eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker [voir Vavilov, précité, au para 77]. La cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances [voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), précité, au para 54].

III. Analyse

A. La décision de l’agent était raisonnable

[10] La demanderesse affirme que l’agent a commis trois erreurs qui rendent sa décision déraisonnable.

[11] Premièrement, la demanderesse soutient que la décision de l’agent ne concorde pas avec les notes versées dans le SMGC, puisque la lettre de décision indique que l’un des motifs de refus de son permis de travail était ses liens familiaux solides au Canada, alors que le SMGC ne fournit aucun raisonnement quant aux liens familiaux. En l’absence de tout motif et étant donné qu’elle n’a aucun membre de sa famille au Canada, la demanderesse affirme que la décision de l’agent est inintelligible et incohérente et qu’elle doit être erronée. Je rejette cet argument. L’époux et l’enfant de la demanderesse ont l’intention de l’accompagner au Canada et, par conséquent, elle a également demandé un permis de travail ouvert pour son époux et un permis de séjour temporaire pour son enfant. L’agent a expressément indiqué dans les notes du SMGC que la demanderesse est mariée et que son époux et son enfant ont l’intention de l’accompagner au Canada. Je suis donc convaincue que les notes de l’agent dans le SMGC justifient la conclusion selon laquelle la demanderesse a des liens familiaux solides au Canada. De plus, notre Cour a reconnu qu’un agent peut raisonnablement considérer la présence des membres de la famille immédiate d’un demandeur au Canada comme l’un des nombreux facteurs à prendre en compte [voir Sayyar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 494 au para 15].

[12] Deuxièmement, la demanderesse soutient que l’agent n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve relative à la rémunération et aux actifs financiers insuffisants. La demanderesse affirme que l’agent disposait des éléments de preuve suivants : a) son bas salaire était dans une mesure permise inférieur au salaire médian dans le Guichet emplois pour la CNP 3413; b) son employeur s’est engagé à lui trouver un logement abordable; c) son employeur a payé les dépenses liées à ses voyages à destination et en provenance du Canada; et d) elle était financièrement capable de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille au Canada, tant à court qu’à long terme. En conséquence, la demanderesse affirme que la décision de l’agent selon laquelle sa rémunération et ses actifs financiers étaient insuffisants était déraisonnable.

[13] Je rejette cet argument. Il convient de prendre en compte la preuve relative aux biens personnels et à la situation financière lorsqu’il s’agit d’apprécier si un demandeur va quitter le Canada au terme de son séjour [voir Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1107 au para 17]. Dans les notes du SMGC, l’agent a indiqué le salaire horaire de la demanderesse et a souligné le fait qu’elle disposait de fonds totalisant seulement 666 $CAN avant de conclure que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle possédait des actifs suffisants pour s’établir en tant que famille au Canada. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion, en particulier en l’absence de toute preuve que le coût du logement même et les frais de voyage de l’époux et de l’enfant de la demanderesse seraient couverts par son employeur.

[14] Troisièmement, la demanderesse soutient que l’agent a conclu de manière déraisonnable qu’elle ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour, malgré les éléments de preuve suivants : a) elle a satisfait à toutes les exigences en matière d’immigration en tant que résidente temporaire en Arabie saoudite pendant dix ans; b) elle a des liens étroits avec l’Arabie saoudite et les Philippines; et c) elle a expressément déclaré qu’elle quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée. Je rejette aussi cet argument. Étant donné que la demanderesse a vécu à l’extérieur des Philippines au cours des dix dernières années, la conclusion de l’agent selon laquelle elle [traduction] « a peu de liens avec son PdR/PdN » n’est pas déraisonnable, un facteur (parmi les autres mentionnés ci-dessus) ayant conduit l’agent à déclarer qu’il n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée. En outre, la demanderesse n’a fait mention d’aucune preuve de ses liens avec l’Arabie saoudite (son pays de résidence) qui, selon elle, n’a pas été examinée par l’agent et la demanderesse ne semble pas avoir de liens familiaux ou autres en Arabie saoudite (à part son emploi antérieur et un emploi éventuel). En conséquence, je conclus que l’agent pouvait raisonnablement conclure qu’elle avait également peu de liens avec l’Arabie saoudite.

B. La demanderesse n’a pas été privée de son droit à l’équité procédurale

[15] La demanderesse soutient que la divergence entre les notes du SMGC et la lettre de décision et le fait que l’agent n’a pas pris en compte l’ensemble des éléments de preuve concernant ses liens avec son pays de résidence/nationalité ainsi que sa rémunération et ses actifs portent atteinte à son droit à l’équité procédurale. Cette allégation est liée aux arguments avancés par la demanderesse sur le caractère raisonnable de la décision de l’agent.

[16] Je ne suis pas convaincue que la demanderesse a démontré que l’agent n’a pris en compte aucun des éléments de preuve qu’elle avait présentés dans le cadre de sa demande de permis de travail, et je ne suis pas non plus convaincue (pour les motifs mentionnés ci-dessus) qu’il y avait une divergence entre les notes du SMGC et la lettre de décision. L’obligation d’équité procédurale envers la demanderesse se situait à l’extrémité inférieure du continuum [voir Yuzer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 781 au para 16] et je ne suis pas convaincue que la demanderesse a démontré un quelconque manquement à cette obligation.

IV. Conclusion

[17] Étant donné que la demanderesse n’a pas démontré que la décision de l’agent était déraisonnable ou qu’elle a été privée de son droit à l’équité procédurale, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[18] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-8775-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Mandy Aylen »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8775-22

 

INTITULÉ :

PAOLA CAMILLE VERGEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 JUIN 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 juin 2023

 

COMPARUTIONS :

Khatidja Moloo-Alam

Pour la demanderesse

Eli Lo Re

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green and Spiegel LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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