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Date : 20230623


Dossier : IMM-7878-22

Référence : 2023 CF 886

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2023

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

YASHAR MEHRJOO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Yashar Mehrjoo, est un citoyen de l’Iran qui a présenté une demande de permis d’études pour fréquenter l’Université Fairleigh Dickinson à Vancouver, en Colombie‑Britannique. Il a été admis à la maîtrise en sciences de l’administration, concentration en gestion internationale de la technologie. Il détient déjà une maîtrise en génie des technologies de l’information, qu’il a obtenue en 2017.

[2] La demande de permis d’études du demandeur a été rejetée au motif que le but de sa visite n’était pas conciliable avec un séjour temporaire. En d’autres mots, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour, comme le requiert l’alinéa 216(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227. L’agent a conclu que le programme envisagé était redondant et ne semblait pas constituer une suite logique au cheminement professionnel du demandeur étant donné ses études antérieures et sa carrière actuelle. Compte tenu des documents présentés ainsi que de la scolarité, de la formation et de l’expérience du demandeur, l’agent craignait que ce dernier ne poursuive des études au Canada uniquement dans le but d’y entrer pour des motifs qui ne sont pas conciliables avec un séjour temporaire.

[3] Le demandeur fait valoir que la décision de l’agent est déraisonnable, puisque sa demande satisfait à toutes les exigences prévues par la loi et qu’elle révèle une intention de quitter le Canada à la fin du séjour autorisé. Il fait aussi valoir que l’agent a manqué aux principes d’équité procédurale en ne motivant pas adéquatement sa décision, en concluant à tort que son projet d’études était redondant et en ne lui permettant pas de répondre aux réserves formulées à son égard. Le demandeur soutient que l’agent a jugé que les nombreux facteurs d’attraction jouaient en sa défaveur. Enfin, il soutient que l’agent a outrepassé son pouvoir en concluant que son projet d’études était redondant et qu’il a agi de manière injustifiée en tant que conseiller d’orientation professionnelle.

[4] Le défendeur insiste sur le fait qu’il incombait au demandeur d’établir le but de sa visite en fournissant suffisamment de renseignements sur le programme d’études envisagé et ses avantages ainsi que sur la façon dont celui‑ci se distingue des autres programmes qu’il a terminés ou les complète. Le défendeur souligne que le demandeur n’a fourni aucune précision sur l’utilité du programme d’études envisagé à la lumière de ses études antérieures et de son expérience professionnelle. Selon le défendeur, il n’appartenait pas à l’agent de combler les lacunes de la demande. Par conséquent, le défendeur soutient que la décision de l’agent est raisonnable.

[5] Après avoir examiné le dossier et les observations des parties, je ne suis pas convaincue qu’il y a un fondement justifiant l’intervention de la Cour. Pour les motifs exposés ci‑après, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Analyse

[6] La norme de contrôle applicable à la décision sur le fond de l’agent est celle de la décision raisonnable, comme elle est énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Il incombe au demandeur de convaincre la Cour « que la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, au para 100). Dans la décision Lingepo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 552, la juge Roussel présente de manière concise la norme de contrôle applicable aux décisions relatives à une demande de permis d’études :

[13] La norme de contrôle applicable à la révision d’une décision d’un agent des visas refusant une demande de permis d’étude[s] est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16‑17 [Vavilov]; Nimely c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 282 au para 5 [Nimely]; Hajiyeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 71 au para 6). S’il n’est pas nécessaire qu’une décision comporte des motifs exhaustifs pour être jugée raisonnable étant donné la pression considérable que subissent les agents des visas pour rendre un grand nombre de décisions chaque jour, la décision doit tout de même être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Elle doit aussi posséder « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov, au para 99).

[7] Il incombe à la personne qui demande un permis d’études de convaincre l’agent des visas qu’elle quittera le Canada à la fin du séjour autorisé (Penez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1001 [Penez] au para 10). Les agents des visas jouissent d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour apprécier la preuve et déterminer si cette exigence est respectée, et la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de leurs décisions (Penez, au para 10; Nimely c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 282 au para 7).

[8] En l’espèce, le demandeur a présenté la lettre d’admission de l’université, une preuve de paiement du dépôt exigé, une preuve de ses ressources financières, une preuve de l’existence de proches parents en Iran, une preuve d’emploi actuel ainsi que son projet d’études. Le demandeur fait valoir qu’il a rempli toutes les exigences pour la délivrance d’un permis d’études et donc que l’agent, en décidant de rejeter sa demande, a fait fi des exigences prévues par la loi. Le demandeur souhaiterait savoir quels documents étaient requis pour répondre aux exigences, si ceux qu’il a présentés ne suffisaient pas. Le demandeur soutient que, par conséquent, la décision de l’agent est arbitraire et inconséquente.

[9] Le défendeur fait valoir que l’agent a pris en compte le but de la visite, qui est d’étudier, mais a conclu que le projet d’études comportait des lacunes, en ce que le programme envisagé était redondant et ne semblait pas constituer une suite logique au cheminement professionnel du demandeur. Le défendeur souligne que le demandeur n’a fourni aucune précision sur l’utilité du programme d’études envisagé à la lumière de ses études antérieures et de son expérience professionnelle. Il fait remarquer que seul le nom du programme a été versé au dossier, sans plus de renseignements sur le programme comme tel ni sur la distinction entre ses études antérieures et le programme envisagé. Il soutient que l’agent avait le droit de rejeter la demande de permis d’études en se fondant uniquement sur les lacunes du projet d’études, étant donné que le but de la visite du demandeur est d’étudier.

[10] Le demandeur est en désaccord avec le défendeur sur le fait que son projet d’études comportait des lacunes. Il souligne avoir indiqué dans son projet d’études que l’objectif du programme est [traduction] « de permettre aux étudiants de développer leur esprit critique et leur capacité à résoudre des problèmes, ainsi que d’apprendre les techniques nécessaires pour affronter différentes situations en milieu de travail ». Il fait aussi remarquer avoir mentionné ce qui suit dans son projet d’études : [traduction] « Je crois que le programme de gestion internationale de la technologie est complémentaire à ma formation et à mon expérience actuelles. » Le demandeur soutient que son affirmation selon laquelle il [traduction] « sera en mesure de combiner son expérience professionnelle en génie avec ses compétences actualisées en administration », jointe à son affirmation précédente, est une explication suffisante permettant d’établir la distinction entre le programme envisagé et ses études antérieures.

[11] Le demandeur fait valoir qu’il était absurde, irrationnel et subjectif pour l’agent de conclure que le programme d’études envisagé est redondant, puisqu’il n’appartient pas aux agents d’évaluer l’utilité d’un projet d’études pour un demandeur en particulier. Je conviens qu’un agent des visas doit veiller à ne pas faire une « incursion […] dans le domaine de l’orientation professionnelle » (Adom c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 26 au para 17), mais je ne suis pas d’avis que c’est ce que l’agent a fait en l’espèce.

[12] Le fardeau de convaincre l’agent des visas du bien‑fondé du projet d’études incombait au demandeur (Charara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1176 au para 36). Lorsqu’il se penche sur le bien‑fondé d’un projet d’études, l’agent des visas est en droit d’examiner si le demandeur a déjà bénéficié des avantages du programme envisagé (Borji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 339 au para 17). En effet, il peut s’avérer pertinent de considérer le fait qu’un projet d’études semble redondant compte tenu de la formation ou des emplois passés d’une personne, puisqu’il est peu probable que celle‑ci entreprenne un programme d’études qui ne lui sera pas utile (Khosravi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 805 au para 9).

[13] Après avoir examiné le projet d’études, et avoir discuté en détail de son contenu avec les avocats des parties durant l’audience, je ne suis pas convaincue qu’il était déraisonnable pour l’agent de conclure que le programme était redondant et qu’il ne constituait pas une suite logique au cheminement du demandeur si l’on tient compte de sa carrière actuelle et de ses études antérieures. Outre quelques affirmations générales, le demandeur n’explique pas précisément en quoi le programme lui serait utile ni en quoi il lui apporterait des connaissances distinctes de celles qu’il a acquises dans le cadre de sa maîtrise précédente ou au fil des ans. Le dossier ne contient aucun renseignement sur le programme, autre que le nom de celui‑ci.

[14] De plus, le dossier contient une lettre de son employeur dans laquelle ce dernier mentionne que le demandeur obtiendrait un poste [traduction] « [d’]administrateur de base de données » s’il « termin[ait] un programme en gestion des technologies dans un pays développé », mais ne fournit aucune description du poste, ne précise pas en quoi ce poste est différent du poste actuel occupé par le demandeur et n’explique pas pourquoi un diplôme d’un « pays développé » est nécessaire. Dans son projet d’études, le demandeur mentionne avoir obtenu une offre d’emploi au sein de la même entreprise pour [traduction] « le poste de directeur principal de la gestion de réseau », mais ne fournit aucune description de ce poste, ne précise pas le lien entre ce poste et les études envisagées au Canada et n’explique pas pourquoi le titre du poste diffère de celui figurant dans la lettre de son employeur.

[15] Je suis d’avis que la décision de l’agent n’est pas déraisonnable compte tenu du dossier à sa disposition. Il incombe au demandeur de visa de fournir suffisamment de renseignements concernant les avantages du programme qu’il envisage de suivre, et le défaut de le faire peut compromettre sa capacité à établir le but de sa visite (Rezaali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 269 au para 32). C’est ce qui s’est passé en l’espèce, et je ne suis pas convaincue que l’agent a commis une erreur qui justifie l’intervention de la Cour.

[16] Le demandeur fait valoir que l’agent n’a pas motivé suffisamment et adéquatement sa décision. Comme je le fais remarquer plus haut, il ressort de la jurisprudence que le caractère suffisant des motifs s’apprécie en tenant compte du contexte et que, dans le contexte d’une demande de visa, l’obligation de motiver une décision est relativement minimale. Des motifs détaillés ne sont pas nécessaires, et une justification simple et concise fait l’affaire (Vahora c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 778 au para 32). Je conclus que l’agent a formulé des motifs transparents et intelligibles à l’appui de son refus de délivrer le permis d’études et que sa décision est justifiée compte tenu du dossier à sa disposition et du droit auquel il était assujetti. Le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que la décision de l’agent est déraisonnable ou inéquitable sur le plan de la procédure.

[17] Enfin, le demandeur a invoqué un argument relatif à l’équité procédurale, un argument relatif aux conclusions implicites quant à sa crédibilité et un argument relatif aux attentes légitimes. Après les avoir examinés, je conclus qu’ils sont sans fondement en l’espèce. Le fait, pour un demandeur, de se conformer aux lignes directrices trouvées sur le site Web d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada ne garantit pas une issue favorable. Je ne suis pas non plus convaincue que l’agent a fait abstraction d’éléments de preuve ou qu’il a tiré une conclusion voilée en matière de crédibilité parce qu’il avait des réserves quant au projet d’études du demandeur.

III. Conclusion

[18] Après avoir examiné les arguments du demandeur, je ne suis pas convaincue que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle. Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de l’agent satisfait à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov et qu’elle est équitable sur le plan de la procédure.

[19] Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale aux fins de certification, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7878-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7878-22

INTITULÉ :

YASHAR MEHRJOO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 JUIN 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 23 JUIN 2023

COMPARUTIONS :

Damilola Asuni

POUR LE DEMANDEUR

Judith Boer

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Oluwadamilola Asuni

Avocat

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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