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Date : 20230619


Dossier : T-2385-22

Référence : 2023 CF 864

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 19 juin 2023

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

ANDRÉ GILLES GIVOGUE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. André Givogue [le demandeur] a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission] le 8 avril 2022, dans laquelle il alléguait que son employeur, Pêches et Océans Canada [l’employeur], avait fait preuve de discrimination à son égard en raison de ses caractéristiques génétiques et de sa déficience partielle, en contravention de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [la LCDP] [la plainte]. Plus précisément, il s’est plaint de s’être vu refuser des mesures d’adaptation en milieu de travail pour des raisons liées aux droits de la personne lorsqu’il s’est opposé à la divulgation de son statut de vaccination contre la COVID-19.

[2] Dans une décision datée du 18 octobre 2022, la Commission a refusé de renvoyer la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne pour qu’il l’entende et l’examine [la décision]. La Commission a estimé que la plainte était frivole, car le demandeur n’avait pas établi de lien entre le comportement discriminatoire allégué et un motif de distinction illicite au sens de l’article 3 de la LCDP. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

[3] Bien que je prenne acte des raisons invoquées par le demandeur pour ne pas divulguer son statut de vaccination et de sa sincérité dans la poursuite de la plainte, je conclus que la décision est raisonnable. Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire du demandeur.

II. Contexte

A. Le contexte factuel

[4] Le demandeur exerce un emploi à temps plein et à durée indéterminée au service de l’employeur depuis le 19 janvier 2015. Le 29 avril 2019, le demandeur a commencé à travailler à distance à temps plein conformément à un document d’entente de télétravail qu’il a signé avec son employeur.

[5] Le 6 octobre 2021, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (le SCT) a mis en œuvre la « Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada » [la Politique]. Les employés visés par la Politique, y compris le demandeur, devaient attester leur statut de vaccination contre la COVID-19 avant le 29 octobre 2021.

[6] La Politique énonce également les conséquences d’une non-conformité. Il convient de noter que l’article 7.1 de la Politique précise que les employés qui refusent d’être entièrement vaccinés seront soumis à des mesures disciplinaires progressives, à commencer par l’obligation de participer à une séance de formation en ligne sur la vaccination contre la COVID-19, suivie de restrictions de leur accès au lieu de travail, et puis d’un congé administratif sans solde.

[7] Aux fins de la Politique, on entend par « employés qui refusent d’être entièrement vaccinés » les employés qui refusent de divulguer leur statut de vaccination, qu’ils soient entièrement vaccinés ou non, et pour lesquels aucune mesure d’adaptation n’a été accordée en raison d’un motif de distinction illicite.

[8] Le 29 octobre 2021, le demandeur a rempli et soumis un formulaire d’attestation, dans lequel il indiquait à son gestionnaire qu’il l’avait modifié. Au lieu de cocher l’une des trois options proposées pour le statut de vaccination contre la COVID-19, le demandeur a ajouté et coché une quatrième option, qui renvoyait à diverses dispositions de la législation fédérale relative à la vie privée, à l’accès à l’information et aux droits de la personne. Le demandeur a ajouté :

[traduction]

En choisissant cette option, je ne confirme pas que je suis ou que je ne suis pas vacciné et je ne suis donc pas d’accord avec la définition de la [Politique] figurant à l’annexe A, qui énonce ce qui suit : « Aux fins de la présente politique, on entend par « employés qui refusent d’être entièrement vaccinés » les employés qui refusent de divulguer leur statut de vaccination (qu’ils soient entièrement vaccinés ou non) », car il s’agit là de coercition et de discrimination.

[9] Le demandeur a également indiqué sur le formulaire d’attestation qu’il demandait des mesures d’adaptation pour un motif de distinction illicite en vertu du paragraphe 3(1) de la LCDP.

[10] Aux fins de la présente demande, il n’est pas nécessaire d’exposer les interactions détaillées entre le demandeur et l’employeur en ce qui concerne sa demande de mesures d’adaptation. Il suffit de dire que le 7 décembre 2021, le demandeur a avisé l’employeur qu’il demandait des mesures d’adaptation en vertu de la LCDP pour les motifs de [traduction] « caractéristiques génétiques » et de [traduction] « déficience partielle ». Le demandeur a également fourni des observations et des documents détaillés à l’employeur expliquant comment, à son avis, la mise en œuvre de la Politique conduit à une discrimination aux termes du paragraphe 3(1) de la LCDP en lien avec la Loi sur la non-discrimination génétique, LC 2017, c 3 [la LNDG].

[11] Par une lettre datée du 24 janvier 2022, l’employeur a informé le demandeur qu’il serait placé en congé administratif sans solde en raison de son défaut de se conformer à la Politique.

[12] Le demandeur a entamé une procédure de grief auprès du Syndicat des travailleurs de la santé et de l’environnement [le Syndicat], dans le cadre de laquelle il alléguait faire l’objet de discrimination fondée sur ses caractéristiques génétiques. Dans sa lettre au demandeur datée du 25 février 2022, le Syndicat a déclaré qu’il ne pouvait pas raisonnablement soutenir une allégation de discrimination et a fourni l’explication suivante :

[traduction]

Pour l’essentiel, un vaccin n’est pas un test génétique et la divulgation de votre statut de vaccination ne révèle rien sur votre génotype ou vos caractéristiques génétiques spécifiques. Toutefois, si vous pensez que c’est le cas et que vous souhaitez qu’une enquête ait lieu, vous êtes tout à fait libre de déposer une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.

[13] Le demandeur a alors déposé la plainte auprès de la Commission.

B. L’historique procédural de la plainte

[14] Dans la plainte, la description des motifs de distinction par le demandeur va comme suit :

[traduction]

Je crains que mes caractéristiques génétiques soient utilisées pour me traiter de façon discriminatoire maintenant et à l’avenir. Mon employeur me traite comme si j’ai une déficience partielle/perçue; comme si j’ai peut-être ou pas la COVID-19, comme si je suis plus susceptible de contracter cette maladie grave et comme si je pose un « risque pour la santé ».

[15] Le 22 avril 2022, la Direction générale des services des plaintes de la Commission a envoyé un courrier au demandeur pour l’informer que sa plainte ne pouvait être acceptée que s’il existait un « lien direct entre l’acte discriminatoire allégué et un ou plusieurs des motifs de distinction » prévus par la LCDP. Le courrier indiquait ce qui suit :

[traduction]

... le motif de distinction que vous avez indiqué en ce qui concerne vos allégations selon lesquelles on a refusé de vous accorder des mesures d’adaptation en raison de vos caractéristiques génétiques n’est pas applicable dans le cas de la COVID-19; il n’y a donc pas de lien direct entre l’acte discriminatoire allégué et un motif de distinction aux termes de la [LCDP].

[16] Le demandeur a répondu à ce courriel le 12 mai 2022 pour expliquer le lien direct entre l’acte discriminatoire allégué et les motifs de distinction en cause. Le demandeur s’est de nouveau appuyé sur les dispositions de la LNDG en lien avec la LCDP pour faire valoir qu’en l’obligeant à divulguer son statut vaccinal, son employeur agissait comme s’il l’obligeait à subir un test génétique ou à communiquer les résultats d’un tel test. Plus précisément, le demandeur a cité le paragraphe 3(3) de la LCDP et la définition de « test génétique » énoncée à l’article 2 de la LNDG, respectivement comme suit :

3 (3) Une distinction fondée sur le refus d’une personne, à la suite d’une demande, de subir un test génétique, de communiquer les résultats d’un tel test ou d’autoriser la communication de ces résultats est réputée être de la discrimination fondée sur les caractéristiques génétiques.

3 (3) Where the ground of discrimination is refusal of a request to undergo a genetic test or to disclose, or authorize the disclosure of, the results of a genetic test, the discrimination shall be deemed to be on the ground of genetic characteristics.

test génétique Test visant l’analyse de l’ADN, de l’ARN ou des chromosomes à des fins telles la prédiction de maladies ou de risques de transmission verticale, ou la surveillance, le diagnostic ou le pronostic. (genetic test)

genetic test means a test that analyzes DNA, RNA or chromosomes for purposes such as the prediction of disease or vertical transmission risks, or monitoring, diagnosis or prognosis. (test génétique)

[17] À l’instar des explications qu’il a précédemment fournies à son employeur et dans le cadre de sa plainte, le demandeur a cité des renseignements provenant de diverses sources indiquant que la « norme de référence » en matière de test COVID-19 est le test de réaction en chaîne de la polymérase (le test PCR), qui est basé sur les acides nucléiques. Le demandeur a présenté des renseignements indiquant que l’ADN et l’ARN sont des types d’acide nucléique, et a donc soutenu que le test PCR est un type de test génétique.

[18] Le demandeur a souligné plusieurs parties de la Politique, un document connexe intitulé « Cadre relatif au dépistage obligatoire pour la mise en œuvre de la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 » [le Cadre] et le formulaire d’attestation, pour indiquer que la Politique l’obligeait essentiellement à subir un test génétique ou à communiquer les résultats d’un tel test.

[19] Le 2 août 2022, un agent des droits de la personne [l’agent] a examiné la plainte du demandeur et a rédigé un rapport de décision [le rapport], dans lequel il recommandait à la Commission de ne pas donner suite à la plainte. La Commission a invité le demandeur à présenter des observations supplémentaires. Après avoir reçu les observations du demandeur datées du 23 août 2022, la Commission a rendu sa décision en concluant qu’[traduction] « il est évident et manifeste que la plainte ne peut pas aboutir parce qu’elle est frivole ».

III. Questions préliminaires

[20] À titre préliminaire, je mentionne que c’est le procureur général du Canada qui doit être désigné comme défendeur. L’intitulé de la cause sera modifié en conséquence.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[21] La question déterminante portée devant la Cour est de savoir si la décision de refuser d’instruire la plainte du demandeur est raisonnable. Le demandeur soulève plusieurs questions qui peuvent être résumées comme suit :

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur dans l’application du droit pertinent, à savoir le critère de refus d’instruire les plaintes en vertu du paragraphe 41(1) de la LCDP?

  2. La Commission a-t-elle écarté ou mal interprété des éléments de preuve en arrivant à ses conclusions de fond concernant la plainte du demandeur?

  3. La Commission a-t-elle commis une erreur dans le traitement ou la compréhension de l’allégation de harcèlement du demandeur?

[22] La décision est susceptible de révision selon la norme du caractère raisonnable, conformément à Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 33; voir également Bergeron c Canada (Procureur général), 2022 CAF 209 [Bergeron] au para 22.

[23] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente, rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). L’analyse du caractère raisonnable d’une décision tient compte du contexte administratif dans lequel elle est rendue, du dossier dont dispose le décideur, et de l’incidence de la décision sur les personnes visées par ses conséquences (Vavilov, aux para 88-90, 94 et 133-135).

[24] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit établir qu’elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision ou les préoccupations qu’elle suscite ne justifient pas toutes une intervention. Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur, et elle ne doit pas modifier les conclusions de fait, sauf dans des circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ni constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100).

V. Analyse

[25] Bien que le demandeur soulève plusieurs questions dans la présente demande, la question déterminante, à mon avis, est le caractère raisonnable de la conclusion de la Commission selon laquelle la plainte ne peut aboutir parce qu’elle est frivole au sens de la LCDP.

[26] L’élément central de la plainte du demandeur est son allégation selon laquelle l’exigence de l’employeur de divulguer son statut vaccinal équivaut à lui demander de communiquer les résultats d’un test génétique, ce qui est contraire au paragraphe 3(3) de la LCDP. L’agent a traité cette allégation sans détour dans le rapport lorsqu’il a noté ce qui suit :

[traduction]

23. Le demandeur indique en outre qu’« [ils] ne disent pas qu’un vaccin est un test génétique. Selon [eux], le fait de « demander aux employés leur statut vaccinal » équivaut à « communiquer les résultats d’un test génétique » [...] qu’ils ont le droit de refuser. En communiquant ces renseignements personnels et privés, les employeurs sauraient quel matériel génétique se trouve dans le corps de leurs employés, ce qui leur permettrait de créer deux classes d’individus (vaccinés et non vaccinés) et de discriminer les employés en les traitant différemment [...]

 

24. La Commission définit « caractéristique génétique » comme un terme qui comprend, sans s’y limiter, le fait de subir un test génétique et de communiquer les résultats d’un tel test ou d’autoriser la communication de ces résultats.

25. Un employeur ne peut pas demander un test génétique ou obliger ses employés à divulguer les résultats d’un test génétique. En l’espèce, la vaccination contre la COVID-19 n’est pas un test génétique. Par conséquent, attester son statut vaccinal n’équivaut pas à divulguer les résultats d’un test génétique.

[27] Dans sa décision, la Commission a adopté les motifs énoncés par l’agent dans son rapport.

[28] Après avoir examiné les dispositions législatives pertinentes et la jurisprudence concernant la LNDG, et après avoir examiné la plainte et les observations du demandeur devant la Commission, je suis d’avis que la conclusion de la Commission selon laquelle la plainte ne peut pas aboutir est raisonnable, car elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles : Vavilov, au para 85.

[29] L’article 7 de la loi LCDP énonce que le fait de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu ou de le défavoriser en cours d’emploi constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite. Le paragraphe 3(1) énonce les motifs de distinction illicite, qui comprennent les « caractéristiques génétiques ». Ce motif a été ajouté à la LCDP à la suite à la promulgation de la LNDG en 2017.

[30] Plus précisément, le paragraphe 3(3) de la LCDP prévoit que la discrimination fondée sur le refus de subir un test génétique ou de communiquer les résultats d’un test génétique est réputée être de la discrimination fondée sur les caractéristiques génétiques.

[31] Les dispositions pertinentes de la LCDP et de la LNDG se trouvent respectivement à l’annexe A et à l’annexe B.

[32] Dans Renvoi relatif à la Loi sur la non‑discrimination génétique, 2020 CSC 17 [Renvoi], la Cour suprême du Canada [la CSC] a confirmé la constitutionnalité de la LNDG. La CSC a confirmé que la LCDP a été modifiée pour ajouter les « caractéristiques génétiques » comme motif de distinction illicite dans le but d’« [interdire] les différences de traitement basées sur des renseignements révélés par des tests génétiques » : aux para 46-47, 49 et dans les motifs concordants au para 124.

[33] Le défendeur renvoie la Cour aux motifs concordants au paragraphe 119 pour la définition d’un « test génétique » comme un test « [subi] à des fins liées à la santé, comme la prédiction, la prévention et le diagnostic de maladies héréditaires, et la détermination des possibilités de traitements pour un large éventail de maladies et d’affections ».

[34] En ce qui concerne les motifs concordants, la définition citée par le défendeur ne m’engage à rien. Toutefois, je note que la définition proposée dans les motifs concordants est cohérente avec l’analyse de la décision majoritaire dans Renvoi.

[35] Bien que les juges majoritaires de la CSC n’aient pas proposé une définition d’un test génétique, ils ont examiné les déclarations faites au cours des débats parlementaires en tant que preuve extrinsèque de l’objet au cours de son analyse du caractère véritable : Renvoi, au para 40. Les juges majoritaires ont notamment renvoyé au témoignage du sénateur Cowan, l’auteur du projet de loi, qui a expliqué que, contrairement à de nombreux autres pays occidentaux, il n’existait à l’époque aucune loi au Canada interdisant la discrimination génétique dans les cas où une personne subit un test génétique et découvre qu’elle est porteuse d’un gène associé à une affection ou à une maladie particulière. Le sénateur Cowan a déclaré que la crainte de voir les résultats d’un test génétique utilisés contre eux incitait de nombreux Canadiens à ne pas se soumettre à des tests génétiques qui leur seraient bénéfiques, d’où la nécessité pour le gouvernement d’intervenir pour protéger les personnes contre la discrimination génétique : Renvoi, au paragraphe 41.

[36] Les juges majoritaires de la CSC ont conclu ce qui suit au paragraphe 49 :

Le titre de la Loi et le libellé des interdictions fournissent une preuve solide que les interdictions ont pour objet de combattre la discrimination génétique fondée sur les résultats de tests, et que le mal plus précis auquel elles visent à remédier est l’absence d’une protection juridique à l’égard des résultats de tests génétiques. La Loi fait ce que son titre dit : elle prévient la discrimination génétique en visant directement ce mal. Les débats parlementaires fournissent également une preuve solide à l’appui de cela. Je conclus que les dispositions contestées visent à combattre la discrimination génétique et la crainte de la discrimination génétique fondée sur les résultats de tests génétiques en interdisant une conduite qui expose les personnes à la discrimination génétique dans les secteurs de la conclusion de contrats et de la fourniture de biens et services.

[Non souligné dans l’original.]

[37] En d’autres termes, selon la CSC, le mal auquel la LNDG vise à remédier est la discrimination fondée sur les résultats de tests qui divulgueraient les caractéristiques génétiques d’une personne : Renvoi, au para 45. Un exemple de ces caractéristiques génétiques serait un gène particulier dont une personne est porteuse et qui peut être associé à une certaine affection ou une maladie.

[38] Comme indiqué ci-dessus, le demandeur ne laisse pas entendre qu’un vaccin est un test génétique, mais fait valoir que le test PCR est un type de test génétique, puisqu’il est basé sur l’acide nucléique. C’est peut-être le cas mais, comme le souligne le défendeur, le fait de demander au demandeur d’attester son statut vaccinal est loin d’obliger le demandeur à subir un test PCR ou à fournir les résultats d’un tel test, ce qui peut ou non conduire à une forme de discrimination génétique.

[39] J’estime que, même si l’employeur devait obliger le demandeur à subir un test PCR, scénario hypothétique présenté à la Commission par le demandeur, celui-ci n’a toujours pas démontré en quoi cela équivaudrait à une discrimination génétique au sens envisagé par le législateur lors de la promulgation de la LNDG et tel qu’interprété par la CSC dans Renvoi.

[40] Dans Commission ontarienne des droits de la personne c Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536, un arrêt cité par le demandeur, la CSC a confirmé qu’il incombe au plaignant d’établir une preuve suffisante de discrimination : au para 28. Le simple fait d’affirmer que la [traduction] « collecte de renseignements personnels, y compris de renseignements génétiques sensibles, peut donner lieu à une discrimination », comme le fait le demandeur, sans plus, n’est pas suffisant pour qu’il en soit ainsi.

[41] L’alinéa 41(1)d) de la LCDP prévoit que la Commission ne doit pas instruire une plainte lorsqu’elle est futile, frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. Comme l’a noté le défendeur, la Cour d’appel fédérale a interprété cette disposition comme imposant un « processus d’examen préalable » à la Commission pour qu’elle recherche si, prima facie, la plainte serait irrecevable pour l’un des motifs prévus au paragraphe 41(1) et, dans l’affirmative, décider si elle va tout de même statuer sur la plainte : Société canadienne des postes c Barrette, [2000] 4 CF 145 (CA) aux para 23-25.

[42] La décision de ne pas instruire une plainte en vertu du paragraphe 41(1) est hautement discrétionnaire, et les tribunaux de révision doivent mettre l’accent sur la « déférence et [...] marge de manœuvre accordées à la Commission pour rendre des décisions fondées sur des considérations factuelles et politiques qui font appel à l’expertise » : Alliance pour l’égalité des personnes aveugles du Canada c Canada (Procureur général), 2021 CF 860, au para 35, confirmé dans Alliance pour l’égalité des personnes aveugles du Canada c Canada (Procureur général), 2023 CAF 31.

[43] Le demandeur renvoie à Michon-Hamelin c Canada (Procureur général), 2007 CF 1258 [Michon-Hamelin] au paragraphe 23 pour faire valoir qu’en l’absence d’enquête sur sa plainte, les allégations devant la Commission doivent être tenues pour avérées. Si ses allégations sont tenues pour avérées, et en l’absence de renseignements contraires fournis par son employeur, le demandeur soutient qu’un cas prima facie de discrimination a été établi dans sa plainte, et que la Commission a commis une erreur en concluant autrement : Johnstone c Canada (Procureur général), 2007 CF 36 [Johnstone] au para 31.

[44] J’estime que les décisions citées par le demandeur ne l’aident pas. Dans Johnstone, la question soumise à la Cour était de savoir si la Commission avait appliqué le critère prima facie ou un critère renforcé d’« atteinte grave » : voir le para 10. Dans Michon-Hamelin, la Cour a estimé que la décision était « foncièrement viciée » parce que le décideur n’avait pas reconnu qu’une politique à première vue neutre pouvait toujours être discriminatoire : voir les para 14 et 19. Aucun de ces scénarios ne s’applique en l’espèce.

[45] Le demandeur a également fait valoir lors de l’audience que la CSC, dans Renvoi, a établi une distinction entre les articles 1 à 7 de la LNDG et les articles 8 à 10. Le demandeur soutient que ce contraste étaye son argument selon lequel la définition d’un test génétique est beaucoup plus large que celle proposée par le défendeur. Le demandeur a également cité les sommaires ainsi que les motifs de la dissidence dans Renvoi à l’appui de sa demande.

[46] En toute déférence, je ne suis pas convaincue par l’argument supplémentaire du demandeur.

[47] Les sommaires et les jugements dissidents ne font pas autorité.

[48] Plus important encore, il convient de rappeler que, dans Renvoi, la CSC a été invitée à examiner la constitutionnalité des articles 1 à 7 de la LNDG. Les articles 8, 9 et 10 de la LNDG ont modifié le Code canadien du travail, LRC 1985, c L2, et la LCDP. Aucune de ces modifications n’était directement en cause dans Renvoi, mais la CSC a pris en compte ces dispositions, car « elles peuvent aider à mettre en lumière l’objet des art. 1 à 7 de la Loi » : au para 10.

[49] En arrivant à la conclusion que le caractère véritable de la LNDG est d’adopter une « approche coordonnée » pour lutter contre la discrimination génétique, la CSC a noté au paragraphe 47 :

La décision du Parlement d’apporter ces modifications au Code canadien du travail et à la Loi canadienne sur les droits de la personne, conjuguée à l’adoption des dispositions de fond de la Loi, indique que celui‑ci cherchait à mettre en œuvre une approche coordonnée pour lutter contre la discrimination génétique fondée sur les résultats d’un test, en utilisant différents moyens. Le Parlement visait non seulement la discrimination génétique de façon directe au moyen de dispositions législatives relatives aux droits de la personne et au droit du travail, mais aussi les éléments précurseurs d’une telle discrimination, à savoir les tests génétiques forcés et la communication forcée des résultats de tels tests. Le fait que le Parlement n’ait pas criminalisé la discrimination génétique ne contredit pas son objectif de combattre la discrimination génétique dans ce contexte. Dans son analyse du caractère véritable, le tribunal n’a pas à se préoccuper de la portée relative, du caractère direct relatif ou de l’efficacité relative du moyen que choisit le Parlement pour remédier à un problème.

[50] Plutôt que d’opposer les articles 8 à 10 aux articles 1 à 7 de la LNDG, le paragraphe susmentionné montre que la CSC s’est appuyée sur les articles 8 à 10 pour définir l’objectif général de la LNDG et pour confirmer l’approche intégrée adoptée par le gouvernement pour lutter contre la discrimination génétique au moyen de diverses modifications législatives, y compris celles apportées à la LCDP. Les articles 8 à 10 n’offrent pas une définition différente ou plus large d’un test génétique, comme le prétend le demandeur. Ils font plutôt partie de l’approche à plusieurs volets adoptée par le gouvernement pour protéger les personnes contre la discrimination génétique.

[51] En résumé, j’estime que le demandeur n’a pas réussi à établir que l’exigence de l’employeur de divulguer le statut vaccinal est une forme de discrimination génétique, comme envisagée par la LNDG et la LCDP.

[52] Par conséquent, j’estime que la Commission a raisonnablement conclu que la plainte ne pouvait aboutir et que la Commission a raisonnablement déterminé que la plainte était frivole sur le fondement de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP.

[53] Les raisons susmentionnées sont suffisantes pour rejeter la demande. Toutefois, je vais me pencher brièvement sur le reste des arguments du demandeur.

[54] Je rejette l’argument du demandeur selon lequel la Commission a commis une erreur en écartant ou en interprétant mal les éléments de preuve. Le demandeur soutient que l’agent a omis, de manière déraisonnable, de faire référence à son courriel du 12 mai 2022, qui contenait des faits supplémentaires liés à son dossier, et qu’il n’a pas examiné cette [traduction] « preuve cruciale » dans le cadre de son analyse. Lors de l’audience devant moi, le demandeur a présenté des documents supplémentaires, y compris des échanges de courriels entre lui et le personnel de la Commission, pour laisser entendre que la Commission n’avait peut-être pas pris en compte tous ses éléments de preuve. Je note cependant que les principales observations du demandeur concernant sa position à l’égard de la Politique et du test PCR en tant que test génétique ont été présentées à la Commission dans le cadre de sa réponse au rapport. Je note également que la Commission a pris acte de la réponse du demandeur au rapport dans la décision. Je suis donc d’accord avec le défendeur pour dire que la Commission a raisonnablement déterminé qu’elle disposait de renseignements suffisants pour comprendre et évaluer la plainte du demandeur.

[55] En ce qui concerne la décision de la Commission de ne pas instruire la plainte de harcèlement du demandeur au motif qu’elle dépassait le cadre de la plainte initiale, je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour dire que la Commission a commis une erreur parce qu’elle a supposé à tort que le demandeur s’appuyait sur une [traduction] « politique de respect en milieu de travail » lorsqu’il a affirmé avoir été victime de harcèlement. Sans égard à la Politique sur laquelle le demandeur s’appuyait, j’estime que la Commission a été raisonnable dans son refus d’examiner l’argument du demandeur selon lequel l’obligation de divulguer son statut de vaccination constituait une forme de harcèlement puisque ce motif n’avait pas été soulevé dans la plainte. La Commission n’a donc pas eu à l’examiner conformément à Manfoumbimouity c Canada (Procureur général), 2016 CF 988 au para 91.

[56] Enfin, comme je l’ai précisé lors de l’audience, mon examen se limite au refus de la Commission d’instruire la plainte. Il ne m’appartient pas de commenter la Politique elle-même, ni d’évaluer le caractère raisonnable de la décision de l’employeur de ne pas fournir de mesures d’adaptation au demandeur à la lumière de sa situation.

VI. Conclusion

[57] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[58] L’intitulé de la cause est modifié de façon à y substituer le procureur général du Canada à titre de défendeur.

[59] Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-2385-22

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé est modifié de façon à y substituer le procureur général du Canada à titre de défendeur.

  3. Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Tardif


ANNEXE A

Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), c H-6

Canadian Human Rights Act, RSC, 1985, c H-6

Motifs de distinction illicite

Prohibited grounds of discrimination

3 (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience.

3 (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, gender identity or expression, marital status, family status, genetic characteristics, disability and conviction for an offence for which a pardon has been granted or in respect of which a record suspension has been ordered.

[…]

[…]

(3) Une distinction fondée sur le refus d’une personne, à la suite d’une demande, de subir un test génétique, de communiquer les résultats d’un tel test ou d’autoriser la communication de ces résultats est réputée être de la discrimination fondée sur les caractéristiques génétiques.

(3) Where the ground of discrimination is refusal of a request to undergo a genetic test or to disclose, or authorize the disclosure of, the results of a genetic test, the discrimination shall be deemed to be on the ground of genetic characteristics.

Emploi

Employment

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

7 It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee, on a prohibited ground of discrimination.

 


ANNEXE B

Loi sur la non-discrimination génétique, LC 2017, c 3

Genetic Non-Discrimination Act, SC 2017, c 3

Définitions

Definitions

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 The following definitions apply in this Act.

[…]

[…]

test génétique Test visant l’analyse de l’ADN, de l’ARN ou des chromosomes à des fins telles la prédiction de maladies ou de risques de transmission verticale, ou la surveillance, le diagnostic ou le pronostic. (genetic test)

genetic test genetic test means a test that analyzes DNA, RNA or chromosomes for purposes such as the prediction of disease or vertical transmission risks, or monitoring, diagnosis or prognosis. (test génétique)

Test génétique

Genetic test

3 (1) Nul ne peut obliger une personne à subir un test génétique comme condition préalable à l’exercice de l’une ou l’autre des activités suivantes :

3 (1) It is prohibited for any person to require an individual to undergo a genetic test as a condition of

a) pour lui fournir des biens ou des services;

b) pour conclure ou maintenir un contrat ou une entente avec elle;

c) pour offrir ou maintenir des modalités particulières dans le cadre d’un contrat ou d’une entente avec elle.

(a) providing goods or services to that individual;

(b) entering into or continuing a contract or agreement with that individual; or

(c) offering or continuing specific terms or conditions in a contract or agreement with that individual.

Refus de subir un test génétique

Refusal to undergo genetic test

(2) Nul ne peut refuser d’exercer une activité visée à l’un des alinéas (1)a) à c) à l’égard d’une personne au motif qu’elle a refusé de subir un test génétique.

(2) It is prohibited for any person to refuse to engage in an activity described in any of paragraphs (1)(a) to (c) in respect of an individual on the grounds that the individual has refused to undergo a genetic test.

Communication des résultats

Disclosure of results

4 (1) Nul ne peut obliger une personne à communiquer les résultats d’un test génétique comme condition préalable à l’exercice d’une activité visée à l’un des alinéas 3(1)a) à c).

4 (1) It is prohibited for any person to require an individual to disclose the results of a genetic test as a condition of engaging in an activity described in any of paragraphs 3(1)(a) to (c).

Refus de communiquer les résultats

Refusal to disclose results

(2) Nul ne peut refuser d’exercer une activité visée à l’un des alinéas 3(1)a) à c) à l’égard d’une personne au motif qu’elle a refusé de communiquer les résultats d’un test génétique.

(2) It is prohibited for any person to refuse to engage in an activity described in any of paragraphs 3(1)(a) to (c) in respect of an individual on the grounds that the individual has refused to disclose the results of a genetic test.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2385-22

 

INTITULÉ :

ANDRÉ GILLES GIVOGUE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er juin 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 juin 2023

 

COMPARUTIONS :

André Givogue

 

Pour le demandeur

(en son nom propre)

 

Helen Gray

Mahan Keramati

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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