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Date : 20230529

Dossier : IMM‐4247‐22

Référence : 2023 CF 747

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‐Britannique), le 29 mai 2023

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

VIKRAMJEET SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de la décision, datée du 21 avril 2022, de la Section de l’immigration (la SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 (la LIPR). La SI a pris une mesure d’exclusion à son encontre au titre de l’alinéa 40(2)a) de la LIPR.

[2] La SI a conclu que le demandeur avait fait une présentation erronée des faits lorsqu’il a demandé un permis d’études par l’intermédiaire d’un « agent » d’immigration en Inde. La lettre d’acceptation dans un collège canadien et le reçu de paiement des frais de scolarité qui l’accompagnait étaient tous deux frauduleux. Ces deux documents ont été préparés et déposés par l’agent d’immigration, au nom du demandeur, avec sa demande de permis d’étude.

[3] La SI a accepté le fait que le demandeur croyait sincèrement ne pas avoir fait de fausses déclarations dans sa demande de permis d’études, mais a jugé que cette croyance n’était pas raisonnable dans les circonstances. De manière déraisonnable, le demandeur et son père ont accordé une [traduction] « confiance aveugle » à l’agent d’immigration et ne se sont pas assurés de l’exactitude des informations fournies aux autorités canadiennes de l’immigration. La SI a jugé qu’en dépit des [traduction] « signaux d’alerte » que le demandeur et son père ont pu percevoir lors de leurs interactions avec l’agent d’immigration et qui les ont amenés à s’inquiéter, le demandeur n’a pas pris les mesures adéquates pour vérifier qu’il avait bien été accepté dans un collège canadien. Par conséquent, la SI a refusé d’appliquer l’exception relative à l’« erreur de bonne foi », décrite dans la jurisprudence de la Cour.

[4] Dans le cadre de la présente requête, le demandeur demande à la Cour d’annuler la décision de la SI, au motif qu’elle est déraisonnable, en appliquant les principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 (Vavilov).

[5] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande doit être rejetée.

I. La demande de permis d’étude du demandeur

[6] Le demandeur est un citoyen de l’Inde. Le ou vers le 28 août 2019, le demandeur a déposé une demande de permis d’études par l’intermédiaire d’un agent d’immigration. À l’insu du demandeur à l’époque, l’agent d’immigration avait déjà fait des demandes de permis d’études au nom du demandeur en mars 2019 et en juin 2019. Ces deux demandes avaient été rejetées.

[7] À l’appui de la demande de permis d’études soumise en août 2019, l’agent d’immigration a présenté une lettre d’acceptation et un reçu officiel pour le paiement des frais de scolarité exigés par le Collège de l’Atlantique Nord (le CAN), situé à Gander, dans la province de Terre-Neuve‐et‐Labrador.

[8] En septembre 2019, la mission canadienne à New Delhi a accueilli la demande de permis d’études du demandeur.

[9] Le 7 novembre 2019, le demandeur est entré au Canada, à l’aéroport international Montréal-Trudeau. Il s’est ensuite rendu à Vancouver pour rendre visite à son frère jumeau, qui étudiait déjà au Canada. À ce moment-là, le demandeur avait décidé d’essayer de trouver une autre école canadienne à fréquenter avant que les cours ne commencent deux mois plus tard. Il a trouvé une autre école et a terminé avec succès ses études en juin 2021, au Canadian College de Vancouver.

[10] En juin 2021, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFCC) s’est renseignée auprès du CAN, qui a confirmé ne pas avoir délivré la lettre d’acceptation présentée par le demandeur à l’appui de sa demande. De plus, le reçu de paiement des frais de scolarité avait trait à un autre étudiant.

[11] En septembre 2021, un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs (l’AELBI) de l’ASFC a interrogé le demandeur. L’AELBI a alors informé le demandeur que sa lettre d’acceptation et le reçu, censés provenir du CAN, étaient frauduleux. Ils avaient été préparés par l’agent d’immigration. L’AELBI a également avisé le demandeur que l’agent d’immigration avait déjà présenté deux demandes de permis d’études qui avaient été rejetées par l’ASFC, avant que la troisième demande pour des études au CAN, fondée sur des documents frauduleux, ne soit accueillie.

[12] En octobre 2021, un agent de l’ASFC a rédigé deux rapports en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR. Dans les deux rapports, l’agent concluait que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Selon le premier rapport, le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations, parce qu’il avait présenté des documents frauduleux avec sa demande de permis d’études. Selon le deuxième rapport, le demandeur avait fait de fausses déclarations au point d’entrée lors de son arrivée au Canada, en omettant d’informer l’agent des services frontaliers chargé de l’examen de son dossier qu’il n’avait plus l’intention de fréquenter le CAN, et que les informations contenues dans les documents frauduleux étaient inexactes.

[13] La SI a tenu des enquêtes le 8 mars et le 21 avril 2022.

[14] Le 21 avril 2022, la SI a rendu sa décision et ses motifs oralement. En ce qui concerne le premier rapport relatif à l’article 44, la SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations et a pris une mesure d’exclusion contre lui au titre de l’alinéa 40(2)a) de la LIPR.

[15] Le 25 avril 2022, le défendeur a retiré le deuxième rapport relatif à l’article 44 produit à l’encontre du demandeur, lequel faisait état de fausses déclarations au point d’entrée.


II. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[16] La SI a conclu que le demandeur avait fait une présentation erronée sur un fait important lorsqu’il a demandé un permis d’études par l’intermédiaire de l’agent d’immigration en Inde. La SI a jugé que le premier rapport relatif à l’article 44 était bien fondé. La lettre d’acceptation et le reçu de paiement de frais de scolarité étaient tous deux frauduleux. Ces documents constituaient une présentation erronée faite indirectement par le demandeur (par l’intermédiaire de l’agent), laquelle portait sur un fait important quant à un objet pertinent à la délivrance du permis d’études. Cette présentation erronée a entraîné une erreur dans l’application de la LIPR.

[17] Dans ses motifs, la SI a jugé que le demandeur était crédible et a conclu qu’il avait été franc dans son témoignage. La SI n’a relevé aucune incohérence. La SI a également fait observer que l’agent de l’ASFC chargé de l’interrogatoire du demandeur avait fait preuve de [traduction] « beaucoup de zèle », parce qu’il semblait probable qu’il s’était fait une idée de l’implication du demandeur dans le processus et qu’il l’avait accusé de mentir à de nombreuses reprises.

[18] La SI a examiné l’exception relative à l’« erreur de bonne foi » sous le régime de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. La SI a conclu que le demandeur croyait sincèrement ne pas faire de fausses déclarations dans sa demande de permis d’étude. Toutefois, la croyance du demandeur n’était pas raisonnable dans les circonstances, et le fait de savoir qu’il n’avait pas été accepté pour étudier au CAN n’était pas [traduction] « indépendant de sa volonté ».

[19] La SI a accepté le fait que le processus d’immigration n’était pas familier au demandeur ainsi qu’à son père et que, par rapport à d’autres personnes, ils ne connaissaient peut-être pas très bien les exigences du droit de l’immigration au Canada ainsi que les étapes requises pour demander et obtenir l’admission dans un établissement d’enseignement au Canada.

[20] Toutefois, la SI a constaté que le demandeur et son père [traduction] « [avaient] tous deux accordé une confiance aveugle » à l’agent d’immigration. Il n’était pas raisonnable de laisser l’entière responsabilité du processus entre les mains de l’agent d’immigration. Le demandeur n’a assumé aucune responsabilité pour les actions de l’agent et il ne s’est pas assuré de l’exactitude des renseignements fournis aux autorités canadiennes par l’agent. Cela n’était pas raisonnable, parce que le demandeur a reconnu, dans son témoignage, qu’il avait perçu des [traduction] « signaux d’alerte » à propos de cet agent. La SI a identifié deux éléments à la source de ces signaux d’alerte. Tout d’abord, il y a eu des retards durant le processus de demande. Ensuite, le demandeur et son père étaient préoccupés au sujet d’un transfert d’argent devant être fait au CAN. Le père du demandeur avait remis l’argent du paiement des frais de scolarité à l’agent d’immigration, qui devait l’envoyer au Canada, à l’attention du CAN. Le demandeur n’a tenté de communiquer qu’une seule fois avec le CAN, ce que la SI a jugé insuffisant, vu la présence de signaux d’alerte.

[21] En l’espèce, le demandeur a demandé à la Cour d’annuler la décision de la SI.

III. Les principes juridiques

A. La norme de contrôle applicable

[22] Je suis d’accord avec les parties pour dire que la norme applicable en l’espèce est la décision raisonnable : Kaur v Canada (Public Safety and Emergency Preparedness), 2023 FC 87 (Kaur) au para 17; Johnson v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 519 au para 17; Goburdhun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 971 (Goburdhun) au para 19; Oloumi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 428 (Oloumi) au para 12.

[23] La norme de la décision raisonnable est une évaluation rigoureuse, fondée sur la retenue, visant à déterminer si une décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12, 13, 15. Les motifs du décideur, qui sont interprétés de manière globale et contextuelle, en corrélation avec le dossier dont le décideur disposait, sont au cœur du contrôle. La décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, plus particulièrement aux para 85, 91-97, 103, 105, 106, 194; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 RCS 900 aux para 2, 28-33, 61.

B. Les fausses déclarations au titre de l’article 40 de la LIPR et l’exception relative à l’« erreur de bonne foi »

[24] L’alinéa 40(1)a) de la LIPR dispose :

Misrepresentation

Fausses déclarations

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

[25] La jurisprudence de la Cour confirme que, pour que soit prononcée une interdiction de territoire au titre de l’alinéa 40(1)a), deux conditions doivent être remplies : (1) il doit y avoir une présentation erronée sur un fait; (2) la présentation erronée doit porter sur un fait important, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Voir : Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1441 (Gill) au para 14; Ragada c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 639 au para 18; Malik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1004 (Malik) au para 11.

[26] Les principes généraux relatifs aux fausses déclarations aux termes de l’alinéa 40(1)a) sont bien établis dans la jurisprudence. La juge Strickland les a résumés dans les décisions Pandher c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 687 (Pandher) aux paras 21, 27, et Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 368 (Wang 2018) aux paras 15-19. Voir également Kazzi c Canada (Citoyenneté et immigration), 2017 CF 153 aux para 38, 39.

[27] La Cour a admis une exception étroite sous le régime de l’alinéa 40(1)a), parce qu’il arrive que de véritables erreurs soient commises lors du dépôt de demandes d’immigration. Un demandeur qui a commis une erreur honnête ou de bonne foi peut ne pas être interdit de territoire aux termes de cette disposition. Deux conditions sont requises pour que l’exception relative à l’erreur de bonne foi s’applique : le demandeur doit avoir cru honnêtement qu’il ne faisait pas de fausses déclarations, et cette croyance doit être raisonnable. La première constitue une appréciation subjective : le demandeur doit croire véritablement qu’il n’a fait aucune présentation erronée, ou ne pas être réellement au courant qu’il a fait une réticence sur un renseignement. La seconde implique une appréciation objective des circonstances spécifiques dans lesquelles le demandeur a fait les fausses déclarations. Voir Appiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1043 (Appiah) au para 18; Gill, au para 18.

[28] L’exception relative à l’erreur de bonne foi doit également être placée dans le contexte juridique suivant, au titre de l’alinéa 40(1)a) :

  • a)L’article 40 doit être interprété de façon large afin de promouvoir l’objectif qui le sous-tend, L’objectif de l’article 40 est de préserver l’intégrité du processus d’immigration canadien, en dissuadant quiconque de faire de fausses déclarations et en faisant en sorte que les demandeurs fournissent des renseignements complets, honnêtes et véridiques en tout point.

Voir : Kaur, au para 34; Munoz Gallardo v Canada (Citizenship and Immigration), 2022 FC 1304 au para 18; Ji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1210 au para 24; Gill, au para 15; Pandher, au para 21; Wang 2018, au para 15; Kazzi, au para 38.

b) Le libellé de l’alinéa 40(1)a) vise expressément à la fois, dans une demande, la déclaration erronée (fausse déclaration) et l’omission (information non divulguée). Voir : Malik, aux para 27, 28, 32, 35.

c) Les demandeurs ont une obligation de franchise; ils doivent fournir des renseignements complets, honnêtes et véridiques en tout point quand ils présentent une demande d’entrée au Canada : LIPR, au para 16(1). L’exigence de franchise est un principe prépondérant de la LIPR qui aide à l’interprétation de diverses dispositions, dont l’article 40.

Voir : Sidhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 169, [2019] 4 RCF 508, au para 17; Goudarzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 425 (Goudarzi) aux para 38, 39; Pandher, au para 21; Wang 2018, au para 16; Haghighat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 598 au para 25; Muniz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 872 (Muniz) au para 17; Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 107 au para 31; Goburdhun, au para 28; Bodine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 848 au para 41; Baro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299 au para 15.

d) Le fardeau de vérifier l’intégralité et l’exactitude de la demande incombe au demandeur. Dans le cas contraire, il est « trop facile de prétendre plus tard qu’on est innocent et de jeter le blâme sur une tierce partie ».

Voir : Goudarzi, au para 40; Pandher, au para 21; Wang 2018, au para 15; Kaur, au para 37; Malik, au para 28; Oloumi, au para 39.

e) Sous le régime de l’alinéa 40(1)a), le demandeur est responsable des fausses déclarations, peu importe qu’elles soient intentionnelles ou non, délibérées ou faites par négligence.

Voir : Del Pilar Capetillo Mendez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 559 au para 20; Malik, aux para 27, 32, 35; Bains c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 57 au para 63; Yang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1484 au para 13; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 87 au para 10; Sidhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 419 au para 17; Goudarzi, aux para 30-44; Bellido c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 452 aux para 27, 28.

f) Les demandeurs sont responsables, sous le régime de l’alinéa 40(1)a), des déclarations et fausses déclarations qu’ils ont faites eux-mêmes (« directement ») et de celles qui ont été faites en leur nom par d’autres personnes (« indirectement »), telles que des consultants ou des agents en immigration.

Voir : Wang v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 62 (Wang 2023) au para 35; Vahora c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 778 au para 13; Ibe-Ani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1112 au para 29.

g) Un demandeur peut être tenu responsable sous le régime de l’alinéa 40(1)a), même si la fausse déclaration est faite à son insu, y compris si la fausse déclaration est faite à son insu par une tierce partie.

Voir : Sufaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1285 au para 13; Pandher, au para 27; Wang 2018, au para 16; Kaur, au para 33; Sbayti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1296 au para 28; Moon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1575 (Moon) au para 34; Paashazadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 327 (Paashazadeh) au para 20; Jiang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 942 au para 35; Goburdhun, au para 28.

[29] Dans ce contexte juridique, l’exception relative à l’erreur de bonne foi ne s’applique que dans des circonstances « véritablement exceptionnelles » : Pandher, aux para 21, 27; Malik, au para 31; Wang 2018, au para 17; Appiah, au para 18; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 401 au para 25; Paashazadeh, au para 20; Goudarzi, au para 33; Oloumi, au para 32.

[30] Un accroc se pose dans la présente affaire. Cela concerne l’appréciation du caractère objectivement raisonnable de l’exception relative à l’erreur de bonne foi. De nombreuses décisions récentes de la Cour, mais pas toutes, ont exigé que les faits démontrent que les fausses déclarations ou la dissimulation de renseignements étaient indépendantes de la volonté du demandeur : voir, p. ex., Afe v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 105 au para 17; Malhi v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 392, au para 22; Goudarzi, aux para 37, 40; Pandher, aux para 30, 42; Moon, aux para 34, 35.


IV. Analyse

[31] La question centrale dans le cadre de la présente demande est de savoir si la SI a déraisonnablement conclu que l’exception relative à l’« erreur de bonne foi » ne s’appliquait pas au demandeur.

[32] À mon avis, les observations du demandeur peuvent être résumées en deux questions :

  • a)la décision de la SI était-elle déraisonnable, en raison d’une ou de plusieurs erreurs de droit, particulièrement concernant l’exception relative à l’« erreur de bonne foi » ou le fardeau de la preuve?

b) la décision de la SI était-elle déraisonnable, du fait que l’exception relative à l’« erreur de bonne foi » n’a pas été correctement appliquée aux faits, ou parce les contraintes factuelles de la preuve n’ont pas été respectées par la SI?

[33] J’aborderai ces deux questions tour à tour.

A. La décision de la SI était-elle déraisonnable, en raison d’une ou de plusieurs erreurs de droit, particulièrement concernant l’exception relative à l’« erreur de bonne foi » ou le fardeau de la preuve?

[34] Le demandeur soutient que la décision de la SI devait être annulée, du fait qu’elle est déraisonnable, parce que la SI a commis une erreur de droit en exigeant que le demandeur démontre que sa connaissance de la fausse déclaration échappait à sa volonté. Il fait valoir que la SI a commis une erreur de droit en s’appuyant de manière indue sur la décision de la Cour dans l’affaire Goudarzi, sans dûment tenir compte d’affaires plus récentes qui n’imposent pas que la connaissance des fausses déclarations échappe à la volonté du demandeur.

[35] À la lumière de la jurisprudence de la Cour et en appliquant la norme de la décision raisonnable établie dans l’arrêt Vavilov, je conclus que ces observations ne peuvent être retenues.

a) L’analyse juridique de la SI n’était pas déraisonnable

[36] La position du demandeur sur les affaires traitées par la Cour et portant sur l’exception relative à l’erreur de bonne foi est traduite dans le résumé de la jurisprudence qu’a fait le juge McHaffie dans la décision Gill, précitée :

[18] Il semble exister deux tendances jurisprudentielles de la Cour en ce qui a trait aux fausses déclarations faites de bonne foi visées par l’exception à l’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 40(1)a). D’un côté, la Cour a conclu qu’il existe effectivement deux conditions à l’existence d’une fausse déclaration faite de bonne foi : (1) que, subjectivement, la personne croit honnêtement qu’elle ne fait pas de fausse déclaration; (2) qu’objectivement, il était raisonnable, compte tenu des faits, que la personne croie qu’elle ne faisait pas de fausse déclaration. Cette approche a été suivie dans les décisions Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299 au para 18; Karunaratna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 421 au para 14; Punia, aux para 66-68; Singh Dhatt, au para 27; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Robinsion, 2018 CF 159 au para 6; Alalami c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 328 aux para 15, 16; Alkhaldi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 584 au para 19.

[19] De l’autre côté, une condition supplémentaire s’est ajoutée, laquelle restreint considérablement la possibilité de recourir à cette exception, à savoir que « la connaissance [des renseignements importants] échappait à [l]a volonté [du demandeur] ». Cette exigence supplémentaire semble provenir de la décision Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428 au para 39, laquelle a puisé à même le langage de la décision Mohammed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 CF 299 au para 41. Elle a ensuite été reprise par la juge Strickland dans la décision Goburdhun, laquelle est fréquemment citée par la jurisprudence : voir par exemple Suri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 589 au para 20; Brar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 542 au para 11; Tuiran, aux para 27, 30; Appiah, au para 18.

[20] M. Gill plaide que la condition portant sur le fait « d’échapper à la volonté du demandeur » contredit les décisions Punia, Berlin et Karunaratna, dans lesquelles les renseignements non divulgués étaient manifestement connus des demandeurs, mais où les conclusions relatives à l’interdiction de territoire ont tout de même été considérées comme déraisonnables eu égard à l’exception visant la fausse déclaration faite de bonne foi : Punia, aux para 68-70; Berlin aux para 2, 19-22; Karunaratna aux para 5-6, 16. Je conviens que ces décisions n’ont manifestement pas appliqué une condition portant sur le fait « d’échapper à la volonté du demandeur ». Je m’interroge également quant à savoir si cette exigence est en harmonie avec l’objectif même visé par cette exception, soit la reconnaissance que des erreurs peuvent survenir et que des « erreurs de bonne foi » peuvent se produire. Toutefois, la jurisprudence majoritaire de la Cour semble inclure cette condition, particulièrement depuis la décision Goburdhun de la juge Strickland en 2013.

[37] Le demandeur a fait valoir que la SI avait commis une erreur en se référant à la jurisprudence de la Cour qui le contraignait à démontrer que sa connaissance de la fausse déclaration échappait à sa volonté, tout en écartant certaines affaires qui ne le faisaient pas.

[38] Selon Vavilov, la norme de contrôle applicable aux questions de droit est la décision raisonnable, et non pas la norme de la décision correcte, de sorte que notre Cour ne peut déterminer si un décideur administratif a correctement choisi l’une ou l’autre de deux tendances jurisprudentielles de la Cour (en supposant que le décideur ait pu choisir entre les deux). Aussi contre-intuitif que cela puisse paraître à certains observateurs, c’est d’abord au décideur de choisir quelles sont les affaires à privilégier, et c’est à lui de les appliquer ensuite, sous réserve du contrôle par la Cour à la lumière de la norme de la décision raisonnable.

[39] Dans le cadre du contrôle judiciaire, la jurisprudence de la Cour constitue une contrainte qui a pour effet de circonscrire ce que la SI pourrait raisonnablement décider : Vavilov, aux par 108, 112; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c Entertainment Software Association, 2022 CSC 30 au para 128 (la juge Karakatsanis, dissidente). Comme l’a déclaré la Cour suprême au paragraphe 112 de l’arrêt Vavilov, une décision :

[...] peut être déraisonnable en raison de l’omission d’expliquer ou de justifier une dérogation à un précédent contraignant dans lequel a été interprétée la même disposition. Si, par exemple, une cour de justice a examiné une disposition législative dans un jugement pertinent, il serait déraisonnable que le décideur administratif interprète ou applique celle‐ci sans égard à ce précédent. Le décideur devrait être en mesure d’indiquer pourquoi il est préférable d’adopter une autre interprétation, par exemple en expliquant pourquoi l’interprétation de la cour de justice ne fonctionne pas dans le contexte administratif [...] Il peut y avoir des circonstances dans lesquelles il est tout simplement déraisonnable que le décideur administratif n’applique ou n’interprète pas une disposition législative en conformité avec un précédent contraignant. [...]

[40] En l’espèce, la SI a appliqué l’essentiel de la jurisprudence de la Cour à la deuxième étape de l’analyse de l’exception relative à l’erreur de bonne foi. Elle n’était pas contrainte de faire autrement.

[41] La SI s’est expressément appuyée sur la décision Goudarzi, jugeant qu’elle était toujours valable en droit. Compte tenu de l’état de la jurisprudence de la Cour, il n’était pas déraisonnable de procéder ainsi. Des décisions de la Cour rendues avant et après la décision de la SI font référence à la décision Goudarzi, ainsi qu’à d’autres affaires abordant la nécessité de prouver que la connaissance de la fausse déclaration échappait à la volonté du demandeur : voir Rawat v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 476 aux para 22, 25, 26; Wang 2023, aux para 48, 55; Malik, aux para 10, 11; Muniz, au para 8ii; Appiah, au para 18. Compte tenu de la jurisprudence de la Cour sur ce sujet, la SI aurait peut-être dû expliquer sa décision de ne pas exiger une telle preuve, si elle avait décidé de le faire : Vavilov, au para 112.

[42] Le demandeur ne fait mention d’aucune affaire où la Cour aurait pu ne pas souscrire à la nécessité de démontrer que la connaissance de la fausse déclaration échappait à la volonté du demandeur, ou dans laquelle elle aurait pu juger qu’il était déraisonnable de l’appliquer, et je n’ai moi-même connaissance d’aucune affaire. Je note également que, si deux tendances jurisprudentielles ont été identifiées au paragraphe 18 de la décision Gill, le juge McHaffie n’a pas jugé nécessaire de résoudre un possible conflit dans cette affaire : Gill, au para 21.

[43] Il peut y avoir des circonstances dans lesquelles un décideur agit de manière déraisonnable en distinguant de façon erronée un précédent contraignant : Entertainment Software Association, aux para 149-153 (la juge Karatkasanis, dissidente). Cependant, ce n’est pas ce que la SI a fait en l’espèce : selon l’hypothèse la plus pessimiste, elle a choisi d’appliquer la prépondérance de la jurisprudence de la Cour sur la portée de l’exception.

[44] La SI a également examiné et comparé les affaires citées par le conseil du demandeur, notamment Moon, Gill et Purashaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 663. Le demandeur n’a pas fait valoir que la SI avait commis une ou des erreurs de droit en particulier dans son analyse de ces affaires.

[45] Enfin, tel qu’il a déjà été mentionné, la SI a tiré deux conclusions sur le deuxième élément de l’exception relative à l’erreur faite de bonne foi, dont l’une n’est pas visée par quelque erreur de droit alléguée. En l’espèce, cette conclusion distincte était légitime et suffisait à elle seule à déterminer que l’exception ne s’appliquait pas à la situation du demandeur.

[46] Pour ces motifs, je conclus que le demandeur n’a pas démontré que l’analyse juridique de la SI concernant l’exception relative à l’erreur de bonne foi était déraisonnable.

b) La SI n’a pas commis d’erreur relativement au fardeau de la preuve

[47] Le demandeur a également fait valoir que la SI n’avait pas appliqué le fardeau de la preuve approprié selon la prépondérance des probabilités et que, en droit, elle avait imposé au demandeur un fardeau déraisonnable relativement à sa connaissance des fausses déclarations.

[48] Le demandeur n’a pas précisé dans quelle partie des motifs de la SI se trouvaient ces erreurs de droit alléguées, et je n’en vois pour ma part aucune. Les motifs de la SI tenaient compte des responsabilités du demandeur concernant l’exactitude et l’exhaustivité des informations contenues dans sa demande de permis d’étude, et ne comportaient aucune erreur de droit importante à cet égard. La position du demandeur équivaut à un désaccord sur l’analyse de la SI sur le fond, ce qui n’est pas une question pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

B. La décision de la SI était-elle déraisonnable, du fait que l’exception relative à l’« erreur de bonne foi » n’a pas été correctement appliquée aux faits, ou parce les contraintes factuelles de la preuve n’ont pas été respectées par la SI?

a) Le résultat de l’analyse objective par la SI de l’erreur commise par le demandeur était raisonnable

[49] La décision de la SI portant sur le volet objectif de l’exception relative à l’erreur de bonne foi repose sur deux constatations : premièrement, la « foi aveugle » du demandeur envers l’agent d’immigration, ou sa confiance totale envers ce dernier, était déraisonnable; deuxièmement, la connaissance des faits relatifs à la fausse déclaration était à sa portée. Ces deux constatations sont distinctes, mais liées dans les faits.

[50] Pour ce qui est de la première constatation, la SI a jugé que [traduction] « tout a[vait] été laissé entre les mains de l’agent ». D’après son témoignage, le demandeur n’a examiné aucune demande, et il n’y a eu aucune discussion entre l’agent et lui au sujet des mesures à prendre ou des documents à déposer. La SI a constaté que le demandeur n’avait pas assumé sa responsabilité de vérifier ce que faisait l’agent, ou de s’assurer que les informations qui étaient déposées en son nom auprès des autorités canadiennes étaient effectivement exactes. C’est à partir de cette constatation que la SI a jugé que la croyance du demandeur d’avoir fait une « erreur de bonne foi » n’était pas raisonnable.

[51] Cette première conclusion est conforme au contexte juridique dans lequel l’erreur de bonne foi existe, et qui inclut la responsabilité juridique du demandeur face aux déclarations faites par l’agent en son nom, la responsabilité qui lui incombe de s’assurer que sa demande est exacte et complète, ainsi que sa responsabilité face aux fausses déclarations faites en son nom, même si c’était à son insu. Le demandeur n’a pas prétendu que son témoignage n’étayait pas les conclusions de la SI, notamment à l’égard du fait qu’il n’avait ni examiné la demande de permis d’étude soumise ni pris de mesures pour s’assurer de l’exactitude des informations qu’elle contenait. Le demandeur n’a pas non plus relevé d’erreur de droit dans ces constatations.

[52] La deuxième conclusion de la SI est que la connaissance des faits relatifs à la fausse déclaration n’avait pas échappé au contrôle du demandeur. En l’espèce, l’objet des fausses déclarations se trouvait à la fois dans le formulaire de demande de permis d’études (où il était indiqué que le demandeur avait été accepté pour étudier au CAN, alors que c’était faux) et dans les documents frauduleux déposés à l’appui de la demande (la lettre d’acceptation de l’établissement et le reçu de paiement des frais de scolarité). Ces deux documents avaient été préparés et déposés par l’agent d’immigration.

[53] La SI a constaté la présence de [traduction] « signaux d’alerte » qui avaient inquiété le demandeur et son père. Ces derniers s’inquiétaient des retards de traitement de la demande, et ils se demandaient si le CAN avait bien reçu l’argent versé pour le paiement des frais de scolarité du demandeur (que son père avait transféré à l’agent d’immigration). Le père du demandeur s’était suffisamment inquiété pour demander à celui-ci de communiquer directement avec le CAN, ce que le demandeur avait tenté de faire en téléphonant à l’établissement. La communication n’avait pas été établie.

[54] La SI a conclu que le demandeur aurait dû essayer de téléphoner à d’autres reprises, poser plus de questions à l’agent d’immigration et envoyer des courriels au CAN, afin de mieux comprendre ce qui se passait. La SI a conclu que la connaissance des fausses déclarations était à la portée du demandeur : [traduction] « le fait de savoir si vous aviez été accepté ou non au collège était certainement une chose à votre portée ».

[55] En effet, la SI a conclu que, si le demandeur avait fait preuve d’une diligence raisonnable auprès du CAN, il aurait pu être informé que l’établissement ne l’avait pas accepté, contrairement à ce qu’indiquait sa demande de permis d’études. La connaissance de la fausse déclaration consécutive au dépôt de documents frauduleux par l’agent d’immigration était à la portée du demandeur, si ce dernier avait agi raisonnablement.

[56] Le demandeur n’a pas fait valoir que la preuve (y compris son propre témoignage) n’étayait pas les faits constatés et invoqués par la SI. L’analyse de la SI était raisonnable, au regard du dossier.

[57] En outre, le demandeur n’a pas non plus démontré la présence d’une erreur de droit dans l’analyse de la SI. Le demandeur a fait valoir que, dans le cadre de trois affaires, la Cour n’avait pas [traduction] « imposé strictement » l’exigence que les circonstances [traduction] « échappent au contrôle » du demandeur (citant Punia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 184; Karunaratna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 421; Berlin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1117). Toutefois, dans aucune de ces affaires la Cour n’a conclu que l’exigence relative à la connaissance « échappant au contrôle » du demandeur n’existait pas ni que son application était incorrecte en droit. Ces décisions étaient silencieuses sur cette question. Par conséquent, comme il a été mentionné plus haut, elles n’imposent aucune contrainte juridique à la SI.

[58] Le demandeur a soutenu qu’il n’avait pas et ne pouvait pas raisonnablement avoir connaissance de l’existence des documents frauduleux. Selon lui, la connaissance de ces faits était hors de son contrôle, car ils avaient été délibérément et avec succès cachés par l’agent d’immigration. Quel qu’ait été le bien-fondé de cet argument s’il avait été présenté à l’auteur de la décision initiale, il était loisible à la SI de parvenir à ses conclusions à propos de la connaissance des fausses déclarations « échappant au contrôle » du demandeur dans la présente affaire. Le demandeur n’a pas lui-même préparé ou vérifié sa propre demande de permis d’études avant qu’elle soit déposée, et ses inquiétudes et « signaux d’alerte » concernant les retards et le transfert de fonds étaient en partie des préoccupations liées à l’agent d’immigration.

[59] Pour les besoins du contrôle judiciaire, la conclusion de la SI selon laquelle le demandeur aurait dû effectuer un suivi plus diligent auprès du collège était intelligible et justifiée, selon les normes établies dans l’arrêt Vavilov.

b) La SI a examiné les observations additionnelles du demandeur

[60] Dans ses observations écrites, le demandeur a prétendu que la SI avait commis une erreur en concluant qu’il était déraisonnable pour le demandeur s’en remettre entièrement à l’agent, parce que cela était en contradiction avec la [traduction] « relation de confiance unique » qui existait entre le demandeur et l’agent d’immigration. Le demandeur a souligné que la SI n’avait pas considéré les graves conséquences qu’une interdiction de territoire pour fausses déclarations aurait pour le demandeur et sa famille.

[61] Le demandeur a également soutenu que la SI n’avait pas correctement pris en compte et apprécié certains faits, notamment : le fait que les fonctionnaires d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada avaient, eux aussi, été trompés par les documents frauduleux; les conclusions claires concernant la crédibilité et la croyance sincère; le jeune âge du demandeur et ses origines rurales, soit un village en Inde; son manque relatif de connaissances et les traits similaires de son père, sur qui il s’était appuyé lors de ses rencontres avec l’agent d’immigration; la non-divulgation par l’agent d’immigration du refus des deux demandes de permis d’études soumises précédemment; le fait que le demandeur n’avait pas véritablement consenti au dépôt de la demande de permis d’études contenant des documents frauduleux, par l’agent, en son nom.

[62] Des arguments similaires ont également été avancés avec insistance lors de l’audience tenue devant la Cour.

[63] Ces observations portaient essentiellement sur le bien-fondé de la décision de la SI. Comme il est bien établi, le bien-fondé de la demande initiale ne peut pas être débattu à nouveau dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. La Cour n’est pas autorisée à se faire sa propre opinion sur l’interdiction de territoire du demandeur sous le régime de l’article 40 ni à apprécier à nouveau la preuve : Vavilov, aux para 83, 116, 125.

[64] La SI doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui a une incidence sur sa décision, et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments. Le caractère raisonnable de la décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte : Vavilov, au para 126.

[65] En l’espèce, la SI a entendu le témoignage du demandeur et l’a apprécié, de même qu’elle a examiné les documents déposés au dossier. Les différentes dispositions de l’alinéa 40(1)a) ont été analysées méthodiquement, notamment au regard des fausses déclarations incluses dans le formulaire de demande ainsi que des documents frauduleux déposés à l’appui de cette dernière, du fait que les fausses déclarations avaient été faites indirectement par l’agent et qu’elles étaient importantes, et du fait qu’elles ont entraîné une erreur dans l’application de la LIPR.

[66] La SI a envisagé l’application de l’exception relative à l’erreur de bonne foi à la situation du demandeur et a fourni une analyse qui était adaptée à la preuve dont elle disposait concernant les interactions du demandeur avec l’agent d’immigration ainsi que sa conduite lorsqu’il a tenté de communiquer avec le CAN. La SI a expressément tenu compte du jeune âge du demandeur et de son manque relatif de connaissances en matière de demandes d’immigration au Canada, ainsi que du fait qu’il suivait les directives de son père. La SI a accepté le fait que le demandeur ignorait véritablement l’existence de la fausse déclaration ainsi que le caractère frauduleux de la lettre d’acceptation et du reçu de paiement des frais de scolarité. La SI a été attentive au fait que le demandeur (ainsi que son père) s’en remettait totalement à l’agent d’immigration, mais elle a conclu que le demandeur n’aurait pas dû agir de la sorte.

[67] La SI avait également conscience de l’impact qu’aurait sa décision sur la vie du demandeur. La SI s’est efforcée de souligner que le demandeur avait témoigné de manière crédible lors de son audience, qu’il avait été véritablement trompé par l’agent d’immigration et que l’agent de l’ASFC qui l’avait interrogé avait fait preuve d’un zèle excessif au cours de l’interrogatoire. La SI avait connaissance du fait que d’autres personnes avaient été trompées par le même agent d’immigration. Le commissaire de la SI a formulé le souhait qu’il soit de sa compétence de prendre en considération les considérations d’ordre humanitaire. Il a dit espérer que les autorités visent davantage ceux qui trompent les candidats à l’immigration au Canada, plutôt que les demandeurs qui en sont victimes.

[68] Bien que je sois sensible à la situation du demandeur, il est clair que la SI a pris en considération les observations additionnelles soulevées par celui-ci devant la Cour. Ses conclusions reposaient essentiellement sur son appréciation du témoignage du demandeur. Le demandeur n’a pas démontré que les constatations ou les conclusions générales de la SI ne respectaient pas les contraintes factuelles du dossier ou la position du demandeur à propos de la preuve.

[69] Enfin, lors de l’audience devant la Cour, le demandeur a tenté de contester la conclusion initiale selon laquelle la lettre d’acceptation et le reçu du CAN étaient frauduleux. Le défendeur s’y est opposé, notant à la fois que le demandeur avait reconnu l’existence des documents frauduleux devant la SI et que cet argument n’avait pas été soumis au décideur; par conséquent, en droit, l’argument n’est pas recevable dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

[70] Je suis d’accord avec le défendeur sur ce point. En règle générale, les cours n’examinent pas une nouvelle question dans le cadre d’un contrôle judiciaire si cette question avait pu être soulevée devant le décideur administratif, mais ne l’a pas été : voir, par exemple, Firsov v Canada (Attorney General), 2022 FCA 191 au para 49, ainsi que les affaires qui y sont citées.

[71] Je conclus donc que le demandeur n’a pas démontré que la SI avait commis une erreur susceptible de contrôle dans sa décision.

V. Conclusion

[72] Pour les motifs qui précèdent, la demande sera rejetée.

[73] Aucune des parties n’a proposé de question pour la certification. Les circonstances factuelles de la présente affaire ne soulèvent aucune question susceptible d’être certifiée en vue d’un appel.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4247-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel au titre du paragraphe 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4247-22

 

INTITULÉ :

VIKRAMJEET SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 janvier 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

Le juge A. D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

LE 29 mai 2023

COMPARUTIONS :

Kajal Sharma

Pour le demandeur

 

Cheryl D. Mitchell

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kajal Sharma

Avocat

Surrey (Colombie‐Britannique)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‐Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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