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Date : 20230616


Dossier : T-2304-22

Référence : 2023 CF 857

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 16 juin 2023

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

CHARLES FENTUM

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Charles Fentum, a demandé la Prestation canadienne de relance économique [la PCRE] pour 27 périodes de deux semaines entre le 27 septembre 2020 et le 9 octobre 2021. L’Agence du revenu du Canada [l’ARC] a examiné sa demande et l’a informé, dans une lettre datée du 8 mars 2022, qu’il n’était pas admissible à la PCRE, puisqu’il n’avait pas gagné un revenu d’emploi ou un revenu net pour l’exécution d’un travail à son compte d’au moins 5 000 $ (avant les retenues d’impôt) en 2019, en 2020 ou au cours des douze mois précédant la date de sa première demande [la décision à l’issue du premier examen].

[2] Le demandeur a sollicité un nouvel examen de sa demande de PCRE, qui a été effectué par un autre agent de l’ARC [l’agent]. Dans une lettre datée du 6 octobre 2022, l’agent a conclu que le demandeur n’était pas admissible à la PCRE puisque les raisons pour lesquelles il était sans emploi n’étaient pas liées à la COVID-19 et qu’il n’avait pas eu une baisse de 50 % de son revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente à cause de la COVID-19 [la décision à l’issue du deuxième examen].

[3] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision à l’issue du deuxième examen. Pour les motifs qui suivent, la demande sera accueillie.

II. Les questions préliminaires

[4] À titre préliminaire, le défendeur qu’il convient de désigner en l’espèce est le procureur général du Canada et non l’ARC. L’intitulé sera modifié en conséquence.

III. Analyse

[5] La loi habilitante de la PCRE est la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la LPCRE]. Sous le régime de l’article 3 de la LPCRE, pour être admissible à la PCRE, le demandeur doit :

  • dans sa demande de PCRE à l’égard d’une période de deux semaines qui débute en 2020, avoir des revenus d’au moins 5 000 $ qui proviennent d’un emploi ou d’un travail qu’il a exécuté pour son compte, pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle il présente sa demande, conformément à l’alinéa 3(1)d) de la LPCRE; et

  • dans sa demande de PCRE à l’égard d’une période de deux semaines qui débute en 2021, avoir des revenus d’au moins 5 000 $ qui proviennent d’un emploi ou d’un travail qu’il a exécuté pour son compte, pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle il présente sa demande, conformément à l’alinéa 3(1)e) de la LPCRE.

[6] L’alinéa 3(1)f) de la LPCRE restreint en outre l’admissibilité à la PCRE aux personnes qui, « pour des raisons liées à la COVID-19 », soit n’ont pas exercé d’emploi ou exécuté de travail pour leur compte, soit ont subi une réduction d’au moins 50 % de tous leurs revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à leur compte pour la période de deux semaines pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elles ont présenté leur demande.

[7] Le demandeur soutient qu’il était sans emploi pour des raisons liées à la COVID-19. Il mentionne qu’il travaille dans le domaine de l’hôtellerie et de la gestion du service à la clientèle, deux industries durement touchées par la pandémie. Il précise aussi qu’il a postulé de nombreux emplois en 2020 et 2021, sans succès.

[8] Le demandeur affirme que ses revenus en 2019 étaient supérieurs à 5 000 $ et qu’il a subi une réduction de plus de 50 % de son revenu hebdomadaire moyen en 2020 par rapport à l’année précédente en raison de la COVID-19. Le demandeur ajoute qu’il a fourni à l’ARC la preuve de ses revenus, ses relevés bancaires, ses feuillets T4 et ses talons de paie, tel qu’il était exigé.

[9] Le demandeur s’est également plié à chacune des demandes de documents de l’ARC et a indiqué que celle-ci n’exigeait plus la preuve d’un revenu minimum de 5 000 $ au deuxième examen. Le demandeur affirme qu’il n’était pas au courant de l’exigence selon laquelle il devait démontrer qu’il ne travaillait pas pour des raisons liées à la COVID-19 ou qu’il avait subi une réduction d’au moins 50 % de son revenu par rapport à l’année précédente. Le demandeur allègue qu’il a seulement pu présenter cette preuve supplémentaire dans le cadre du processus de contrôle judiciaire.

[10] Essentiellement, le demandeur fait valoir qu’il y a un manquement à l’équité procédurale et conteste le bien-fondé de la décision à l’issue du deuxième examen.

[11] Je suis d’avis que la question déterminante est le caractère raisonnable de la décision à l’issue du deuxième examen : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[12] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, au para 85. Il incombe au demandeur de démontrer que la décision est déraisonnable : Vavilov, au para 100. Avant de pouvoir infirmer une décision pour ce motif, « la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » : Vavilov, au para 100.

[13] L'ARC a procédé à la validation de la demande présentée par le demandeur une fois que ce dernier avait reçu tous les paiements de la PCRE pour les périodes visées. En janvier 2022, le demandeur a fourni certains documents, notamment l’avis de nouvelle cotisation dont il a fait l’objet pour l’année d’imposition 2019 et des captures d’écran de ses transactions bancaires pour certaines périodes de l’année 2019.

[14] Un agent de l’ARC a communiqué avec le demandeur par téléphone à deux reprises en février 2022 et lui a demandé de fournir des renseignements supplémentaires montrant qu’il avait gagné au moins 5 000 $ au cours des 12 mois précédant la date de sa demande. Le demandeur a donc transmis d’autres documents à l’ARC. L’agent a conclu, en fonction des renseignements fournis, que le demandeur n’était pas admissible à la PCRE.

[15] Après le prononcé de la décision issue du premier examen, le demandeur a eu d’autres occasions de fournir des renseignements et s’en est prévalu à de nombreuses reprises en avril et en juillet 2022. L’agent a aussi eu un entretien avec le demandeur le 7 juillet 2022 au sujet de sa demande de PCRE. Plus précisément, l’agent voulait savoir si le demandeur avait d’autres revenus à déclarer pour les années 2019, 2020 et 2021, ce à quoi le demandeur a répondu par la négative. Il a aussi informé l’agent que c’était par suite d’un congédiement en 2019 qu’il avait présenté une demande d’assurance-emploi.

[16] L’agent a fondé sa décision sur deux conclusions en matière d’admissibilité. Au cours des 24 périodes de deux semaines comprises entre le mois de septembre 2020 et le mois d’août 2021, l’agent a conclu que le demandeur avait été sans emploi pour des raisons non liées à la COVID‑19. Au cours des trois périodes de deux semaines comprises entre le mois d’août 2021 et le mois d’octobre 2021, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas subi une baisse de 50 % de son revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente à cause de la COVID-19.

[17] Le défendeur affirme que la décision à l’issue du deuxième examen était raisonnable compte tenu des renseignements fournis à l’agent. Le défendeur soutient que selon les notes de l’agent, celui-ci aurait examiné tous les documents transmis en ligne par le demandeur en prévision de leur entretien de juillet 2022. L’agent a posé des questions pertinentes et a pris de nombreuses notes durant son entretien avec le demandeur. L’agent a tenu compte de tous les renseignements pertinents au dossier et a examiné de manière exhaustive les documents du demandeur avant de conclure de façon raisonnable que le demandeur ne respectait pas les critères liés aux revenus et qu’il était sans emploi pour des raisons non liées à la COVID-19. Le défendeur fait valoir que le demandeur ne soulève aucune lacune dans la décision à l’issue du deuxième examen; il exprime simplement son opposition à celle-ci.

[18] Malgré les arguments solides mis de l’avant par l’avocat du défendeur, je ne suis pas du même avis.

[19] Dans les notes de son entretien avec le demandeur, l’agent a indiqué qu’il lui a demandé quelle était sa situation d’emploi au cours de la période s’étendant de septembre 2020 à octobre 2021, ce à quoi le demandeur a répondu qu’au début de la pandémie, il était à la recherche d’un travail et avait posé sa candidature à des postes à l’aéroport ainsi que dans le secteur de l’hôtellerie. Le demandeur a expliqué qu’il avait cessé de travailler en 2019, mais qu’il aurait recommencé à travailler si ce n’avait été de la pandémie. Le demandeur a également précisé que juste avant le début de la pandémie, il avait postulé un emploi à l’aéroport et avait été convoqué à une troisième entrevue lorsque le processus a été interrompu. Par conséquent, il n’a pas obtenu l’emploi.

[20] À la lumière des explications du demandeur exposées précédemment, je juge que la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur était sans emploi pour des raisons non liées à la COVID-19 est inintelligible. Il semblerait, à la lecture de la décision à l’issue du deuxième examen, que l’agent soit arrivé à sa conclusion en s’appuyant sur le fait que le demandeur [traduction] « a cessé de travailler en 2019 et a seulement retrouvé un emploi en août 2021 », situation qui remonte à « avant le début de la pandémie, en mars 2020 » et ne peut donc « pas être liée à la COVID ». Il se peut fort bien que le demandeur ait cessé de travailler en 2019 pour des raisons non liées à la COVID-19. Cependant, j’estime que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a conclu, sans justification, que l’entièreté de la période sans emploi du demandeur, soit de 2019 jusqu’au mois d’août 2021, n’était pas attribuable à des raisons liées à la COVID-19. La conclusion de l’agent ne tenait pas compte des explications et des renseignements que le demandeur a fournis lors de son entretien.

[21] L’agent a sans doute des raisons pour étayer sa conclusion selon laquelle le demandeur ne satisfaisait pas au critère d’admissibilité à la PCRE relatif au revenu pour les périodes 25 à 27. Toutefois, l’erreur qu’il a commise en concluant que le demandeur était sans emploi pour des raisons qui n’étaient pas liées à la COVID-19 rend la décision à l’issue du deuxième examen déraisonnable dans son ensemble.

IV. Conclusion

[22] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

[23] Aucuns dépens ne seront adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T-2304-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour une nouvelle décision.

  3. L’intitulé est modifié de manière à désigner le procureur général du Canada à titre de défendeur.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2304-22

 

INTITULÉ :

CHARLES FRIEDMAN c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 MAI 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 JUIN 2023

 

COMPARUTIONS :

Charles Fentum

 

Pour le demandeur
(Pour son propre compte)

 

Amin Nur

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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