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Date : 20230616


Dossier : IMM-5906-22

Référence : 2023 CF 851

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 juin 2023

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

AGAYAPAL SINGH

RAJWANT KAUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Les demandeurs sont des citoyens de l’Inde qui exploitaient une ferme au Pendjab. Selon leur formulaire Fondement de la demande d’asile, l’un de leurs ouvriers agricoles s’est enfui avec SK au début du mois de mars 2018. SK appartenait à la caste des Dalits et était la fille d’un autre employé. La famille de SK, poussée par des partisans du Congrès national indien, ont fait venir la police et des voisins à la ferme des demandeurs pour exiger qu’ils leur livrent le couple. M. Singh, le demandeur principal, a été arrêté, détenu et torturé jusqu’à sa libération, qu’il a obtenue en échange d’un pot-de-vin. Par la suite, les demandeurs ont été soumis à des visites régulières de la police, et des membres de la communauté dalit ont attaqué leur ferme à deux reprises. En septembre 2018, les demandeurs se sont enfuis au Canada et ont demandé l’asile, alléguant craindre la police, le Congrès national indien et la communauté dalit locale.

[2] La demande d’asile des demandeurs a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) le 18 janvier 2022. La SPR a conclu que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Mumbai. Le tribunal a noté qu’il n’y avait aucune preuve que le demandeur principal avait été accusé d’une infraction ou qu’il existait en tant que personne recherchée dans la base de données du Réseau de suivi des crimes et des criminels (Crime and Criminal Tracking Network and Systems - CCTNS). La SPR a conclu que la police n’avait donc pas les moyens de poursuivre les demandeurs à Mumbai et, en outre, que ni la police ni la communauté dalit locale (y compris les membres et les partisans du Congrès national indien) n’étaient motivées à les retrouver à Mumbai. La SPR a également conclu qu’il serait raisonnable, compte tenu des circonstances, que les demandeurs déménagent à la ville proposée comme PRI.

[3] Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR). Ils ont contesté l’appréciation faite par la RPD des deux volets du critère relatif à la PRI, en particulier son appréciation de la capacité de la police à les retrouver partout en Inde à l’aide du CCTNS et de la motivation continue des agents de persécution à les trouver et à leur causer un préjudice.

[4] Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision rendue le 2 juin 2022 par la SAR confirmant le rejet de leur demande d’asile par la SPR. La SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[5] Pour les motifs qui suivent, je juge que l’analyse de la PRI est raisonnable et je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Décision faisant l’objet du contrôle

[6] La SAR a confirmé l’analyse de la PRI par la SPR et a rejeté l’appel.

[7] La SAR a d’abord conclu que la police n’avait pas les moyens de poursuivre les demandeurs à Mumbai en l’absence d’accusation ou de premier rapport d’information concernant le demandeur principal. En ce qui concerne l’argument des demandeurs selon lequel ils pouvaient être retrouvés au moyen de leurs cartes Aadhaar, la SAR a conclu que le système de vérification des locataires à Mumbai est inadéquat et désuet. La SAR a déclaré qu’il n’y avait [traduction] « aucun accès aux données du système Aadhaar dans les bases de données de la police, y compris dans le CCTNS » (citant des renseignements de nature documentaire sur l’Inde et une déclaration de 2021 du directeur général du Portail sur le terrorisme en Asie du Sud (South Asia Terrorism Portal)). La SAR a également conclu que la communauté dalit n’a pas les moyens ni la motivation de trouver les demandeurs à Mumbai.

[8] Deuxièmement, la SAR a conclu qu’il ne serait pas objectivement déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, que les demandeurs trouvent refuge à Mumbai. Le tribunal s’est concentré sur la situation personnelle des demandeurs en prenant acte de leurs études et de leur expérience professionnelle en agriculture, de la présence d’une population sikhe importante, de l’absence de filets de sécurité sociale à Mumbai, comme la possibilité de séjourner temporairement chez des connaissances, et de leurs compétences linguistiques limitées en anglais et en hindi.

III. Analyse

[9] Les demandeurs soulèvent deux motifs de contrôle. Ils soutiennent que la SAR : 1) n’a pas apprécié les moyens et la motivation des partisans du Congrès national indien pour les retrouver à Mumbai; et 2) n’a pas tenu compte du fait qu’ils seraient tenus de vivre dans la clandestinité à Mumbai parce qu’ils n’auraient pas pu révéler l’endroit où ils se trouvaient à leur famille (Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 93 (Ali)).

[10] Les deux motifs de contrôle sont susceptibles de contrôle selon la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 10, 23; Sadiq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 430 au para 32). La Cour doit déterminer si le raisonnement derrière la décision en cause et son résultat sont transparents, intelligibles et justifiés, et elle n’interviendra que si elle est convaincue que la décision souffre de lacunes qui sont suffisamment capitales ou importantes pour la rendre déraisonnable (Vavilov, aux para 15, 87, 100).

[11] Les demandeurs soutiennent d’abord que la décision de la SAR doit être annulée parce que le tribunal n’a pas tenu compte des moyens et de la motivation du Congrès national pour les retrouver à Mumbai.

[12] Je ne suis pas d’accord. Les demandeurs n’ont pas soutenu qu’ils craignaient des représailles directes du Congrès national et de ses partisans. Leur crainte était centrée sur la police et sa relation avec ce parti :

[traduction]

Le [demandeur principal] a osé offenser le Congrès national en commençant à soutenir le parti Aam Aadmi. La police a agi sous l’influence du Congrès national lorsqu’elle a appréhendé et persécuté le [demandeur principal].

[13] Les observations présentées en appel décrivent la capacité des forces policières en Inde à détenir des personnes en toute impunité et à suivre des personnes partout au pays. Les demandeurs n’ont présenté aucun argument et n’ont fourni aucune preuve démontrant que les membres du Congrès national ou le parti lui-même avaient les moyens ou la motivation de les poursuivre jusqu’à la ville proposée comme PRI.

[14] La SAR a clairement abordé les arguments des demandeurs et l’incitation de la police à l’action par le Congrès national, concluant que [traduction] « la police, même si elle a été galvanisée par la communauté dalit et influencée par les militants locaux du Congrès national, n’a pas les moyens de poursuivre les [demandeurs] à Mumbai ». Par conséquent, les demandeurs n’ont soulevé aucune erreur susceptible de contrôle dans l’analyse par la SAR du premier volet du critère relatif à la PRI.

[15] Mon analyse du second motif de contrôle des demandeurs a comme point de départ le fait qu’ils n’ont pas soulevé l’argument en appel selon lequel ils auraient été obligés de cacher à leur famille qu’ils étaient de retour et qu’ils vivaient à Mumbai. Je conviens avec le défendeur qu’il n’est pas approprié que des demandeurs contestent la décision de la SAR dans la présente demande en se fondant sur une question et sur des arguments qui n’avaient pas déjà été soulevés (Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 321 aux para 23, 24; Odekunle c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 786 aux para 31, 32). L’argument des demandeurs selon lequel la SAR a elle-même [traduction] « ouvert la porte » à cet argument est sans fondement. La SAR a simplement rapporté leur témoignage selon lequel il n’y a pas eu d’autres incidents ni de visites harcelantes de la part de la communauté dalit après que les demandeurs ont quitté le village, bien qu’il y ait eu des demandes de renseignements pour tenter de les retrouver.

[16] Quoi qu’il en soit, les demandeurs n’ont pas soulevé d’erreur susceptible de contrôle dans l’analyse de la SAR pour deux raisons. Premièrement, leur argument suppose que les agents de persécution ont les moyens de les suivre jusqu’à Mumbai, ce qui contredit la conclusion de la SAR. Deuxièmement, les demandeurs n’ont fourni aucune preuve que des membres de la communauté dalit menaceraient les membres de leur famille si ces derniers refusaient de révéler où ils se trouvaient. Les demandeurs soulignent que des membres de la communauté dalit se sont rendus au domicile du père du demandeur principal et l’ont frappé pour tenter de savoir où les demandeurs se trouvaient avant qu’ils ne quittent l’Inde. Cependant, il n’y a aucune preuve de visites, de menaces ou d’agressions dans le dossier à partir d’avril 2018. Les faits et la preuve présentée à la SAR diffèrent nettement de ceux de la décision Ali, où la Cour a conclu (au para 50) que les demandeurs auraient été obligés de se cacher des membres de leur famille s’ils avaient été tenus de retourner au Pakistan « [c]ompte tenu des dangers liés à la connaissance de leur lieu de séjour, voire à leur retour au Pakistan ». Rien n’indique en l’espèce que les agents de persécution des demandeurs constituent une menace pour les membres de la famille (Kodom c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2023 CF 305 aux para 12-14).

IV. Conclusion

[17] En résumé, la conclusion tirée par la SAR au sujet de la PRI viable pour les demandeurs à Mumbai, en Inde, est raisonnable à la lumière de la preuve et du critère reconnu pour établir l’existence d’une PRI viable. Son analyse est claire et complète, et elle aborde les questions soulevées dans les observations présentées en appel par les demandeurs. Par conséquent, la demande sera rejetée.

[18] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et aucune n’est soulevée en l’espèce.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-5906-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5906-22

 

INTITULÉ :

AGAYAPA SINGH, RAJWANT KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 mai 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 JUIN 2023

 

COMPARUTIONS :

MMark J. Gruszczynski

POUR LES DEMANDEURS

MSean Doyle

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Canada Immigration Team

Avocats

Westmount (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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