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Date : 20230612


Dossier : IMM-20-22

Référence : 2023 CF 828

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2023

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

SURYA BAHADUR BHUJEL

YASHODA BHUJEL

YOGESH RANA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent d’immigration principal [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente des demandeurs. La demande était fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Les demandeurs sont Surya Bahadur Bhujel, son épouse Yashoda Bhujel et leur fils de 21 ans, Yogesh Rana. Les demandeurs sont des citoyens du Népal.

[3] Yogesh Rana est arrivé au Canada le 8 octobre 2015 et a obtenu un permis d’études peu de temps après. Ses parents sont arrivés au Canada le 28 avril 2016 en tant que visiteurs. En novembre 2016, les demandeurs ont présenté une demande d’asile par crainte d’être persécutés par les maoïstes s’ils devaient retourner au Népal. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté leur demande en mai 2017. Les demandeurs ont interjeté appel à la Section d’appel des réfugiés [la SAR], qui a rejeté leur appel dans une décision datée du 13 mars 2018. Les demandeurs ont ensuite présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SAR, demande qui a été rejetée par la présente Cour en juillet 2018. Les demandeurs ont présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en mai 2021. L’agent a rejeté cette demande le 19 juillet 2021.

Décision faisant l’objet du contrôle

[4] L’agent a tenu compte des considérations d’ordre humanitaire que sont l’établissement au Canada, la santé et les difficultés.

[5] L’agent a reconnu que les demandeurs vivent au Canada depuis cinq ans et demi et six ans, qu’ils ont noué des amitiés et qu’ils fréquentent l’église au Canada. L’agent a admis que les demandeurs occupent actuellement un emploi au Canada, qu’ils ont conservé des permis de travail valides et un bon dossier civil et qu’ils ont fait du bénévolat, et que Yogesh a terminé ses études secondaires au Canada de même que des cours sur la sécurité au travail. L’agent a conclu que ces facteurs ont eu une incidence positive sur l’établissement des demandeurs, mais on s’attend à ce que tous les résidents du Canada démontrent bon nombre de ces caractéristiques. L’agent a accordé un certain poids favorable à l’établissement des demandeurs.

[6] En ce qui concerne les difficultés, l’agent a fait observer que les demandeurs ont affirmé qu’ils seraient exposés à des difficultés au Népal étant donné qu’ils ont déjà été harcelés et agressés par les maoïstes. L’agent a souligné que les demandeurs avaient fait cette déclaration devant la SPR, laquelle a conclu que [traduction] « les allégations centrales en l’espèce sont fausses ». L’agent n’est pas lié par la décision de la SPR, mais il a accordé beaucoup de poids à ses conclusions. L’agent a pris acte de l’argument des demandeurs selon lequel il y a une résurgence des maoïstes et qu’ils poursuivent leurs activités au Népal, mais a conclu qu’il ressortait également de la preuve que le gouvernement népalais a pris des mesures pour réduire les activités des maoïstes. L’agent a conclu que peu d’éléments de preuve donnent à penser que les difficultés des demandeurs sont à venir ou personnelles et il a accordé peu de poids à cette considération.

[7] L’agent a reconnu que le fait de quitter les amis qu’ils se sont faits au Canada pourrait comporter son lot de difficultés, mais il a conclu que la séparation pourrait être atténuée en maintenant la communication. Rien n’indique non plus que les demandeurs ne se feraient pas d’amis à leur retour au Népal. Ils ont également de nombreux membres de la famille qui y vivent et la réunification pourrait également contribuer à atténuer ces difficultés. Peu de poids a été accordé à cet élément.

[8] L’agent a convenu que le fait pour les demandeurs de quitter leur emploi au Canada entraînerait certaines difficultés pour eux. L’agent a toutefois conclu que les répercussions économiques négatives de la COVID-19 ont également été ressenties au Canada et que les estimations du chômage pour 2020 permettaient de croire que les taux de chômage n’étaient pas pires au Népal qu’au Canada. En outre, les demandeurs semblent avoir une grande capacité d’adaptation et ils pourraient faire appel aux compétences acquises au Canada pour trouver des emplois semblables au Népal. L’agent a accordé peu de poids à cette considération.

[9] Quant à l’observation selon laquelle Yogesh, maintenant âgé de 21 ans, désire devenir pilote, il y avait peu d’éléments de preuve démontrant qu’il avait pris des mesures pour y parvenir alors qu’il était au Canada. Même si les possibilités d’éducation postsecondaire sont meilleures au Canada, le système d’enseignement postsecondaire au Népal s’est grandement amélioré au fil des ans et Yogesh y aurait accès s’il en faisait la demande. Peu de poids a été accordé à ces difficultés.

[10] Les autres considérations liées aux difficultés présentées par les demandeurs, à savoir le manque d’approvisionnement en eau, la mauvaise qualité de l’air, l’insécurité alimentaire, l’insécurité politique et les répercussions d’un tremblement de terre de 2015, ont également été examinées par l’agent, qui a reconnu que le niveau de vie est plus bas au Népal, mais a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré que ces préoccupations avaient un lieu avec eux personnellement. Le fait que le Canada a généralement un meilleur niveau de vie que le Népal n’a pas permis de démontrer des difficultés dans la situation personnelle des demandeurs. L’agent a accordé peu de poids aux conditions défavorables dans le pays.

[11] Enfin, en ce qui concerne les soins de santé, les demandeurs ont fait valoir que l’accès aux soins de santé au Népal est limité et que la pandémie de COVID-19 pourrait surcharger son système de soins de santé. L’agent a toutefois conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré en quoi cela représentait des difficultés personnelles et futures. Ils n’ont pas laissé entendre qu’ils risquaient davantage de souffrir de complications graves de la COVID-19, ni que des soins médicaux leur avaient déjà été refusés dans le passé. L’agent a accordé peu de poids à cette considération.

[12] Après avoir examiné la situation des demandeurs et l’ensemble des documents présentés, l’agent a conclu qu’il n’était pas convaincu que les considérations d’ordre humanitaire qui lui avaient été présentées justifiaient l’octroi d’une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR et a donc rejeté la demande.

Questions en litige et norme de contrôle

[13] Les questions en litige dans la présente affaire peuvent être formulées en ces termes :

  1. L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale?

  2. La décision de l’agent était-elle raisonnable?

[14] Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79 et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43). Dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CPR], la Cour d’appel fédérale a jugé que, même si l’exercice de révision requis peut être particulièrement bien reflété, bien que de manière imparfaite, dans la norme de la décision correcte, les questions d’équité procédurale ne se prêtent pas nécessairement à une analyse relative à la norme de contrôle applicable. La Cour doit plutôt déterminer si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (CPR, aux para 54-56; voir également Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35; Première Nation d’Ahousaht c Canada (Affaires indiennes et du Nord), 2021 CAF 135 au para 31).

[15] Dans l’évaluation d’une décision administrative sur le fond, il existe une présomption selon laquelle la cour de révision appliquera la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 25 [Vavilov]). En l’espèce, aucune des circonstances ne justifie de déroger à cette présomption. Dans le contexte de l’application de la norme de la décision raisonnable en contrôle judiciaire, la cour « doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, au para 99).

Aucun manquement à l’équité procédurale

[16] Les demandeurs affirment que l’agent a utilisé des données sur l’emploi tirées de la Banque mondiale pour démontrer un taux de chômage plus élevé au Canada qu’au Népal et pour minimiser les difficultés auxquelles les demandeurs feraient face s’ils étaient renvoyés au Népal alors que ces renseignements ne faisaient pas partie de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Les demandeurs affirment que la foi accordée par l’agent à ces éléments de preuve extrinsèques, qui contredisaient les éléments de preuve qu’ils avaient présentés, sans leur donner la possibilité d’y répondre, manquait à l’équité procédurale (citant Lopez Arteaga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 778 au para 24).

[17] Le défendeur affirme que, puisque les demandeurs ont soutenu qu’ils auraient de la difficulté à trouver du travail au Népal en raison de la situation économique difficile dans ce pays, l’agent devait examiner les renseignements à jour relativement à la question du chômage sur place, en particulier compte tenu des affirmations quant aux effets économiques de la pandémie de COVID-19. Selon le document publié par la Banque mondiale, le taux de chômage au Népal en 2020 était de 4,4 % alors que le taux de chômage au Canada en 2020 était de 9,48 %. Il ne s’agissait pas d’une source obscure et les renseignements n’étaient pas controversés. Par conséquent, il n’y avait pas lieu d’informer les demandeurs que l’agent examinait cet élément de preuve.

Analyse

[18] Comme le fait valoir le défendeur, le recours à des éléments de preuve extrinsèques par un agent ne crée pas automatiquement une obligation d’offrir au demandeur la possibilité d’y répondre ou n’entraîne pas automatiquement un manquement à l’équité procédurale. La Cour doit plutôt employer « une méthode contextuelle pour déterminer si l’obligation d’équité exigeait que cet élément de preuve soit divulgué en fonction de la nature de la décision en cause et des éventuelles répercussions de la preuve en question sur la décision » (Alves c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 672 [Alves] aux para 29-30; Majdalani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 294 [Majdalani] au para 31; Shah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 537 [Shah] aux para 34-42). Lorsqu’une méthode contextuelle est appliquée, on compte parmi les facteurs pertinents à prendre en considération la source, y compris sa crédibilité; la nature publique des documents et la mesure dans laquelle on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur en ait connaissance; le caractère inédit et l’importance des renseignements, y compris la manière dont ils diffèrent d’autres éléments de preuve; et la nature de la décision, y compris les allégations du demandeur et le fardeau de la preuve (Alves, au para 30; Rutayisire c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 970 aux para 80–88; Shah, aux para 35–38; Majdalani, aux para 29–37).

[19] En l’espèce, la source des renseignements, la Banque mondiale, était bien connue et avait bonne réputation. En fait, le dossier comprend des documents présentés par les demandeurs qui renvoient à des conclusions de la Banque mondiale. Les renseignements ne sont pas obscurs et étaient facilement accessibles en ligne et, par conséquent, étaient largement accessibles. Bien que les demandeurs affirment que les renseignements concernant les taux de chômage sont controversés et contredisent des éléments de preuve qu’ils ont présentés, ils ne désignent aucun autre élément de preuve qui traite précisément des taux de chômage au Népal et au Canada en 2020. Les demandeurs ont présenté des articles concernant l’incidence négative sur l’emploi au Népal de la pandémie de COVID-19, laquelle a été déclarée en 2020, et affirmé que son incidence économique nuirait à leur capacité de trouver un emploi. Toutefois, la seule donnée citée dans les documents fournis par les demandeurs en ce qui a trait au chômage datait de 2016.

[20] Dans ces circonstances, l’agent n’a pas manqué à l’obligation d’équité procédurale en procédant à une recherche dans une source ouverte et en ne donnant pas aux demandeurs la possibilité de répondre aux données sur le chômage de la Banque mondiale.

La décision était raisonnable

[21] En ce qui concerne l’analyse de l’agent relative aux difficultés, les demandeurs présentent plusieurs observations. J’examine chacune d’elles ci-après.

i. Décision de la SPR

[22] Premièrement, les demandeurs soutiennent que l’agent a accordé une grande valeur à la conclusion de la SPR selon laquelle leurs allégations principales étaient fausses et a donc rejeté les difficultés auxquelles les demandeurs pourraient être exposés aux mains des maoïstes en retournant au Népal, tout en reconnaissant la résurgence des maoïstes et le fait qu’ils poursuivent leurs activités au Népal. Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en se fondant sur les conclusions de la SPR quant à la crédibilité et qu’étant donné la preuve objective de la résurgence des maoïstes qui démontrait une instabilité politique croissante au Népal, l’agent a également commis une erreur en concluant qu’il n’y a pas de risque à venir ou personnel pour les demandeurs. Ces renseignements, auxquels s’ajoute le passé de violence des maoïstes, montrent la possibilité de périodes mouvementées à venir étant donné que les demandeurs ne sont pas des maoïstes. L’agent a discrédité de façon déraisonnable cet élément de preuve.

[23] Le défendeur soutient que le point crucial de la demande des demandeurs devant la SPR était qu’ils étaient persécutés par des maoïstes. L’agent a souligné que la SPR avait conclu que [traduction] « les principales allégations en l’espèce sont fausses ». Par conséquent, l’affirmation des demandeurs selon laquelle les éléments de preuve à jour sur la situation dans le pays démontrent une résurgence des maoïstes ne les aide en rien, car elle ne change pas le fait qu’ils n’ont pas déjà été la cible des maoïstes. Le défendeur soutient que la Cour a conclu qu’un agent d’ÉRAR peut se fonder sur des conclusions défavorables antérieures quant à la crédibilité tirées par des tribunaux administratifs et que ce principe devrait également s’appliquer dans le contexte des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire.

[24] Je ne souscris pas à la position des demandeurs. L’agent a reconnu qu’un critère différent est utilisé par la SPR pour évaluer les difficultés et a affirmé que l’observation des demandeurs a été examinée sous l’angle des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a indiqué qu’il n’était pas lié par la décision de la SPR, mais que la SPR possède une compétence en matière d’évaluation de la crédibilité et qu’elle a conclu que les principales allégations dans le cas des demandeurs étaient fausses. L’agent a accordé beaucoup de poids à cette conclusion. L’agent a ensuite examiné les éléments de preuve des demandeurs sur la situation au pays quant à la résurgence des maoïstes et il a associé un faible niveau de difficultés à cette considération. Toutefois, l’agent a affirmé que la situation au pays doit être évaluée de manière prospective et personnalisée et que les deux lettres d’appui présentées à cet égard étaient antérieures à la décision de la SPR. En outre, le gouvernement népalais a pris des mesures pour réduire les activités des maoïstes. L’agent a conclu qu’il y avait peu d’éléments de preuve personnalisés donnant à penser que les difficultés étaient prospectives ou personnalisées et il a donc accordé très peu de poids à cette considération.

[25] À mon avis, l’agent n’a pas commis d’erreur dans son examen de la conclusion défavorable de la SPR au sujet de la crédibilité. La Cour a conclu par le passé que les agents chargés de l’examen des considérations d’ordre humanitaire peuvent prendre en compte les conclusions défavorables tirées par la SPR et la SAR relativement à la crédibilité en cas de crainte d’être renvoyé dans son pays d’origine (Sanabria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1076 au para 14).

[26] Comme l’a mentionné le juge Grammond dans la décision Zingoula c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 201 au paragraphe 9, les faits exposés dans une demande d’asile et dans une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire peuvent se recouper, mais ils ne sont pas assujettis aux mêmes critères juridiques. Toutefois, si un demandeur présente essentiellement le même récit qui a été jugé non crédible dans son ensemble par la SPR (ou la SAR), l’agent chargé de l’examen des considérations d’ordre humanitaire est en droit de le rejeter :

[10] Par exemple, les conditions de vie dans le pays d’origine peuvent être invoquées dans les deux types de demandes. En vertu de l’article 97 de la Loi, de telles conditions ne sont pas juridiquement pertinentes si elles constituent un risque « généralisé », c’est-à-dire un risque auquel fait face l’ensemble de la population du pays. Par contre, dans le contexte d’une demande CH, de telles conditions, même si elles sont « généralisées », peuvent contribuer à établir les difficultés que subirait le demandeur en cas de renvoi : Miyir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 73 au paragraphe 21 [Miyir]; Marafa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 571 au paragraphe 4.

[11] Il est donc possible d’invoquer, au soutien d’une demande CH, des faits qui avaient précédemment été invoqués au soutien d’une demande d’asile qui a été rejetée. Encore faut-il que la SPR ou la SAR aient jugé crédible la preuve de ces faits. Il est bien établi qu’un agent CH peut rejeter des éléments de preuve qui ont été jugés non crédibles par la SPR ou la SAR : Nwafidelie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 144 au paragraphe 22; Jang c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 996 au paragraphe 19. Évidemment, si un demandeur présente de nouveaux éléments de preuve, l’agent CH doit les analyser. Tout de même, si un demandeur cherche à présenter essentiellement le même récit qui a été jugé non crédible dans son ensemble par la SPR ou la SAR, l’agent CH est en droit de le rejeter : Miyir au paragraphe 25.

(voir également Nkitabungi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 331 [Nkitabungi] au paragraphe 8; Kouka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1236 au paragraphe 27 [Kouka]). En outre, « la décision de la Section de la protection des réfugiés ne peut pas être simplement ignorée, surtout lorsqu’elle concerne les difficultés présumées et qu’elle souligne de sérieuses préoccupations quant à la crédibilité des allégations des demandeurs » (Nwafidelie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 144 au para 22). Un agent chargé de l’examen des considérations d’ordre humanitaire ne siège pas non plus en appel de la décision de la SPR (Nkitabungi, au para 8; Kouka, au para 27; Sanabria, au para 14).

[27] En l’espèce, les demandeurs n’ont pas contesté la conclusion tirée par la SPR relativement à la crédibilité. Ils soutiennent plutôt que l’agent a utilisé la décision de la SPR pour discréditer leurs éléments de preuve sur les conditions dans le pays concernant une résurgence des maoïstes. Cependant, ce n’est pas ce que l’agent a fait. L’agent a accepté cette preuve. L’agent a considéré que les allégations selon lesquelles les demandeurs auraient été persécutés par des maoïstes n’étaient pas crédibles; il a tenu compte de l’absence d’éléments de preuve établissant un lien entre les difficultés potentielles des demandeurs et les maoïstes s’ils devaient retourner au Népal (difficultés futures); et il a jugé que le gouvernement népalais prend des mesures pour contrer la résurgence. Après avoir examiné tous ces points, l’agent a conclu que peu de poids devait être accordé aux difficultés que pourraient éprouver les demandeurs à leur retour au Népal en raison de la résurgence des maoïstes. Autrement dit, l’agent a pondéré les éléments de preuve dont il disposait. À mon avis, l’agent n’a pas commis d’erreur et il s’agissait là d’une conclusion raisonnable.

ii. Difficultés personnelles

[28] Au-delà de l’évaluation des difficultés ci-dessus par l’agent, les demandeurs font également valoir que l’agent a commis une erreur en introduisant l’exigence qu’ils fournissent des éléments de preuve personnalisés quant aux difficultés découlant de l’instabilité politique. L’agent a également conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque personnalisé en raison du manque d’approvisionnement en eau, de la mauvaise qualité de l’air, de l’insécurité alimentaire et de l’accès limité aux soins de santé. Les demandeurs font valoir que les difficultés dans les affaires où sont invoquées des considérations d’ordre humanitaire peuvent découler des conditions générales dans le pays, pourvu que ces conditions aient une incidence néfaste directe sur les demandeurs (citant Caliskan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1190 [Caliskan] au para 26; Aboubacar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 714 [Aboubacar] aux para 10-12). L’agent aurait dû mettre l’accent sur la question de savoir si les éléments de preuve avaient établi un lien entre les conditions dans le pays et la situation personnelle des demandeurs qui démontrait l’existence d’une incidence néfaste directe. Il n’est pas nécessaire que les demandeurs le démontrent au moyen d’éléments de preuve personnalisés ou d’expériences antérieures d’incidence néfaste directe. Les demandeurs affirment qu’ils ont présenté de nombreux éléments de preuve sur les conditions dans le pays pour montrer qu’ils éprouveraient des difficultés à leur retour au Népal, mais que l’agent les a écartés au motif que les demandeurs avaient fourni peu de renseignements démontrant qu’ils avaient personnellement subi un pareil traitement ou été victimes de discrimination dans le passé, ou que cela avait été le cas pour des membres de leur famille ou des personnes dans une situation semblable.

[29] Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas établi de lien entre leur situation personnelle et les mauvaises conditions générales dans le pays invoquées (citant Webb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1060 au para 17).

[30] Aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR, le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui est interdit de territoire (sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37), ou ne se conforme pas à la LIPR, étudier le cas de cet étranger. Le ministre peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

[31] À cet égard, l’arrêt Kanthasamy de la Cour suprême et la jurisprudence postérieure à cet arrêt établissent qu’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire est une mesure exceptionnelle et discrétionnaire, qui vise à prévoir une exception souple et sensible à l’application habituelle de la LIPR ou un pouvoir discrétionnaire permettant de mitiger la sévérité de la loi selon le cas. L’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le paragraphe 25(1). Le paragraphe 25(1) n’est pas censé faire double emploi avec l’article 96 ou le paragraphe 97(1) de la LIPR, lesquels servent à déterminer si le demandeur craint avec raison d’être persécuté ou s’il s’expose au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Ce qui justifie une dispense pour considérations d’ordre humanitaire dépend des faits et du contexte du dossier. L’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids. L’article 25 n’est pas non plus censé constituer un régime d’immigration parallèle. L’article 25 est plutôt censé offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont « de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » (Kanthasamy, aux para 13, 19, 21, 23-25, 51; Shackleford c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1313 aux para 12, 15, 16; Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72 au para 31; Del Pilar Capetillo Mendez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 559 au para 49).

[32] Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême, dans le contexte de la discrimination, a déclaré ce qui suit :

[56] Il appert de ces extraits que le demandeur doit seulement montrer qu’il sera vraisemblablement touché par une condition défavorable comme la discrimination. La preuve d’actes discriminatoires contre d’autres personnes qui partagent les mêmes caractéristiques personnelles est donc clairement pertinente pour l’application du par. 25(1), et ce, que le demandeur puisse démontrer ou non qu’il est personnellement visé. Des inférences raisonnables peuvent en être tirées. Dans Aboubacar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 714, le juge Rennie énonce de façon convaincante les raisons pour lesquelles il est alors possible de tirer des inférences raisonnables :

Bien que les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 doivent s’appuyer sur la preuve, il existe des circonstances où les conditions dans le pays d’origine sont telles qu’elles confortent l’inférence raisonnable relativement aux difficultés auxquelles un demandeur en particulier serait exposé à son retour [. . .] Il ne s’agit pas d’une hypothèse, mais bien d’une inférence raisonnée, de nature non hypothétique, relativement aux difficultés auxquelles une personne serait exposée, et, de ce fait, cela constitue le fondement probatoire d’une analyse sérieuse et individualisée . . . [par. 12 (CanLII)]

[33] Par conséquent, dans son analyse des considérations d’ordre humanitaire, l’agent devait véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids (Kanthasamy, au para 25) et « examiner et soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes » (Kanthasamy, au para 33).

[34] Les demandeurs semblent prétendre, en se fondant sur les décisions Caliskan et Aboubacar, qu’ils ont établi l’existence de difficultés en ce qui concerne les considérations d’ordre humanitaire étant donné qu’il existe des conditions défavorables généralisées dans le pays à l’appui de cette thèse, que ces conditions générales auraient une incidence néfaste directe sur les demandeurs et que l’agent a commis une erreur en exigeant des [traduction] « éléments de preuve personnalisés » d’expériences passées d’une incidence néfaste directe.

[35] Je souligne au passage que l’expression « incidence néfaste directe », utilisée par les demandeurs et que l’on trouve dans la décision Caliskan, figure également sur le site Web d’IRCC, sous Instructions et lignes directrices opérationnelles, « Évaluation des considérations d’ordre humanitaire : Difficultés et évaluation des considérations d’ordre humanitaire ». Les lignes directrices ne sont pas juridiquement contraignantes et ne se veulent ni exhaustives, ni restrictives ou décisives, mais elles sont instructives pour les agents (Douglas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 703 au para 22). Entre autres choses, les lignes directrices indiquent que, en vertu du paragraphe 25(1.3) de la LIPR, les agents chargés de l’examen des considérations d’ordre humanitaire ne déterminent pas si une crainte fondée de persécution, un risque pour la vie, un risque d’être soumis à la torture ou un risque de traitements ou peines cruels et inusités a été établi, mais ils peuvent prendre les faits sous-jacents en considération pour déterminer si le demandeur serait exposé à des difficultés s’il devait retourner dans son pays d’origine. En ce qui concerne les conditions défavorables dans le pays :

Lorsqu’un demandeur présente des observations affirmant que des conditions dans son pays d’origine lui causeraient des difficultés si la dispense demandée ne lui était pas accordée, les décideurs doivent tenir compte des conditions dans ce pays et peser ces facteurs dans l’évaluation des difficultés. Ces conditions pourraient comprendre des facteurs ayant une incidence négative directe sur le demandeur, notamment la guerre, des catastrophes naturelles, le traitement inéquitable des minorités, l’instabilité politique, la pénurie d’emplois, la violence généralisée, etc.

[36] Selon moi, il y a peu de différence entre cette approche énoncée et l’argument du défendeur selon lequel les demandeurs doivent établir un lien entre leur situation personnelle et les conditions générales défavorables dans le pays invoquées au moment de l’évaluation des difficultés. En d’autres mots, les parties ne sont pas vraiment en désaccord quant à ce que l’agent devait examiner, mais plutôt sur la question de savoir si l’agent a procédé de la bonne façon. En particulier, du point de vue des demandeurs, si l’agent a exigé des demandeurs qu’ils fournissent des éléments de preuve personnalisés quant aux difficultés découlant de l’instabilité politique et commis une erreur ce faisant et en concluant que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque personnalisé en raison de l’instabilité politique, du manque d’approvisionnement en eau, de la mauvaise qualité de l’air, de l’insécurité alimentaire et de l’accès limité aux soins de santé.

[37] Bien que je convienne que les termes employés par l’agent puissent être imparfaits, dont la mention d’[traduction] « éléments de preuve personnalisés », dans l’ensemble, il est évident que l’agent a examiné les conditions dans le pays et la question de savoir si elles confortaient l’inférence raisonnable relativement aux difficultés alléguées par les demandeurs auxquelles ils seraient exposés à leur retour (Aboubacar, au para 12; Kanthasamy, au para 56), de même que la question de savoir si les demandeurs ont lié d’une autre façon ces difficultés à leur situation personnelle. L’agent n’a pas repris une analyse des risques fondée sur l’article 97 ou appliqué le mauvais critère.

[38] Comme il a été mentionné précédemment, l’agent a conclu qu’il avait été jugé que les demandeurs n’étaient pas crédibles lorsqu’ils affirmaient avoir déjà été menacés par les maoïstes au Népal. Il a également conclu que les éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays démontraient que le gouvernement népalais prenait des mesures pour réduire les activités des maoïstes. Ainsi, selon les éléments de preuve dont disposait l’agent, un risque généralisé pour l’ensemble de la population du Népal posé par les maoïstes n’a pas été établi, lequel, par inférence, aurait pu permettre de conclure qu’il entraîne des difficultés pour les demandeurs. En outre, les lettres d’appui présentées par les demandeurs n’ont pas établi un lien entre la situation actuelle des demandeurs et la résurgence des maoïstes. Par conséquent, les demandeurs n’ont pas non plus démontré que compte tenu de leur situation particulière ou personnelle, ils éprouveraient probablement ces difficultés s’ils devaient retourner au Népal. Pour ce motif, l’agent a raisonnablement accordé peu de poids à cette considération.

[39] L’agent a également tenu compte des observations des demandeurs quant au manque d’approvisionnement en eau. À cet égard, ils avaient présenté un article de 2017 selon lequel la demande en eau était supérieure à l’approvisionnement à Katmandou. L’agent a toutefois fait observer que les demandeurs ne vivaient pas à Katmandou avant de venir au Canada. Ils n’avaient pas non plus laissé entendre qu’ils avaient eu des problèmes avec l’approvisionnement en eau avant de quitter le Népal ou que les membres de leur famille y vivant actuellement rencontrent des problèmes avec l’approvisionnement en eau. Les demandeurs considèrent qu’une exigence a été introduite en ce qui concerne des difficultés passées, mais je ne suis pas d’accord. L’agent a examiné les éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays, mais a conclu que les problèmes d’approvisionnement en eau étaient propres à un endroit et qu’il n’y avait pas non plus de preuve d’un lien avec la situation personnelle des demandeurs. Autrement dit, les éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays n’ont pas démontré qu’il y avait des conditions défavorables généralisées dans le pays ou que les demandeurs étaient personnellement susceptibles de se heurter à des difficultés à leur retour au pays en raison du manque d’approvisionnement en eau invoqué. L’agent a également tenu compte du fait qu’aucun élément de preuve ne laisse penser que les demandeurs ont été confrontés à ce problème pendant qu’ils vivaient au Népal ou que les membres de leur famille y vivant actuellement souffrent d’un approvisionnement en eau insuffisant dans la région du Népal où ils vivent. En d’autres termes, aucun élément de preuve ne démontre que ces difficultés ont eu, et auraient donc probablement encore ou auraient en cas de retour, une incidence sur les demandeurs en raison de leur situation particulière.

[40] L’agent a également examiné l’argument des demandeurs suivant lequel le Népal continue d’avoir de la difficulté à se remettre d’un tremblement de terre survenu en 2015. L’agent a conclu que les éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays démontrent un niveau de vie plus bas au Népal qu’au Canada, mais que les demandeurs n’ont pas par ailleurs établi un lien entre l’incidence du tremblement de terre et [traduction] « eux personnellement ». Ils ont vécu au Népal en 2015 et en 2016, mais ils n’ont pas expliqué la façon dont ils avaient été affectés par le tremblement de terre à ce moment-là, ou par toute autre catastrophe naturelle, avant de venir au Canada. Autrement dit, étant donné qu’ils n’ont pas établi avoir été affectés négativement et en l’absence de tout élément de preuve montrant de quelle façon ces difficultés auraient maintenant une incidence sur eux compte tenu de leur situation particulière, comme l’itinérance ou un déplacement, il était peu probable qu’ils soient touchés par le tremblement de terre sept ans plus tard. L’agent a eu recours à un raisonnement semblable en ce qui a trait aux observations des demandeurs relatives à l’insécurité alimentaire et à la mauvaise qualité de l’air. L’agent a conclu que, dans l’ensemble, les conditions de vie sont généralement meilleures au Canada qu’au Népal, mais que le simple fait pour les demandeurs de le souligner ne démontrait pas des difficultés dans leur situation personnelle et que la dispense pour considérations d’ordre humanitaire n’a pas pour objectif de compenser la différence de niveau de vie entre le Canada et d’autres pays. Pour cette raison, et compte tenu du fait que les demandeurs n’ont pas établi de lien entre les conditions dans le pays et eux personnellement, l’agent a accordé peu de poids aux conditions défavorables dans le pays.

[41] Les demandeurs font également valoir, par exemple, qu’ils ont fourni de la documentation sur les conditions dans le pays montrant que la qualité de l’air est moindre au Népal qu’au Canada. En outre, étant donné que la qualité de l’air est vérifiée pour l’ensemble du Népal, il était donc déraisonnable de la part de l’agent de conclure que les demandeurs ne seraient pas touchés par cette condition générale et d’exiger d’eux qu’ils établissent explicitement l’existence d’un risque personnalisé. Cependant, à mon avis, le simple fait que la qualité de l’air est moindre au Népal qu’au Canada ne signifie pas nécessairement que les demandeurs éprouveront des difficultés s’ils y sont renvoyés. Il incombait aux demandeurs de démontrer qu’ils feraient face à des difficultés en raison de la qualité de l’air. Pour ce faire, ils pourraient démontrer que toute la population est gravement touchée par les conditions défavorables dans le pays. J’ajouterais toutefois qu’il s’agirait d’une circonstance tout à fait exceptionnelle et qu’il faut garder à l’esprit qu’il y a au Canada un processus administratif par lequel le renvoi de demandeurs d’asile déboutés vers leur pays d’origine est retardé dès que le Canada a déterminé que des conditions dans le pays pourraient gravement mettre en danger la vie ou la sécurité de l’ensemble de la population civile dans ce pays. Par exemple, les renvois vers un pays ou un lieu sont interrompus au moyen d’une suspension temporaire des renvois lorsque des conditions générales, comme un conflit armé ou une catastrophe environnementale, représentent un risque pour l’ensemble de la population civile.

[42] Les demandeurs pourraient également établir qu’ils feraient face à des difficultés en raison de la mauvaise qualité de l’air en démontrant que, compte tenu de leur situation, il existe un lien avec les conditions défavorables dans le pays qui ferait en sorte qu’ils seraient touchés personnellement. Par exemple, ces difficultés pourraient être attribuables à de l’asthme ou à un autre problème de santé; à l’incidence de la qualité de l’air sur eux dans le passé qui est susceptible de se répéter; ou à l’incidence actuelle sur les membres de leur famille au Népal qui pourrait également toucher les demandeurs s’ils sont renvoyés dans ce pays. Comme l’a constaté l’agent, ils n’ont pas fourni d’éléments de preuve pour établir qu’ils feraient probablement face à ces difficultés personnellement.

[43] Encore une fois, bien que les termes utilisés par l’agent ne soient certainement pas idéaux, en fin de compte, je ne suis pas convaincue que l’agent ait introduit une exigence en ce qui concerne des difficultés passées ou a exigé qu’ils fournissent des éléments de preuve personnalisés quant aux difficultés. Compte tenu des éléments de preuve dont il disposait, l’agent pouvait raisonnablement accorder peu de poids aux allégations concernant des difficultés découlant des conditions défavorables dans le pays.

[44] Les demandeurs affirment également que l’analyse de l’agent relative aux difficultés est déraisonnable, car l’agent s’est servi d’aspects positifs de leur établissement, à savoir leur débrouillardise et leur capacité d’adaptation, comme un facteur défavorable dans l’appréciation des difficultés, étant donné que ces mêmes qualités les aideraient à s’établir de nouveau au Népal, atténuant ainsi les difficultés auxquelles ils seraient confrontés à leur retour au pays. Ils affirment que cela ne respecte pas la jurisprudence, citant Lauture c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 336 [Lauture] au para 26.

[45] Le défendeur affirme que l’agent a raisonnablement examiné les agissements des demandeurs au Canada pour avoir une idée de la façon dont ils pourraient s’en tirer à leur retour au Népal. Les compétences et qualités qui les ont aidés au Canada pourraient également les aider au Népal.

[46] Dans la décision Sousa Bettencourt c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 FC 225 aux paragraphes 79-87, j’ai passé en revue la jurisprudence, dont les décisions Lauture, Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1633 et Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 163 se rapportant à cette question, et conclu qu’elle a établi que les agents ne peuvent pas se servir de la débrouillardise et de la capacité d’adaptation d’un demandeur, lesquelles l’ont aidé à s’établir au Canada et ont pu améliorer le degré de cet établissement, pour diminuer le poids à accorder à cette considération positive (établissement) ou pour transformer une considération positive en considération négative. Cependant, je n’étais pas convaincue que les agents ne puissent tenir compte de ces mêmes qualités pour évaluer de façon distincte si elles serviront à atténuer les difficultés d’un demandeur à son retour au pays (voir également Ollivierre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 FC 599 aux para 52-56; Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 368 au para 33). Autrement dit, il n’est pas déraisonnable que certaines qualités, en l’espèce la capacité d’adaptation, aient une incidence différente sur l’établissement et les difficultés d’une manière qui confirme le caractère distinctif des deux considérations. Ce n’est pas qu’une conclusion positive relativement à l’établissement s’est nécessairement soldée par une conclusion négative pour ce qui est des difficultés. En fait, les qualités qui ont contribué à l’établissement des demandeurs au Canada les aideront aussi à minimiser les difficultés qu’ils rencontreront à leur retour au Népal.

[47] En l’espèce, l’agent a d’abord examiné l’établissement des demandeurs au Canada, lui accordant un poids positif modéré. L’agent a ensuite évalué les difficultés. En abordant le sujet de l’emploi, l’agent a conclu que les demandeurs semblaient également être des personnes ayant une grande capacité d’adaptation, eux qui sont arrivés au Canada avec des liens minimaux et qui ont été en mesure de se faire des amis et de trouver du travail. Compte tenu de son analyse complète relative aux difficultés en matière d’emploi, l’agent a accordé peu de poids à cette considération.

[48] Contrairement à ce qu’allèguent les demandeurs, l’agent ne s’est pas fondé systématiquement sur leur établissement pour en venir à la conclusion qu’ils ont une capacité d’adaptation et qu’ils sont débrouillards et donc en mesure de s’établir de nouveau au Népal. Selon moi, l’agent n’a pas non plus confondu les analyses relatives à l’établissement et aux difficultés, utilisé le degré d’établissement des demandeurs pour diminuer les difficultés qu’ils rencontreraient en cas de renvoi, ni accordé trop de poids à la capacité d’adaptation et à la débrouillardise des demandeurs en n’appréciant pas de manière appropriée d’autres éléments de preuve quant à des difficultés.

[49] Par conséquent, les demandeurs n’ont pas relevé d’erreur susceptible de contrôle pour ce qui est de l’analyse effectuée par l’agent relativement aux difficultés.

iii. Établissement

[50] Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis trois erreurs dans son évaluation de l’établissement.

[51] Ils prétendent d’abord que l’agent a commis une erreur en limitant son examen des considérations d’ordre humanitaire à une recherche de difficultés inhabituelles et démesurées. En examinant la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire uniquement à la lumière du critère des difficultés, l’agent n’aurait pas appliqué l’approche plus générale et plus équitable établie dans l’arrêt Kanthasamy et aurait entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[52] Deuxièmement, l’agent aurait effectué une comparaison déraisonnable entre le degré d’établissement des demandeurs et celui d’autres résidents canadiens vivant au Canada depuis le même nombre d’années, approche ayant été critiquée par la Cour fédérale, citant : Stuurman c Canada (Citoyenneté et Immigration) [Stuurman], 2018 CF 194 aux para 23-24. Cela a été fait sans explication en ce qui a trait au degré d’établissement attendu des demandeurs ou des autres résidents auxquels ils ont été comparés. L’agent aurait dû à tout le moins signaler ce qui faisait défaut dans l’établissement des demandeurs. En outre, la comparaison des demandeurs avec d’autres résidents a été constamment considérée comme étant déraisonnable, citant Jamrich c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 804 au para 29.

[53] Troisièmement, l’agent s’attendait à tort à un établissement « exceptionnel » à la suite de la comparaison. L’agent aurait dû examiner uniquement la question de savoir si la situation des demandeurs fonctionnait comme une exception à la règle générale (citant Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1482 au para 28).

[54] Le défendeur affirme que l’agent n’a décelé dans la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en général des demandeurs, ou leur degré d’établissement en particulier, aucune caractéristique permettant d’établir une distinction entre leur demande et la myriade d’autres demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire soumises pour examen. Une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire doit comporter un aspect positif atypique justifiant qu’on lui accorde une attention particulière. Si l’octroi du statut de résident permanent au moyen du processus relatif aux considérations d’ordre humanitaire n’est pas réservé à des cas exceptionnels, cela deviendrait simplement une solution parallèle pour immigrer (citant Sutherland c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1212 au para 11; Meniuk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1374 au para 43).

[55] À mon avis, les motifs de l’agent n’étayent pas les dires des demandeurs selon lesquels l’agent a examiné leur demande sous l’angle des difficultés. Les demandeurs ne mentionnent rien dans les motifs de l’agent à l’appui de cette observation. L’agent a plutôt tenu compte des considérations d’ordre humanitaire présentées par les demandeurs, dont les difficultés, dans le contexte de son évaluation générale visant à déterminer si ces considérations justifiaient une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[56] Quant à l’argument des demandeurs suivant lequel l’agent cherchait un degré d’établissement exceptionnel, ce qui est en cause est la déclaration de l’agent concernant le fait que les demandeurs s’étaient fait des amis et avaient occupé un emploi pendant une partie de leur séjour au Canada et conservé un bon dossier civil, qui sont des facteurs ayant eu une incidence positive sur leur établissement, mais [traduction] « [p]ar ailleurs, je souligne que l’on s’attend de tous les résidents du Canada qu’ils présentent bon nombre de ces caractéristiques, et j’accorde un certain poids favorable à l’établissement des demandeurs ».

[57] Contrairement à l’affaire Zhang, invoquée par les demandeurs, en l’espèce l’agent n’a pas conclu que le degré d’établissement des demandeurs n’était pas « exceptionnel » et ses motifs ne démontrent pas qu’il croyait que les demandeurs étaient tenus de faire la preuve de l’existence de difficultés ou d’un établissement « exceptionnels » (Zhang, au para 28). Ainsi, bien que les demandeurs en déduisent que l’agent exige d’eux qu’ils démontrent un degré d’établissement exceptionnel, je ne suis pas d’accord. Et, fait révélateur, l’agent a accordé un certain poids favorable à l’établissement des demandeurs. Par conséquent, il n’est pas manifeste que l’agent a fait abstraction du degré d’établissement des demandeurs compte tenu de cette conclusion, comme c’était le cas dans l’affaire Stuurman.

Conclusion

[58] Pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas convaincue que l’agent ait commis une erreur susceptible de contrôle dans ses motifs. En fin de compte, l’agent doit soupeser et pondérer tous les facteurs pour déterminer si la situation des demandeurs justifie une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR et c’est ce qu’il a fait en l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM-20-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés;

  3. Aucune question de portée générale à certifier n’a été proposée ni n’est soulevée.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-20-22

 

INTITULÉ :

SURYA BAHADUR BHUJEL, YASHODA BHUJEL, ET YOGESH RANA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 MAI 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 12 JUIN 2023

 

COMPARUTIONS :

Anna Davtyan

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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