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Date : 20230213

Dossier : IMM-2872-22

Référence : 2023 CF 210

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 13 février 2023

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

PRINCE KATARIA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur a demandé l’annulation de la décision rendue le 26 février 2021 par un agent d’immigration du Haut-commissariat à New Delhi (Inde). L’agent a rejeté la demande de permis de travail que le demandeur avait présentée dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires parce qu’il n’était pas convaincu que le demandeur avait répondu véridiquement à toutes les questions qui lui avaient été posées.

[2] L’agent a également conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour cinq ans en application des alinéas 40(1)a) et 40(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).

[3] Le demandeur demande à la Cour d’annuler la décision au motif qu’elle serait déraisonnable au regard des principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 563.

[4] Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée. Le demandeur n’a pas démontré que la décision de l’agent était déraisonnable.

I. Les faits et événements à l’origine de la présente demande

[5] Le demandeur est un citoyen de l’Inde.

[6] En octobre 2019, le demandeur a reçu une offre d’emploi d’un magasin d’alcools d’Edmonton (Alberta) pour un poste de superviseur de magasin de vente au détail. L’employeuse avait obtenu une étude d’impact sur le marché du travail (l’EIMT) pour ce poste.

[7] Au cours des mois qui ont suivi, le demandeur a présenté deux demandes de permis de travail. Les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) ont refusé les deux demandes.


a) Le premier refus de permis de travail

[8] Le demandeur est arrivé au Canada en novembre 2019. Il a présenté une demande de permis de travail à son arrivée à l’aéroport international d’Edmonton, fondée sur l’offre d’emploi du magasin d’alcools. Un agent de l’ASFC l’a interrogé au point d’entrée. L’agent a appelé au magasin d’alcools et a obtenu des renseignements qui ne concordaient pas avec la nécessité d’embaucher un superviseur. Le demandeur a dit à l’agent de l’ASFC que le magasin l’avait récemment informé du fait qu’il n’avait pas besoin d’un superviseur, mais qu’il avait besoin d’un employé.

[9] L’agent de l’ASFC a conclu que l’offre d’emploi n’était pas authentique et a refusé la demande de permis de travail du demandeur. L’entrée de l’agent dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC) indiquait ce qui suit :

[traduction]
Le demandeur n’est ni un citoyen canadien, ni un résident permanent [ni] un Indien inscrit. Le demandeur est un ressortissant indien qui vient au Canada pour travailler dans un magasin d’alcools. Il a fait le voyage de Delhi à Edmonton en passant par Amsterdam et Minneapolis. Il n’a pas de visa de travail, mais plutôt un visa de visiteur V-1. Il détient l’EIMT no 85016534 pour un poste de superviseur dans un magasin d’alcools à Edmonton, situé à [adresse]. Durant l’interrogatoire, l’agent des services frontaliers a appelé au magasin d’alcools ainsi qu’au numéro de téléphone de la propriétaire figurant sur l’EIMT dans le but d’éclaircir certains renseignements sur le poste. Il a été impossible de joindre la propriétaire. L’agent a parlé avec un employé du magasin d’alcools, qui a fourni des renseignements sur le magasin. L’employé a mentionné que seulement trois employés y travaillent au total, contrairement aux cinq ou six que le demandeur a déclaré qu’il superviserait. L’employé a également dit que la propriétaire, [nom], travaille à cet emplacement durant la journée et était partie à 17 h. Ces renseignements contredisent la nécessité d’un superviseur à l’emplacement en question. Le demandeur a présenté des lettres [de] TATA Sky et de Vodafone confirmant son expérience. Il a déclaré qu’il détenait des franchises des deux entreprises en Inde. Après examen des deux lettres, il semble que, selon le code de la CNP pour le poste de superviseur, la seule exigence soit d’avoir de l’expérience. Lorsque le demandeur a été informé du fait que non seulement il n’avait pas le bon visa, mais qu’il semblait que le magasin d’alcools n’avait pas besoin d’un superviseur, il a déclaré que la propriétaire venait juste de l’informer du fait que le magasin n’avait pas besoin d’un superviseur, mais plutôt d’un travailleur. La possibilité de lui délivrer un permis de séjour temporaire a été envisagée au début de l’examen, mais les multiples indications selon lesquelles le poste n’était pas légitime ont mené à la décision de délivrer une autorisation de quitter le Canada.

[Non souligné dans l’original.]

[10] L’agent a refusé l’entrée au demandeur, qui est retourné en Inde.

b) Le second refus de permis de travail

[11] Peu après, en janvier 2020, le demandeur a présenté une seconde demande de permis de travail au Haut-commissariat à New Delhi. Sa demande était fondée sur la même offre d’emploi de superviseur au magasin d’alcools et sur la même EIMT.

[12] Un agent du Haut-commissariat du Canada à New Delhi a examiné la demande de permis de travail du demandeur à la fin de février 2020. L’entrée de l’agent dans le SMGC faisait état du refus de permis de travail antérieur à l’aéroport international d’Edmonton et du fait que l’interrogatoire à ce moment-là avait mené à la conclusion que l’offre d’emploi du demandeur n’était pas authentique. L’agent a également mentionné que le demandeur avait présenté la même EIMT et la même offre d’emploi datée du 25 octobre 2019. Les observations du demandeur n’étaient [traduction] « pas étayées par la mention d’un changement dans la situation ou les besoins de l’employeuse ou par des renseignements mis à jour reflétant ce changement ». Par conséquent, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur avait produit une preuve d’une offre d’emploi authentique. Après avoir examiné d’autres éléments de preuve, l’agent n’était [traduction] « pas convaincu que le demandeur est un véritable résident temporaire qui se conformerait aux conditions de son séjour autorisé. La véritable intention du demandeur est également préoccupante. » L’agent a décidé d’envoyer une lettre relative à l’équité procédurale au demandeur pour l’informer du fait qu’il avait [traduction] « présenté un document qui semble frauduleux en raison de diverses incohérences » et pour demander une explication.

[13] Par une lettre relative à l’équité procédurale datée du 4 juin 2020, l’agent a informé le demandeur qu’il avait présenté des documents à l’appui qui semblaient frauduleux en raison de diverses incohérences et lui a demandé d’expliquer [traduction] « comment les documents avaient été obtenus et pourquoi [il] les avait présentés à l’appui de [sa] demande ». La lettre avertissait le demandeur que, s’il était conclu qu’il avait fait une présentation erronée dans sa demande de permis de travail, il pourrait être déclaré interdit de territoire au Canada pour cinq ans en application de la LIPR.

[14] En réponse, le demandeur a déclaré sous serment qu’il ne savait pas de quels documents il était question dans la lettre relative à l’équité procédurale. Il a confirmé qu’il avait répondu véridiquement à toutes les questions posées dans le formulaire de demande et que les documents à l’appui étaient authentiques, qu’il n’avait pas fait de présentation erronée ni de réticence sur des faits importants et qu’il pouvait fournir des documents supplémentaires au besoin pour appuyer sa demande et prouver que les documents étaient authentiques.

[15] Un agent à New Delhi a examiné la réponse du demandeur. Selon les notes versées dans le SMGC le 13 mai 2021, l’agent a reconnu que le demandeur avait dit qu’il ne savait pas quels documents l’agent précédent croyait frauduleux. L’agent a décidé d’envoyer une seconde lettre relative à l’équité procédurale et en a consigné le contenu dans le SMGC.

[16] L’agent a envoyé la seconde lettre relative à l’équité procédurale datée du 5 juillet 2021. Ses doutes y sont décrits ainsi :

[traduction]
Je doute que l’offre d’emploi au Canada soit authentique. Plus précisément, lorsque vous avez été interrogé en personne par l’agent de l’ASFC en novembre 2019, vous avez dit que l’employeuse venait de vous informer du fait qu’elle n’avait plus besoin d’un superviseur et qu’elle avait plutôt besoin d’un employé seulement.

Par conséquent, il vous incombe de présenter des éléments de preuve montrant que l’employeuse au Canada vous offre toujours un poste de superviseur de la CNP visé dans l’EIMT 8501653 ainsi que des documents à l’appui montrant que l’employeuse au Canada a besoin d’un superviseur en mesure de satisfaire aux conditions de l’offre d’emploi sur le plan [de la] rémunération.

[17] Le demandeur a répondu par écrit le 21 juillet 2021 en disant qu’il avait communiqué avec son employeuse après avoir reçu la seconde lettre relative à l’équité procédurale et [traduction] « qu’elle [l’]avait informé du fait qu’elle avait vendu le magasin quelques semaines auparavant ». Il a demandé à retirer sa demande de permis de travail. Il a également présenté une lettre de l’employeuse datée du 14 juillet 2021 et une copie de l’acte de vente entre deux sociétés, signé le 30 avril 2021, concernant une entreprise située à la même adresse que l’entreprise lui ayant fait une offre d’emploi et qui est mentionnée dans les notes consignées dans le SMGC à l’aéroport d’Edmonton. L’acte de vente renvoyait à une convention d’achat et de vente datée du 9 avril 2021.

[18] La lettre de l’employeuse indiquait que le demandeur s’était vu offrir le poste de superviseur du magasin d’alcools. Elle indiquait aussi que l’employeuse avait dû partir pour l’Inde en raison d’une urgence familiale et qu’elle avait demandé au demandeur de venir à Edmonton et de présenter une demande de permis de travail au point d’entrée. Il y était mentionné que l’employeuse avait [traduction] « décidé d’embaucher quelqu’un de façon occasionnelle pour palier au manque immédiat de personnel ». La lettre prétendait décrire ce qui s’était passé entre le demandeur et l’agent à l’aéroport d’Edmonton et l’appel téléphonique de l’agent au magasin. Elle indiquait que l’employeuse avait poursuivi ses efforts de recrutement, mais qu’elle n’avait pas pu trouver de Canadiens ou de résidents permanents pouvant répondre aux exigences du poste. De plus, il devenait [traduction] « de plus en plus complexe pour [l’employeuse] de concilier son travail et sa vie personnelle », alors elle a vendu le magasin le 9 avril 2021. L’employeuse a déclaré ce qui suit : [traduction] « Nous avons demandé [au demandeur] de retirer sa demande de permis de travail. »

II. La décision faisant l’objet du contrôle

[19] Dans une lettre datée du 26 février 2022, un agent à New Delhi a refusé la seconde demande de permis de travail du demandeur parce qu’il n’était pas convaincu que le demandeur avait répondu véridiquement à toutes les questions qui lui avaient été posées. L’agent a également conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour cinq ans pour fausses déclarations en application des alinéas 40(1)a) et 40(2)a) de la LIPR parce qu’il avait fait, directement ou indirectement, une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou pourrait entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[20] L’entrée versée dans le SMGC par l’agent le 26 février 2022 indiquait ce qui suit :

[traduction]
J’ai examiné la demande, les documents à l’appui et les notes concernant la demande. Le demandeur a présenté une demande de permis de travail pour entrer au Canada à titre de résident temporaire. Lors de l’examen de la demande, des doutes ont été soulevés au sujet de l’offre d’emploi présentée avec la demande. La légitimité de l’offre était particulièrement mise en doute. Une lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée au demandeur. La lettre relative à l’équité procédurale énonçait les doutes de l’agent, ainsi que les conséquences d’une conclusion au titre de l’article 40 de la LIPR, y compris le fait d’être interdit de territoire au Canada pour cinq ans. Le demandeur s’est vu offrir la possibilité de répondre aux doutes de l’agent. La date limite indiquée dans la lettre relative à l’équité procédurale est passée, et le demandeur a répondu aux doutes. Les doutes ont été examinés, mais la réponse ne dissipe pas les doutes concernant l’authenticité de l’offre. À mon avis, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur a présenté de faux documents à l’appui de la demande de permis de travail. Une offre d’emploi est importante pour l’évaluation de l’admissibilité à un permis de travail et de l’intention du demandeur de travailler pour l’employeur déclaré à titre de travailleur étranger temporaire. Si l’offre d’emploi avait été considérée comme étant authentique, cela aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR, étant donné que l’agent aurait pu délivrer un permis de travail au demandeur à tort en croyant qu’il avait une offre d’emploi authentique au Canada et que c’était un travailleur étranger temporaire de bonne foi ayant sincèrement l’intention de travailler au Canada. Par conséquent, je suis d’avis que le demandeur est interdit de territoire au Canada en application de l’article 40 de la LIPR. La demande est refusée pour des motifs prévus à l’article 40 de la LIPR. Conformément à l’alinéa 40(2)a), l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, la date de la lettre de refus.

[Non souligné dans l’original.]

[21] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur conteste la décision relative au second refus.

III. Norme de contrôle

[22] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable consiste en un examen empreint de déférence et rigoureux visant à déterminer si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12-13 et 15. Les motifs du décideur, qui doivent être interprétés de façon globale et contextuelle et lus en corrélation avec le dossier dont était saisi le décideur, sont le point de départ du contrôle. Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, aux para 85, 91-97, 103, 105-106 et 194; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 RCS 900 aux para 2, 28-33 et 61.

IV. Analyse

[23] Le mémoire des arguments du demandeur soulevait deux questions principales : i) celle de savoir si l’agent avait commis une erreur en concluant que le demandeur avait présenté de faux documents à l’appui de sa demande de permis de travail et ii) celle de savoir si l’agent avait omis d’appliquer l’exception de l’erreur de bonne foi relativement à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR et avait conclu à tort que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations.

a) La décision de l’agent était-elle raisonnable relativement à la seconde demande de permis de travail?

[24] À l’audience, le demandeur s’est concentré sur son premier argument. Il a soutenu que l’offre d’emploi de l’employeuse était authentique au moment où elle a été faite et qu’elle est demeurée valide jusqu’à ce que l’employeuse vende le magasin en avril 2021, plus d’un an après le dépôt de la seconde demande de permis de travail. Le demandeur a renvoyé à la lettre de l’employeuse envoyée en réponse à la seconde lettre relative à l’équité procédurale, faisant essentiellement valoir que l’agent aurait dû en admettre le contenu dans son intégralité.

[25] Le demandeur a également fait valoir que l’agent aurait dû considérer l’EIMT comme une preuve que l’offre d’emploi était authentique et aurait dû mener une enquête plus approfondie en communiquant avec l’employeuse ainsi qu’avec Emploi et Développement social Canada (EDSC) avant de rendre une décision. Il a renvoyé aux paragraphes 43 à 45 de la récente décision Jandu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1787. Il a soutenu qu’il devrait se voir accorder un niveau élevé d’équité procédurale compte tenu des enjeux pour lui (renvoyant à Vavilov, au para 133; Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1284 aux para 24-25; Likhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 171 au para 27).

[26] Les observations du demandeur ne me convainquent pas. Je conviens avec le défendeur que, compte tenu du dossier dont disposait l’agent, des doutes soulevés dans les notes versées dans le SMGC et dans la seconde lettre relative à l’équité procédurale ainsi que du cadre juridique applicable, le demandeur n’a pas démontré que la décision de refuser la seconde demande de permis de travail était déraisonnable.

[27] Premièrement, d’après le dossier, il était loisible à l’agent de fonder son refus sur les motifs qu’il a donnés. Le demandeur a présenté la seconde demande de permis de travail en janvier 2020, utilisant l’offre d’emploi qui avait été rejetée à son arrivée au point d’entrée en novembre 2019 au motif qu’elle n’était pas authentique. Sa seconde demande ne contenait aucun nouveau renseignement donnant à penser que l’offre d’emploi était authentique ou que les faits avaient changé en quoi que ce soit. Les deux lettres relatives à l’équité procédurale adressées au demandeur concernant sa seconde demande l’informaient du fait que l’ASFC doutait de l’authenticité de l’offre d’emploi visant un poste de superviseur au magasin d’alcools. La seconde lettre relative à l’équité procédurale attirait expressément l’attention du demandeur sur ses propres déclarations au point d’entrée d’Edmonton : [traduction] « lorsque vous avez été interrogé en personne par l’agent de l’ASFC en novembre 2019, vous avez mentionné que l’employeuse venait de vous informer du fait qu’elle n’avait plus besoin d’un superviseur, mais plutôt d’un employé».

[28] Dans ses propres réponses à la seconde lettre relative à l’équité procédurale, le demandeur n’a pas nié cette déclaration ni tenté de l’expliquer. Il n’a parlé d’aucun changement de situation, entre le rejet de sa première demande de permis de travail et le dépôt de la seconde demande, qui aurait pu avoir une incidence sur la conclusion de l’agent quant à l’authenticité de l’offre visant un poste de superviseur.

[29] La lettre de l’employeuse indiquait que cette dernière se trouvait en Inde de façon imprévue, tant lorsqu’elle a demandé au demandeur d’obtenir un permis de travail à son arrivée au Canada que lorsqu’il est arrivé à l’aéroport d’Edmonton. Il y était également indiqué que le demandeur s’était vu offrir le poste de superviseur d’un magasin d’alcools, mais il n’était pas question d’un élément clé soulevé dans la seconde lettre relative à l’équité procédurale, à savoir si l’employeuse avait informé le demandeur du fait qu’elle n’avait plus besoin d’un superviseur et qu’elle avait seulement besoin d’un employé. La lettre de l’employeuse confirmait que cette dernière avait [traduction] « décidé d’embaucher quelqu’un de façon occasionnelle pour combler le manque immédiat de personnel ». Elle confirmait implicitement que le magasin avait fonctionné sans superviseur pendant que l’employeuse se trouvait en Inde, y compris lorsque le demandeur est arrivé en novembre 2019. Ni le demandeur ni son employeuse éventuelle n’ont présenté d’autres documents à l’appui montrant que l’employeuse avait besoin d’un superviseur au magasin d’alcools comme il avait été demandé dans la seconde lettre relative à l’équité procédurale.

[30] Dans ce contexte, il était loisible à l’agent de conclure, sur le fondement du dossier, que la réponse du demandeur à la seconde lettre relative à l’équité procédurale ne dissipait pas les doutes remontant au refus de la première demande de permis de travail quant à l’authenticité de l’offre d’emploi pour un poste de supervision.

[31] Deuxièmement, il incombait au demandeur, dès le départ, de déposer suffisamment de renseignements à l’appui de sa seconde demande de permis de travail et de faire de son mieux pour satisfaire aux exigences réglementaires relativement à la présentation des demandes : Safdar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 189 au para 10; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 483 au para 30 (et les affaires qui y sont citées); Sangha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 95 aux para 42 et 47. De même, il incombait au demandeur de répondre à la seconde lettre relative à l’équité procédurale, et il n’a pas fait valoir qu’il ne connaissait pas la preuve à réfuter : voir Babafunmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 948 au para 21.

[32] Le premier agent avait communiqué avec l’employeuse en novembre 2019 au moment de la première demande de permis de travail, et le demandeur avait présenté la lettre de l’employeuse en réponse à la seconde lettre relative à l’équité procédurale. Dans ce contexte, l’ASFC n’était pas tenue de communiquer de nouveau avec l’employeuse éventuelle. Le demandeur n’a pas démontré qu’il existait d’autres exigences juridiques à cet égard, et je ne vois rien dans la preuve qui oblige à poser des questions supplémentaires à l’employeuse.

[33] Troisièmement, une EIMT favorable n’est pas déterminante quant à l’authenticité d’une offre d’emploi. Un agent peut poser des questions distinctes pour rendre une décision indépendante sur le fondement de la preuve : Jandu, 2022 CF 1787, au para 21; Dhaliwal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1344 au para 7; Patel, au para 32; Ul Zaman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 268 au para 37; Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132 au para 29; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 115 au para 20.

[34] Quatrièmement, je ne souscris pas à l’observation du demandeur selon laquelle l’agent devait communiquer avec EDSC pour se renseigner davantage et savoir si le ministère considérait l’offre d’emploi comme étant authentique. Selon mon interprétation, la décision Jandu, à laquelle renvoie le demandeur, n’impose pas à l’ASFC l’obligation de communiquer avec EDSC chaque fois qu’elle a des doutes quant à l’authenticité d’une offre d’emploi. Les circonstances à l’origine des conclusions du juge Diner dans la décision Jandu sont complètement différentes de la situation en l’espèce : voir Jandu, aux para 37-43. Rien dans les circonstances actuelles n’exigeait de communiquer avec EDSC.

[35] À la lumière des principes juridiques applicables et du dossier de preuve dont disposait l’agent (y compris les doutes exposés dans les entrées antérieures du SMGC sur lesquels la seconde lettre relative à l’équité procédurale était fondée), j’estime qu’il était loisible à l’agent de conclure que l’offre d’emploi n’était pas authentique.

[36] Dans ses observations, le demandeur a également fait valoir que, sur le fond, sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale prouvait qu’il n’avait aucune connaissance ou croyance du fait qu’il faisait de fausses déclarations quant à l’existence d’une offre d’emploi authentique provenant d’un magasin d’alcools. Dans ses observations écrites, le demandeur a souligné sa position concernant la gravité des conséquences pour lui et a renvoyé au degré plus strict d’équité procédurale qui est requis, lorsque l’ASFC examine de fausses déclarations possibles au titre de l’article 40 de la LIPR, pour veiller à ce que de telles conclusions ne soient tirées que lorsque les présentations erronées sont établies par une preuve claire et convaincante : voir Likhi, aux para 26-27.

[37] Cependant, dans la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour ne peut réexaminer le fond de la décision de l’agent ni décider si elle a été rendue à juste titre : Vavilov, au para 125. De plus, l’ASFC a envoyé au demandeur deux lettres relatives à l’équité procédurale concernant la question de savoir si l’offre d’emploi était authentique. Dans sa réponse à la première lettre, ce dernier a déclaré qu’il avait répondu à toutes les questions véridiquement et que tous les documents qu’il avait présentés étaient authentiques. Il a également demandé quels documents étaient en cause. Le demandeur n’a pas fait valoir que le contenu de la seconde lettre relative à l’équité procédurale n’était pas suffisant pour répondre à ses questions ou ne lui a pas donné une bonne compréhension de ce qui était en cause, ce qui est une position raisonnable compte tenu du contenu de cette lettre.

[38] Enfin, le demandeur faisait brièvement valoir dans ses observations écrites que l’agent n’avait pas fourni de motifs adéquats pour justifier la décision. Ce point n’a pas été soulevé à l’audience.

[39] À mon avis, les motifs justifiant les conclusions de fausses déclarations et d’interdiction de territoire sont discernables et adéquatement énoncés dans la lettre datée du 26 février 2022 et les notes du SMGC consignées le même jour, interprétées à la lumière du dossier : Vavilov, aux para 96-97.

[40] La lettre datée du 26 février 2022 indiquait que l’agent n’était pas convaincu que le demandeur avait répondu véridiquement à toutes les questions qui lui avaient été posées. Selon les notes du SMGC de février 2022, l’agent a examiné le dossier (la demande, les documents à l’appui et les notes). Il a reconnu que la légitimité de l’offre d’emploi présentée avec la demande soulevait des doutes et que le dépôt de [traduction] « faux documents à l’appui de la demande de permis de travail » était le fondement des fausses déclarations. Les notes antérieures dans le SMGC confirment, en résumé, que le demandeur s’est d’abord vu refuser l’entrée au Canada en raison de doutes concernant l’absence d’offre d’emploi authentique pour un poste de superviseur dans un magasin de détail. Le demandeur a ensuite présenté une seconde demande de permis de travail sur le fondement de la même offre d’emploi sans fournir d’explication ni de nouveaux faits pour expliquer pourquoi l’offre était maintenant authentique ou l’avait toujours été. Les deux refus de permis de travail avaient trait à la question de savoir si l’offre d’emploi pour un poste de superviseur était authentique. La seconde lettre relative à l’équité procédurale soulevait précisément cette question, y compris la propre déclaration du demandeur selon laquelle le magasin d’alcools n’avait pas besoin d’un superviseur lorsqu’il a présenté la première demande de permis de travail. La réponse du demandeur à la seconde lettre relative à l’équité procédurale ne dissipait pas réellement les doutes soulevés et ne faisait aucune mention d’une erreur de bonne foi.

[41] Les notes du SMGC de février 2022 mentionnent également l’importance des fausses déclarations et le fait qu’elles auraient pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[42] Pour les motifs qui précèdent, j’estime que la lettre et les notes du SMGC datées du 26 février 2022 expliquent adéquatement les conclusions de fausses déclarations et d’interdiction de territoire.

[43] Dans l’ensemble, l’argument principal du demandeur doit donc être rejeté.

b) L’exception relative à l’erreur de bonne foi au titre de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR

[44] Le deuxième argument du demandeur était que l’agent n’avait pas pris en compte et appliqué l’exception relative à l’erreur de bonne foi et avait conclu à tort que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations (renvoyant à Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 422 (Singh 2022) au para 13). Il a soutenu que l’agent n’avait pas tenu compte des éléments de preuve atténuants au dossier et n’aurait pas dû conclure qu’il était interdit de territoire.

[45] Je conviens avec le demandeur qu’il y a une exception restreinte relative à l’erreur de bonne foi pour l’application de l’alinéa 40(1)a) : voir par exemple Munoz Gallardo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1304 au para 19; Kazzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 153 au para 38; Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971 au para 31. Je conviens également que la Cour a conclu que, dans certaines circonstances, un agent peut commettre une erreur susceptible de révision s’il ne procède pas à une analyse sérieuse de l’exception relative à l’erreur de bonne foi : voir par exemple Singh (2022), au para 13; Ram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 795 au para 23; Berlin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1117 au para 22.

[46] Cependant, comme le défendeur l’a soutenu, un agent n’est pas tenu de tenir compte de l’exception relative à l’erreur de bonne foi dans tous les cas. S’il n’y a pas de fondement viable à l’application de l’exception, l’agent n’est pas tenu d’en tenir compte : Takhar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 420 au para 21; Malik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1004 au para 36; Alalami c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 328 au para 16. Comme l’a déclaré le juge Southcott dans la décision Singh 2022 : « [u]n agent peut commettre une erreur susceptible de révision s’il ne procède pas à une analyse sérieuse de l’exception relative à l’erreur de bonne foi alors que des éléments de preuve semblent appuyer son application […] » [non soulignée dans l’original]. Dans l’affaire Singh 2022 elle-même, le demandeur avait présenté des éléments de preuve et des observations à l’appui de l’exception relative à l’erreur de bonne foi, mais l’agent n’avait examiné ni les parties subjectives ni les parties objectives de l’exception.

[47] En l’espèce, l’exception n’avait pas d’application possible, compte tenu des questions en litige et des éléments de preuve dont disposait l’agent, ainsi que de la décision raisonnable de refuser la seconde demande de permis de travail en raison de l’offre d’emploi non authentique. Par ailleurs, le demandeur n’a pas soulevé l’exception devant l’agent avant cette décision.

[48] Par conséquent, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle relativement aux arguments du demandeur au sujet de l’exception relative à l’erreur de bonne foi au titre de l’alinéa 40(1)a) dans les circonstances.

V. Conclusion

[49] Pour les motifs qui précèdent, la demande sera rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a soulevé de question à certifier aux fins d’un appel et aucune ne sera énoncée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2872-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2872-22

 

INTITULÉ :

PRINCE KATARIA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 JANVIER 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 février 2023

COMPARUTIONS :

Navratan Singh Fateh

POUR LE DEMANDEUR

 

Keith Reimer

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fateh Law Corporation

Coquitlam (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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