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Date : 20230609


Dossier : T-2402-22

Référence : 2023 CF 820

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2023

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

DAVID KEYSTONE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par le ministre du Revenu national [le ministre] le 17 octobre 2022 [la décision]. Dans la décision rendue par un agent de l’Agence du revenu du Canada [ARC] ayant le pouvoir délégué [l’agent], celui-ci a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour annuler l’impôt payable sur des cotisations excédentaires du demandeur à son compte d’épargne libre d’impôt [CELI].

[2] Comme je l’explique plus en détail plus loin, la présente demande est rejetée, car la décision est raisonnable.

II. Contexte

[3] Le demandeur, M. David Keystone, est un contribuable canadien qui a commencé à cotiser à son CELI en 2014.

[4] En 2015, le demandeur a fait une cotisation excédentaire à son CELI. Par conséquent, l’ARC lui a écrit en mai 2016 pour l’aviser qu’il avait fait une cotisation excédentaire à son CELI et qu’il devait retirer immédiatement la cotisation excédentaire pour éviter les obligations fiscales connexes [lettre d’information].

[5] Plus récemment, le demandeur a fait une cotisation excédentaire à son CELI pour l’année d’imposition 2021. En juillet 2022, l’ARC a avisé le demandeur de cette cotisation excédentaire au moyen d’un avis de cotisation [avis de cotisation de 2021]. L’avis de cotisation de 2021 indiquait que le demandeur avait fait une cotisation excédentaire à son CELI et, par conséquent, qu’il devait à l’ARC 2 710,69 $. Ce montant était composé de l’impôt sur la cotisation excédentaire de 2 570,60 $, d’une pénalité de 128,53 $ et des intérêts. Le demandeur a finalement payé ce montant pour éviter d’engager d’autres frais.

[6] Le 25 juillet 2022, l’ARC a reçu la première demande du demandeur visant à faire annuler l’impôt et les pénalités figurant dans l’avis de cotisation de 2021 [première demande d’annulation]. Dans cette demande, le demandeur a expliqué qu’il avait consulté son profil sur le site Web de l’ARC, qui indiquait que ses droits de cotisation au CELI étaient de « (18 459,99 $) ». Il a expliqué qu’il avait interprété cette information comme indiquant qu’il avait des droits de cotisation de 18 459,99 $, sans se rendre compte que les parenthèses entourant ce montant indiquaient qu’il avait en réalité un plafond de cotisation négatif en raison de cotisations excédentaires antérieures. Le demandeur a indiqué qu’il prenait des mesures pour retirer le montant excédentaire.

[7] L’ARC a répondu à la première demande d’annulation dans une lettre le 25 août 2022. La lettre indiquait que la demande du demandeur était rejetée parce que la situation de celui-ci ne constituait pas une erreur raisonnable. Elle expliquait que le demandeur avait reçu la lettre d’information en 2016 en raison d’une cotisation excédentaire antérieure à son CELI et que, dès qu’il en était avisé, le contribuable était tenu de retirer toute cotisation excédentaire, et de tenir des registres exacts et de les réviser pour s’assurer qu’il respectait ses droits de cotisation au CELI. La lettre informait également le demandeur de son droit de demander un deuxième examen indépendant.

[8] Le demandeur a exercé ce droit en présentant une lettre que l’ARC a reçue le 9 septembre 2022 [deuxième demande d’annulation]. Dans cette lettre, le demandeur a fait valoir qu’il n’était pas responsable de sa contribution excédentaire. Il a répété qu’il ne savait pas qu’un plafond de cotisation affiché entre parenthèses désigne un montant négatif (c.-à-d. un excédent) et que, dès qu’il a appris qu’il avait fait une cotisation excédentaire, il a rapidement retiré le montant excédentaire de son compte CELI. Le demandeur a fait remarquer que, lorsqu’il a appelé l’ARC pour régler le problème, la personne avec qui il a parlé a admis qu’il n’était expliqué nulle part sur le site Web de l’ARC que les droits de cotisation à un CELI affichés entre parenthèses désignent un montant négatif. Le demandeur a également déclaré qu’il ne se souvenait pas de la cotisation excédentaire qui a donné lieu à la lettre d’information, mais qu’il devait s’agir d’une erreur parce qu’il est un contribuable honnête.

[9] Dans sa lettre du 17 octobre 2022, l’ARC a répondu à la deuxième demande d’annulation du demandeur, en indiquant qu’elle la refusait encore une fois. Ce refus est la décision qui fait l’objet du contrôle dans le cadre de la présente demande.

III. Décision faisant l’objet d’un contrôle

[10] Dans la décision, l’agent a expliqué que la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5supp) [la Loi] confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d’annuler tout ou partie de l’impôt sur les cotisations excédentaires au CELI. Toutefois, pour qu’une telle annulation soit accordée, l’impôt doit faire suite à une erreur raisonnable du contribuable et celui-ci doit avoir agi immédiatement pour retirer de son CELI les cotisations excédentaires.

[11] L’agent a également expliqué qu’il incombe au titulaire d’un compte de CELI de connaître les règles et règlements concernant les CELI et de gérer son CELI en conséquence. Conformément à ces règles, les montants indiqués entre parenthèses représentent des droits de cotisation négatifs.

[12] Après avoir constaté que le demandeur avait déjà fait des cotisations excédentaires en 2015 et que l’ARC l’avait informé de cette situation, l’agent a affirmé que l’ARC est d’avis que l’interprétation erronée des règles du CELI ne constitue pas une erreur raisonnable. L’agent a également souligné qu’il incombe aux contribuables de comprendre leurs régimes de CELI et les plafonds de ceux-ci et que la méconnaissance des règles fiscales ne peut être considérée comme étant indépendante de la volonté du contribuable, car l’information peut être facilement obtenue sur le site Web de l’ARC et par l’entremise de son service téléphonique pour renseignements généraux.

[13] Par conséquent, l’agent a rejeté la demande du demandeur.

IV. Question en litige et norme de contrôle

[14] Le défendeur soutient que la norme de contrôle que doit appliquer la Cour, pour l’examen des arguments du demandeur visant à contester la décision, est la norme de contrôle présumée, qui est la norme de la décision raisonnable (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], aux para 25 et 32). Je souscris à cette observation. Conformément à cette norme de contrôle, la seule question dont est saisie la Cour dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision est raisonnable.

V. Analyse

[15] Tout d’abord, je remarque l’observation du défendeur à l’audience de la présente demande selon laquelle le montant de 2 710,69 $ établi à l’égard du demandeur dans l’avis de cotisation de 2021 se rapporte aux cotisations excédentaires au CELI faites relativement à l’année d’imposition 2021. Le demandeur soutient qu’il a été induit en erreur par les parenthèses du montant (18 459,99 $), qui indiquait ses droits de cotisation au CELI dans son profil sur le site Web de l’ARC lorsqu’il l’a consulté en 2022, et qu’il a ensuite fait une cotisation de 18 459,99 $ en conséquence. Toutefois, le défendeur soutient que le demandeur n’a pas fait l’objet d’un avis de cotisation d’impôt ou de pénalités relativement à sa cotisation de 2022, qu’il a retirée après avoir reçu l’avis de cotisation de 2021. Autrement dit, le défendeur soutient que le montant (18 459,99 $) affiché sur le site Web de l’ARC en 2022 n’était pas attribuable à la cotisation excédentaire qui a donné lieu à l’avis de cotisation de 2 710,69 $.

[16] À l’audience, le demandeur a répondu à cette observation en faisant valoir qu’il s’est toujours fié aux renseignements figurant dans son profil sur le site Web de l’ARC pour connaître le montant de ses droits de cotisation au CELI et que, s’il a fait des cotisations excédentaires en 2021, il a dû le faire en se fondant sur les renseignements figurant sur le site Web.

[17] Le dossier dont la Cour est saisie ne renferme aucun élément de preuve qui me permettrait d’apprécier les renseignements auxquels le demandeur avait accès sur le site Web de l’ARC concernant ses droits de cotisation au CELI lorsqu’il a fait des cotisations en 2021. De plus, l’argument du défendeur selon lequel l’avis de cotisation de 2 710,69 $ n’était pas lié à la cotisation du demandeur de 2022 ne faisait pas partie de l’analyse de l’agent dans la décision. Le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire consiste à examiner le caractère raisonnable de la justification fournie dans la décision même (voir Vavilov au para 15). Par conséquent, je ne tirerai aucune conclusion sur cet argument particulier du défendeur.

[18] Toutefois, je souscris à la position du défendeur selon laquelle le caractère raisonnable de la décision doit être évalué dans le contexte de la preuve et des arguments particuliers présentés par le demandeur à l’agent (voir Vavilov au para 94). Les arguments du demandeur ont porté principalement sur le fait qu’il s’est fondé sur le montant affiché entre parenthèses dans son profil sur le site Web de l’ARC, et la décision a donc porté également sur ces arguments. La Cour doit se demander si l’analyse de l’agent en réponse à ces arguments satisfait à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[19] Je souscris également à l’observation du défendeur selon laquelle, dans le cadre du présent contrôle judiciaire et de l’évaluation du caractère raisonnable de la décision, la Cour doit se limiter à l’examen du dossier dont disposait l’agent au moment de rendre la décision. Selon la preuve dont la Cour est saisie, quatre des pièces jointes à l’affidavit du demandeur à l’appui de la présente demande (pièces C, D, E et I) ne faisaient pas partie du dossier dont disposait l’agent, et je ne tiendrai pas compte de ces pièces dans le cadre de mon examen.

[20] En ce qui concerne cet examen, je souligne d’abord l’observation du demandeur, faite à la fois à l’agent et à la Cour, selon laquelle il est un contribuable honnête et que toute cotisation excédentaire qu’il a faite était fondée sur un véritable malentendu quant aux droits de cotisation au CELI dont il disposait. Je ne comprends pas que le défendeur s’oppose à cette position. En effet, les avocats du défendeur ont souligné à l’audience que ni l’avis de cotisation de 2021 ni la décision de ne pas annuler cet avis de cotisation ne sont fondés sur une allégation ou une conclusion que le demandeur a été malhonnête.

[21] Comme le soutient le défendeur, la décision d’annuler l’obligation de payer de l’impôt (conformément à la disposition législative applicable, le paragraphe 207.06(1) de la Loi) exige plutôt que le contribuable établisse à la satisfaction du ministre que l’obligation découle d’une erreur raisonnable, et qu’une erreur raisonnable comporte une caractéristique objective (voir Kapil c Agence du revenu du Canada, 2011 CF 1373 au para 26).

[22] La décision en l’espèce portait sur cette évaluation objective. L’agent a pris acte de l’observation du demandeur selon laquelle sa cotisation excédentaire découlait du fait qu’il n’avait pas compris la signification des parenthèses entourant le montant qui figurait sur le site Web de l’ARC. Toutefois, l’agent a estimé qu’il incombe à chaque titulaire de compte de CELI de connaître les règles et règlements qui régissent les CELI et de gérer son CELI en conséquence, notamment en comprenant que l’utilisation de parenthèses représente des droits de cotisation négatifs. De façon générale, l’agent a conclu que, selon le régime fiscal d’autocotisation du Canada, il incombe aux particuliers de comprendre leur régime CELI et leur plafond.

[23] Comme l’a observé le défendeur, j’ai conclu que la décision reposait largement sur le fait que les droits de cotisation au CELI d’un contribuable, et plus particulièrement sur la question de savoir si un contribuable est en situation de cotisation excédentaire, sont fonction des cotisations et des retraits effectués par ce contribuable ou par ses conseillers en son nom. Par conséquent, il s’agit de renseignements que le contribuable devait connaître ou était en mesure de connaître. Ce raisonnement est compréhensible et satisfait donc à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[24] Comme rien ne me permet de conclure que la décision est déraisonnable, je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Bien que, dans son mémoire des faits et du droit, le défendeur demande que la présente demande soit rejetée et que les dépens soient adjugés à l’encontre du demandeur, le défendeur n’a présenté aucune observation à l’appui d’une demande de dépens ou de leur quantification à l’audition de la présente demande. La Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de n’adjuger aucuns dépens à l’encontre du demandeur.

[25] D’un point de vue purement procédural, le défendeur renvoie la Cour au paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales [les Règles], qui prévoit que, si aucune personne n’est directement touchée par l’ordonnance recherchée dans une demande de contrôle judiciaire, autre que l’office fédéral visé par la demande, le demandeur désigne le procureur général du Canada à titre de défendeur. Je souscris à l’argument du défendeur selon lequel l’intitulé de la présente demande devrait être modifié conformément au paragraphe 303(2) des Règles, et mon jugement sera rendu en ce sens.


JUGEMENT dans le dossier T-2402-22

LA COUR ORDONNE :

  1. L’intitulé de la présente affaire est modifié afin de désigner le procureur général du Canada à titre de défendeur.

  2. La présente demande est rejetée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Lucie Bergeron, traductrice agréée

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2402-22

INTITULÉ :

DAVID KEYSTONE c L’ARC

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 juin 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

Le 9 juin 2023

COMPARUTIONS :

David Keystone

Se représentant lui-même

George Lin

Andrea Jackett

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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