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Date : 20060105

Dossier : T-705-05

Référence : 2006 CF 3

Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

RENÉ-LUC GOSSELIN

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                     Le 22 avril 2005, le demandeur René-Luc Gosselin a introduit une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, à l'encontre d'une décision de la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles ( « Section d'appel » ) datée du 1er avril 2005. Par cette décision, la Section d'appel rejetait l'appel interjeté par le demandeur contestant l'unique condition spéciale (outre les conditions automatiques obligatoires) de libération ( « condition de non association » ) qui lui a été imposée, qui se lit comme suit :

Interdiction de toute rencontre et/ou de toute communication non fortuite avec toute personne qu'il sait avoir, ou dont il a des raisons de croire, qu'elle a un casier judiciaire (selon l'interprétation donnée par la CNLC le 4 février 1991), - ou qu'elle est reliée directement ou indirectement au milieu de la drogue.

[2]                     Le demandeur avait erronément identifié comme défendeurs les membres de la Section d'appel de la Commission. L'amendement est accordé et l'intitulé désigne le Procureur général du Canada comme défendeur, et non les membres de la Section d'appel de la Commission.

LES FAITS

[3]                     Le demandeur a été arrêté le 7 juin 2000 et a été condamné à purger une peine d'une durée de 9 ans pour complot d'importation/exportation de cocaïne et pour possession d'arme.

[4]                     Le 10 octobre 2003, dans le cadre de la procédure d'examen expéditif, la Commission nationale des libérations conditionnelles ( « CNLC » ) ordonnait la semi-liberté du demandeur (voir l'art. 99 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.R.C. 1992, ch. 20 (L.S.C.M.L.C.) - il s'agit d'un régime de libération conditionnelle en vertu duquel le détenu doit chaque soir regagner son lieu de détention), tout en lui imposant les conditions automatiques applicables (voir para. 133(2) L.S.C.M.L.C. et art 161 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition) ainsi que la condition spéciale de non association.

[5]                     Le 23 août 2004, la CNLC ordonnait la libération conditionnelle du demandeur, assortie des mêmes conditions. Le 15 octobre 2004, le demandeur déposait une demande d'appel de cette décision. Le 1er avril 2005, la Section d'appel rejetait l'appel de la décision du 23 août 2004 interjeté par le demandeur et attaquant la condition de non association. C'est cette décision de la Section d'appel qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[6]                     Il est demandé à la Cour fédérale:

1)       D'accueillir la demande de contrôle judiciaire

2)       De déclarer la condition de libération contestée contraire aux articles 1 et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 ( « Charte canadienne » ).

QUESTIONS EN LITIGE

[7]                     Les questions en litige sont les suivantes :

1)       La preuve nouvelle introduite par le demandeur doit-elle être admise?

2)       La Section d'appel a-t-elle commis une erreur en rejetant l'appel interjeté par le demandeur à l'encontre de la décision du 23 août 2004?

3)       La condition de non association viole-t-elle l'article 1 ou l'article 7 de la Charte canadienne?

CONCLUSIONS

[8]                     La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. La Section d'appel n'a pas commis d'erreur et la condition de non association ne viole pas les articles 1 et 7 de la Charte canadienne.

ANALYSE

1.          La preuve nouvelle

[9]                     Le demandeur a introduit en preuve des pièces ne figurant pas au dossier dont disposaient la CNLC et la Section d'appel. Il s'agit des pièces suivantes :

-        un extrait d'un document du Service correctionnel Canada de 2001, contenant des statistiques et des faits concernant le système carcéral canadien (pièce P-16);

-        un article tiré de l'hebdomadaire Photo Police, non daté (le demandeur a indiqué dans son mémoire supplémentaire que cet article est daté du 5 novembre 2004 (pièce P-17);

-        un article du quotidien La Presse daté du 10 novembre 2002 (pièce P-18) et;

-        un article du Journal de Montréal du 26 mars 2005 (Pièce P-19).

Le défendeur conteste l'admissibilité de ces pièces au motif que cette preuve était selon lui disponible au moment où la décision de la CNLC (23 août 2004) et celle de la Section d'appel (1er avril 2005) ont été rendues. Le demandeur, à l'audition, a demandé à la Cour la permission de déposer un mémoire supplémentaire à l'appui de la production de ces pièces. La permission a été accordée en, en conséquence, le défendeur a également eu le droit d'y répondre, ce qui fût fait.

[10]                 Quant à la pièce P-16, le demandeur estime qu'il ne l'a pas présentée à la section d'appel parce qu'il présumait que le contenu de ce document était connu de la CNLC. Il est d'avis que quant aux pièces P-17 et P-19, il y avait impossibilité matérielle de les présenter puisqu'elles n'existaient pas au moment d'introduire la demande d'appel. Quant à la pièce P-18, le demandeur voudrait qu'elle soit reçue malgré sa date parce qu'il l'a égarée pendant un certain temps, pour ensuite la retrouver à temps pour faire sa demande de contrôle judiciaire. Il ajoute qu'à son avis, toutes ces pièces relèvent de la connaissance d'office de la CNLC et de la Section d'appel.

[11]                 De son côté, le défendeur prétend que toutes les pièces existaient au moment où la Section d'appel a rendu sa décision et que ces pièces auraient dû être présentées à la Section d'appel. Il soutient que ces pièces ne relèvent pas de la connaissance d'office, ajoutant que même si c'était le cas, cela ne dispenserait pas le demandeur d'alléguer les faits pertinents et d'en établir le lien avec ses arguments de droit.

[12]                 En règle générale, au stade du contrôle judiciaire, seule la preuve à partir de laquelle la décision dont le contrôle est demandé a été prise doit être considérée (voir Smith c. Canada, 2001 CAF 86, [2001] A.C.F. No. 450). Dans Chopra c. Canada (Conseil du Trésor) [1999] A.C.F. No. 835, au para. 5, le juge Dubé écrit :

Ces décisions [portant sur la règle de l'inadmissibilité de la preuve nouvelle dans le cadre des demandes de contrôle judiciaire] sont fondées sur l'idée selon laquelle le contrôle judiciaire ne vise pas à permettre de déterminer si la décision de l'office en question est absolument correcte, mais plutôt si l'office avait raison, compte tenu du dossier dont il disposait.

[13]                 Exceptionnellement, la Cour peut prendre connaissance de documents qui n'existaient pas au moment de la demande de contrôle judiciaire, lorsque des questions d'équité procédurale ou de compétence sont en jeu (Ordre des architectes de l'Ontario c. Association of Architectural Technologistes of Ontario, [2003] 1 C.F. 331, 2002 CAF 218). Comme il n'y a en l'espèce ni question d'équité procédurale, ni question de compétence en jeu, il y a lieu de suivre la règle générale. Il ne s'agit pas d'un appel: la date à laquelle les éléments de preuve sont devenus disponibles n'a aucune incidence sur leur admissibilité.

[14]                 L'introduction de la preuve nouvelle n'est donc pas autorisée. Cela dit, même si cette preuve était admise, cela ne changerait en rien mes conclusions sur le fond.

2.          La demande de contrôle judiciaire

a)          La norme de contrôle

[15]                 Pour déterminer la norme de contrôle applicable, les deux arrêts-clés sont Pushpanathan c. Canada [1998] 1 S.C.R. 982 et Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 S.C.R. 226. Dans cette seconde affaire, l'analyse pragmatique et fonctionnelle a été mise à jour, ce qui en fait maintenant la référence par excellence en la matière, bien que l'analyse soit plus détaillée dans Pushpanathan c. Canada, précité.

[16]                 Il convient de rappeler les facteurs qui doivent être pris en considération pour déterminer la norme de contrôle applicable. Dans Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, précité, au para. 26, la juge en chef McLachlin écrit:

Selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle est déterminée en fonction de quatre facteurs contextuels -- la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; l'objet de la loi et de la disposition particulière; la nature de la question -- de droit, de fait ou mixte de fait et de droit. Les facteurs peuvent se chevaucher. L'objectif global est de cerner l'intention du législateur, sans perdre de vue le rôle constitutionnel des tribunaux judiciaires dans le maintien de la légalité. Le mérite de l'approche pragmatique et fonctionnelle tient à sa capacité de faire ressortir les éléments d'information pertinents    sur la question de la déférence judiciaire.

[17]                 La demande de contrôle judiciaire vise la décision de la Section d'appel et celle de la CNLC. Comme la Cour d'appel fédérale l'a souligné dans Cartier c. Procureur général du Canada [2003] 2 C.F. 217, [2002] A.C.F. No 1386, au para 10 :

La situation inusitée dans laquelle se trouve la Section d'appel rend nécessaire une certaine prudence dans l'application des règles habituelles du droit administratif. Le juge est théoriquement saisi d'une demande de contrôle judiciaire relative à la décision de la Section d'appel, mais lorsque celle-ci confirme la décision de la Commission, il est en réalité appelé à s'assurer, ultimement, de la légalité de cette dernière.

[18]                 L'analyse pragmatique et fonctionnelle me mène aux conclusions suivantes.

[19]                 D'abord, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.R.C. 1992, ch. 20 (L.S.C.M.L.C.) ne prévoit aucune clause privative ou droit d'appel. Dans Pushpanathan c. Canada, précité, au para. 30, le juge Bastarache écrit cependant que « [l]'absence d'une clause privative n'implique pas une norme élevée de contrôle, si d'autres facteurs commandent une norme peu exigeante » .

[20]                 Le degré d'expertise relatif de la CNLC et de la Section d'appel par rapport à la Cour fédérale invite à faire preuve d'une certaine retenue. Les membres de la CNLC et de la Section d'appel sont choisis, selon le paragraphe 105(1) L.S.C.M.L.C., dans un souci de représentativité de la société. Ils examinent un volume important de dossiers, et ont en conséquence une connaissance accrue de ce qui constitue une condition raisonnable ou nécessaire au sens du para. 133(3) L.S.C.M.L.C.. Ce paragraphe se lit comme suit :

(3) L'autorité compétente peut imposer au délinquant qui bénéficie d'une libération conditionnelle ou d'office ou d'une permission de sortir sans escorte les conditions qu'elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant.

(3) The releasing authority may impose any conditions on the parole, statutory release or unescorted temporary absence of an offender that it considers reasonable and necessary in order to protect society and to facilitate the successful reintegration into society of the offender.

La question de savoir quelles conditions spéciales doivent ou non être imposées à un délinquant relève donc clairement de l'expertise de ces organismes.

[21]                 Quant à l'objet de la loi, l'article 100 L.S.C.M.L.C. se lit comme suit :

100. La mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d'une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois.

100. The purpose of conditional release is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by means of decisions on the timing and conditions of release that will best facilitate the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens.

La disposition spécifique permettant à la CNLC d'imposer des conditions particulières de libération au délinquant est le paragraphe 133(3) L.S.C.M.L.C., cité ci-dessus. Ce paragraphe semble laisser une très large discrétion à l'autorité compétente, par l'emploi des mots « conditions qu'elle juge raisonnables et nécessaires » . Dans Normandin c. Canada, 2004 CF 1404, [2004] A.C.F. no 1701 conf. par 2005 CAF 345, [2005] A.C.F. No. 1768, il s'agissait d'évaluer si la CNLC était compétente pour imposer une condition spéciale d'assignation à résidence à un délinquant à contrôler en vertu du paragraphe 134.1(2) L.S.C.M.L.C.. La juge Tremblay-Lamer a employé l'analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle. Au para. 19, elle écrit:

Il ne fait aucun doute que l'intention du législateur est que la CNLC emploie son expertise dans la prise de décisions appropriées qui permettront de protéger la société tout en facilitant la réinsertion du délinquant.

Récemment, la Cour d'appel fédérale a confirmé cette décision. Au paragraphe 46, le juge Létourneau écrit :

On peut donc voir de ces dispositions l'intention du législateur du législateur de s'en remettre à l'expertise à l'expérience de la Commission pour, autant que faire se peut, protéger la société tout en favorisant la réinsertion et l'intégration sociales du délinquant.

Je partage l'avis de la Cour d'appel fédérale et de la Cour fédérale sous la plume de la juge Tremblay-Lamer. L'intention du législateur est de confier à la CNLC et à la Section d'appel une marge de manoeuvre importante pour décider des conditions spéciales de libération qui doivent s'appliquer à un délinquant compte tenu des circonstances.

[22]                 Finalement, la question est une question mixte de fait et de droit (Deacon v. Canada (Attorney General), 2005 FC 1489, [2005] F.C.J. No. 1827, au para 93). Cependant, la composante « fait » est plus importante que la composante « droit » puisque la CNLC et la Section d'appel n'ont pas à se livrer à une analyse approfondie des dispositions législatives applicables pour décider si une condition particulière doit être imposée à un délinquant, les seuls critères étant ceux de la nécessité et de la raisonnabilité. La nature de la question invite donc à la retenue judiciaire.

[23]                 Une fois ces facteurs considérés, j'en viens à la conclusion que la norme applicable est celle de la décision déraisonnable. Tant la nature de la question que l'expertise et l'objet de la loi m'incitent à faire preuve de retenue en appliquant ainsi cette norme.

b)          La CNLC et la Section ont-elles commis une erreur en imposant la condition de non association au demandeur?

[24]                 À la lecture des décisions de la CNLC du 24 août 2004 et de la Section d'appel du 1er avril 2005, j'en viens à la conclusion que ni l'une ni l'autre ne contient d'erreur pouvant permettre de conclure à une décision déraisonnable. Il s'agit de décisions bien fondées sur les faits du dossier, et il n'y a pas lieu de les réviser.

[25]                 Le choix d'imposer une condition particulière au demandeur est fondé sur les circonstances suivantes, qui sont relevées dans les décisions de la CNLC et de la Section d'appel :

-                 Le demandeur a été condamné à purger une peine d'une durée de 9 ans pour complot d'importation/exportation de 50 kilogrammes de cocaïne et pour possession d'arme;

-                 Tel qu'il appert de la sentence prononcée le 19 octobre 2001 par le juge William B. Digby de la Cour provinciale de Nouvelle-Écosse, à la p. 26, le demandeur n'était pas un simple courrier, mais était impliqué depuis longtemps dans le milieu de la drogue;

-                 Le demandeur a commis ces crimes en association avec des personnes criminalisées et a entretenu des relations avec elles (et/ou a agi sous leur influence)

-                 Le demandeur a des antécédents de possession d'armes et de vol;

-                 Le dossier révèle que le demandeur était « [...] peu bavard sur tout ce qui touche son délit » et qu'il avait une « [...] attitude de déresponsabilisation, de rationalisation, de minimisation et de justification » et un « [...] manque d'ouverture [...] » (voir dossier du défendeur, page 7, 9, 21, 23, 24, 53, 54, 70, 71, 72). Bref, le défendeur ne démontre pas qu'il regrette complètement et sans réserve son crime.

[26]                 Chacune de ces circonstances est logiquement et directement reliée à la condition de non association. Cette condition, contrairement à ce que prétend le demandeur, n'est ni excessive, ni imprécise, et n'a pas été imposée de mauvaise foi. D'ailleurs, l'Interprétation donnée le 4 février 1991 par la CNLC (dossier du demandeur, p. 57 - « Interprétation » ), dûment signée par le demandeur, est suffisamment souple pour permettre au demandeur d'entretenir des relations interpersonnelles à des fins légitimes. Au plan social, les rencontres fortuites (qui sont le fruit du hasard ou qui sont imprévues) ne constituent un bris de condition que si le demandeur « sait » , ou « a des raisons de croire » que l'autre personne « a un casier judiciaire [...] ou qu'elle est reliée directement ou indirectement au milieu de la drogue » . Au plan professionnel, le demandeur peut travailler dans des lieux où d'autres personnes possèdent un casier judiciaire, pour autant que l'entreprise soit légale. Il est vrai que l'Interprétation prévoit qu'en règle générale, le demandeur ne peut que travailler dans une entreprise comptant plus de 50 employés. Cependant, la CNLC peut accorder une dérogation. En l'espèce, au plan professionnel, cette condition n'a posé aucun inconvénient au demandeur. Il est chauffeur de taxi et son agent de probation le sait. Finalement, au plan familial, le demandeur peut continuer de fréquenter les membres de sa famille au sens large en vertu de l'Interprétation. En somme, la vie sociale, professionnelle et familiale du demandeur n'est pas compromise par la condition de non association. Il me semble que dans les circonstances, tenant compte des objectifs de réinsertion sociale et de la protection du public et du dossier du demandeur, qu'une telle condition telle que formulée n'est pas excessive ni imprécise. En ce qui concerne la mauvaise foi, il n'y a rien au dossier qui puisse fonder cet argument. C'est pourquoi, à mon avis, la CNLC et la Section d'appel n'ont pas commis d'erreur qui pourrait me permettre de qualifier l'un des deux décisions comme étant déraisonnable en imposant la condition de non association au demandeur. J'estime en conséquence qu'il n'y a pas lieu de revoir la décision de la Section d'appel.

3.          Les questions constitutionnelles

[27]                 Le demandeur prétend que la condition qui lui a été imposée enfreint l'article 7 de la Charte canadienne. Cet article se lit comme suit :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

[28]                 Le demandeur poursuit sa sentence carcérale sous la forme libération condition conditionnelle assortie de la condition de non association, qui l'empêche de communiquer avec certaines personnes, soit avec les personnes qu'il sait avoir, ou dont il a des raisons de croire, qu'elles ont un casier judiciaire ou qu'elles sont reliées directement ou indirectement au milieu de la drogue. Il faut se demander, dans un premier temps, si cette condition porte atteinte à sa liberté. Si c'est le cas, il faut ensuite se demander si l'atteinte à ce droit est faite en conformité avec les principes de la justice fondamentale. Si l'atteinte a été faite dans des conditions conformes aux principes de justice fondamentale, alors l'article 7 ne sera pas enfreint (Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, (1991) 2 R.C.S. 869). Par contre, si l'atteinte aux droits a été faite en contravention des principes de justice fondamentale, alors il faudra se demander si l'atteinte est justifiable en vertu de l'article 1 de la Charte canadienne.

[29]                 De façon générale, la Cour suprême du Canada a donné une interprétation généreuse du droit à la liberté prévu à l'article 7 de la Charte canadienne. Dans l'affaire Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), (2000) 2 R.C.S. 307, au para 49, le juge Bastarache écrit :

Le droit à la liberté garanti par l'art. 7 de la Charte ne s'entend plus uniquement de l'absence de toute contrainte physique.    Des juges de notre Cour ont conclu que la "liberté" est en cause lorsque des contraintes ou des interdictions de l'État influent sur les choix importants et fondamentaux qu'une personne peut faire dans sa vie.

[30]                 En l'espèce, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si l'atteinte à la liberté du demandeur est suffisamment grave pour entraîner l'application de la Charte canadienne, puisque la condition de non association a, de toute façon, été imposée au demandeur en conformité avec les principes de justice fondamentale. C'est la conclusion à laquelle en est arrivé le juge Dubé dans l'affaire Bryntwick c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1987] 2 C.F. 184, [1986] A.C.F. No 815, au para. 31, dans laquelle une condition de non association semblable était attaquée :

Je ne peux conclure en l'espèce que la condition imposée au requérant n'était pas en conformité avec les principes de justice fondamentale.    Il est vrai que cette condition constituait une nouvelle atteinte à sa liberté mais elle a été imposée en conformité avec les préceptes fondamentaux de notre système juridique.

[31]                 Le dossier du demandeur a été évalué à son mérite et la décision de lui imposer la condition de non association a été prise en conformité avec les principes de justice fondamentale. L'argument du demandeur fondé sur l'article 7 de la Charte canadienne est donc rejeté.

[32]                 Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire et les arguments constitutionnels du demandeur sont refusés. L'introduction de la nouvelle preuve est refusée, mais j'ajoute que même si elle avait été admise, cela n'aurait en rien changé mes conclusions sur le fond.

[33]                 Les parties sont invitées à présenter leurs commentaires quant aux frais.    J'invite celles-ci à communiquer entre eux afin d'en discuter. J'attendrai le résultat de ces discussions avant d'avoir à me prononcer sur les frais.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

-          L'intitulé de la cause soit amendé pour désigner le Procureur général du Canada à titre de défendeur;

-          L'introduction de la preuve nouvelle est refusée;

-          La production du mémoire supplémentaire du demandeur concernant les pièces P16, P-17, P-18 et P-19 soit accordée ainsi que la réponse du défendeur;

-          La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

-          Les parties aient 10 jours pour déposer leurs conclusions au sujet des frais.

« Simon Noël »

JUGE


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-705-05

INTITULÉ :                RENÉ LUC GOSSELIN

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 12 décembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :                       Le 5 janvier 2006

COMPARUTIONS:

M. René Luc Gosselin                                                                POUR LE DEMANDEUR

Me Nadia Hudon                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

M. René Luc Gosselin                                                              POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)                                                                 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                          

Montréal (Québec)                                                                 

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