Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 20230530

Dossier : T-881-22

Référence : 2023 CF 755

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

SCOTT BISHOP

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Scott Bishop (M. Bishop), sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un agent de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) responsable de la conformité en matière de prestations (l’agent). L’agent a conclu que M. Bishop n’était pas admissible à la prestation canadienne de relance économique (la PCRE) parce qu’il n’avait pas démontré que ses revenus pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la demande s’élevaient à au moins 5 000 $ (Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 3(1)d) [la LPCRE]).

[2] Je suis d’accord avec M. Bishop pour dire que l’agent a évalué de façon déraisonnable sa preuve de revenus pour l’année 2019. En particulier, l’agent a estimé que, puisque l’article 6 de la LPCRE prévoit qu’un demandeur « fournit au ministre tout renseignement que ce dernier peut exiger relativement à la demande », le fait que M. Bishop n’ait pas fourni d’autres documents financiers tel qu’il lui avait été demandé constituait un motif suffisant pour le déclarer inadmissible. Je ne suis pas de cet avis. L’agent n’a pas évalué l’affidavit de M. Bishop, dans lequel celui-ci a expliqué pourquoi il n’était pas en mesure de produire d’autres documents financiers.

[3] Plusieurs fois au cours du processus de vérification des revenus, M. Bishop a expliqué à l’ARC qu’il lui était difficile de fournir d’autres documents et a décrit la nature de son travail et les mesures qu’il avait prises pour obtenir des documents confirmant qu’il avait exécuté ce travail. L’agent n’a pas jugé cette explication fausse. Il semble avoir estimé que l’explication fournie dans l’affidavit n’était pas pertinente en raison de l’obligation de fournir les documents exigés prévue à l’article 6 de la LPCRE, ce qui est déraisonnable. Par conséquent, l’affaire doit être renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

II. Le contexte

[4] La PCRE fournissait une aide financière directe aux résidents canadiens admissibles qui avaient été touchés par la pandémie de COVID-19 pendant toute période de deux semaines entre le 27 septembre 2020 et le 23 octobre 2021. Les résidents devaient satisfaire aux conditions d’admissibilité à l’égard de chaque période de deux semaines. Est en cause en l’espèce la condition énoncée à l’alinéa 3(1)d) de la LPCRE, soit celle, pour le demandeur, de démontrer que ses revenus pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle il a présenté sa première demande s’élevaient à au moins 5 000 $.

[5] M. Bishop a présenté une demande de PCRE à l’égard des quatre périodes de deux semaines comprises entre le 27 septembre 2020 et le 21 novembre 2020. Il a fourni le sommaire de sa déclaration de revenus de 2019 et son avis de cotisation selon lequel il avait déclaré des revenus de 6 200 $ pour 2019. Il a également fourni un affidavit décrivant le travail qu’il avait exécuté en 2019, les mesures qu’il avait prises pour obtenir des documents confirmant qu’il avait été payé et les raisons pour lesquelles il ne disposait pas d’autres documents.

[6] Le 3 septembre 2021, l’ARC a rejeté la demande de M. Bishop au motif qu’il n’avait pas fourni de documents financiers pour établir ses revenus. M. Bishop a demandé un deuxième examen. Le 21 mars 2022, l’agent a confirmé la décision initiale. Il a conclu que M. Bishop n’avait pas démontré qu’il avait été payé pour son travail en 2019.

III. Analyse

[7] La question déterminante porte sur le bien-fondé de la décision de l’ARC selon laquelle M. Bishop ne satisfaisait pas à la condition d’admissibilité relative aux revenus énoncée à l’alinéa 3(1)d) de la LPCRE. Les parties s’entendent pour dire que je devrais examiner la décision de l’ARC selon la norme de la décision raisonnable, et je suis d’accord.

[8] M. Bishop a fourni à l’ARC un affidavit indiquant dans quelles circonstances il a généré ses revenus de 2019. Selon cet affidavit, il a travaillé comme entrepreneur en rénovation à son compte de mai à octobre 2019 pour une cliente. Cette cliente vivait dans une caravane à Vernon, en Colombie-Britannique. Il lui facturait 20 $ l’heure pour son travail, et elle le payait en espèces à la fin de chaque journée. Leur accord était verbal. Au total, M. Bishop a reçu de la cliente 6 200 $. Il n’a pas déposé cet argent dans un compte bancaire.

[9] Depuis octobre 2019, M. Bishop n’a pas eu de nouvelles de la cliente, bien qu’il ait tenté plusieurs fois d’obtenir un document attestant qu’il a reçu les paiements. Il a tenté plusieurs fois de la joindre par téléphone, mais elle n’a pas répondu et ne l’a jamais rappelé. Il a également affirmé qu’il était lui-même allé frapper à sa porte quatre ou cinq fois et qu’il y avait laissé des billets à son attention. Ses billets sont restés sans réponse. Il a joint à son affidavit une copie de l’un des billets qu’il avait laissés chez sa cliente. Il a également indiqué le numéro de téléphone auquel il avait pu la joindre dans le passé.

[10] L’ARC n’a pas questionné M. Bishop sur le contenu de son affidavit. Aucune inférence défavorable en matière de crédibilité n’a été tirée. L’agent a conclu que M. Bishop n’était pas admissible parce qu’il n’avait pas été en mesure de fournir à l’ARC des documents supplémentaires confirmant ses revenus de 2019 lorsqu’il lui avait été demandé de le faire. Toutefois, l’ARC n’a pas expliqué pourquoi l’explication de M. Bishop concernant l’impossibilité pour lui de fournir un document attestant la réception des paiements ou d’autres documents financiers était insatisfaisante.

[11] M. Bishop a décrit la nature de son travail et les mesures qu’il avait prises depuis octobre 2019 pour obtenir un document attestant le travail qu’il avait fait. Comme il s’agissait d’une question importante soulevée par M. Bishop, l’agent devait l’examiner dans ses motifs. En affirmant simplement que les revenus n’étaient pas établis sans examiner les raisons pour lesquelles d’autres documents n’avaient pas pu être obtenus, l’agent n’a pas répondu aux observations répétées et cohérentes de M. Bishop sur cette question.

[12] Comme l’a souligné la juge Elliott au paragraphe 37 de la décision Walker c Canada (Procureur général), 2022 CF 381 [Walker] :

La responsabilité de l’autocotisation s’accompagne d’une obligation, énoncée à l’article 6 de la LPCRE, de fournir tout renseignement que l’ARC peut exiger pour confirmer la conformité aux dispositions législatives. Selon cette exigence, un demandeur doit fournir les documents et les renseignements demandés par l’ARC ou expliquer pourquoi il n’est pas en mesure de répondre à la demande. Elle ne limite pas ce qu’un demandeur peut présenter à l’appui de sa demande.

[Non souligné dans l’original.]

[13] La question principale en l’espèce concerne l’obligation de l’ARC de tenir compte des raisons pour lesquelles un demandeur n’a pas été en mesure de répondre à sa demande. M. Bishop a fourni une explication détaillée dans une déclaration sous serment, et l’ARC ne l’a pas évaluée, ce qui est déraisonnable. Par conséquent, l’affaire doit être renvoyée à un autre agent pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

[14] M. Bishop a sollicité les dépens afférents à la présente demande. Les parties n’ont pas présenté de proposition conjointe concernant les dépens. Je ne vois aucun motif de m’écarter de la règle générale selon laquelle les dépens doivent suivre l’issue de la cause, et je condamnerai la partie perdante aux dépens.

[15] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie avec dépens.


LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à l’Agence du revenu du Canada pour qu’un autre agent rende une nouvelle décision.

  3. Le défendeur doit payer les dépens au demandeur.

(vide)

« Lobat Sadrehashemi »

(vide)

Juge

Traduction certifiée conforme

Normand Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-881-22

 

INTITULÉ :

SCOTT BISHOP c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 NOVEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 mai 2023

 

COMPARUTIONS :

Chris Canning

POUR LE DEMANDEUR

 

Anna Walsh

Cindy Mah

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thorsteinssons LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.