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Date : 20230529

Dossier : T-891-21

Référence : 2023 CF 744

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2023

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

Jean-Marie Najm

aussi connu sous le nom de Johnny Najm

demandeur

et

LA MINISTRE DES SERVICES AUX AUTOCHTONES CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La présente demande, présentée en vertu de l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A-1 [la LAI], concerne un relevé de compte et une facture qu’un cabinet d’avocats a fait parvenir à son client, qui est une Première Nation. Ces documents avaient été déposés auprès de Services aux Autochtones Canada [SAC] à l’appui d’une demande d’accès à des fonds détenus par la Couronne, conformément à la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5. L’envoi de ces documents faisait suite à une demande de communication adressée par Jean-Marie Najm à SAC parce que ces derniers faisaient référence à sa société, Omnia Oilfield Services Inc. (Omnia). Toutefois, un délégué de la ministre des Services aux Autochtones Canada a conclu que ces documents constituaient des renseignements financiers confidentiels et que leur communication était donc refusée conformément à l’exemption prévue à l’alinéa 20(1)b) de la LAI.

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que les documents en cause sont soustraits à la communication en application de l’alinéa 20(1)b) de la LAI, comme l’a conclu le délégué de la ministre. Ces documents contenaient et constituaient des renseignements financiers de nature confidentielle d’un tiers, ayant été fournis à SAC et constamment traités comme tels par le tiers.

[3] La présente demande sera donc rejetée. Je ferai également, dans les présents motifs, quelques observations sur la procédure qui a été suivie dans le cadre de la présente demande et qui a nui à la capacité de l’avocate de M. Najm de conseiller son client et de préparer son argumentation avant l’audition de celle-ci.

II. Question en litige, norme de contrôle et charge de la preuve

[4] La seule question à trancher relativement à la présente demande est de savoir si les deux documents en cause sont soustraits à la communication en application de l’alinéa 20(1)b) de la LAI. Pour trancher la question, la Cour procède à une révision de novo, entendant et jugeant le recours comme une nouvelle affaire : art 41 et 44.1 de la LAI; Canada (Santé) c Preventous Collaborative Health, 2022 CAF 153 [Preventous] aux para 13-14; Merck Frosst Canada Ltd c Canada (Santé), 2012 CSC 3 [Merck] au para 53; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 34-35. Il ne s’agit donc pas d’établir si la ministre a correctement appliqué l’exemption, mais plutôt de réexaminer l’affaire pour déterminer si l’exemption s’applique, même si la différence peut sembler minime : Preventous, au para 13; voir aussi Merck, au para 53 (décision prise avant la promulgation de l’article 44.1 de la LAI).

[5] Il incombe à la ministre, en tant que partie cherchant à faire valoir l’exemption, de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les documents sont soustraits à la communication en application d’une exception : art 48(1) de la LAI; Merck, au para 94.

III. Contexte procédural

A. La demande de communication et la réponse de SAC

[6] Le 19 novembre 2019, M. Najm a présenté une demande de communication de documents contenant des renseignements à son sujet, en lien avec des communications échangées entre des organismes publics gouvernementaux. Sa demande visait des renseignements le concernant qui auraient figuré dans des documents sous son nom légal complet, sous certains pseudonymes ou sous le nom de sa société, Omnia.

[7] À l’issue de consultations internes, SAC a identifié les deux documents en question, qui mentionnent qu’Omnia était visée par la demande. Lors de ces consultations, un certain nombre de motifs d’exemption possibles ont été identifiés, notamment la présence, dans les documents, de renseignements confidentiels obtenus d’autres gouvernements (article 13 de la LAI) et protégés par le secret professionnel de l’avocat (article 23 de la LAI). Toutefois, il semble que SAC ait finalement opté d’invoquer uniquement l’alinéa 20(1)b) de la LAI. SAC a conclu que l’exemption prévue à l’alinéa 20(1)b) s’appliquait, sans qu’il lui soit nécessaire d’aviser les tiers en application de l’article 27 de la LAI.

[8] SAC a répondu à la demande de communication de M. Najm par une lettre, datée du 5 février 2020, qui indiquait à M. Najm que [traduction] « les documents se rapportant à [sa] demande [étaient] soustraits à la communication en application de l’alinéa 20(1)b) de la [LAI] ». Comme l’exige le paragraphe 10(1) de la LAI, la lettre informait également M. Najm qu’il avait le droit de déposer une plainte auprès du Commissaire à l’information. Dans un échange de courriels ultérieur, la personne désignée responsable de la communication au sein de SAC a confirmé que les documents en question n’avaient pas été produits par le gouvernement, mais plutôt par un tiers qui les avait communiqués à SAC, indiquant qu’il s’agissait de [traduction] « factures, dont une collection ne mentionne que deux fois le nom de votre société, Omnia ».

B. La plainte auprès du Commissaire à l’information et l’enquête

[9] M. Najm a déposé une plainte auprès du Commissaire à l’information le 17 février 2020. Le traitement de la plainte a malheureusement été retardé, tout d’abord en raison de la pandémie de COVID-19, puis par des problèmes de dotation au sein de SAC.

[10] Après avoir reçu les observations de SAC et de M. Najm, le Commissaire à l’information a publié son rapport final, daté du 15 avril 2021, où il conclut que la plainte n’est pas fondée parce que les renseignements visés relèvent de l’exception prévue à l’alinéa 20(1)b) de la LAI.

C. La présente demande de révision

[11] M. Najm a introduit la présente demande le 3 juin 2021. Comme il arrive souvent dans les demandes présentées en vertu de l’article 41 de la LAI, la juge adjointe Coughlan (alors protonotaire) a rendu une ordonnance de confidentialité afin d’éviter la divulgation des documents en cause en cours d’instance, ce qui rendrait théorique la demande : art 47 de la LAI; Bradwick Property Management Services Inc. c Canada (Revenu national), 2016 CF 1056 au para 23 [Bradwick (2016)]. L’ordonnance de confidentialité prévoyait que les documents visés par la révision, de même que tout autre document révélant leur contenu, soient désignés comme « renseignements confidentiels », déposés ex parte, et qu’ils ne soient pas rendus accessibles à M. Najm.

[12] Conformément à l’ordonnance de confidentialité, SAC a déposé des versions confidentielle et publique de ses documents relatifs à la demande. Les documents en question ont été déposés à titre confidentiel, de même que les observations relatives à leur contenu.

[13] Il semble que ni l’ancien avocat de M. Najm, ni l’avocat de la ministre n’aient demandé à faire inclure dans l’ordonnance de confidentialité une disposition prévoyant la remise des documents aux avocats à titre confidentiel ou au titre du « privilège de l’avocat », c’est-à-dire sans qu’ils soient communiqués à M. Najm. L’ancien avocat de M. Najm n’a pas non plus demandé de recevoir des copies des documents en question au titre du privilège de l’avocat. Il en résulte que les observations écrites de M. Najm, sur la question de savoir si l’exemption prévue à l’alinéa 20(1)b) de la LAI s’applique aux documents visés ont été préparées sans que son avocat connaisse le contenu de ces documents, ni même leur nature, sauf le fait qu’il s’agissait de [traduction] « factures qui mentionnent le nom de [sa] société, Omnia ». Lorsque M. Najm a retenu les services de sa nouvelle avocate, Mme Tuharsky, celle-ci s’est crue liée par l’ordonnance rendue et n’a pas non plus demandé, au titre du privilège de l’avocat, que lui soient fournies des copies des documents en question ou des observations confidentielles déposées par la ministre.

[14] Ce problème a surgi dès le début de l’audition de la demande, lorsque la Cour s’est aperçue que Mme Tuharsky n’avait pas consulté les documents en cause. Il lui avait donc fallu préparer ses observations orales sans connaître la nature des documents ainsi que les principaux points de l’argumentation de la ministre touchant leur exemption de communication. La Cour s’est demandée s’il était convenable ou équitable, dans ces circonstances, que Mme Tuharsky tente de présenter ses arguments sans avoir connaissance des documents ou des arguments de la ministre, et si un tel niveau de confidentialité était nécessaire compte tenu de la nature des documents en question. Après que la question a été discutée, Mme Tuharsky a demandé l’autorisation de consulter le dossier confidentiel de la ministre et les observations de cette dernière, au titre du privilège de l’avocat.

[15] L’avocate de la ministre, Mme McHugh, a accédé à la demande comme il convenait de le faire, admettant que, dans les circonstances de l’espèce et compte tenu du fait que Mme Tuharsky s’était engagée à ne pas les communiquer à qui que ce soit, il n’y avait pas de raison pour qu’elle ne dispose pas de copies (i) des observations de la ministre et (ii) des documents en cause, expurgés des montants en dollars et des renseignements confidentiels contenus dans le relevé de compte et la facture et qui étaient sans pertinence en ce qui concerne la demande de M. Najm et la présente demande. Mme McHugh a également admis, à juste titre, que bien qu’on ait expurgé, dans les observations de la ministre, la mention indiquant que les documents étaient des factures produites par un cabinet d’avocats à l’intention d’une Première Nation, ce fait n’était pas en soi confidentiel et pouvait donc être discuté ouvertement et communiqué à M. Najm, mais sans aucune mention du cabinet d’avocat ou du client en cause.

[16] L’audience a donc été reportée afin de permettre à Mme McHugh et à son équipe de préparer ces copies pour Mme Tuharsky et à cette dernière de les examiner et d’adapter ses arguments en conséquence. Il ressort clairement des observations ultérieures de Mme Tuharsky qu’elle a été surprise, la première fois qu’elle a vu les documents en cause, par le fait qu’il s’agissait de factures d’honoraires d’avocat.

[17] J’ai retracé l’historique de la procédure afin de souligner l’importance, dans les instances comme celle-ci, de veiller à ce que les demandeurs et leurs avocats disposent de toute l’information qui leur permettra de faire valoir des arguments valables conformément au principe, énoncé à l’article 47 de la LAI, selon lequel les procédures doivent se dérouler de façon à éviter la divulgation de documents ou de renseignements visés par une exemption de communication.

[18] Comme l’a souligné la protonotaire Aylen, maintenant juge, dans la décision Bradwick (2016), si des ordonnances de confidentialité sont fréquentes dans les procédures introduites sous le régime de la LAI, la Cour cherche néanmoins à réaliser un juste équilibre entre ouverture et confidentialité : Bradwick (2016), au para 25. L’un des mécanismes mis en place à cette fin consiste à permettre à l’avocat d’un demandeur, lorsque les circonstances s’y prêtent, de prendre connaissance des renseignements protégés par une ordonnance de confidentialité ou, si la nature des documents ne se prête pas à une telle communication, à bénéficier à tout le moins d’un « degré minimum de communication » lui permettant d’obtenir suffisamment de renseignements pour autoriser « la tenue d’un débat éclairé sur la question de leur communication » : Bradwick (2016), aux para 25-30, citant Hunter c Canada (Ministère des Consommateurs et des Sociétés) (C.A.), [1991] 3 CF 186 (CA) aux p 206, 211-212.

[19] En l’espèce, une communication plus précoce à l’avocat ou une demande de communication faite plus tôt par ce dernier aurait pu permettre de réduire le nombre de questions à trancher et même d’aboutir à une résolution de l’affaire. Cela aurait certainement permis à Mme Tuharsky et à l’ancien avocat de M. Najm de mieux conseiller ce dernier sur les questions soulevées et les motifs invoqués relativement à l’exemption.

[20] Par souci de clarté, je précise que je ne critique aucun des avocats impliqués en l’espèce pour leur conduite au cours de l’instance ou pour la façon dont ils ont interprété l’ordonnance de confidentialité. Je répète simplement qu’il importe que les avocats prenant part à des procédures introduites sous le régime de la LAI fassent preuve d’initiative afin de veiller à ce que l’instance permette aux demandeurs et leur permette aussi à eux-mêmes de bien comprendre les questions en litige et de présenter convenablement leurs arguments.

[21] Ayant fait ces commentaires sur l’aspect procédural, j’en viens au bien-fondé de la demande de M. Najm.

IV. Analyse

A. Alinéa 20(1)b) de la Loi sur l’accès à l’information

[22] L’alinéa 20(1)b) de la LAI prévoit une exemption obligatoire de communication applicable à certains renseignements de tiers de nature confidentielle :

Renseignements de tiers

Third party information

20 (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

20 (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Part that contains

[…]

[…]

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

[23] Comme les parties en conviennent, les documents ne sont exemptés en vertu de l’alinéa 20(1)b) de la LAI que s’ils contiennent des renseignements (i) financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques (ii) de nature confidentielle et traités comme tels de façon constante par le tiers et (iii) fournies à une institution fédérale par un tiers : Merck, au para 133, citant Air Atonabee Ltd. c Canada (Ministre des Transports), [1989] A.C.F. no 453 (QL) (1re inst) [Air Atonabee]; Bombardier Inc. c Canada (Procureur général), 2019 CF 207 [Bombardier] au para 43. L’exemption ne s’applique que si chacune de ces conditions est remplie. Une fois qu’il est établi qu’elles sont toutes remplies, l’exemption s’applique en tant qu’exception catégorielle : Bombardier, aux para 42, 44.

[24] M. Najm ne conteste pas que le relevé de compte et la facture en cause constituent des renseignements financiers, ni qu’ils ont été fournis à SAC par un tiers. Je conviens que ces deux conditions sont remplies. Toutefois, M. Najm soutient que la ministre ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que les documents sont de nature confidentielle et qu’ils ont toujours été traités comme tels par le tiers.

B. Les documents sont de nature confidentielle

[25] La nature confidentielle de renseignements est évaluée selon une norme objective qui porte sur le contenu des renseignements, leur objet et les circonstances dans lesquelles ils ont été compilés et communiqués : Air Atonabee, au para 37, citant Bande indienne de Montana c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1989] 1 CF 143, 1988 CanLII 9357 (CF) [Montana] à la p 158. Il s’agit notamment de déterminer si les renseignements peuvent être obtenus auprès d’autres sources, s’ils ont été transmis avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seront pas divulgués et s’ils ont été communiqués au gouvernement, que ce soit par obligation ou volontairement, dans le cadre d’une relation favorisant l’intérêt du public par la communication de renseignements confidentiels : Air Atonabee, aux para 42-45.

[26] À mon avis, les documents en cause sont, à première vue, objectivement de nature confidentielle. Pour ce qui est de leur contenu, leur objet et les conditions de leur préparation, ces documents sont un relevé de compte et une facture émis par un cabinet d’avocats à l’intention de son client, dans le cadre de leur relation avocat-client. La Cour suprême a reconnu que les comptes d’honoraires d’avocats sont présumés protégés par le privilège des communications entre avocat et client et sont de nature confidentielle : Maranda c Richer, 2003 CSC 67 [Maranda] aux para 31-34. Rien ne permet de réfuter cette présomption en l’espèce. Au contraire, le relevé de compte porte la mention « CONFIDENTIEL ». Bien que la facture ne comporte pas de mention semblable, elle fait expressément référence aux différents services professionnels fournis par le cabinet au client.

[27] J’ouvre une parenthèse pour souligner que, bien que la LAI contienne une disposition distincte, soit l’article 23, soustrayant à la communication les documents assujettis au secret professionnel de l’avocat, la ministre s’appuie en l’espèce exclusivement sur l’alinéa 20(1)b) de cette loi. Cela n’empêche pas la ministre, à mon avis, d’invoquer la nature confidentielle des documents. En effet, l’existence du secret professionnel de l’avocat et la protection qui en découle sont fondées sur la confidentialité : Maranda, aux para 11-12. Bien que les documents puissent également être soustraits à la communication en vertu de l’article 23 de la LAI, l’applicabilité possible de cet article ne signifie pas que l’alinéa 20(1)b) de cette loi ne s’applique pas, étant donné que plusieurs exemptions peuvent potentiellement s’appliquer aux mêmes renseignements ou documents : Canada (Santé) c Elanco Canada Limited, 2021 CAF 191 au para 49; Imai c Canada (Affaires étrangères), 2021 CF 1479 [Imai] aux para 13-14.

[28] Pour ce qui est des conditions de communication des documents, même si la preuve aurait pu être plus claire sur ce point, elle montre que le relevé de compte et la facture ont été soumis à SAC conformément à la Loi sur les Indiens, dans le but d’accéder aux fonds détenus par la Couronne. Un contexte semblable s’est présenté dans l’affaire Montana, où les documents en cause étaient des états financiers vérifiés : Montana, aux p 145-147. En concluant que les documents étaient soustraits à la communication en application de l’alinéa 20(1)b) de la LAI, le juge en chef adjoint Jerome a noté que les fonds étaient détenus par le gouvernement fédéral pour le compte des bandes « par une succession complexe d’événements historiques et constitutionnels », ce qui a créé une relation de fiduciaire dans laquelle les renseignements financiers sont soumis à une « obligation de secret » : Montana, p. 158; voir également Première Nation d’Alderville c Canada, 2017 CF 631 aux para 46, 51, 71.

[29] Le traitement de ces documents en tant que documents de nature confidentielle est confirmé par le « Guide d’administration des fonds des bandes », publié par le ministère, qui contient des dispositions relatives à l’accès, sous le régime de la LAI, aux renseignements et aux documents rattachés aux fonds détenus en fiducie. Bien que le guide lui-même n’ait pas été produit en l’espèce, des portions pertinentes de son contenu ont été reproduites par SAC dans le cadre de ses observations au Commissaire à l’information. Le guide prévoit que SAC ne peut communiquer des documents de pareille nature à nul autre que le conseil de bande, sous réserve d’obtenir le consentement écrit de ce dernier sous forme d’une résolution. Cette disposition confirme que les documents soumis à SAC relativement à des demandes d’obtention de fonds détenus par la Couronne doivent être considérés comme des document de nature confidentielle. En outre, je suis convaincu qu’il s’agit d’une relation à entretenir dans l’intérêt du public par la communication de renseignements confidentiels : Alderville, aux para 59, 71.

[30] M. Najm fait valoir que le privilège à l’égard des documents peut avoir été levé, soit indépendamment, soit du fait de leur transmission à SAC. Quant à la possibilité que ce privilège ou la confidentialité des documents ait été levé dans d’autres circonstances inconnues, comme leur communication à un tiers, aucun élément de preuve n’étaye celle-ci. Pour ce qui est de la communication des documents à SAC, la remise de factures d’honoraires d’avocat à SAC dans le but d’accéder à des fonds détenus par la Couronne en vertu de la Loi sur les Indiens ne me semble pas constituer une renonciation au privilège : voir, par exemple, Boudreau v Loba Limited, 2015 ONSC 4877 aux paras 21-22, citant Descôteaux et autres c Mierzwinski, [1982] 1 RCS 860 à la p 879, et Adam Dodek, Solicitor-Client Privilege, (Toronto, LexisNexis, 2014) aux p 138, 247-250. Quoi qu’il en soit, même si la transmission du relevé de compte et de la facture constituait une renonciation au privilège, ce dont je doute, elle ne supposerait pas une renonciation à leur nature confidentielle, ce qui représente la question centrale aux fins de l’application de l’alinéa 20(1)b) de la LAI: Montana, p. 159.

[31] Rien ne donne à penser que les renseignements contenus dans le relevé de compte et dans la facture puissent être obtenus auprès d’autres sources. Bien que M. Najm suggère que certaines Premières Nations mettent ces dossiers à la disposition de leurs membres, il n’y a aucune preuve de cette pratique au dossier, qu’il s’agisse d’une pratique générale ou que cela concerne les documents visés en l’espèce. Quoi qu’il en soit, comme l’a souligné le juge en chef adjoint Jerome, « la nature confidentielle n’est sans doute aucunement anéantie par l’obligation du conseil de la bande de rendre compte à ses membres » : Montana, p. 158.

[32] M. Najm présente un argument supplémentaire, à savoir que les documents ne sont pas de nature confidentielle puisque l’enquêteur du bureau du Commissaire à l’information lui a indiqué qu’il pouvait les obtenir en formulant une demande en ce sens au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21, laquelle ne prévoit aucune exemption pour les tiers. Il avance que s’il lui est possible d’obtenir les documents au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ils ne sauraient être confidentiels. Je ne suis pas convaincu par cette observation pour deux raisons. Tout d’abord, la seule chose que l’enquêteur a indiquée à M. Najm, c’est que s’il était [traduction] « préoccupé que le fait que SAC détienne [ses] renseignements personnels », ce que M. Najm a dit être l’une de ses inquiétudes, [traduction] « il [avait] la possibilité de faire la même demande au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels ». Une telle observation n’a aucune incidence sur la nature confidentielle des documents en question, qui ne contiennent en réalité aucun renseignement personnel de M. Najm.

[33] Deuxièmement, une demande faite au titre des articles 12 et 13 de la Loi sur la protection des renseignements personnels permet à une personne d’accéder à des renseignements personnels la concernant. Ces renseignements ne sont communiqués qu’à la personne qui en fait la demande, et cette divulgation ne les rend pas accessibles à quiconque souhaite présenter une demande de communication en vertu de la LAI. Une demande faite au titre de la LAI, en revanche, demeure essentiellement neutre vis-à-vis du demandeur. La question de savoir si quelque chose est soustrait à la communication ne dépend généralement pas de l’identité du demandeur, qui peut elle-même demeurer confidentielle : Toronto Sun Wah Trading Inc. c Canada (Procureur général)), 2008 CAF 239 au para 17, autorisation d’appel rejetée, 2008 CanLII 67842 (CSC); Untel c Ontario (Finances), 2014 CSC 36; art 4(2.1) de la LAI. Cette différence fondamentale entre les demandes faites au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels et celles faites au titre de la LAI est telle que même si des renseignements pourraient potentiellement être obtenus suite à une demande faite au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels, cela ne signifie pas que ces renseignements sont communiqués de manière appropriée au titre de la LAI. Je note qu’il n’y a ni suggestion ni preuve que M. Najm soit membre de la Première Nation identifiée comme étant le client auquel renvoient les documents, ce qui aurait pu entraîner l’application de la règle des « circonstances exceptionnelles » énoncée dans Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien) c Bande de Sawridge, 2009 CAF 245 aux para 31-36, autorisation de pourvoi refusée, 2010 CanLII 20569 (CSC).

[34] Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que les documents sont objectivement de nature confidentielle.

C. Les dossiers ont toujours été traités comme étant de nature confidentielle

[35] Les circonstances qui ont mené au dépôt de la présentation demande compliquent quelque peu l’évaluation de la condition prévue à l’alinéa 20(1)b) de la LAI, à savoir que les documents ont été « traités comme [étant de nature confidentielle] de façon constante par [l]e tiers ». La plupart des questions touchant les décisions prises en application de l’alinéa 20(1)b) de la LAI relèvent de l’article 44 de cette loi plutôt que de son article 41. Autrement dit, elles surviennent lorsqu’un tiers demande la révision d’une décision, prise par le responsable d’une institution fédérale, de communiquer un document après avoir reçu un avis conformément à l’article 27 de la LAI et avoir eu la possibilité de présenter des observations en application de l’article 28 de cette loi : voir, par exemple, Merck, aux para 28, 30-34, 53; Air Atonabee, aux para 1, 5-9; Bombardier, aux para 1, 4; Montana, aux p 145-146; Suncor Énergie Inc. c Office Canada‑Terre‑Neuve‑et‑Labrador des hydrocarbures extracôtiers, 2021 CF 138 aux para 1-2, 18-41, 88-96; Concord Premium Meats Ltd. c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2020 CF 1166 aux para 1-2, 12-16.

[36] Toutefois, la LAI exige qu’un avis soit donné aux tiers uniquement lorsque le responsable d’une institution fédérale a l’intention de communiquer un document dont il a des raisons de croire qu’il pourrait contenir des renseignements visés au paragraphe 20(1) de cette loi : para 27(1) de la LAI. Comme l’a confirmé la Cour suprême dans l’arrêt Merck, la LAI prévoit que le responsable d’une institution gouvernementale peut décider qu’une exception prévue au paragraphe 20(1) de la LAI s’applique sans qu’il soit nécessaire d’obtenir les observations d’un tiers; aucun avis au tiers n’est alors requis : Merck, aux para 64-69, 73, citant Cie H.J. Heinz du Canada Ltée c Canada (Procureur général), 2006 CSC 13 aux para 41, 66; Imai, au para 85. Comme l’a déclaré le juge Cromwell au nom des juges majoritaires, un responsable d’institution « doit refuser de divulguer de tels renseignements sans préavis s’ils sont manifestement soustraits à la divulgation, c’est‑à‑dire s’il n’existe aucune raison de croire qu’ils peuvent être divulgués » [souligné dans l’original] : Merck, au para 84(ii).

[37] Il en résulte que si le demandeur adresse une plainte au Commissaire à l’information et introduit par la suite une demande de révision en vertu de l’article 41 de la LAI, il se peut que le responsable de l’institution fédérale n’ait pas reçu d’observations de la part du tiers et que la Cour ne dispose pas de preuves produites par le tiers : voir par exemple Imai, au para 82; Bradwick Property Management Services Inc c Canada (Revenu national), 2019 CF 289 aux para 8, 80-83 [Bradwick (2019)], conf. par 2020 CAF 147.

[38] Cela ne modifie ni la norme de contrôle, ni le fardeau qui incombe à l’institution gouvernementale de démontrer que l’exemption s’applique : Imai, aux para 80, 85; Bradwick (2019), au para 72. Toutefois, dans de telles circonstances, la Cour peut être amenée à tirer des conclusions à partir des éléments de preuve dont elle dispose au dossier, notamment en ce qui concerne la nature des documents et les circonstances, afin d’établir si les conditions d’application de l’exemption sont remplies. Par exemple, le juge Pamel s’est penché, dans la décision Imai, sur l’exception prévue à l’alinéa 20(1)c) de la LAI et a conclu, après avoir examiné des renseignements contenus dans le document, qu’il semblait « aller de soi » que la communication compromettrait la position concurrentielle du tiers : Imai, au para 85. De même, dans Bradwick (2019), le juge Locke, alors juge de notre Cour, ne disposait d’aucune preuve produite par le tiers, mais a déduit qu’une lettre adressée à l’Agence du revenu du Canada avait été traitée de manière confidentielle de façon constante, bien que tel n’ait pas été le cas pour d’autres lettres : Bradwick (2019), au para 82; voir également Rubin c Canada (Ministre de la Santé), 2001 CFPI 929 aux para 44-49, conf. par 2003 CAF 37 aux para 3-5.

[39] En l’espèce, comme je l’ai déjà mentionné, ni la Première Nation, ni son avocat n’ont reçu l’avis prévu à l’article 27 de la LAI. On peut en conclure que SAC a estimé que les renseignements étaient « manifestement soustraits » à la communication : Merck, au para 84(ii). Par conséquent, je ne dispose d’aucun élément de preuve, ni d’aucune déclaration émanant directement de la Première Nation ou de l’avocat de cette dernière indiquant qu’ils ont toujours traité le relevé de compte et la facture en tant que documents de nature confidentielle. Ainsi, je ne dispose d’aucun élément me permettant de croire que la Première Nation ou l’avocat ont ne serait-ce qu’une simple connaissance de la présente instance.

[40] Néanmoins, compte tenu de la nature particulière des documents, du fait qu’ils sont présumés être visés par le secret professionnel de l’avocat, de l’obligation déontologique générale des avocats de strictement préserver la confidentialité des renseignements concernant leurs clients, des circonstances particulières de la remise des documents à SAC et de l’absence de toute preuve indiquant que le secret professionnel ou l’assurance de confidentialité ont été levés ou que les documents ont été communiqués, je suis convaincu que la ministre s’est acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que les documents ont systématiquement été traités de manière confidentielle.

D. Les documents sont soustraits à la communication et ne sont pas dissociables

[41] Étant donné que les documents répondent à toutes les conditions prévues à l’alinéa 20(1)b) de la LAI, je conclus que c’est à juste titre que la ministre a conclu que le relevé de compte et la facture étaient soustraits à la communication.

[42] Même si certains éléments d’un document sont soustraits à la communication, le responsable d’une institution gouvernementale est tenu de communiquer les parties du document qui sont « dépourvues des renseignements en cause, à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problèmes sérieux » : art 25 de la LAI. En l’espèce, l’intégralité des documents est présumée protégée, et donc soustraite à la communication. D’ailleurs, la suppression de tout renseignement confidentiel contenus dans les documents n’aboutirait à rien d’autre qu’à des « [d]es bribes de renseignements » qui sont « dénué[es] de sens » : Merck, au para 237, citant Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Solliciteur général), [1988] 3 CF 551 (1re inst) aux p 558-559. Je note que l’avocate de M. Najm, ayant eu la possibilité d’examiner les documents, n’a pas soulevé la possibilité de sélectionner des portions de ces derniers en vue de les communiquer. J’en conclus que ces documents ne contiennent pas d’éléments qu’on puisse raisonnablement extraire du dossier en vue de les communiquer.

V. Autres questions soulevées dans la demande

[43] Par souci d’exhaustivité, je relève que l’avis de demande de M. Najm, préparé par son ancien avocat, vise également à contester deux autres décisions. Ni l’une ni l’autre ne saurait être visée par la présente demande. La première est la décision rendue par le Commissaire à l’information dans son rapport, selon laquelle la plainte de M. Najm n’est pas fondée. Toutefois, une révision demandée au titre de l’article 41 de la LAI ne constitue pas un contrôle judiciaire du rapport du Commissaire à l’information, mais plutôt un réexamen de la question de savoir si les renseignements demandés devraient être transmis à l’auteur de la demande : Preventous, au para 13; Lukács c Canada (Sécurité publique et protection civile), 2020 CF 1142 au para 44; Lambert c Canada (Patrimoine canadien), 2022 CF 553 au para 22.

[44] La seconde est une décision par laquelle le Commissaire à l’information aurait permis au responsable d’une institution publique de demander une ordonnance au titre du paragraphe 41.2(1) de la LAI. Cela semble se rapporter à une déclaration faite par l’enquêteur du bureau du Commissaire à l’information avant de recevoir les observations de SAC. L’enquêteur a informé M. Najm que [traduction] « conformément au paragraphe 41.2(1) de la [LAI], si un tiers choisit de demander une révision, toute autre partie qui a reçu le rapport final (vous, en tant que plaignant, et l’institution fédérale) comparaîtrait comme partie à l’instance ». Il semble que M. Najm ou son ancien avocat ait mal compris ce commentaire, l’interprétant comme signifiant que le Commissaire à l’information donnait à SAC la permission de demander une ordonnance de refus d’approbation sans avoir obtenu au préalable les observations de M. Najm.

[45] Cela est inexact. Tout ce que l’enquêteur semble avoir fait, c’est d’aider M. Najm de son mieux en lui expliquant le processus de révision prévu par la LAI. Le paragraphe 41.2(1) de la LAI prévoit simplement que si une personne qui reçoit un rapport du Commissaire à l’information (en l’occurrence, M. Najm) introduit une demande de révision devant la Cour, toute autre personne qui reçoit le rapport (en l’occurrence, SAC) a le droit de comparaître comme partie à l’instance. Ce droit est énoncé dans la loi et il ne résulte pas d’une quelconque décision ou autorisation accordée par le Commissaire à l’information. Il est possible que les circonstances dans lesquelles l’enquêteur a renvoyé à ce paragraphe, à savoir en réponse aux questions de M. Najm sur la révision de la décision du Commissaire à l’information à propos de la communication des documents, aient ajouté à la confusion. Toutefois, la déclaration de l’enquêteur ne renvoyait à aucune décision ou autorisation susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire par notre Cour.

[46] En outre, dans son affidavit, M. Najm dit également s’inquiéter du fait que SAC cachait ou retenait des documents. Toutefois, au-delà de cette préoccupation générale, M. Najm n’a pas formulé d’observations sur ce point. Ses observations portaient plutôt sur l’application de l’alinéa 20(1)b) de la LAI. La Cour n’a donc pas à déterminer si d’autres documents détenus par SAC ou par Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada répondent à la demande de communication de M. Najm.

[47] Enfin, quelques mots au sujet de la réparation demandée. Dans son avis de demande et ses observations écrites, M. Najm demandait que j’ordonne la communication des documents. La ministre a fait valoir que même si je déterminais qu’elle ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que l’alinéa 20(1)b) de la LAI s’appliquait en l’espèce, les documents ne devraient pas être communiqués sans que les tiers aient eu la possibilité de formuler des observations ou de présenter des renseignements quant à leur confidentialité. Dans ses observations orales, M. Najm a reconnu le bien-fondé de cette préoccupation. Bien que je n’aie pas à trancher la question, étant donné que j’ai conclu que l’exemption s’applique, j’aurais hésité dans les circonstances – où le tiers n’a pas été avisé au préalable et n’a pas eu la possibilité de fournir des renseignements et des observations concernant la communication des documents – à tout simplement ordonner la communication des documents sans que les tiers puissent avoir cette possibilité. Cela serait particulièrement vrai si ma décision avait été, par exemple, qu’il y avait insuffisamment de preuves liées aux conditions d’application de l’exemption.

VI. Conclusion

[48] Puisque les documents en cause sont tous deux soustraits à la communication en application de l’exception prévue à l’alinéa 20(1)b) de la LAI, la présente demande sera rejetée.

[49] La ministre a indiqué que si elle obtenait gain de cause, elle ne réclamerait pas de dépens. Aucuns dépens ne seront donc adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T-891-21

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de révision est rejetée, sans dépens.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-891-21

 

INTITULÉ :

JEAN-MARIE NAJM alias JOHNNY NAJM c LA MINISTRE DES SERVICES AUX AUTOCHTONES CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 avril 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 mai 2023

 

COMPARUTIONS :

Connie J.M. Tuharsky

 

Pour le demandeur

 

Sydney McHugh

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rath & Company

Foothills (Alberta)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

Pour la défenderesse

 

 

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