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Date : 20230518

Dossier : T-1785-19

Référence : 2023 CF 695

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 mai 2023

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

DEREK BRASSINGTON

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Brassington demande le contrôle judiciaire de la décision du 27 juin 2019 [la décision] par laquelle le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le MSPPC ou le ministre] a refusé sa demande d’indemnisation fondée sur la « Politique sur les services juridiques et l’indemnisation » du Conseil du Trésor [la Politique du CT].

[2] M. Brassington est un ancien membre de la Gendarmerie royale du Canada [la GRC]. Il a demandé un financement des services juridiques aux frais de l’État [les SJFE] afin de se défendre contre les accusations criminelles portées contre lui pour ses actes alors qu’il était un agent de la GRC. La GRC avait d’abord approuvé le financement des SJFE pour M. Brassington. Cependant, sa demande de financement supplémentaire a été refusée au terme d’un processus qui a duré sept ans.

[3] La question déterminante dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si le processus d’examen de la nouvelle demande de financement des SJFE de M. Brassington était équitable. J’ai conclu qu’il ne l’avait pas été. La demande de M. Brassington n’a pas été examinée en temps opportun et le ministre n’avait pas l’ensemble des renseignements que M. Brassington avait fourni à l’appui de sa demande de SJFE. Enfin, le ministre a invoqué le plaidoyer de culpabilité de M. Brassington pour justifier le refus du financement des SJFE. Au moment de la demande de financement, la procédure criminelle était en cours et le demandeur n’avait pas plaidé coupable.

[4] Pour les motifs qui suivent, le présent contrôle judiciaire sera accueilli.

I. Contexte

[5] En 2007, M. Brassington est devenu sergent auprès de l’Équipe intégrée d’enquête sur les homicides en Colombie-Britannique. Il a pris part à un certain nombre d’enquêtes fortement médiatisées. Il a simultanément dirigé l’enquête dans l’affaire très médiatisée d’une personne décédée sous la garde de la police à l’aéroport de Vancouver et celle portant sur les six meurtres de « Surrey ».

[6] En décembre 2009, la GRC a reçu des renseignements selon lesquels M. Brassington entretenait une relation avec une témoin protégée, ce qui a donné lieu à une enquête en vertu du Code de déontologie. M. Brassington a admis cette relation.

[7] En février 2010, la Police provinciale de l’Ontario [l’OPP] a lancé une enquête relative au Code de déontologie ainsi qu’une enquête criminelle sur les actes de M. Brassington.

[8] Voici les dates et les faits pertinents :

  • Le 14 avril 2010, M. Brassington a été suspendu de la GRC avec rémunération.

  • En octobre 2010, l’OPP a terminé son enquête.

  • En novembre 2010, la GRC a conclu que 66 allégations contre M. Brassington relatives au Code de déontologie étaient fondées et elle a pris des mesures disciplinaires officielles.

  • Le 23 juin 2011, M. Brassington a été accusé d’un chef d’abus de confiance, de trois chefs de tentative délibérée d’entrave à la justice et de trois chefs de fraude.

  • Le 10 juillet 2013, M. Brassington a pris sa retraite de la GRC.

[9] Le 18 janvier 2019, M. Brassington a plaidé coupable d’abus de confiance et d’entrave à la justice. Il a été condamné à deux ans moins un jour dans la collectivité et à payer 10 000 $ en dédommagement.

A. Les demandes de SJFE

[10] La Politique du CT prévoit des services juridiques et une indemnisation pour les fonctionnaires de l’État qui font l’objet d’une réclamation qui découlait de leur emploi.

[11] M. Brassington a fait sa première demande de SJFE le 8 avril 2010. Cette demande a été approuvée le 28 avril 2010, pour la première phase de consultation de la procédure criminelle.

[12] En décembre 2010, à la suite de la conclusion des enquêtes de l’OPP, les SJFE de M. Brassington ont pris fin. M. Brassington a déposé un grief et le 20 octobre 2011, les SJFE ont été rétablis rétroactivement au 28 avril 2010, pour un montant pouvant atteindre 10 000 $ pour la phase de l’enquête criminelle.

[13] En novembre 2011, l’avocate de M. Brassington a écrit à la GRC pour l’aviser que le procès de son client durerait vraisemblablement de six à huit semaines et que les frais juridiques dépasseraient 50 000 $.

[14] Le 4 avril 2012, M. Brassington a présenté une demande de SJFE pour la phase du procès des accusations criminelles. C’est finalement cette demande que le ministre a refusée dans la décision de juin 2019.

[15] Le 11 mai 2012, M. Brassington a fourni des documents supplémentaires à l’appui de sa demande de SJFE, notamment une note de règlement rapide datée du 7 octobre 2011, préparée par Caroline Lirette [la note de Lirette], à laquelle étaient joints les rapports de deux psychologues. Mme Lirette était l’avocate de M. Brassington dans le cadre de la procédure de règlement de grief d’octobre 2011.

[16] Le 13 novembre 2012, le commissaire de la GRC a rejeté la demande de SJFE.

[17] Le 19 décembre 2012, M. Brassington a déposé un grief à l’encontre de la décision du commissaire de la GRC et, le 22 juin 2014, l’arbitre au premier palier a rejeté le grief.

[18] En novembre 2014, le grief au deuxième palier de M. Brassington a été renvoyé au Comité externe d’examen [le CEE] de la GRC. Le 17 octobre 2016, le CEE a conclu que la décision du commissaire de la GRC constituait une violation du droit à l’équité procédurale de M. Brassington et a recommandé à l’arbitre au deuxième palier d’accueillir le grief, de rétablir les SJFE jusqu’au 10 décembre 2010 et d’autoriser les SJFE pour la phase du procès.

[19] Le 8 septembre 2017, l’arbitre au deuxième palier a souscrit à la conclusion du CEE selon laquelle la décision du commissaire de la GRC était injuste, mais il n’a pas retenu la réparation d’approuver les SJFE pour la phase du procès. De plus, puisque les coûts liés à la phase du procès dépasseraient la limite d’autorisation de 50 000 $ fixée par le commissaire de la GRC, l’arbitre au deuxième palier a refusé de rétablir l’autorisation. Voici la conclusion de l’arbitre au deuxième palier :

[traduction]
Par conséquent, pour que l’admissibilité du plaignant aux SJFE pour services juridiques rendus après le 8 décembre 2010 soit de nouveau examinée, ce dernier doit soumettre un relevé de compte émis par son avocat du secteur privé, accompagné de toute pièce justificative pertinente et nécessaire, à l’autorité approbatrice appropriée compte tenu de l’ampleur des frais juridiques engagés à ce jour.

[20] Dans la section « Disposition » de la décision, l’arbitre au deuxième palier a déclaré ce qui suit :

[traduction]
Compte tenu de ce qui précède, je suggère que le plaignant présente un relevé de compte des frais juridiques émis par son avocat du secteur privé, accompagné de toute pièce justificative pertinente et nécessaire (ce qui peut inclure des observations), au directeur général, Responsabilités liées au milieu de travail, Direction générale, pour présentation à l’autorité approbatrice appropriée compte tenu de l’ampleur des frais juridiques engagés après le 8 décembre 2010 jusqu’à présent.

[21] Le 29 août 2018, M. Brassington a soumis des factures pour les services juridiques rendus entre décembre 2010 et mars 2018, une demande de changement d’avocat et une demande d’approbation préalable de frais juridiques allant jusqu’à 300 000 $. Puisque la demande de financement visait un montant supérieur à 50 000 $, la demande devait être présentée au MSPPC.

[22] Le 30 janvier 2019, la commissaire de la GRC a écrit au MSPPC pour demander une décision sur la demande de SJFE. La commissaire de la GRC a résumé le contexte de la demande et a déclaré ce qui suit :

[traduction]
D’après les renseignements dont je dispose concernant cette affaire, je n’appuie pas la demande de services juridiques du sergent Brassington aux frais de l’État. À mon avis, les renseignements de ce dossier démontrent que les trois critères d’admissibilité de base énoncés à l’article 6.1.5 de la Politique n’ont pas été respectés. Approuver cette demande ne serait pas dans l’intérêt public. Veuillez consulter l’annexe « A » pour un résumé des éléments de preuve révélés au cours de l’enquête de l’OPP.

[23] La nature de l’annexe « A » mentionnée dans cette lettre n’est pas claire. Il pourrait s’agir de l’annexe « A » jointe à la décision du ministre, puisqu’aucune annexe A n’est jointe à la lettre de la commissaire de la GRC dans le dossier certifié du tribunal [le DCT].

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[24] La décision du MSPPC est datée du 27 juin 2019, mais M. Brassington n’a été informé de la décision que le 30 juillet 2019.

[25] La décision était présentée dans un formulaire, lequel offrait deux possibilités au MSPPC. Le MSPPC a sélectionné « Option A », soit :

[traduction]

Je n’approuve pas la demande au motif que le sergent Brassington ne satisfait pas aux critères de la Politique selon lesquels il devait agir de bonne foi; ne pas agir à l’encontre des intérêts de l’État; et agir dans l’exercice de ses fonctions en tant que membre de la GRC, ce qui est décrit à l’annexe « A ».

[26] Voici ce qu’indique l’annexe « A » au sujet des critères de la Politique du CT et de la situation de M. Brassington :

[traduction]
Le sergent Brassington a été accusé d’abus de confiance contrairement à l’article 122 du Code criminel pour s’être conduit d’une manière qui compromettrait sciemment la sécurité des témoins, la crédibilité des agents et des témoins ainsi que l’admissibilité des éléments de preuve au cours de l’enquête.

Il a également été accusé d’avoir délibérément tenté d’entraver le cours de la justice dans une instance judiciaire en se comportant d’une manière qui compromettrait sciemment la sécurité des témoins, la crédibilité des agents et des témoins ainsi que l’admissibilité des éléments de preuve au cours d’une enquête pour homicide, contrairement au paragraphe 139(2) du Code criminel.

Enfin, il a été accusé de fraude contrairement au paragraphe 380(1) du Code criminel pour avoir, par supercherie, mensonge et autres moyens dolosifs, fraudé la GRC en obligeant cette dernière à engager des dépenses pour les vols, les chambres d’hôtel, les repas, le transport, les salaires et les heures supplémentaires.

Le 18 janvier 2019, il a plaidé coupable d’abus de confiance et d’entrave à la justice.

L’enquête menée par l’OPP a révélé que le sergent Brassington :

s’est livré à un comportement non professionnel en ce sens qu’il a noué une relation sexuelle avec la témoin potentielle « A », puis a obtenu ses déclarations, de nature probante, dans le cadre d’une enquête pour homicides multiples et d’une enquête pour homicide non résolue. Il n’a jamais déclaré sa conduite ni n’a pris de mesures pour se retirer afin de ne pas avoir d’autres contacts avec elle;

s’est livré à une conduite inappropriée, notamment en ayant eu une relation sexuelle avec la témoin « A », en l’ayant emmenée dans un établissement de divertissement pour adultes et en ayant bu de manière excessive avec elle et d’autres agents, ce qui a entraîné une conduite inappropriée;

s’est livré à des activités trompeuses et frauduleuses en rendant sa relation avec la témoin « A » possible aux frais de la GRC, en soumettant des reçus d’hôtel et en demandant le remboursement de repas, de vols, de transports, de salaires et d’heures supplémentaires alors qu’en fait, il socialisait avec sa petite amie (témoin « A »);

était au courant d’intrusions dans les installations secrètes de la témoin « A » et d’un autre témoin ou y a participé. Il savait également que la témoin « A » et l’autre témoin avaient eu l’occasion de passer du temps seul ensemble et qu’il était possible que leurs éléments de preuve soient contaminés. En outre, il savait que trois civils s’étaient introduits dans les divers emplacements des installations secrètes de la témoin « A » et n’a pas déclaré l’intrusion;

a fourni des renseignements sur l’état et l’activité d’un informateur possible à la témoin « A »;

a pris connaissance d’une conduite inappropriée et d’un comportement frauduleux d’autres membres de la GRC et n’a pas signalé leur conduite à la direction.

Le sergent Brassington était un superviseur et l’un des enquêteurs principaux de l’Équipe intégrée d’enquête sur les homicides. Sa conduite constitue un écart grave et marqué par rapport aux normes attendues d’un policier chargé de prendre soin d’un témoin et de le protéger. Par ses actes, le sergent Brassington a mis en danger des témoins protégés et un informateur confidentiel possible.

Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le sergent Brassington ne satisfait pas aux critères d’admissibilité de la Politique. Approuver cette demande ne serait pas dans l’intérêt public.

[27] La décision a été communiquée à M. Brassington dans une lettre de la commissaire de la GRC datée du 30 juillet 2019. La lettre résume les documents examinés par le MSPPC et les considérations liées à la Politique du CT et répète les conclusions de l’annexe « A » de la décision.

II. Modification de l’intitulé

[28] Le défendeur soutient que le procureur général du Canada est le défendeur approprié, conformément au paragraphe 303(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. M. Brassington y consent.

[29] L’intitulé est par les présentes modifié, avec effet immédiat, pour désigner le « procureur général du Canada » comme seul défendeur.

III. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[30] Je suis d’avis que les questions d’équité procédurale sont déterminantes pour le présent contrôle judiciaire. J’examinerai les questions suivantes :

  1. Le processus d’évaluation des SJFE était-il équitable?

  2. Quelle est la réparation appropriée?

[31] En ce qui concerne les questions d’équité procédurale, la Cour doit se demander si le processus était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54-56 [Canadien Pacifique]). Une cour de révision doit demander « en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi » (Canadien Pacifique, au para 54).

IV. Analyse

A. Le processus d’évaluation des SJFE était-il équitable?

[32] Lorsqu’elle évalue l’équité du processus en l’espèce, la Cour est guidée par les facteurs présentés dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], qui ont été confirmés dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 en ces termes au paragraphe 77 :

[…] Dans le cas d’un contexte décisionnel administratif qui donne lieu à une obligation d’équité procédurale, les exigences procédurales applicables sont déterminées eu égard à l’ensemble des circonstances : Baker, par. 21. Dans l’arrêt Baker, la Cour a dressé une liste non exhaustive de facteurs qui servent à définir le contenu de l’obligation d’équité procédurale dans un cas donné, notamment la nécessité de fournir des motifs écrits. Parmi ces facteurs, mentionnons (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif; (3) l’importance de la décision pour l’individu ou les individus visés; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et (5) les choix de procédure faits par le décideur administratif lui‑même [renvois omis].

[33] En appliquant l’arrêt Baker, la Cour doit tenir compte des circonstances particulières de l’affaire en se référant à un certain nombre de facteurs, notamment le contexte factuel, le régime applicable et l’importance de la décision pour l’individu visé.

[34] Les faits pertinents sont présentés plus haut.

[35] Voici les dispositions pertinentes de la Politique du CT :

3. Contexte

3.1 La prestation de services juridiques aux fonctionnaires de l’État et leur indemnisation sont essentiels [sic] à la protection des intérêts de l’État, au traitement équitable de ses fonctionnaires et à la gestion efficace d’une organisation. Les fonctionnaires de l’État peuvent faire l’objet d’une réclamation ou d’une poursuite en dépit du fait qu’ils agissent de bonne foi, dans l’exercice de leurs fonctions ou dans le cadre de leur emploi. Par conséquent, il est nécessaire qu’ils reçoivent les services juridiques appropriés et soient protégés de la responsabilité personnelle dans la mesure où ils n’agissent pas à l’encontre des intérêts de l’État.

[…]

5. Énoncé de la politique

5.1 Objectif

Les objectifs de la présente politique sont les suivants :

protéger les fonctionnaires de l’État de pertes financières personnelles ou de dépenses subies pendant qu’ils exerçaient leurs fonctions ou dans le cadre de leur emploi, et qu’ils n’agissaient pas à l’encontre des intérêts de l’État;

protéger les intérêts de l’État en ce qui concerne sa responsabilité réelle ou éventuelle résultant des actes ou des omissions de ses fonctionnaires;

assurer aux Canadiens la pérennité et l’efficacité des services de la fonction publique.

5.2 Résultats escomptés

Les résultats escomptés de la présente politique sont les suivants :

les fonctionnaires de l’État [sic] et les intérêts de l’État sont protégés de la responsabilité réelle ou éventuelle résultant des actes ou des omissions de ses fonctionnaires pendant qu’ils exercent leurs fonctions ou dans le cadre de leur emploi, et lorsqu’ils n’agissent pas à l’encontre des intérêts de l’État;

les fonctionnaires de l’État sont protégés de la responsabilité personnelle par une application équitable et cohérente de la politique;

l’État et ses fonctionnaires sont représentés de façon appropriée et dans les délais les plus brefs;

les fonctionnaires de l’État collaborent pleinement aux procédures parlementaires, aux commissions d’enquête et aux enquêtes.

6. Exigences de la politique

6.1 Les autorités approbatrices ont les responsabilités suivantes :

6.1.1 Prise de décision : prendre la décision d’approuver ou non les demandes de services juridiques et d’indemnisation des fonctionnaires de l’État, dans les limites de leur autorité définies dans l’annexe A. Les décisions pour ce qui concerne la prestation de services juridiques ou l’indemnisation sont la responsabilité de l’autorité approbatrice de l’organisation où l’incident à l’origine de la demande a surgi.

6.1 .2 Réponse en temps opportun : s’assurer que les fonctionnaires de l’État qui demandent des services juridiques ou une indemnisation en vertu de la présente politique obtiennent une réponse à leur demande en temps opportun, et s’assurer que les plaintes et les menaces de poursuites sont traitées rapidement et que le recours à des mécanismes de règlement des différends est envisagé s’il y a lieu.

6.1.3 Admissibilité : en prenant la décision d’approuver ou non une demande de services juridiques ou d’indemnisation, s’assurer que le fonctionnaire de l’État satisfait :

aux trois critères d’admissibilité de base énoncés à l’article 6.1.5 ou

aux circonstances exceptionnelles énoncées à l’article 6.1.8 ou

aux deux critères d’admissibilité concernant les procédures parlementaires, les commissions d’enquête, les enquêtes ou autres instances similaires tels qu’ils sont énoncés à l’article 6.1.9 et

aux exigences énoncées à l’annexe B.

Avant de prendre cette décision, l’autorité approbatrice peut demander l’avis de tout fonctionnaire ayant connaissance des faits, et obtenir également des conseils juridiques auprès du ministère de la Justice. Cette décision doit être prise avant que l’avocat s’engage auprès du fonctionnaire afin d’empêcher un éventuel conflit d’intérêts, ce qui serait préjudiciable aux intérêts du fonctionnaire et à ceux de l’État.

6.1.4 Présomption initiale : Dans l’évaluation de la demande d’un fonctionnaire de l’État, présumer initialement que celui-ci a satisfait aux exigences de base d’admissibilité énoncées à l’article 6.1.5, à moins ou jusqu’à ce qu’il y ait des renseignements contraires.

6.1.5 Trois critères d’admissibilité de base : évaluer la demande de services juridiques ou d’indemnisation du fonctionnaire de l’État, en établissant si le fonctionnaire :

a agi de bonne foi;

n’a pas agi à l’encontre des intérêts de l’État;

a agi dans l’exercice de ses fonctions ou dans le cadre de son emploi, relativement à l’acte ou à l’omission qui a donné lieu à la demande.

[…]

6.1.8 Circonstances exceptionnelles : décider de fournir ou non des services juridiques ou une indemnisation dans les situations énumérées à l’article 6.1.6 où le fonctionnaire de l’État ne satisfait pas à un ou plusieurs critères d’admissibilité de base tels qu’ils sont énoncés à l’article 6.1.5, à condition que l’autorité approbatrice estime qu’il est dans l’intérêt public d’approuver la demande, après avoir consulté le Comité consultatif sur les services juridiques et l’indemnisation.

[36] L’annexe A de la Politique du CT contient un tableau qui établit les autorités approbatrices et leurs limites d’approbation pour les demandes de SJFE, en fonction de l’identité du demandeur et du niveau des services juridiques demandé. Pour les fonctionnaires de l’État en poste et anciennement en poste non mentionnés ailleurs dans le tableau, l’administrateur général peut approuver des services juridiques fournis par un avocat du secteur privé jusqu’à 50 000 $. Lorsque le montant de ces demandes dépasse 50 000 $, l’autorité approbatrice est le ministre responsable du ministère.

1) Niveau de l’obligation d’équité procédurale

[37] M. Brassington affirme qu’il devait bénéficier d’un niveau élevé d’équité procédurale compte tenu des accusations criminelles portées contre lui. Il affirme qu’il devait savoir s’il allait recevoir un financement des SJFE puisqu’il s’agissait d’un facteur important pour déterminer les instructions qu’il donnerait à son avocat. Puisque les accusations criminelles ont été portées contre lui alors qu’il était au service de la GRC, la possibilité d’emprisonnement lui posait un risque particulier et important. En tant qu’ancien policier qui a pris part à des enquêtes sur les homicides et les gangs, il était confronté à la possibilité réelle d’être emprisonné avec des détenus qui avaient été incarcérés en raison de son travail de policier.

[38] Selon le défendeur, les demandes de SJFE sont tranchées au cas par cas et sont assujetties à l’évaluation discrétionnaire par l’autorité approbatrice des critères d’admissibilité prévus par la Politique du CT. Par conséquent, le défendeur affirme que M. Brassington avait droit à un niveau minimal d’équité procédurale. En outre, le défendeur affirme que le fait que les intérêts de M. Brassington étaient purement économiques soutient également un niveau moindre d’équité procédurale.

[39] Le langage utilisé dans la Politique du CT est révélateur pour évaluer les obligations d’équité procédurale du décideur administratif au moment de mettre en application la Politique du CT. La Politique du CT précise que « [l]a prestation de services juridiques aux fonctionnaires de l’État et leur indemnisation sont essentiels à la protection des intérêts de l’État [et] au traitement équitable de ses fonctionnaires » [non souligné dans l’original]. La Politique du CT précise également que le décideur administratif est responsable de « s’assurer que les fonctionnaires de l’État qui demandent des services juridiques ou une indemnisation en vertu de la présente politique obtiennent une réponse à leur demande en temps opportun, et s’assurer que les plaintes et les menaces de poursuites sont traitées rapidement » [non souligné dans l’original].

[40] Je reconnais que l’examen d’une demande conformément à la Politique du CT comporte un exercice de pouvoir discrétionnaire, ce qui donne à penser que M. Brassington devait bénéficier d’un niveau moindre d’équité procédurale. Toutefois, les questions de délai excessif font appel à la doctrine de l’abus de procédure, qui « a toujours mis l’accent sur l’intégrité du système de justice plutôt que sur les intérêts des parties à une instance en particulier » [souligné dans l’original] (Law Society of Saskatchewan c Abrametz, 2022 CSC 29 au para 143 [Abrametz], citant Toronto (Ville) c S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63 au para 43; voir également Ontario c S.E.E.F.P.O, 2003 CSC 64 au para 12; A.I.E.S.T., local de scène no 56 c Société de la Place des Arts de Montréal, 2004 CSC 2 au para 16).

[41] Recevoir une « réponse […] en temps opportun » à une demande de SJFE est l’un des objectifs déclarés de la Politique du CT. Pour évaluer si la réponse a été reçue en temps opportun, il n’est pas nécessaire d’évaluer en profondeur la question de savoir si les décisions « sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal, institutionnel et social » (Baker, au para 22). Au contraire, selon moi, la réponse a été reçue en temps opportun ou elle ne l’a pas été.

[42] Dans le même ordre d’idées, s’assurer que le décideur disposait du dossier complet des documents concernant une demande de SJFE afin de prendre une décision pleinement éclairée est une exigence fondamentale pour garantir l’équité du processus décisionnel.

[43] En l’espèce, déterminer si M. Brassington devait bénéficier d’un niveau d’équité procédurale élevé ou faible ne permet pas de remédier aux manquements procéduraux. Ces manquements étaient : (1) le défaut de fournir une réponse en temps opportun à la demande de SJFE; et (2) l’incapacité de s’assurer que le ministre disposait du dossier complet. En raison de ces manquements, la procédure était viciée.

[44] Dans tous les cas, puisque M. Brassington faisait l’objet d’accusations criminelles et d’un risque d’emprisonnement, je conclus sans aucune difficulté qu’il devait bénéficier d’un niveau d’équité procédurale plus élevé.

[45] J’examinerai les manquements à la procédure plus loin.

2) Y a-t-il eu un défaut de fournir une réponse en temps opportun à la demande de SJFE?

[46] Dans Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 [Blencoe], la Cour suprême a conclu que, « [e]n droit administratif, le délai déraisonnable dans des procédures administratives est illégal. Il constitue un manquement à l’obligation d’assurer un déroulement équitable des procédures » (au para 162). Les trois principaux facteurs à prendre en compte pour déterminer si un délai était déraisonnable sont la durée, les causes et l’incidence du délai (Blencoe, au para 160).

[47] Dans l’arrêt Abrametz au paragraphe 43, la Cour suprême a confirmé l’analyse à trois volets énoncés dans l’arrêt Blencoe pour déterminer si un délai qui ne porte pas atteinte à l’équité de l’audience constitue néanmoins un abus de procédure :

Premièrement, le délai en cause doit être excessif. Deuxièmement, ce délai doit avoir directement causé un préjudice important. Lorsque ces deux conditions sont réunies, le tribunal judiciaire ou administratif procède à une dernière évaluation afin de déterminer si le délai constitue un abus de procédure. Un délai constituera un abus de procédure s’il est manifestement injuste envers une partie ou s’il déconsidère d’une autre manière l’administration de la justice.

[48] La première phase du financement des SJFE de M. Brassington a été approuvée en avril 2010. Après qu’il a été accusé d’infractions criminelles en juin 2011, M. Brassington a demandé le financement des SJFE le 4 avril 2012. Le commissaire de la GRC a rejeté cette demande en novembre 2012. La demande a ensuite été soumise à deux paliers d’arbitrage des griefs, dont un renvoi au CEE. Près de cinq ans ont été nécessaires pour la procédure de règlement de grief, de décembre 2012 à septembre 2017.

[49] Dans la décision concernant le grief au deuxième palier, il a été conclu que la demande devait être envoyée au MSPPC, puisque le montant était supérieur à 50 000 $, la limite d’approbation autorisée pour le commissaire de la GRC. M. Brassington a soumis d’autres factures pour les services juridiques en août 2018.

[50] Le 19 décembre 2018, M. Brassington a déposé une demande de contrôle judiciaire pour obtenir un mandamus dans le dossier de la Cour T-2162-18. Il voulait contraindre le ministre à prendre une décision sur sa demande de SJFE.

[51] Finalement, en janvier 2019, la demande de SJFE a été déposée devant le MSPPC. La décision a ensuite été communiquée en juin 2019.

[52] Bien que la demande de SJFE ait fait l’objet de nombreux processus administratifs, il a fallu plus de sept ans pour qu’elle parvienne au décideur approprié, à savoir le MSPPC. Et ce, malgré le fait que la demande initiale de 2012 indiquait que M. Brassington demandait un financement des SJFE de plus de 50 000 $, ce qui dépassait le pouvoir d’approbation du commissaire de la GRC. À titre de comparaison, il a fallu 20 jours à partir du moment où M. Brassington a soumis sa première demande de SJFE relative à la phase de consultation initiale en avril 2010 pour qu’il reçoive une décision.

[53] Il n’y a aucune explication quant à la raison pour laquelle il a fallu sept ans pour que la demande de SJFE soit présentée au décideur approprié. La procédure de règlement de grief et les retards qu’elle a entraînés peuvent ne pas avoir été nécessaires puisque le commissaire de la GRC n’était pas le décideur approprié en 2012, lorsque la demande de financement des SJFE pour le procès a été initialement rejetée.

[54] Il ne fait aucun doute que le délai de sept ans pour que la demande de SJFE soit présentée au décideur approprié est excessif.

[55] M. Brassington explique l’effet qu’a eu sur lui le fait de ne pas savoir s’il bénéficierait du financement des SJFE pour le procès criminel en ces termes dans son affidavit :

[traduction]

26. Mon procès devait commencer en janvier 2019. La durée estimée du procès était d’environ six semaines. La perspective d’un procès de six semaines sans que mes avocats soient rémunérés m’était impensable. J’avais peur de ne jamais pouvoir les payer. C’était une période extrêmement difficile et le manque de financement a beaucoup pesé sur mes décisions dans la conduite de ma défense. J’avais peur qu’il n’y ait pas d’argent pour permettre à des témoins experts de témoigner sur mon trouble de stress post-traumatique et ses effets sur mes décisions au cours de l’enquête des six meurtres de Surrey.

 

27. J’étais en colère parce que j’avais eu gain de cause dans mon grief et que la GRC ne répondait tout simplement pas à mes avocats. La procédure judiciaire ne pouvait pas attendre indéfiniment.

[…]

31. Le 7 janvier, j’ai demandé à mon avocat d’entamer des discussions avec la Couronne au sujet d’un plaidoyer. J’étais persuadé que j’avais des moyens de défense valables pour un procès, mais la Couronne réclamait une longue peine de prison fédérale si je n’avais pas gain de cause. En tant que père de six enfants, dont deux d’âge préscolaire, mon objectif ultime était d’éviter la prison. J’étais un ancien détective des homicides qui avait convaincu de nombreux témoins à changer de bord et enquêté sur les gangsters les plus dangereux de la Colombie-Britannique. Je devais éviter d’aller en prison.

[56] Le plus préjudiciable pour M. Brassington est peut-être que la demande n’a été soumise à l’approbation du MSPPC qu’après qu’il a plaidé coupable. Il a plaidé coupable le 18 janvier 2019 et la demande de SJFE a été transmise au ministre le 30 janvier 2019. M. Brassington n’a reçu la décision du MSPPC que le 30 juillet 2019, plus de six mois après avoir plaidé coupable.

[57] La situation de M. Brassington a changé alors qu’une décision sur la demande de SJFE était en attente – à savoir, il a plaidé coupable aux accusations criminelles portées contre lui. Bien que la demande de financement des SJFE pour l’instruction de son procès criminel ait été faite environ sept ans avant qu’il ne plaide coupable, une partie de la justification du refus du financement des SJFE était son plaidoyer de culpabilité. La demande de décision du ministre du Centre de décision de la GRC à l’égard de la demande de SJFE de M. Brassington, du 24 janvier 2019, indique expressément : [TRADUCTION] « En l’espèce, puisque le membre a plaidé coupable, il a établi qu’il n’avait pas agi dans le cadre de ses fonctions de membre de la GRC. »

[58] Si une décision en temps opportun avait été rendue à l’égard de M. Brassington, le ministre n’aurait pas pu fonder son refus sur un « plaidoyer de culpabilité ». La Politique du CT ne prévoit aucunement que le décideur doive attendre le résultat d’une procédure pour prendre une décision concernant le financement des SJFE. En fait, et c’est peut-être évident, la Politique du CT laisse entendre le contraire et mentionne expressément l’importance d’une décision rendue en temps opportun.

[59] De plus, l’invocation du plaidoyer de culpabilité de M. Brassington par le commissaire de la GRC et le MSPPC pour justifier qu’il n’avait pas satisfait aux objectifs de la Politique du CT pour obtenir le financement des SJFE était en soi injuste sur le plan procédural. La demande de financement des SJFE présentée par M. Brassington concernait la phase de son procès criminel. Sa culpabilité ou son innocence n’avaient pas été établies lorsqu’il a demandé un financement. Il était donc injuste d’utiliser son plaidoyer de culpabilité pour refuser rétroactivement le financement de son procès criminel et de tout le travail juridique connexe pour parvenir à un accord de plaidoyer. M. Brassington ne pouvait pas savoir que sa décision de plaider coupable, qui, à son avis, était rendue nécessaire au moins en partie par le manque de financement des SJFE, serait un facteur pris en compte pour rejeter la demande de SJFE.

[60] À mon avis, cette procédure, dans le cadre de laquelle une décision sur le financement juridique n’a été prise qu’après l’issue du procès criminel, n’était pas équitable pour M. Brassington. Le délai était contraire à la Politique du CT et il a causé des risques sur le plan juridique pour M. Brassington.

3) Le ministre avait-il l’ensemble des renseignements?

[61] M. Brassington soutient que la GRC n’a pas fourni les documents pertinents et probants pour les SJFE au ministre et que cette omission constituait un manquement à l’équité procédurale. Il soutient qu’il s’est fié à la GRC pour communiquer au ministre tous les documents présentés pour sa demande de SJFE. Selon le DCT, certains des documents que M. Brassington a soumis pour la phase du procès de sa demande de SJFE n’ont pas été inclus, alors que ce dernier estimait qu’ils étaient essentiels pour comprendre les circonstances qui ont donné lieu à son comportement ayant conduit aux accusations criminelles.

[62] Le défendeur ne conteste pas que ces renseignements n’aient pas été présentés au ministre. Il affirme que M. Brassington avait l’obligation de fournir les renseignements s’il voulait qu’ils soient pris en compte pour soutenir sa demande de SJFE. Le défendeur affirme que la GRC n’avait pas accès aux documents que M. Brassington a fournis dans le cadre de sa procédure de règlement de grief. Par conséquent, il affirme que le MSPPC ne pouvait examiner que les documents que M. Brassington a directement présentés à l’appui de sa demande de SJFE de 2018.

[63] Il est nécessaire d’examiner des communications clés entre M. Brassington et la GRC pour mettre en contexte cette observation.

[64] La décision relative au grief au deuxième palier du 8 septembre 2017 indiquait que M. Brassington devait fournir des renseignements sur son changement d’avocat et fournir une version à jour de sa déclaration de frais juridiques.

[65] Le 24 janvier 2018, Betty Georgoulas, analyste des réclamations, Groupe de l’analyse du contentieux des affaires civiles, division E de la GRC, a envoyé un courriel à M. Brassington accusant réception de sa demande de changement d’avocat. Elle a demandé qu’il fournisse un formulaire de demande de SJFE, accompagné de tout document à l’appui pertinent.

[66] Le 16 mai 2018, Mme Georgoulas a envoyé un courriel à M. Brassington et lui a indiqué ce qui suit :

[traduction]
À la suite de notre discussion plus tôt, j’ai parlé avec ma gestionnaire, Karen Aiello. Je vais parcourir nos dossiers pour trouver le document que, selon vos dires, M. Yates avait préparé pour vous en 2010-2011.

[…]

Je vous répondrai et vous ferai savoir d’une manière ou d’une autre si je retrouve le document.

[67] Le même jour, M. Brassington a répondu au courriel de Mme Georgoulas et a déclaré ce qui suit :

[traduction]
Salut Betty; veuillez envoyer l’intégralité du dossier de demande, y compris, mais sans s’y limiter, la demande écrite qui a été soumise en mon nom par Norman Yates et qui a finalement abouti à la décision d’octobre 2016 de la présidente du Comité externe d’examen (Mme Walker) d’accueillir mon grief et d’accorder les S.J.F.E.

Je suis très préoccupé par le fait que votre bureau traite cette demande comme une demande de S.J.F.E. nouvelle ou distincte alors qu’elle devrait être traitée comme une simple demande de changement d’avocat.

[68] Le 17 mai 2018, M. Brassington a reçu un courriel en réponse de Karen Aiello, gestionnaire régionale des Services consultatifs en réclamations et contentieux, divisions E et M de la GRC [courriel d’Aiello], indiquant ce qui suit :

[traduction]
[…] Je tiens à vous faire savoir qu’il est possible que notre dossier ne comprenne pas tout ce qui a été préparé dans le cadre de votre grief.

En réponse à vos inquiétudes, nous ne traitons pas simplement cette demande comme une nouvelle demande. Voici ce qu’indiquait la décision relative au grief :

« […] le plaignant présente un relevé de compte des frais juridiques émis par son avocat du secteur privé, accompagné de toute pièce justificative pertinente et nécessaire (ce qui peut inclure des observations), […] pour présentation à l’autorité approbatrice appropriée compte tenu de l’ampleur des frais juridiques engagés après le 8 décembre 2010 jusqu’à présent. »

[…]

Ce processus concerne non seulement les frais, mais également la situation où un changement d’avocat est demandé ou lorsqu’il y a une nouvelle phase, lorsque l’élément monétaire dépasse le montant de l’autorisation de la Division. Le formulaire ED6105 que nous vous demandons de préparer en ce moment servira à présenter les frais juridiques engagés après le 8 décembre 2010 et pour le changement d’avocat relativement à l’affaire criminelle. La Division n’a plus le pouvoir de prendre des décisions relatives à cette affaire, y compris le changement d’avocat.

[69] L’avocat de M. Brassington a informé Mme Aiello par lettre, envoyée par courrier électronique, datée du 7 juin 2018, qu’il adoptait [traduction] « les observations et les documents justificatifs fournis avec la note de Mme Lirette du 7 octobre 2011 […] et les pièces jointes » et s’appuyait sur ceux-ci pour soutenir la demande de SJFE dans le cadre du procès de M. Brassington. Les pièces justificatives fournies avec la note de Lirette comprenaient deux rapports psychologiques.

[70] Ces rapports psychologiques ne figurent pas dans le DCT et n’ont donc pas été soumis au ministre.

[71] Ces rapports psychologiques sont joints à l’affidavit de M. Brassington déposé dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. M. Brassington soutient que le ministre aurait dû avoir ces avis professionnels pour comprendre son état d’esprit au moment pertinent de la procédure criminelle.

[72] Dans un rapport daté du 27 juillet 2011, le DRandy Mackoff, qui a traité M. Brassington pendant dix mois, déclare ce qui suit :

[traduction]
À mon avis, d’un point de vue clinique, après avoir passé de nombreuses heures avec des membres de gangs et des personnes associées ou liées aux gangs, le sergent Brassington a perdu son propre sens de soi et a adopté certaines des caractéristiques manifestées par les cibles de ses enquêtes. Le sergent Brassington a développé une certaine empathie pour les individus impliqués dans la « culture » des gangs. Par conséquent, sa capacité psychologique à se désengager complètement des cibles de son enquête a été compromise en raison de sa participation à l’enquête. À mon avis, sa capacité à se dissocier a eu un effet négatif sur sa prise de décision.

À l’époque où je traitais le sergent Brassington, il souffrait d’un trouble de l’adaptation avec humeur anxio-dépressive. L’étiologie de ce trouble est une réponse psychologique à des facteurs de stress reconnaissables vécus par le sergent Brassington.

[73] Dans un rapport psychologique daté du 24 août 2011, le psychologue agréé C. Paul Peel a explicitement expliqué le comportement de M. Brassington en ces termes :

[traduction]
Le sergent Brassington était soumis à une pression générale considérable pour résoudre des affaires très médiatisées. Lorsqu’il a commencé l’enquête des six meurtres de Surrey le 19 octobre 2007 à titre de chef d’équipe et d’enquêteur, il se trouvait dans un état psychologique très vulnérable, mais il était déterminé et dévoué à prouver les capacités de la GRC. Sous cette pression, le sergent Brassington n’a pris que 7 jours de congé complets en 2009 (sur 38 jours partiels) et a également effectué un grand nombre d’heures supplémentaires (environ 595 heures de février à avril 2009). De plus, le sergent Brassington avait la responsabilité de créer et d’entretenir des relations superficiellement sincères avec plusieurs individus (certains difficiles, certains hostiles, certains soupçonnés de meurtre) impliqués dans l’élément criminel (culture de gang) en devant constamment adopter une personnalité appropriée. Au fil du temps, les effets cumulatifs de ce travail ont eu des répercussions psychologiques sur son bien-être émotionnel et mental. Il n’est pas surprenant que la frontière entre le fait de « jouer un rôle » et la réalité soit devenue floue, de sorte que la négation de son identité policière et sa compassion jouée pour les cibles au travail ont eu une incidence sur sa capacité de prise de décision.

[74] Pour revenir à la question de la responsabilité de fournir ces documents au ministre, il est utile d’examiner le libellé même de la Politique du CT. L’annexe A de la Politique du CT prévoit ce qui suit :

*Lorsque l’approbation du Conseil du Trésor est requise, il incombe à l’organisation où l’acte ou l’omission ayant donné lieu à la demande a été commis de préparer l’ensemble des documents liés à la demande.

[75] Même si l’annexe A fait explicitement référence à l’approbation du Conseil du Trésor, il va de soi que les mêmes principes s’appliqueraient lorsque l’approbation ministérielle est requise. D’après l’annexe A de la Politique du CT, il ne fait aucun doute que l’« organisation » chargée de préparer tous les documents liés à la demande est la GRC. Par conséquent, la position du défendeur selon laquelle M. Brassington était seul responsable de la présentation des documents n’est pas reflétée à l’annexe A.

[76] Ensuite, le courriel d’Aiello (ci-dessus) indiquait que la GRC ne considérait pas les observations de M. Brassington de 2018 comme une nouvelle demande. Bien que les documents aient été préparés pour la procédure de règlement de grief d’octobre 2011, M. Brassington a soumis à nouveau la note de Lirette et les rapports psychologiques qui y étaient joints dans le cadre de sa demande de SJFE de 2012 pour la phase du procès. Les documents ont été envoyés à Betty Georgoulas le 11 mai 2012, après la présentation de la demande de SJFE pour la phase du procès le 4 avril 2012, mais avant le début de la procédure de règlement de grief pour la phase du procès.

[77] Ces documents ont été présentés au CEE et à l’arbitre au deuxième palier. Même si elles faisaient partie de la procédure de règlement de grief, ces deux décisions confirment que la note de Lirette et les rapports psychologiques qui y étaient joints ont été soumis pour la phase du procès de la demande de SJFE. La décision du CEE indique ce qui suit :

[traduction]
Le 4 avril 2012, le plaignant a demandé les SJFE pour sa comparution devant le tribunal et la phase du procès criminel intenté contre lui […] Le 11 mai 2012, le plaignant a fourni des renseignements supplémentaires pour soutenir sa demande de SJFE, y compris la note de règlement rapide d’octobre 2011 de sa représentante des membres et les rapports de deux psychologues.

[78] Dans un même ordre d’idées, la décision du grief au deuxième palier indique ce qui suit :

[traduction]
Dans un courriel du 4 avril 2012, le plaignant a demandé les SJFE pour la phase du procès… Le 12 mai 2012, le plaignant a fourni des documents supplémentaires à l’appui de sa demande de SJFE : une note de règlement rapide datée du 7 octobre 2011, rédigée par Mme C.L. de la Direction des représentants des membres de la GRC et de deux rapports de psychologues datés du 27 juillet 2011 et du 24 août 2011.

[79] À mon avis, la GRC avait l’obligation, conformément à la Politique du CT, de transmettre au ministre tous les renseignements soumis par M. Brassington concernant sa demande de SJFE. À la lumière de l’orientation précise de la Politique du CT qui indique que lorsque l’approbation du Conseil du Trésor est requise, il incombe à l’organisation où l’acte ou l’omission ayant donné lieu à la demande a été commis de préparer l’ensemble des documents liés à la demande, en l’espèce, il ne fait aucun doute que cette organisation est la GRC.

[80] L’omission par la GRC de transmettre au ministre tous les documents soumis par M. Brassington dans le cadre de sa demande de SJFE pour la phase du procès, que ce soit en 2012 ou en 2018, constituait un manquement à l’équité procédurale.

B. Quelle est la réparation appropriée?

[81] M. Brassington demande une ordonnance enjoignant au ministre d’approuver sa demande de SJFE. Il soutient que, puisque la demande de SJFE pour la phase du procès est en instance depuis plus de 11 ans, il serait injuste envers lui que notre Cour annule la décision et la renvoie pour nouvel examen par le ministre.

[82] Un verdict imposé est une réparation extraordinaire, possible lorsqu’il n’y a qu’un seul résultat disponible ou dans des circonstances de mauvaise administration extrême (Doyle c Canada (Procureur général), 2022 CAF 56 aux para 6-8; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c LeBon, 2013 CAF 55 au para 14).

[83] La nature exceptionnelle de la réparation reconnaît que « les tribunaux administratifs se voient offrir une seconde chance de statuer sur le fond de l’affaire et que la cour de révision n’accomplisse pas cette tâche à leur place » (D’Errico c Canada (Procureur général), 2014 CAF 95 au para 17).

[84] Bien que je sois sensible aux observations de M. Brassington, dans ces circonstances, il n’est pas approprié que la Cour rende un verdict imposé comme il le demande. La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour des motifs d’équité procédurale et, à ce titre, il s’agit d’une conclusion relative à l’équité du processus et non au caractère raisonnable du résultat (Canadien Pacifique, aux para 44, 54).

[85] Par conséquent, la demande de SJFE de M. Brassington ainsi que toutes les observations supplémentaires qu’il souhaite présenter seront renvoyées au ministre pour nouvel examen.

V. Conclusion

[86] La décision est annulée et sera renvoyée pour nouvel examen. M. Brassington aura l’occasion de présenter d’autres arguments, y compris de soumettre tout document qu’il estime pertinent pour l’évaluation de sa demande de SJFE.

[87] M. Brassington a droit aux dépens. Si elles ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, les parties peuvent présenter leurs observations sur les dépens dans les 15 jours suivant la date du présent jugement. Les observations ne doivent pas dépasser 10 pages.


 

JUGEMENT dans le dossier T-1785-19

LA COUR STATUE que :

  1. L’intitulé est modifié, avec effet immédiat, pour désigner le « procureur général du Canada » comme défendeur unique.

  2. La décision du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, datée du 27 juin 2019, est annulée et renvoyée pour nouvel examen.

  3. M. Brassington pourra présenter d’autres observations pour soutenir sa demande de services juridiques aux frais de l’État.

  4. M. Brassington a droit aux dépens. Si elles ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, les parties peuvent présenter leurs observations sur les dépens dans les 15 jours suivant la date du présent jugement. Les observations ne doivent pas dépasser 10 pages.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Tardif

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

 

T-1785-19

INTITULÉ :

BRASSINGTON c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 janvier 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 18 mai 2023

COMPARUTIONS :

Ian Donaldson, K.C.

Curtis Armitage

 

Pour le demandeur

 

Courtenay Landsiedel

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Donaldson’s Law

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

 

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