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Date : 20230524

Dossier : IMM-4062-22

Référence : 2023 CF 726

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 24 mai 2023

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

GULAMZHAN TURSUNOV

KHALOSBAY DODAYEV

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs, qui sont citoyens du Kazakhstan, affirment craindre d’être persécutés en raison de leur appartenance à la minorité ethnique tadjike du Kazakhstan. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 7 avril 2022 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel qu’ils avaient interjeté à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] du 29 octobre 2021. La SPR a jugé que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La SPR et la SAR ont conclu que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [la PRI] à Nour‑Soultan, au Kazakhstan.

[2] Les demandeurs ont soulevé plusieurs motifs de contrôle à l’appui de leur demande. Après avoir examiné le dossier et les observations des parties, je conclus que la question déterminante est le défaut de la SAR de tenir compte de l’argument des demandeurs selon lequel les agents de persécution avaient les moyens de les retrouver en raison de la corruption généralisée au Kazakhstan.

[3] La question déterminante est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 25]. Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle, notamment le raisonnement suivi et le résultat obtenu, est transparente, intelligible et justifiée. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti [voir Vavilov, précité, aux para 15, 85]. La Cour n’interviendra que si elle est convaincue que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence [voir Adeniji‑Adele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 418 au para 11].

[4] En appel devant la SAR, les demandeurs ont affirmé que la SPR avait eu tort de conclure que, comme aucun élément de preuve n’indiquait que les agents de persécution avaient des liens avec la police à l’extérieur du village ou dans l’ensemble du pays, les agents de persécution n’auraient pas les moyens de retrouver les demandeurs dans la ville désignée comme PRI. Les demandeurs ont formulé plusieurs arguments à l’appui de l’erreur alléguée et ont fait référence à des éléments de preuve qui, selon eux, auraient dû amener la SPR à conclure que les agents de persécution avaient les moyens de les retrouver, dont des éléments de preuve portant que les personnes au Kazakhstan doivent enregistrer leur adresse et que la police est sous la supervision d’une seule entité à l’échelle nationale (ce qui permet de conclure que tous les policiers du Kazakhstan ont accès aux renseignements sur les citoyens contenus dans la base de données). La SAR a examiné ces éléments de preuve et les observations des demandeurs s’y rapportant.

[5] Toutefois, les demandeurs ont également renvoyé à des éléments de preuve figurant dans le cartable national de documentation qui font état de la corruption généralisée au sein des autorités du Kazakhstan, dont la police. Les demandeurs ont affirmé que, en raison de la corruption, les renseignements détenus par la police concernant leur emplacement pourraient être rendus accessibles aux agents de persécution et que, par conséquent, la SAR avait eu tort de conclure que ces derniers n’avaient pas les moyens de les retrouver.

[6] Comme les demandeurs ont clairement présenté à la SAR les éléments de preuve concernant la corruption généralisée et qu’ils se sont expressément appuyés sur ceux‑ci, la SAR était tenue d’examiner ces éléments ainsi que les observations des demandeurs s’y rapportant afin de déterminer leur incidence, le cas échéant, sur sa conclusion relativement aux moyens à la disposition des agents de persécution pour retrouver les demandeurs dans la ville désignée comme PRI [voir Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667, [1998] ACF no 1425 aux para 16‑17]. Cependant, dans sa décision, la SAR n’a fait aucune mention de ces éléments de preuve ni des observations des demandeurs s’y rapportant. Par conséquent, étant donné que la SAR n’a pas examiné les éléments de preuve et les observations des demandeurs liés à la corruption, je juge que sa décision n’est pas fondée sur une analyse rationnelle.

[7] En raison de sa conclusion sur les « moyens » des agents de persécution, la SAR ne s’est pas penchée sur la question de savoir si ces derniers avaient la motivation de retrouver les demandeurs dans la ville proposée comme PRI. Je ne peux donc pas conclure que l’erreur de la SAR n’a eu aucune incidence déterminante sur la décision de cette dernière. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la SAR sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAR afin qu’il rende une nouvelle décision.

[8] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4062-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la Section d’appel des réfugiés du 7 avril 2022 est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAR afin qu’il rende une nouvelle décision.

  3. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et la présente affaire n’en soulève aucune.

« Mandy Aylen »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4062-22

INTITULÉ :

GULAMZHAN TURSUNOV ET KHALOSBAY DODAYEV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 MAI 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

LE 24 MAI 2023

COMPARUTIONS :

David P. Yerzy

POUR LES DEMANDEURS

Allison Grandish

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David P. Yerzy

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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