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Date : 20230524


Dossier : IMM-6687-21

Référence : 2023 CF 721

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2023

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

LANCE EDWARD FOSTER

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Lance Foster a demandé le report de son renvoi du Canada à Sainte-Lucie en raison de l’état de santé de ses trois enfants canadiens et de la santé mentale de leur mère, sa conjointe de fait. Sa demande de report a été rejetée par un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs [l’agent] de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC]. Toutefois, notre Cour a ordonné le sursis du renvoi de M. Foster jusqu’à ce qu’elle ait statué sur le présent contrôle judiciaire visant la décision par laquelle l’agent a refusé le report du renvoi [la décision relative au report].

[2] Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que la décision relative au report était déraisonnable. Il est vrai que l’agent saisi d’une demande de report n’est pas tenu d’effectuer une analyse complète de l’intérêt supérieur à long terme des enfants, et qu’il n’est pas habilité à le faire non plus, mais il doit prendre en considération l’intérêt supérieur à court terme des enfants touchés par le renvoi de leurs parents. Je suis d’avis que, même si l’agent semble avoir abordé la question de l’intérêt supérieur des enfants, il n’a pas procédé à un examen approfondi des principaux motifs de la demande de report, c’est-à-dire la santé mentale de leur mère et les difficultés inhérentes aux soins que nécessitent des enfants à besoins particuliers.

[3] La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie. La décision relative au report sera annulée et la demande de report présentée par M. Foster sera renvoyée à l’ASFC pour nouvel examen. Toutefois, la demande de M. Foster en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant au ministre de l’autoriser à demander un examen des risques avant renvoi [l’ERAR] et en vue de suspendre l’exécution de la mesure de renvoi pendant l’examen de cette demande n’est pas justifiée dans les circonstances, même si elle relevait de la compétence de la Cour.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[4] Le refus de l’agent de reporter le renvoi de M. Foster est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16–17, 23–25; Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130 au para 42.

[5] Bien que M. Foster soulève un certain nombre de points dans sa demande de contrôle judiciaire, la seule question déterminante consiste, selon moi, à savoir si la décision de l’agent était raisonnable en ce qui concerne l’examen de l’intérêt supérieur des enfants.

III. Analyse

A. La mesure de renvoi

[6] M. Foster est arrivé au Canada en 2008. Sa demande de résidence permanente a été approuvée en 2014 à la suite d’un parrainage par sa première épouse, dont il est maintenant séparé, mais avec laquelle il était toujours légalement marié au moment de la décision relative au report. M. Foster vit avec sa conjointe de fait et leurs trois enfants canadiens qui, au moment de la demande de report, avaient sept ans, deux ans et deux mois.

[7] Après des déclarations de culpabilité prononcées contre lui à la fin de 2018, M. Foster a été déclaré interdit de territoire au Canada pour grande criminalité en 2019 sous le régime de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 001, c 27 [la LIPR]. En août 2019, alors qu’il était placé en détention aux fins de l’immigration, M. Foster a demandé la tenue d’un ERAR en alléguant qu’il serait exposé à des risques liés aux membres d’un gang à Sainte-Lucie. Cette demande a été rejetée en octobre 2019. L’agent chargé de l’ERAR a conclu que les observations et la preuve présentées par M. Foster au sujet des risques allégués étaient vagues et manquaient de détails. Il a également souligné que, même si les prétendus incidents mettant en cause le gang ont été apparemment signalés à la police, aucune précision ou copie de rapports de police à ce sujet n’ont été présentées. M. Foster soutient que ces lacunes découlent du fait qu’il a préparé sa demande d’ERAR pendant sa détention par les autorités de l’immigration et qu’il croyait que son consultant en immigration fournirait plus de détails et de documents.

[8] Peu après ce refus, M. Foster a été libéré du centre de détention. D’autres condamnations criminelles ont suivi en octobre 2020 et en avril 2021. Il a été arrêté et détenu en juillet 2021, puis il a reçu en septembre 2021 une directive lui enjoignant de se présenter pour son renvoi.

B. La demande de report

[9] Le 29 septembre 2021, le conseil de M. Foster a déposé une demande de report au nom de son client. Apparemment préparée dans un court délai et pendant que M. Foster se trouvait toujours en détention, cette demande comprenait la lettre d’observations du conseil et un certain nombre de documents à l’appui, notamment : (i) un rapport d’évaluation des habiletés de communication qui fait état de retards dans le développement du langage et de faibles capacités de communication sociale chez l’enfant de deux ans, pose un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme pour l’enfant de sept ans et mentionne l’intervention de la Société d’aide à l’enfance; (ii) un courriel confirmant un rendez-vous dans une clinique de cardiologie congénitale pour l’enfant de deux mois; (iii) quatre lettres d’appui provenant de membres de la famille de M. Foster à Sainte-Lucie.

[10] La lettre d’observations indiquait que l’enfant de sept ans et celui de deux ans sont autistes, tandis que l’enfant de deux mois [traduction] « a un trou dans le cœur. » Le conseil y précisait que la mère des enfants éprouve de graves problèmes de santé mentale, notamment une tentative de surdose et un diagnostic récent de trouble bipolaire, et qu’elle attendait un rendez-vous en psychiatrie. Ce document mettait en lumière les graves problèmes de santé mentale de la mère, ses difficultés à s’occuper des enfants ayant des besoins spéciaux et le rôle de M. Foster en tant que principal responsable des soins aux enfants et soutien financier de la famille. Compte tenu de la situation familiale et du rôle de M. Foster, la lettre d’observations soulignait que toute la famille serait obligée de déménager à Sainte-Lucie si lui y était renvoyé. Elle indiquait en outre qu’il était important pour la mère et les enfants de continuer à recevoir des soins médicaux au Canada, étant donné le manque de soins spécialisés à Sainte-Lucie pour les personnes atteintes de troubles du spectre autistique.

[11] Le conseil rappelait dans la lettre d’observations que M. Foster avait le droit de déposer une autre demande d’ERAR, puisque le refus antérieur d’effectuer un ERAR remontait à plus d’un an. Il a demandé qu’un autre ERAR soit mené dans le cas de M. Foster et que la mesure de renvoi visant ce dernier soit reportée jusqu’à ce que la nouvelle demande d’ERAR soit tranchée.

C. La décision relative au report

[12] Le 1er octobre 2021, un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs de l’ASFC [l’agent] a refusé de reporter le renvoi de M. Foster. Cette décision mentionnait que la demande de report se fondait sur l’intérêt supérieur des enfants, le risque auquel M. Foster était exposé à Sainte-Lucie et l’absence de soins médicaux dans ce pays. Elle donnait une chronologie détaillée de l’affaire et soulignait notamment les déclarations de culpabilité et les peines prononcées contre M. Foster. L’agent y décrivait ensuite l’obligation énoncée au paragraphe 48(2) de la LIPR, soit celle d’exécuter les mesures de renvoi « dès que possible », et le pouvoir discrétionnaire limité des agents pour ce qui est du report de mesures de renvoi, avant d’analyser les motifs invoqués.

[13] En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a déclaré qu’il en avait tenu compte, qu’il avait examiné toutes les déclarations et observations fournies, qu’il avait [traduction] « analysé l’intérêt supérieur à court terme des enfants équitablement et avec sensibilité » et qu’il avait été [traduction] « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des trois enfants. L’agent mentionne ensuite l’état de santé des enfants et l’intervention de la Société d’aide à l’enfance puis prend acte du rapport d’évaluation des habiletés de communication et du courriel concernant le rendez-vous à la clinique de cardiologie congénitale pour l’enfant de deux mois. Il a fait l’analyse suivante de l’intérêt supérieur des enfants :

[traduction]

Je reconnais que les enfants devraient avoir à leurs côtés une mère ou un père, ou les deux. Je suis conscient en outre que le déménagement des enfants et/ou le fait de vivre séparés de l’un ou de l’autre des parents peuvent causer des difficultés émotionnelles aux membres de la famille.

Je souligne que, si les enfants restaient au Canada avec leur mère biologique […], ils continueraient de bénéficier du niveau de vie qui leur est offert en tant que résidents canadiens et des avantages que leur confère leur droit de naissance canadien. Étant donné que les enfants sont déjà établis au Canada, il est raisonnable de supposer que des proches ou des amis au Canada leur apporteraient toute l’aide possible.

De plus, si les enfants et leur mère devaient résider de façon permanente à Sainte-Lucie, M. Foster connaît déjà la langue, les coutumes, les traditions de même que les systèmes de soins de santé et d’éducation de son pays de citoyenneté. Il est raisonnable de présumer que des proches et des amis à Sainte-Lucie offriraient toute l’aide possible aux membres de la famille à leur arrivée.

Je souligne que M. Foster possède une famille nombreuse à Sainte-Lucie. La mère et les enfants pourraient s’en remettre à la famille de M. Foster pour s’intégrer si la décision de déménager à Sainte-Lucie était prise.

Je suis conscient qu’il peut y avoir une période d’adaptation pour les enfants et la mère s’ils choisissent de se réinstaller à Sainte-Lucie ou de rester au Canada. Je crois qu’avec l’amour et l’aide de l’un ou l’autre parent, peu importe le pays où ils se trouvent, les enfants seront étroitement soutenus pendant leur période d’adaptation, le cas échéant.

Compte tenu de ce qui précède, j’estime que les motifs invoqués ne suffisent pas pour justifier le report du renvoi de M. Foster du Canada.

[14] L’agent s’est tourné ensuite vers les allégations de M. Foster concernant les risques et les soins médicaux à Sainte-Lucie. Sur ce dernier point, l’agent a réitéré ses remarques antérieures relatives à l’état de santé des enfants, à l’intervention de la Société d’aide à l’enfance et au diagnostic de trouble bipolaire de la mère. Cependant, il a constaté que M. Foster n’avait identifié aucun problème de santé personnel qui l’empêcherait de monter à bord d’un avion à destination de Sainte-Lucie. Il a ensuite décrit la relation de M. Foster avec la mère des enfants, le fait qu’il ne s’était pas conformé à la LIPR et qu’il avait commis des gestes criminels au Canada avant de conclure qu’il ne convenait pas de surseoir à la mesure de renvoi.

D. La demande n’est pas théorique

[15] À l’audition de la demande en l’espèce, j’ai fait connaître aux parties ma préoccupation quant à la possibilité que la demande soit devenue théorique, étant donné qu’il s’est écoulé dix-sept mois entre la décision initiale relative au report et le présent contrôle judiciaire. Après avoir entendu les observations des parties et examiné le droit applicable, je conclus que la demande n’est pas théorique, car la demande initiale visait à obtenir le report du renvoi jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à la suite d’une autre demande d’ERAR. Étant donné qu’aucune demande subséquente d’ERAR n’a été tranchée, il y a un « litige actuel entre les parties » : Baron c Canada (Ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81 aux para 37–43; Sosic c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CF 13 aux para 21–24.

E. Les éléments de preuve supplémentaires présentés par M. Foster ne devraient pas être admis

[16] À l’appui de la demande en l’espèce, M. Foster a souscrit un affidavit daté du 1er novembre 2021. Cet affidavit mentionnait certains faits et documents dont disposait l’agent mais ajoutait d’autres faits et documents qui n’avaient pas été portés à sa connaissance. Ces faits et documents n’entrent dans aucune exception à la règle générale selon laquelle de nouveaux éléments de preuve portant sur le fond de la question ne sont pas admissibles dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19–20. Ces aspects de l’affidavit ne seront donc pas examinés.

[17] M. Foster a aussi apparemment cherché à déposer un autre affidavit, souscrit le 14 décembre 2022, conformément à l’ordonnance d’autorisation dans la présente affaire. Cet affidavit a été déposé tardivement, de sorte que le juge adjoint Duchesne a ordonné qu’il ne soit pas accepté pour dépôt, tout en précisant que M. Foster était libre de demander une prorogation du délai de dépôt. Aucune prorogation n’a été demandée, ni avant ni pendant l’audience, et l’affidavit n’a donc pas été présenté à notre Cour. Quoi qu’il en soit, même si l’affidavit contenait d’autres renseignements de fond qui n’avaient pas été transmis à l’agent, il aurait de nouveau été jugé inadmissible.

F. La décision relative au report est déraisonnable

[18] À mon avis, les motifs de l’agent concernant l’intérêt supérieur des enfants, reproduits ci-dessus, ne satisfont pas aux critères d’une décision raisonnable.

[19] Mon examen du caractère raisonnable de l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants faite par l’agent s’effectue en fonction de trois contraintes importantes. Premièrement, l’agent saisi d’une demande de report n’est pas tenu de se livrer à une « véritable » analyse de l’intérêt supérieur, à long terme, des enfants et n’est pas non plus habilité à le faire : Lewis, aux para 46, 57, 61, 74, 81–82. L’agent doit plutôt tenir compte seulement de l’intérêt supérieur « à court terme » des enfants, ce qui englobe des questions telles que la nécessité de terminer l’année scolaire ou d’assurer le bien-être des enfants qui exigent des soins spécialisés au Canada : Lewis, aux para 58, 61, 82–83, 88.

[20] Deuxièmement, l’examen du caractère raisonnable des motifs d’une décision doit tenir compte du contexte administratif dans lequel ces motifs ont été fournis : Vavilov, aux para 91–94. En l’espèce, l’agent devait rendre une décision dans des délais très serrés, la demande de report de M. Foster ayant été présentée à la dernière minute. C’est ce qui peut expliquer la nature sommaire de certains des énoncés contenus dans les motifs de l’agent. Néanmoins, l’exercice de tout pouvoir public doit être justifié, intelligible et transparent pour la personne qui en fait l’objet. Si les motifs contiennent une lacune fondamentale, même lorsqu’ils sont interprétés compte tenu du contexte institutionnel, il n’appartient pas à la Cour de combler cette lacune en se fondant sur le dossier pour réécrire les motifs du décideur : Vavilov, aux para 95–96. Même si une décision relative au report d’une mesure de renvoi n’exige qu’un examen limité de l’intérêt supérieur des enfants, le fait de se livrer à des conjectures, de ne pas aborder les questions centrales pertinentes ou de ne pas évaluer avec réalisme et sensibilité l’intérêt supérieur à court terme de l’enfant rendra la décision déraisonnable : Lewis, aux para 83, 88–94, citant Danyi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 112 aux para 36–40.

[21] Troisièmement, la décision de l’agent doit être révisée à la lumière des lacunes dont souffrait la demande de report de M. Foster. Comme l’agent a été obligé de se prononcer dans un court laps de temps, le conseil a dû également préparer la demande de report rapidement, ce qui semble être attribuable au fait que M. Foster a tardé à retenir les services d’un conseil et qu’il a éprouvé des difficultés à obtenir les dossiers médicaux nécessaires, sans doute en raison de la santé mentale de la mère. Cela dit, l’essentiel des observations relatives à l’intérêt supérieur des enfants était clair.

[22] Considérés sous cet angle, les motifs de la décision de l’agent concernant l’intérêt supérieur des enfants ne satisfont pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Dans ses motifs, l’agent a repris un certain nombre d’expressions générales appropriées en ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, affirmant ainsi qu’il avait [traduction] « analysé l’intérêt supérieur à court terme des enfants équitablement et avec sensibilité » et qu’il était [traduction] « réceptif, attentif et sensible » à cet intérêt. Cependant, l’analyse qui a suivi ces énoncés était superficielle et comportait des généralités, par exemple : le déménagement peut [traduction] « causer des difficultés émotionnelles », les enfants qui restent au Canada continuent de bénéficier du niveau de vie qui leur est offert au Canada; M. Foster connaît Sainte-Lucie et y a de la famille; malgré une [traduction] « période d’adaptation », les enfants recevront un soutien étroit pendant ce temps en recevant [traduction] « l’amour et l’aide de l’un ou l’autre parent ».

[23] Aucun de ces énoncés ne s’attaque à l’aspect fondamental des observations de M. Foster, soit que la santé mentale de la mère, entre autres son récent diagnostic de trouble bipolaire, signifie qu’elle est incapable de s’occuper des trois enfants, dont les deux aînés présentent des besoins particuliers tandis que le nourrisson était alors traité pour des anomalies cardiaques congénitales. Les besoins particuliers des enfants, ainsi que la relation entre ces besoins et la santé mentale de la mère, résidaient au cœur de la demande de report, mais l’agent n’en a pas tenu compte.

[24] L’agent a plutôt simplement déclaré que, si M. Foster était renvoyé et que les enfants restaient au Canada avec leur mère, ils bénéficieraient des avantages de la vie au Canada et qu’il était [traduction] « raisonnable de présumer que des proches ou des amis au Canada leur apporteraient toute l’aide possible ». À mon avis, ne pas tenir compte des observations relatives à la capacité de la mère de s’occuper adéquatement de ses enfants, tout en invoquant l’existence et la capacité de proches ou d’amis au Canada qui pourraient aider les enfants, équivaut au genre de conjecture critiquée dans l’arrêt Lewis et ne satisfait pas à l’obligation de l’agent de « vérifier si des dispositions ont été prises pour que l’enfant qui reste au Canada soit confié aux bons soins d’autres personnes si ses parents sont renvoyés » : Munar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 761 au para 18, citant Munar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1180 aux para 37–40; Lewis, aux para 59–60, 90.

[25] Le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux arguments principaux formulés par M. Foster amène à se demander si ce décideur était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise : Vavilov, au para 128. Particulièrement en ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, qui demeure une question importante dans le contexte d’une décision relative au report d’une mesure de renvoi, même si l’analyse de l’agent est nécessairement limitée, le caractère déraisonnable de cette analyse suffit à rendre la décision dans son ensemble déraisonnable. Par conséquent, je conclus qu’il ne m’est pas nécessaire d’examiner les arguments de M. Foster à l’égard d’autres aspects de la décision.

G. La réparation

[26] Conformément à la réparation habituellement accordée à la suite d’un contrôle judiciaire, la décision de l’agent sera annulée et la demande de M. Foster sera renvoyée à un autre agent pour qu’il revoie sa décision : Vavilov, au para 141.

[27] Dans sa demande de contrôle judiciaire, M. Foster demande également à la Cour de rendre une ordonnance de la nature d’un mandamus enjoignant à l’ASFC de l’autoriser à demander un nouvel ERAR et à présenter des observations à l’appui de cette demande, le tout assorti du « sursis prévu dans la loi ». Malgré le nombre limité d’observations visant cette demande, M. Foster semble plaider que sa détention au moment où il a présenté sa première demande d’ERAR l’a empêché de se préparer adéquatement et a contribué au rejet de la demande en question. Il fait donc valoir qu’il devrait être autorisé à solliciter un nouvel ERAR et qu’il devrait y avoir un sursis automatique à la mesure de renvoi, semblable à celui qui est imposé à l’article 232 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR].

[28] Je ne puis convenir que l’ordonnance demandée est appropriée, même si elle relevait de la compétence de la Cour. L’obtention d’un ERAR est régie par les articles 112 à 116 de la LIPR et les articles 160 à 174 du RIPR. Bien que la Cour ait compétence pour effectuer le contrôle judiciaire d’une décision rendue à la suite d’un ERAR, la présente instance ne vise pas le rejet de la demande d’ERAR de M. Foster en 2019. Notre Cour n’a pas de compétence distincte lui permettant de déroger aux dispositions de la LIPR. Quoi qu’il en soit, M. Foster n’a pas besoin d’une ordonnance de la Cour pour avoir le droit de déposer une autre demande d’ERAR : ce droit découle du paragraphe 112(1) et du sous-alinéa 112(2)c)(i) de la LIPR, qui se conjuguent pour permettre à une personne se trouvant au Canada de demander une protection si plus de 12 mois se sont écoulés depuis le rejet d’une demande antérieure, en l’absence de demande d’autorisation déposée à la Cour. Contrairement aux observations formulées dans la demande de report de M. Foster, rien n’exige qu’un autre ERAR lui [traduction] « soit signifié », car un avis n’est pas nécessaire pour déclencher une demande subséquente d’ERAR : RIPR, art 160(2), 165.

[29] En ce qui concerne la demande de M. Foster en vue d’obtenir le [traduction] « sursis prévu par la loi », il est énoncé clairement à l’article 165 du RIPR que « la demande [subséquente d’ERAR] n’opère pas sursis de la mesure de renvoi ». Là encore, notre Cour n’a pas de compétence distincte qui lui permet de simplement déroger aux dispositions du RIPR sur la base d’arguments relatifs à la nature d’une première demande d’ERAR, surtout lorsqu’aucune demande de contrôle judiciaire du rejet de cette première demande d’ERAR n’a été présentée. Comme son nom l’indique, un sursis « prévu par la loi » découle d’une loi ou d’un règlement, et non d’une ordonnance de la Cour. Malgré que la Cour ait compétence en vertu de la loi pour suspendre des procédures dans l’intérêt de la justice, une telle ordonnance doit porter sur des questions dont elle a été régulièrement saisie : Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, art 18.2, 50. Même si la Cour avait le pouvoir d’accorder le sursis demandé, je ne suis pas convaincu que M. Foster ait établi, selon la preuve présentée en lien avec la présente demande, qu’il y a lieu de suspendre son renvoi en raison d’une autre demande d’ERAR.

IV. Conclusion

[30] La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de la certification, et je conviens que l’affaire ne soulève aucune question satisfaisant aux exigences en matière de certification.

[31] Comme dernière question de procédure, à la demande du ministre et avec le consentement du demandeur, l’intitulé en l’espèce est immédiatement modifié pour que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile soit désigné comme défendeur.


JUGEMENT dans le dossier no IMM-6687-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. L’intitulé est modifié pour désigner le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile comme défendeur.

  2. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la demande de report du renvoi présentée par le demandeur est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6687-21

INTITULÉ :

LANCE EDWARD FOSTER c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER MARS 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 24 MAI 2023

COMPARUTIONS :

Arlène Rimer

POUR LE DEMANDEUR

Nimanthika Kaneira

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rimer Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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