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Date : 20230515


Dossier : IMM-5420-22

Référence : 2023 CF 683

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 mai 2023

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE:

HAO JIA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent principal a tranché la demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] présentée par le demandeur. La Cour a autorisé la demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2] Pour les motifs qui suivent, elle doit être rejetée.

I. Faits

[3] Les faits de l’espèce sont très simples. Le demandeur, un ressortissant chinois, a affirmé que, le 21 octobre 2012, alors qu’il participait à un service chrétien en Chine, le bureau de la sécurité publique [PSB] a effectué une descente dans la [traduction] « maison-église ». Avertis par le guetteur à la porte avant, les compagnons de culte sont parvenus à s’échapper par la porte arrière. Le demandeur est resté dans la clandestinité pendant quatre mois, puis, avec l’aide d’un passeur qui avait apparemment obtenu pour lui un visa de visiteur canadien, est arrivé au Canada le 7 février 2013. Il a déclaré que le PSB avait continué à le rechercher en Chine même à la suite de son départ du pays. Le demandeur était âgé de 19 ans lorsqu’il est entré au Canada.

[4] Il a sollicité l’asile au Canada, mais sa demande a été rejetée.

II. Décision de la Section de la protection des réfugiés

[5] La Section de la protection des réfugiés [SPR] a conclu que la demande d’asile fondée sur la crainte du demandeur d’être persécuté en raison de son identité chrétienne n’était pas crédible.

[6] La principale difficulté tenait à l’incapacité du demandeur à fournir des renseignements au sujet de sa foi. Le demandeur n’a pas répondu aux questions les plus évidentes, par exemple à savoir quel était son récit biblique préféré. La même incapacité a été constatée concernant l’histoire d’Adam et Ève, et ce, malgré le fait que le demandeur ait déclaré avoir étudié assidûment la Bible, en particulier durant les quatre mois où il a vécu dans la clandestinité à la suite de la descente à la « maison-église ». La SPR a jugé que le demandeur n’avait pas fait preuve du niveau de connaissance auquel une personne raisonnable pouvait s’attendre chez une personne prétendant avoir fréquenté une église et étudié la Bible.

[7] Elle s’est ensuite penchée sur la preuve documentaire présentée par le demandeur, laquelle tendait à indiquer que les autorités chinoises ne se souciaient généralement pas des congrégations chrétiennes regroupant moins de 25 fidèles.

[8] Enfin, la SPR s’est interrogée sur la façon dont le demandeur avait obtenu un passeport chinois, sur le fait qu’il s’en était servi pour quitter la Chine malgré l’intérêt continu des autorités au sujet du demandeur et sur ce qui en était advenu après l’arrivée de ce dernier au Canada.

[9] La décision de la SPR n’a pas été contestée.

III. Décision relative à la demande d’ERAR

[10] Une mesure d’interdiction de séjour a été prise contre le demandeur le 6 juin 2013, mais il n’a pas quitté le pays. Il s’est toutefois présenté à l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] le 30 novembre 2021. L’avis d’arrestation indique qu’un mandat d’arrestation a été délivré, car le demandeur ne s’est pas présenté à l’entrevue préalable au renvoi qui avait été fixée au 24 février 2014. L’avis précise que le demandeur ne s’y est pas présenté [traduction] « parce qu’il craignait d’être renvoyé chez lui. À la question de savoir s’il craignait de retourner dans son pays, il a répondu “[qu’il avait] peur d’y retourner en raison du gouvernement chinois”. Il a indiqué qu’il aimerait présenter une demande d’ERAR afin de faire examiner les risques auxquels il était exposé ». L’avis mentionne également que le demandeur [traduction] « a affirmé qu’il aimerait demeurer au Canada et s’y construire une vie meilleure ».

[11] La décision relative à la demande d’ERAR a été rendue le 28 avril 2022. Si le demandeur a déclaré devant la SPR qu’il craignait d’être persécuté en Chine en raison de sa pratique du christianisme, il a toutefois affirmé, dans sa demande d’ERAR, qu’il était devenu, en 2018, un adepte du Falun Gong. Il participe à des exercices de groupe et en étudie la théorie chaque fin de semaine. Il prend aussi part à la distribution de dépliants sur le Falun Gong auprès de la population. Il prétend qu’en raison des sévères restrictions imposées à la pratique du Falun Gong et de la persécution que subissent ses adeptes en Chine, il serait incapable de le pratiquer en toute sécurité et sans crainte. À l’appui de sa prétention, il a produit une lettre d’un autre adepte du Falun Gong, des photographies montrant le demandeur participant à des activités du Falun Gong de même que des documents portant sur la situation en Chine en lien avec le Falun Gong.

[12] L’agent principal a souligné que le demandeur n’avait pas fait état de sa pratique du Falun Gong lorsqu’il s’est livré à l’ASFC le 30 novembre 2021. Le fait que la SPR avait déjà jugé non crédibles les prétentions du demandeur concernant sa crainte des autorités chinoises en raison de sa pratique du christianisme et de ses activités auprès de maisons-églises a également été soulevé.

[13] En ce qui a trait à la lettre d’appui, il a été reproché au demandeur de n’avoir produit rien de plus qu’une lettre manuscrite et non une déclaration sous serment. Peu de poids a été accordé aux photographies, car elles n’aidaient pas à démontrer qu’il était un véritable adepte du Falun Gong.

[14] L’agent principal a également formulé des observations sur la situation actuelle en Chine. Il a reconnu que la Chine était un État autoritaire où il existe des enjeux importants en matière de droits de la personne. Il a cependant ajouté que les difficultés rencontrées n’étaient pas propres au demandeur. Il convient de souligner que c’est principalement la situation des Ouïghours musulmans qui était visée dans les diverses sources que l’agent a citées (à savoir le département d’État des États-Unis, Amnistie internationale et Freedom House).

[15] Il a conclu que la preuve présentée par le demandeur ne permettait pas d’étayer sa prétention selon laquelle il serait persécuté parce qu’il est un adepte du Falun Gong. En d’autres termes, [traduction] « la preuve ne permet pas de démontrer que le demandeur est personnellement exposé à un risque en raison de la situation générale en Chine » (page 9 de 9 de la décision).

IV. Arguments et analyse

[16] Dans le contexte du présent contrôle judiciaire, le demandeur fait valoir que la décision relative à la demande d’ERAR n’est pas raisonnable. Il soutient également que des erreurs de droit ont été commises et que celles-ci devraient faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte. C’est manifestement inexact, puisque si des erreurs de droit ont été commises, elles doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov), 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 aux para 25-26, 53, 69 [Vavilov]).

[17] Il semble que le demandeur reproche principalement à l’agent chargé de l’ERAR de s’être fondé sur la demande d’asile déboutée pour tirer une conclusion défavorable à l’issue de l’ERAR. Le demandeur soutient en outre que l’agent a rendu une décision défavorable à son égard en partie en raison du fait qu’il n’avait pas déclaré, lorsqu’il s’est présenté pour être arrêté, que sa crainte de retourner en Chine était fondée sur sa pratique du Falun Gong. Le dernier argument est en fait un énoncé général selon lequel l’agent n’avait pas correctement apprécié les rapports qui révèlent que les adeptes du Falun Gong en Chine font l’objet de poursuites vigoureuses et de mauvais traitements.

[18] En réalité, le demandeur reproche largement à l’agent d’avoir commis ce qu’il appelle une [traduction] « accumulation d’erreurs », un « trop grand nombre d’erreurs » et les « nombreuses fautes et erreurs susceptibles de révision ». La difficulté tient au fait que ces affirmations ne sont pas étayées par la preuve ni par des arguments satisfaisants.

[19] Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, l’application du principe de la retenue judiciaire (Vavilov, au para 13) et l’adoption d’une attitude de respect envers le décideur qui a été désigné par le législateur pour trancher les affaires au fond (Vavilov, au para 14) constituent le point de départ de la cour de révision. De plus, il incombe au demandeur de démontrer que la décision est déraisonnable (Vavilov, au para 100). Pour être jugée déraisonnable, la décision doit souffrir de lacunes graves et, pour reprendre les termes employés par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, « [l]a cour de justice doit [...] être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable » (Vavilov, au para 100).

[20] La Cour suprême a manifestement résolu la question de savoir quelles sont les caractéristiques d’une décision raisonnable dans l’arrêt Vavilov :

[99] La cour de révision doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci : Dunsmuir, par. 47 et 74; Catalyst, par. 13.

Une décision raisonnable est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur elle.

[21] Le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait. L’agent chargé de l’ERAR peut prendre en considération les conclusions tirées par la SPR en matière de crédibilité (Ghorbanniay Hassankiadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 33 au para 11). Lorsqu’il s’est présenté aux autorités après avoir habité pendant plusieurs années au Canada sans statut, il n’a même pas invoqué sa pratique du Falun Gong pour justifier sa crainte de retourner dans son pays de citoyenneté. Peu de poids a été accordé à la lettre d’appui manuscrite, car elle n’avait même pas été rédigée sous serment et ne témoignait pas de la motivation du demandeur pour sa pratique; le fait qu’elle indique simplement que ce dernier est un véritable adepte ne lui confère aucune force probante. L’agent a examiné les rapports sur la situation en Chine présentés par le demandeur, et diverses parties de ces rapports sont citées dans la décision. L’agent a cependant conclu que la preuve était insuffisante pour démontrer que le demandeur serait ciblé en raison de sa pratique du Falun Gong et qu’il serait exposé à une menace à sa vie ou au risque de persécution, de torture, ou de traitements cruels ou inusités s’il retournait en Chine.

[22] L’agent chargé de l’ERAR était justifié d’accorder peu de poids à l’exposé circonstancié contenu dans la demande d’ERAR, et il a rejeté la demande parce qu’en général, la preuve présentée était dépourvue de valeur probante.

[23] Le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer quelles étaient les lacunes qui pouvaient rendre la décision déraisonnable. Il n’a pas non plus démontré comment le raisonnement sous-jacent à la décision pouvait être jugé comme étant intrinsèquement incohérent ni comment la décision n’était pas justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques.

V. Conclusion

[24] La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée, car le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau. Les parties ont été consultées et elles n’ont proposé aucune question grave de portée générale. Il n’y a aucune question à certifier au titre de l’article 74 de la Loi.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-5420-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Yvan Roy »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5420-22

 

INTITULÉ :

HAO JIA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 MAI 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 15 MAI 2023

 

COMPARUTIONS :

Trudi-Ann Newby-Parkes

 

POUR LE DEMANDEUR

 

James Todd

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Newby Sabet LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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