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Date : 20230510


Dossier : IMM-3757-22

Référence : 2023 CF 667

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2023

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

YAMEOGO, Wend Waoga Félicité

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] La demanderesse, Wend-Waoga Félicité Yameogo, est une citoyenne du Burkina Faso âgée de 26 ans. Elle a obtenu un baccalauréat en enseignement de secondaire général en 2020 et l’université lui a suggéré de poursuivre des études en sociologie et en anthropologie. Compte tenu des faibles perspectives d’emploi dans les domaines de la sociologie et de l’anthropologie, elle s’est réorientée en informatique afin d’accéder rapidement et facilement au marché de l’emploi au Burkina Faso. Elle a été admise à l’Institut Teccart de Montréal au programme de diplôme d’études professionnelles (DEP) « Formation professionnelle » en soutien informatique, à la session d’hiver 2022.

[2] La demande de visa a été refusée, et la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. L’agent a refusé la demande, car il n’était pas convaincu qu’elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisé, compte tenu de :

  • La raison de sa visite, considérant la nature de ses études antérieures et de son niveau linguistique; et

  • Sa situation financière, incluant ses revenus et actifs, et la situation économique de sa famille.

[3] La question déterminante concerne le caractère raisonnable de la décision. La demanderesse soulève une question d’équité procédurale aussi; cependant, à la lumière de ma conclusion sur la première question, il n’est pas nécessaire de traiter cette question.

II. Cadre juridique

[4] Dans un grand nombre de décisions récentes, notre Cour a analysé le cadre juridique qui s’applique au contrôle judiciaire à l’encontre d’un refus d’accorder un visa d’étudiant. Les principes suivants, tirés de la jurisprudence, sont particulièrement pertinents en ce qui concerne le contrôle judiciaire de la décision en l’espèce.

[5] Une décision raisonnable doit expliquer le résultat, au regard du droit et des faits essentiels : suivant le cadre d’analyse établi dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la cour de révision doit « examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et [...] déterminer si la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes » (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Postes Canada] au para 2). Il incombe au demandeur de convaincre la Cour « que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable » (Vavilov au para 100, cité avec approbation dans Postes Canada au para 33).

[6] L’arrêt Vavilov cherche à renforcer une « culture de la justification » selon laquelle le décideur doit fournir une explication logique du résultat et tenir compte des observations des parties, mais aussi prendre en compte le contexte dans lequel la décision est rendue. Selon le cadre approuvé dans Vavilov, il faut que la cour de révision centrer son attention sur la décision même qui est rendue, et le raisonnement exposé doit appuyer la conclusion. Autrement dit : « [...] il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‐ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » (Vavilov au para 86).

[7] Les agents des visas sont appelés à traiter un important volume de demandes, et il n’est pas nécessaire que leurs motifs soient longs et détaillés. Ces derniers doivent toutefois comprendre les éléments clés du mode d’analyse de l’agent et tenir compte des observations principales du demandeur en ce qui concerne les points les plus pertinents. Voir, par exemple : Lingepo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 552 au para 13, cité avec approbation dans Ocran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 175 [Ocran] au para 15; Afuah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 596 aux para 9 et 10; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 au para 17, cité avec approbation dans Motlagh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1098 au para 22.

[8] Il incombe au demandeur de convaincre l’agent qu’il satisfait aux exigences prévues par la loi, notamment qu’il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée : les exigences comprennent celles énoncées dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), et le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement). Aux termes de l’alinéa 216(1)b) du Règlement, un agent ne délivrera pas un permis d’étude à un étranger s’il n’est pas convaincu que celui-ci quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable.

[9] Les agents des visas doivent évaluer les facteurs « incitatifs » et « dissuasifs » qui pourraient mener un demandeur à dépasser la durée de séjour autorisée par son visa et à demeurer au Canada, ou qui l’encourageraient à retourner dans son pays d’origine : Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872 au para 14, cité avec approbation dans Ocran au para 23.

III. Analyse

[10] En appliquant les principes énoncés ci-dessus, je suis d’avis que la décision est déraisonnable.

[11] Un des éléments clés du contrôle judiciaire au refus d’un visa d’étudiant par un agent des visas est de savoir si les motifs satisfont à la « justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées » (Vavilov para 33). Ce critère est évalué compte tenu du contexte de la prise de décision – en particulier, le volume élevé de demandes à traiter, ainsi que la nature des intérêts en jeu, y compris le fait que, dans la plupart des cas, le demandeur peut simplement présenter une nouvelle demande.

[12] En l’espèce, la décision de l’agent repose sur deux constatations essentielles. L’agent n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de la période autorisée par le permis d’études, compte tenu de la raison de la visite, et de la situation financière de la demanderesse, notant en particulier ses biens mobiliers.

[13] Cependant, je conclus que la décision rendue ne satisfait pas aux exigences minimales de la « justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées », étant donné que la demanderesse avait fourni des renseignements précis et importants qui sont directement liés aux deux motifs sur lesquels l’agent a fondé sa décision. Même si l’agent n’était pas tenu d’accepter tous les éléments qui ont été présentés par la demanderesse, il était néanmoins tenu de fournir une explication de la façon dont ces renseignements ont été pris en compte dans son analyse. Une décision raisonnable doit démontrer que le décideur a analysé les éléments de preuve clés qui sont pertinents compte tenu du cadre juridique applicable. Cela n’a pas été fait en l’espèce.

[14] Les principales conclusions de l’agent, de même que mon analyse à l’égard de chacune d’entre elles, sont exposées ci-dessous :

A. Le motif de voyage

[15] L’agent a convenu que le motif de voyage n’est pas raisonnable, compte tenu du coût disproportionné du programme d’études et considérant la nature des études antérieures et le niveau linguistique de la demanderesse.

Discussion :

[16] La demanderesse a expliqué qu’après avoir terminé son baccalauréat en enseignement du secondaire général au Burkina Faso, elle a été orientée vers l’anthropologie et la sociologie par les autorités universitaires, mais compte tenu des difficultés et des crises qui affectent la qualité de l’éducation dans son pays, et du fait que les perspectives d’emploi dans ces domaines sont minces, elle s’est réorientée dans le domaine de l’informatique. Elle a été admise à l’Institut Teccart à Montréal, en vue de la préparation du DEP en soutien informatique.

[17] À l’audience, le défendeur a concédé qu’il n’y a pas de justification dans le dossier pour l’agent de contester le « niveau linguistique » de la demanderesse. Elle a obtenu son diplôme secondaire dans un programme enseigné en français, et la lettre qu’elle a déposée avec sa demande de permis d’études montre qu’elle a une bonne maîtrise de la langue.

[18] En ce qui concerne les études antérieures de la demanderesse, le raisonnement de l’agent n’est pas évident. Il n’est pas rare qu’un étudiant suive un enseignement technique postsecondaire, par exemple dans le domaine de l’informatique, afin d’améliorer ses chances d’obtenir un emploi après l’obtention de son diplôme. En l’instance, la demanderesse a expliqué pourquoi elle s’est réorientée vers ce domaine au lieu de continuer avec ses études en anthropologie et en sociologie. La ligne d’analyse de l’agent sur cette question n’est pas transparente ou intelligible.

B. Situation financière

[19] Dans la lettre de décision, l’agent fait référence aux « biens mobiliers » et à la « situation financière » de la demanderesse. Selon les notes de l’agent dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC), l’agent a tenu compte « de la situation économique (revenus et actifs présentés) du (de la) demandeur(e) et de sa famille immédiate et l’impact que ce programme aura sur les perspectives d’emploi/salaires potentiels ».

Discussion

[20] Ce n’est pas clair si l’agent fait référence à la situation financière de la demanderesse par rapport à sa capacité d’assumer les frais liés à son programme d’études, ou par rapport à ses liens avec le Burkina Faso et les considérations qui peuvent l’encourager à y retourner à la fin de ses études. Les deux types de considérations sont pertinents par rapport à l’analyse que l’agent devait faire, selon la loi, mais ce n’est pas évident comment l’agent en a traité en l’espèce.

[21] En ce qui concerne les frais et les coûts liés aux programmes d’études au Canada, l’agent n’a pas noté que la sœur et le beau-frère de la demanderesse s’engagent à payer tous les coûts liés au programme d’études de celle-ci. Infirmiers de métier et propriétaires de plusieurs immeubles à revenus au Canada, ceux-ci sont bien établis au Canada depuis plusieurs années. Il est incertain que ce fait a été pris en considération par l’agent. De plus, ce n’est pas évident comment la référence à sa situation financière peut justifier la conclusion que la demanderesse ne quitterait pas le Canada à la fin de ses études, sans une discussion des autres facteurs primordiaux qui l’encourageraient à rentrer au Burkina Faso. Par exemple, l’agent n’a pas noter le fait que tous les autres membres de sa famille y habitent.

[22] Le fait de devoir spéculer sur le raisonnement relatif à un point si essentiel à la décision est un signe clair que la décision n’est pas raisonnable selon le cadre approuvé dans Vavilov.

[23] En conclusion, je note que la demanderesse a soulevé une autre question concernant un manquement au principe d’équité procédurale, liée au fait qu’elle a dû se soumettre à un examen médical à la demande de l’agent, et qu’elle avait une expectative légitime d’une décision favorable après avoir franchi cette étape. Compte tenu de ma conclusion sur l’autre question en litige, il n’est pas nécessaire de traiter cette question en détail. Il suffit d’indiquer que je ne suis pas persuadé que la demanderesse a réussi à démontrer que la théorie de l’expectative légitime s’applique dans cette instance.

[24] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[25] La décision est par les présentes annulée, et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un autre agent des visas pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

[26] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT au dossier IMM-3757-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueille.

  2. La décision est par les présentes annulée, et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un autre agent des visas pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

  3. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3757-22

INTITULÉ :

YAMEOGO, Wend Waoga Félicité c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 avril 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

PENTNEY J.

DATE DES MOTIFS :

LE 10 mai 2023

COMPARUTIONS :

Me Olivier Badolo

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Lynne Lazaroff

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Olivier Badolo

Avocat

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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