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Date : 20230425


Dossier : T-350-22

Référence : 2023 CF 600

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2023

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

RICHARD NADLER

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Richard Nadler a déposé une demande de contrôle judiciaire concernant une décision par laquelle l’agent de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] lui a refusé la Prestation canadienne de la relance économique [la PCRE] relativement à sept périodes de deux semaines, du 27 septembre 2020 au 2 janvier 2021. Pour les motifs énoncés ci-après, la demande sera rejetée.

I. Le contexte

[2] En avril 2021, M. Nadler a demandé et reçu la PCRE pour les périodes 10 à 14. Le 27 avril 2021, l’ARC a suspendu l’accès de M. Nadler à la PCRE afin de vérifier son admissibilité [le premier examen]. Du mois de mai jusqu’au mois d’août 2021, M. Nadler a présenté des demandes de PCRE pour les périodes 15 à 22, mais l’ARC a suspendu le traitement de ces demandes dans l’attente des résultats du premier examen.

[3] Le 27 septembre 2021, l’ARC a informé M. Nadler des résultats du premier examen : il n’était pas admissible à la PCRE parce qu’il n’avait pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôt) en revenus d’emploi ou en revenus nets d’un travail indépendant en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande.

[4] Le 23 octobre 2021, M. Nadler a sollicité un second examen. Pendant l’automne de 2021, il a eu quelques appels téléphoniques avec l’ARC : i) pour discuter de son admissibilité et présenter d’autres documents justificatifs, et ii) pour présenter des demandes de PCRE pour les périodes 23 à 28.

[5] Le 5 janvier 2022, M. Nadler a reçu une lettre l’informant de la décision rendue à l’issue du second examen. Cette lettre indiquait en partie : [TRADUCTION] « [n]ous avons accepté votre demande en nous fondant sur les renseignements que vous avez fournis pour établir votre admissibilité à la PCRE. Cependant, si, pour une raison quelconque, il est déterminé plus tard que vous n’êtes pas admissible relativement à une période quelconque, vous aurez à rembourser ce montant ». La lettre ne précisait pas les périodes pour lesquelles M. Nadler était admissible. Il a par la suite téléphoné à l’agent chargé du second examen [l’agent] en vue de présenter une demande pour les périodes 1 à 7.

[6] Le 28 janvier 2022, M. Nadler a reçu une seconde lettre de l’agent, qui l’informait de la décision de rejeter sa demande de PCRE, datée du 5 janvier 2022, pour les périodes 1 à 7 [la décision], parce qu’il n’avait pas présenté une demande pour ces périodes dans le délai de 60 jours prévu au paragraphe 4(2) de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 :

Restriction

Limitation

4(2) Aucune demande ne peut être présentée plus de soixante jours après la fin de la période de deux semaines à laquelle la prestation se rapporte.

4(2) No application is permitted to be made on any day that is more than 60 days after the end of the two-week period to which the benefit relates.

[7] Les dates limites de présentation d’une demande pour les périodes 1 à 7 étaient les suivantes :

Période

Date limite de présentation

Période 1 : 27 sept. 2020 – 10 oct. 2020

10 décembre 2020

Période 2 : 11 oct. 2020 – 24 oct. 2020

24 décembre 2020

Période 3 : 25 oct. 2020 – 7 nov. 2020

7 janvier 2021

Période 4 : 8 nov. 2020 – 21 nov. 2020

21 janvier 2021

Période 5 : 22 nov. 2020 – 5 déc. 2020

5 février 2021

Période 6 : 6 déc. 2020 – 19 déc. 2020

19 février 2021

Période 7 : 20 déc. 2020 – 2 janv. 2021

2 mars 2021

II. Le contrôle judiciaire à la Cour fédérale

[8] La tenue du présent contrôle judiciaire a connu quelques difficultés. Au départ, l’audience a été fixée au 16 novembre 2022. Une demande conjointe d’ajournement a été présentée pour le compte des parties par l’ancien avocat de M. Nadler le 10 novembre 2022, et elle a été accordée par la Cour. L’audience suivante a été fixée au 8 février 2023.

[9] Le 26 janvier 2023, suite à une requête de l’ancien avocat de M. Nadler, notre Cour a ordonné que cet avocat était autorisé à cesser d’occuper pour M. Nadler.

[10] Le 1er février 2023, M. Nadler a demandé qu’on ajourne l’audience qui avait été antérieurement reportée au 8 février 2023 afin de pouvoir trouver un nouvel avocat. L’audience a été ajournée une fois de plus, jusqu’au 30 mars 2023. En acceptant cette seconde demande d’ajournement, j’ai donné la directive qui suit :

[traduction]

La demande informelle d’ajournement dans les communications reçues de M. Nadler, et le consentement correspondant de l’avocat du défendeur reçu par la Cour le 3 février seront acceptés. La prochaine audience est fixée péremptoirement (c.-à-d., sans autre ajournement) au jeudi 30 mars à 10 heures, au palais de justice de Montréal, situé au numéro 30 de l’avenue McGill. Pour M. Nadler, compte tenu de l’historique du présent litige, cela veut dire qu’il est tenu de comparaître devant la Cour ou, si sa comparution en personne crée d’autres problèmes, par vidéoconférence. Il peut aussi nommer un avocat qui comparaîtra pour lui. Si lui ou son avocat ne peuvent pas comparaître, je rendrai dans ce cas une décision qui sera fondée sur les observations et le dossier existants. [Directive de la Cour datée du 3 février 2023]

[11] Malgré cette directive, M. Nadler a demandé un autre ajournement, le 27 mars 2023, citant, parmi de nombreuses raisons exposées dans une lettre de neuf pages, à interligne simple, la difficulté de retenir les services d’un nouvel avocat ainsi que l’incapacité de se présenter à l’audience à cause de son mauvais état de santé. Par l’entremise de l’agent du greffe, j’ai rappelé à M. Nadler la directive du 3 février 2023 de la Cour, dans laquelle j’avais indiqué que la prochaine audience était fixée péremptoirement. M. Nadler a convenu en fin de compte de comparaître à une audience virtuelle le 30 mars 2023, plutôt que de le faire en personne.

[12] La Cour s’est heurtée à d’autres difficultés le 30 mars, au moment où l’audience allait débuter. Pour commencer, M. Nadler a été incapable de se brancher à la plateforme Zoom pour l’audience. Après plus d’une heure d’efforts infructueux pour communiquer avec M. Nadler au téléphone et par voie électronique, la Cour et le ministère de la Justice ont finalement pu entendre M. Nadler, mais pas le voir, et ce dernier, à son tour, a été incapable d’entendre ou de voir les participants à l’audience sur Zoom (c.‑à‑d., le ministère de la Justice et la Cour).

[13] J’ai donc fait part au ministère de la Justice – la seule partie avec laquelle j’ai pu communiquer – du fait que, pour des raisons d’équité procédurale, et conformément à la directive du 3 février 2023, je n’entendrais aucun argument juridique. Cependant, ce que j’ai effectivement communiqué n’était qu’une simple observation selon laquelle la décision contenait une incohérence dont ni l’une ni l’autre des parties n’avait traité : alors que M. Nadler avait présenté une demande tardive pour les périodes 1 à 7, périodes à l’égard desquelles le ministère de la Justice demandait maintenant le remboursement du montant correspondant, il avait également présenté une demande tardive pour les périodes 8 et 9, mais le ministère de la Justice n’avait pas demandé le remboursement de la somme correspondante (voir les paragraphes 22 à 24 des présents motifs).

[14] Le ministère de la Justice a fait remarquer que lui aussi avait constaté cette erreur, mais qu’il n’en avait pas fait état dans ses observations. Il a néanmoins fait savoir que sa cliente, l’ARC, avait indiqué que si l’affaire était renvoyée en raison de cette incohérence, elle rectifierait simplement l’erreur et exigerait aussi le remboursement des sommes versées relativement aux périodes 8 et 9, ce qui mettrait M. Nadler dans une situation pire qu’avant.

[15] À la clôture de l’audience du 30 mars, j’ai demandé que l’agent du greffe transmette à M. Nadler une directive comportant trois options : i) que les parties tentent d’arriver entre elles à un règlement en ligne, ii) que les parties tentent d’arriver entre elles à un règlement au Palais de justice (et que je serais disposé à être présent dans le cas de l’option i) ou ii) pour aider et expliquer la situation à M. Nadler), ou iii) que je rende simplement ma décision sur la foi du dossier écrit.

[16] Les parties ont répondu à l’agent du greffe qu’elles allaient tenter d’arriver à un règlement. Elles ont ensuite avisé la Cour le 3 avril 2023 qu’elles avaient convenu de régler l’affaire.

[17] Cependant, après ne pas avoir reçu d’avis de désistement, et après avoir demandé une mise à jour à l’agent du greffe, j’ai été informé du fait que le règlement paraissait être en péril. En fait, par une lettre datée du 18 avril 2023, le ministère de la Justice a confirmé que les parties n’étaient pas parvenues à régler l’affaire. Dans la lettre, le ministère de la Justice réitérait de plus sa position initiale, demandant à la Cour de ne pas annuler la décision et de ne pas renvoyer l’affaire en vue d’une nouvelle décision. Le ministère de la Justice a déclaré qu’une telle mesure était susceptible de causer un préjudice supplémentaire à M. Nadler, car il se retrouverait alors dans une situation encore pire si l’affaire était renvoyée en vue d’une nouvelle décision (voir plus haut). De plus, le ministère de la Justice a signalé qu’un renvoi de l’affaire ne serait d’aucune utilité, invoquant l’arrêt Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299 aux para 44‑45 [Stemijon].

III. Analyse

[18] La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire consiste à déterminer si la décision par laquelle l’agent a rejeté la demande de PCRE de M. Nadler pour les périodes 1 à 7 est raisonnable (Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 16 [Aryan]). Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], aux paragraphes 102 et 105, la Cour suprême du Canada explique qu’un contrôle fondé sur la norme de la décision raisonnable évalue si une décision administrative fait état d’un raisonnement qui est rationnel et logique et si cette décision est « justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents ».

[19] M. Nadler fait valoir que la décision de l’agent est déraisonnable dans le cas des périodes 1 à 7 parce que : i) il a essayé de communiquer avec l’ARC en novembre 2020 et en février 2021 (dans le délai de 60 jours prévu pour la présentation d’une demande) à partir d’un téléphone public pour présenter une demande de PCRE, mais l’ARC n’a jamais donné suite à ses appels; ii) l’ARC avait déjà décidé qu’il était admissible à la PCRE après le premier examen puisqu’il avait gagné un revenu net de 5 000 $ en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant sa première demande de PCRE; et iii) la lettre du 28 janvier 2022, qui indiquait qu’il n’était pas admissible à la PCRE pour les périodes 1 à 7, contredisait celle du 5 janvier 2022, qui disait qu’il y avait droit.

[20] Le premier argument qu’invoque M. Nadler est sans fondement, car des dossiers de l’ARC montrent que le premier appel entre l’ARC et lui a eu lieu le 10 avril 2021, quand il a présenté une demande de PCRE pour les périodes 10 à 13. Lors de cet appel, il n’a pas demandé la PCRE pour les périodes 1 à 7, pas plus qu’il n’a posé de questions à propos de ses prétendues tentatives d’appel à l’ARC de novembre 2020 et de février 2021. Il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que le premier contact de M. Nadler avec l’ARC a eu lieu le 10 avril 2021, après le délai de 60 jours prévu pour la présentation d’une demande pour les périodes 1 à 7.

[21] Quant au deuxième argument, la conclusion de l’ARC selon laquelle M. Nadler avait gagné un revenu net de 5 000 $ en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois suivant le premier examen n’empêchait pas l’agent de conclure que la demande de M. Nadler relativement aux périodes 1 à 7 avait été présentée après l’expiration du délai de 60 jours. Il n’était pas déraisonnable de sa part de rejeter la demande de PCRE de M. Nadler en fonction d’un autre critère d’admissibilité, après avoir confirmé en premier lieu son revenu (Lussier c Canada (Procureur général), 2022 CF 935 au para 20).

[22] En ce qui concerne le troisième argument, bien que je ne partage pas l’avis de M. Nadler selon lequel la lettre du 28 janvier 2022 contredisait celle du 5 janvier 2022, car il en ressortait que l’ARC avait, de manière déraisonnable [TRADUCTION] « changé d’idée » à propos de son admissibilité, j’estime qu’il y a une contradiction dans les motifs de l’agent au sujet de la demande tardive de M. Nadler pour i) les périodes 1 à 7 et ii) les périodes 8 à 9. En ce qui concerne le point ii), tant le tableau récapitulatif de l’admissibilité que les notes de l’agent concernant une conversation téléphonique qu’il a eue le 31 décembre 2021 avec M. Nadler indiquent que ce dernier a présenté, lors de cet appel, une demande pour les périodes 8 et 9, qui s’étendaient du 3 janvier 2021 au 30 janvier 2021. Les dates limites de présentation d’une demande pour ces périodes étaient les suivantes :

Période

Date limite de présentation

Période 8 : 3 janv. 2021 –16 janv. 2021

16 mars 2021

Période 9 : 17 janv. 2021 –30 janv. 2021

30 mars 2021

[23] L’agent a donc conclu que M. Nadler était admissible à la PCRE pour les périodes 8 et 9, même s’il avait présenté une demande pour ces périodes plus de neuf mois après l’expiration des délais de présentation de 60 jours respectifs. Il est donc incohérent et déraisonnable de la part de l’agent d’avoir conclu que M. Nadler était admissible à la PCRE pour les périodes 8 et 9, mais pas pour les périodes 1 à 7, même s’il avait présenté une demande pour toutes ces périodes nettement après l’expiration des délais de 60 jours respectifs.

[24] Je suis d’avis que ce point secondaire particulier de la décision est déraisonnable, mais il ne serait d’aucune utilité d’annuler la décision et de la renvoyer en vue d’une nouvelle décision. Comme l’a décrété la Cour d’appel fédérale au paragraphe 52 de l’arrêt Stemijon :

Je reconnais que les tribunaux annulent habituellement les décisions déraisonnables et renvoie[nt] l’affaire en cause au décideur pour nouvelle décision. Je reconnais aussi que la Cour devrait se montrer réticente à un examen au fond des décisions administratives. Mais il existe des situations, sans doute rares, où le renvoi de l’affaire au décideur ne serait d’aucune utilité. La présente affaire fait justement partie de ces cas.

[25] En bref, je conclus que la décision n’est déraisonnable qu’à l’égard d’un point secondaire – un point qui, à vrai dire, n’a été soulevé ni par M. Nadler ni par le ministère de la Justice dans leurs mémoires des faits et du droit respectifs – concernant les périodes 8 et 9. Cependant, le fait que ces deux périodes ont été approuvées malgré la présentation tardive de la demande à leur égard ne rend pas déraisonnable la principale décision rendue. Pour les sept périodes que M. Nadler conteste dans le cadre du présent contrôle judiciaire (périodes 1 à 7), la décision de l’agent était tout à fait raisonnable. Le renvoi de l’affaire en vue d’une nouvelle décision n’y changerait rien. Il s’agirait d’un exercice futile (Stemijon, au para 46), et cela mettrait M. Nadler vraisemblablement dans une situation encore pire.

IV. Les dépens

[26] Le ministère de la Justice a demandé des dépens de 500 $. Considérant qu’une partie secondaire de la décision est déraisonnable, notant que M. Nadler n’a pas présenté sa demande de contrôle judiciaire de manière inappropriée, vexatoire ou inutile (art 400(3)k) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106) et tenant compte aussi de l’ensemble de la situation de M. Nadler, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire de ne pas adjuger de dépens.

V. Conclusion

[27] Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée, et aucuns dépens ne seront adjugés.

 


JUGEMENT dans le dossier T‑350‑22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑350‑22

 

INTITULÉ :

RICHARD NADLER c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 mars 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 AVRIL 2023

 

COMPARUTIONS :

Richard Nadler

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

M. Félix Desbiens‑Gravel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aucun

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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