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Date : 20230504


Dossier : IMM-7774-21

Référence : 2023 CF 653

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2023

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

JESSIKA ANDREA LARA MENDOZA,

KAELYN SOPHIA OYOLA LARA ET

JAYDEN STID OYOLA LARA

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Les demanderesses forment une famille. La demanderesse principale, Jessika Andrea Lara Mendoza, et une de ses deux filles sont citoyennes de la Colombie, tandis que l’autre fille est citoyenne des États-Unis.

[2] La demanderesse principale craint le Bloc oriental (El Bloqueo Oriental), groupe dissident des Forces armées révolutionnaires de Colombie. Elle affirme que le Bloc oriental a tenté de la forcer à vendre de la drogue et à se prostituer.

[3] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté les demandes d’asile puis la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté les appels. Les deux décisions reposent sur l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [la PRI] viable à Barranquilla. Les demanderesses sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

[4] La principale question que je dois trancher est celle de savoir si la décision est raisonnable. Autrement dit, la Cour doit déterminer si la décision est intelligible, transparente et justifiée en fonction de la norme de contrôle présumée applicable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 25, 99.

[5] Pour les motifs exposés ci-après, je suis convaincue que les demanderesses se sont acquittées du fardeau qui leur incombait en l’espèce (Vavilov, au para 100). Comme je l’explique plus loin, je suis d’avis que la question déterminante est l’examen déraisonnable effectué par la SAR pour déterminer si le Bloc oriental était motivé à retrouver la demanderesse principale à l’endroit proposé comme PRI. Refusant de me prononcer sur les autres questions soulevées dans la présente affaire, j’accueillerai donc la demande de contrôle judiciaire.

II. Contexte

[6] À Bogotá, la demanderesse principale a été victime de violences fondées sur son genre exercées à l’instigation d’une personne nommée Cacharro, qui travaillait supposément pour le chef du Bloc oriental, Jhon 40, parce qu’elle et son amie refusaient de vendre de la drogue et de se prostituer pour le Bloc oriental.

[7] La demanderesse principale et son amie ont déménagé à Medellín pour éviter Cacharro. Le partenaire de la demanderesse principale, Jhony, a rejoint les deux femmes plus tard et a été poignardé par Cacharro. Ils sont retournés à Bogotá, où les membres du gang ont agressé Jhony et la mère de la demanderesse principale pendant leurs recherches pour retrouver cette dernière.

[8] La demanderesse principale et Jhony ont ensuite déménagé à Floridablanca où, selon leurs dires, ils auraient vécu dans la clandestinité durant six à huit mois avant de s’installer aux États-Unis; la fille cadette de la demanderesse principale y est née. Jhony a été expulsé en Colombie. Craignant de subir le même sort, la demanderesse principale s’est rendue jusqu’au Canada et y a demandé l’asile. Elle et Jhony ont rompu pendant qu’elle se trouvait au Canada. Les demanderesses affirment que Jhony s’est fait agresser de nouveau à son retour à Bogotá.

[9] La crédibilité des demanderesses n’a jamais été mise en cause devant la SPR et la SAR.

III. Analyse

[10] La SAR a admis la preuve présentée par les demanderesses relativement aux agressions survenues à Bogotá et à Medellín ainsi que l’allégation selon laquelle l’ex-partenaire de la demanderesse principale, Jhony, avait été agressé de nouveau à son récent retour à Bogotá. Selon la SAR, toutefois, étant donné que la demanderesse principale « a pu vivre en toute sécurité à Floridablanca pendant huit mois et qu’il n’y a eu aucun contact de la part du Bloc est pendant que les [demanderesses] étaient à l’extérieur de la Colombie. […] [J]’estime que le Bloc est n’a pas la motivation de retrouver les [demanderesses] à l’extérieur de Medellín et de Bogotá ».

[11] Il n’est mentionné nulle part dans la décision que la demanderesse principale et son partenaire d’alors vivaient dans la clandestinité à Floridablanca, bien que ce fait soit précisé dans le formulaire Fondement de la demande d’asile de la demanderesse principale. Le défendeur souligne que les demanderesses travaillaient à Floridablanca, mais ce n’est pas mentionné non plus par la SAR et, à mon avis, il s’agit là d’une tentative de renforcer la décision d’une manière inacceptable et de demander à la Cour d’effectuer la recherche des faits.

[12] J’estime qu’il incombait à la SAR de se demander, compte tenu de la preuve, si les demanderesses seraient obligées de vivre dans la clandestinité à Barranquilla et quelle en serait la conséquence sur la viabilité de la PRI : Chitsinde c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1066 au para 35; Gomez Acevedo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 585 aux para 11-13.

[13] En outre, l’agression alléguée commise contre l’ex-partenaire à son retour à Bogotá porte à croire que la motivation persiste, à mon avis. La SAR a cependant conclu que le Bloc oriental n’avait pas la motivation de trouver les demanderesses à l’extérieur de Medellín et de Bogotá. Cette conclusion ne tient pas compte, et c’est déraisonnable, du fait que les demanderesses ont été retrouvées à Medellín après avoir quitté Bogotá, puis qu’il en a été de même pour l’ex-partenaire, plusieurs années plus tard, quand il est retourné à Bogotá. Si la SAR avait décidé de ne pas croire à la véracité de ce dernier élément de preuve ou de l’écarter, elle aurait dû le dire et en expliquer les raisons.

IV. Conclusion

[14] Pour les motifs qui précèdent, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire des demanderesses. La décision de la SAR sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

[15] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et je conclus que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7774-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire des demanderesses est accueillie.

  2. La décision du 24 septembre 2021 de la Section d’appel des réfugiés est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7774-21

INTITULÉ :

JESSIKA ANDREA LARA MENDOZA, KAELYN SOPHIA OYOLA LARA ET JAYDEN STID OYOLA LARA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 JANVIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE FUHRER

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 4 MAI 2023

COMPARUTIONS :

Lina Anani

POUR LES DEMANDEURS

Brad Bechard

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lina Anani

Anani Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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