Date : 20230505
Dossier : IMM-9026-21
Référence : 2023 CF 655
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 5 mai 2023
En présence de monsieur le juge Régimbald
ENTRE : |
SATHIYARAJAH AMARASINGAM |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Le demandeur, Sathiyarajah Amarasingam, sollicite le contrôle judiciaire, conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], d’une décision rendue le 26 mai 2021 par laquelle un agent principal [l’agent] a rejeté sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, le demandeur affirme que cette décision est déraisonnable.
[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. L’affaire sera renvoyée à un autre agent d’immigration pour un nouvel examen.
II. Le contexte factuel
[3] Le demandeur, âgé de 52 ans, est un citoyen du Sri Lanka. Il est entré au Canada le 7 janvier 2011 et a présenté une demande d’asile au motif qu’il était persécuté en tant que membre d’une communauté minoritaire au Sri Lanka, les Tamouls hindous.
[4] Pendant la guerre civile au Sri Lanka, le demandeur aurait été détenu et persécuté à diverses occasions alors qu’il était un enfant, puis alors qu’il était un jeune homme. Sa famille et lui ont quitté la partie du pays contrôlée par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul [les TLET], une organisation militante sécessionniste, pour aller vivre sur le territoire contrôlé par le gouvernement. Une fois dans cette région du pays, il a continué d’être victime de harcèlement, d’agressions de groupe, d’extorsion et de vol parce qu’il était soupçonné d’être associé aux TLET.
[5] Le 26 mars 2012, sa demande d’asile a été rejetée au motif que les agressions et l’extorsion étaient de nature criminelle et que la menace d’extorsion ou d’enlèvement dans le futur constituait un risque généralisé auquel faisaient face d’autres personnes dans le pays. Il a sollicité l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision, mais sa demande a été rejetée le 15 août 2012.
[6] Le 21 juin 2012, il a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, laquelle a également été rejetée le 24 juin 2013. Une mesure de renvoi a été prise à son encontre pour l’obliger à quitter le Canada le 23 décembre 2012. Le demandeur ne s’est pas présenté pour son renvoi en raison de sa crainte persistante de retourner au Sri Lanka.
[7] Le 27 décembre 2012, un mandat a été lancé à son encontre. Cependant, il a continué à séjourner et à travailler au Canada sans autorisation pendant une longue période. Le mandat lancé à son encontre a été exécuté le 20 août 2020, et le demandeur a été libéré sous condition.
[8] La veille de l’exécution du mandat, le 19 août 2020, le demandeur a présenté une seconde demande de résidence permanente qui était fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Dans cette demande, il invoquait son niveau d’établissement au Canada, l’intérêt supérieur des enfants et les conditions défavorables au Sri Lanka.
[9] Le 16 mars 2021, il a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR].
A. La décision fondée sur des considérations d’ordre humanitaire
[10] Après avoir procédé à une évaluation globale de tous les facteurs invoqués par le demandeur, la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été rejetée le 26 mai 2021. La demande relative à l’ERAR du demandeur a également été rejetée à la même date par le même agent. L’agent n’était pas convaincu que les considérations d’ordre humanitaire justifiaient l’octroi d’une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR.
[11] En ce qui concerne le critère de l’établissement, l’agent a conclu que le demandeur avait un certain niveau d’établissement au Canada. Néanmoins, l’agent a également souligné que le demandeur était resté au Canada et y avait travaillé sans autorisation pendant une période prolongée. L’agent a également pris en considération le fait que le demandeur ne s’était pas présenté pour son renvoi le 23 décembre 2012 et qu’il avait ensuite vécu dans la clandestinité pendant plus de huit ans.
[12] Étant donné que le demandeur n’avait pas fait d’autres tentatives, jusqu’à récemment, pour régulariser son statut au Canada pendant cette période, l’agent a conclu que le demandeur avait manqué d’égard envers la réglementation canadienne et que ce manquement avait eu une incidence négative sur sa demande.
[13] En ce qui concerne les risques et les conditions défavorables dans le pays, l’agent a conclu que la preuve était insuffisante pour démontrer que le demandeur, selon la prépondérance des probabilités, ferait l’objet de discrimination ou de mauvais traitements uniquement parce qu’il est un rapatrié tamoul et qu’il a résidé au Canada au cours des dix dernières années.
[14] En ce qui concerne plus particulièrement les difficultés auxquelles le demandeur ferait face à son retour au Sri Lanka, l’agent a estimé que le demandeur avait produit une preuve corroborante insuffisante pour démontrer qu’il avait subi par le passé de mauvais traitements ou de la violence de la part de l’armée ou de l’Organisation populaire de libération de l’Eelam tamoul, un groupe paramilitaire progouvernemental qui appuie les TLET. L’agent a également souligné que le demandeur résidait au Canada depuis plus de dix ans et qu’il n’avait pas établi objectivement par une preuve suffisante que quiconque au Sri Lanka souhaitait encore le retrouver et lui faire du mal.
[15] L’agent s’est également appuyé sur la preuve documentaire selon laquelle les personnes susceptibles d’être détenues et interrogées à leur retour sont celles qui ont des antécédents d’activités politiques importantes, ce que le demandeur n’a pas établi. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que quiconque au Sri Lanka le percevait ou le percevrait comme étant associé aux partisans ou aux sympathisants des TLET.
[16] L’agent a également souligné que, bien que la discrimination envers les Tamouls soit clairement présente au Sri Lanka, le demandeur n’a pas démontré qu’il ferait face des difficultés d’un niveau qui justifierait une dispense de l’application des exigences législatives (les considérations d’ordre humanitaire). En fait, l’agent a noté que la preuve fournie était insuffisante pour démontrer que les membres de la famille du demandeur qui résident toujours à Visuvamadu dans la province du Nord du Sri Lanka se voyaient refuser l’accès à l’éducation, à l’emploi, aux services de santé ou à d’autres services sociaux.
[17] L’agent a également conclu que le demandeur est une personne résiliente qui sera en mesure de s’adapter à son retour au Sri Lanka, car les membres de sa famille pourront le soutenir financièrement. Les compétences qu’il a acquises en tant qu’assembleur, manœuvre général et préposé à l’entretien au Canada lui seront également utiles au Sri Lanka.
III. Les questions en litige et la norme de contrôle
[18] La question déterminante dans le cadre du présent contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de l’agent de rejeter la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire était raisonnable.
[19] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, telle qu’elle a été énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Vavilov, au para 85).
[20] La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de révision que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
, et que les lacunes ou les insuffisances reprochées ne sont pas « simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision »
(Vavilov, au para 100).
[21] En l’espèce, le demandeur soutient que, comme la décision fait abstraction d’éléments de preuve pertinents et applique un raisonnement illogique, elle n’est ni justifiable ni intelligible (Vavilov, aux para 104, 126). Comme il est expliqué dans l’arrêt Vavilov, « [l]e caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte »
et « la logique interne d’une décision peut également être remise en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel — comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde »
(Vavilov, aux para 104).
[22] Comme je l’ai expliqué aux paragraphes 71‑73 de la décision Ehigiator c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 308 [Ehigiator], le décideur ne peut pas effectuer une analyse sélective et écarter des faits contradictoires. Le décideur doit plutôt démontrer que tous les éléments de preuve ont été examinés et soupesés, et expliquer pourquoi les éléments de preuve qui contredisent la conclusion ne sont pas suffisants pour justifier une issue différente (voir aussi Barril c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 400 au para 17). Comme je l’ai également mentionné dans la décision Ehigiator, au paragraphe 52, il y a lieu d’intervenir puisque le décideur n’a pas mentionné en bonne et due forme certains faits contradictoires et que la Cour ne peut pas déterminer si le décideur a pris en considération de façon significative l’ensemble des questions et éléments de preuve clés :
[52] L’annulation d’une décision parce que les motifs ne mentionnaient pas des éléments de preuve contradictoires essentiels ne constitue pas un « contrôle déguisé selon la norme de la décision correcte », pas plus que l’application d’un « critère à l’aune duquel » la cour peut évaluer les motifs du décideur (voir Hiller c Canada (Procureur général), 2019 CAF 44 au para 14). Il s’agit plutôt d’une conclusion selon laquelle le décideur ne s’est peut-être pas attaqué de façon significative aux questions et aux éléments de preuve clés et n’était peut‑être pas attentif et sensible à la question qui lui était soumise (Vavilov, aux para 83, 125‑128). Par conséquent, la décision ne possède pas les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, parce qu’elle n’explique pas de manière transparente et intelligible la raison pour laquelle un facteur important n’a pas été évalué, ou parce qu’elle démontre que le décideur n’a pas tenu compte d’éléments de preuve, d’arguments ou de motifs pertinents.
IV. Les observations des parties
A. Le demandeur
[23] Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable parce que l’agent a transformé des facteurs d’ordre humanitaire favorables en facteurs défavorables, ce qui est contraire à la règle établie par la jurisprudence. Par exemple, bien qu’il ait constaté que le demandeur pourrait être confronté à de la discrimination, l’agent souligne la résilience du demandeur pour justifier sa conclusion selon laquelle [traduction] « il sera capable de s’adapter à l’environnement de son pays d’origine après une période initiale d’ajustement »
. Dans la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1633 [Singh] (aux para 23-24), la Cour a jugé un tel raisonnement déraisonnable.
[24] En outre, l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents qui contredisaient sa décision selon laquelle le demandeur n’était pas en mesure de démontrer l’existence d’un risque en cas de renvoi, selon la prépondérance des probabilités, et ce, plus de dix ans après avoir quitté le Sri Lanka.
[25] Fait important, l’agent qui a statué sur la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en l’espèce était le même que celui qui avait examiné la demande d’ERAR, et les deux décisions reposaient exactement sur le même dossier. Cependant, bien qu’il ait recopié l’analyse relative à l’ERAR dans la décision d’ordre humanitaire, l’agent a exclu les parties de cette analyse qui étaient, en réalité, plus pertinentes pour une analyse des considérations d’ordre humanitaire. À titre d’exemple, dans l’analyse relative à l’ERAR (mais pas dans la décision d’ordre humanitaire), le décideur a cité une source tirée de Freedom House, en 2019, qui indiquait que la présence militaire a augmenté dans les zones peuplées de Tamouls et que le gouvernement a encouragé la colonisation dans le but de diluer la population locale majoritairement tamoule. Le décideur a également cité un rapport de 2020 provenant du Département d’État américain dans lequel des Tamouls rapportent des cas de harcèlement de la part des forces de sécurité. Le demandeur a également cité un passage tiré de l’analyse relative à l’ERAR dans lequel le décideur évalue la preuve sur la situation du pays et conclut comme suit :
[traduction]
Les documents produits en preuve que j’ai consultés montrent que le gouvernement n’a peut‑être pas encore pleinement remédié aux violations des droits de la personne commises par le passé au Sri Lanka. Les Tamouls pourraient continuer de faire l’objet de discrimination en raison de leur origine ethnique.
[26] Étant donné que l’agent n’a pas inclus ces passages tirés de son analyse relative à l’ERAR et qu’il a plutôt choisi d’en faire complètement abstraction aux fins de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, le demandeur soutient que l’agent n’a pas évalué adéquatement les différences entre le critère de l’ERAR et celui relatif aux considérations d’ordre humanitaire ou qu’il a tout simplement exclu à tort de sa décision d’ordre humanitaire des renseignements qu’il aurait dû juger favorables.
[27] Enfin, en faisant abstraction de certains éléments de preuve pris en compte dans l’analyse relative à l’ERAR aux fins de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, l’agent n’a accordé aucune valeur à la preuve permettant de démontrer la discrimination à l’encontre des Tamouls et a plutôt choisi de reproduire l’analyse des risques relative à l’ERAR. Ainsi, l’agent a appliqué les mêmes exigences juridiques, bien que les exigences soient différentes pour le critère relatif aux considérations d’ordre humanitaire. Autrement dit, le demandeur soutient que l’agent a omis de prendre en compte certains facteurs pertinents d’un point de vue humanitaire. Dans l’ensemble, en appliquant les normes plus rigoureuses de l’ERAR et en écartant des éléments de preuve pertinents relatifs à la discrimination, à la militarisation et aux conditions défavorables dans le pays qui auront une incidence directe sur le demandeur, l’agent a fait abstraction de facteurs pertinents par ailleurs nécessaires d’un point de vue humanitaire.
B. Les observations du défendeur
[28] Le défendeur soutient que l’agent s’est demandé si le niveau de discrimination auquel serait confronté le demandeur constituait des difficultés justifiant une décision favorable à l’égard d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et qu’il a conclu que la preuve était insuffisante pour démontrer que sa famille au Sri Lanka serait aux prises avec des difficultés, de sorte qu’elle pourrait l’aider à s’installer à son retour.
[29] En outre, le défendeur soutient que l’évaluation globale de l’agent était raisonnable compte tenu de la preuve à sa disposition. L’agent a examiné la preuve relative à la discrimination envers des personnes se trouvant dans une situation similaire, comme la famille du demandeur au Sri Lanka, et il a jugé qu’une telle situation ne constituait pas des difficultés. En l’espèce, il était loisible à l’agent d’examiner la situation de la famille du demandeur au moment de l’évaluation et de conclure qu’elle ne justifiait pas la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire.
[30] En ce qui a trait à l’argument concernant les facteurs favorables qui ont été utilisés contre le demandeur, le défendeur allègue que l’agent a raisonnablement examiné les facteurs d’établissement du demandeur indépendamment de l’évaluation des difficultés au Sri Lanka et les a jugés défavorables dans le contexte de l’ensemble de ses antécédents en matière d’immigration.
V. Analyse
[31] Le paragraphe 25(1) de la LIPR confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d’octroyer le statut de résident permanent à un étranger et de lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire le justifient. Cette disposition est libellée ainsi :
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[32] Il est important de souligner que le demandeur qui invoque des considérations d’ordre humanitaire a le fardeau de convaincre le décideur que des considérations d’ordre humanitaire justifient d’octroyer le statut de résident permanent ou de lever tout ou partie des critères et obligations applicables en vertu de la LIPR (Lee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 413, citant Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] ACF no 139, le juge Gibson, citant Prasad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 453, et Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 54.
[33] Le critère applicable à la dispense pour considérations d’ordre humanitaire est énoncé dans la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 265 :
A. Le critère applicable à la dispense pour considérations d’ordre humanitaire
[17] L’article 25 de la LIPR offre une dispense exceptionnelle par rapport à ce qui serait, par ailleurs, l’application régulière de cette loi. Pour obtenir cette dispense, il incombe au demandeur d’établir des circonstances qui sont « de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (Kanthasamy), au paragraphe 21, citant Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 IAC 338, à la page 350.
[18] Pour satisfaire à ce critère, il ne suffit pas d’établir simplement l’existence réelle ou probable de malheurs, par rapport aux citoyens canadiens et aux résidents permanents du Canada. Il s’agit là d’une situation que l’on pourrait voir facilement établie par la plupart des personnes qui sont frappées d’une mesure de renvoi ou qui vivent dans un pays où les normes de vie sont nettement inférieures à celle dont on jouit au Canada. Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada : « [l]’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés » : arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 23. Dans le même ordre d’idées, le fait de vivre à l’étranger et de demander, sans succès, une dispense pour considérations d’ordre humanitaire comportera forcément son lot de difficultés.
[19] L’article 25 a été adopté pour répondre aux situations dans lesquelles les conséquences d’une expulsion « affecterai[ent] plus certaines personnes que d’autres […], à cause de certaines circonstances » : arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 15 [non souligné dans l’original], citant les Procès-verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Politique de l’immigration, fascicule no 49, 1re sess., 30e lég., 23 septembre 1975, à la page 12. C’est donc dire que la personne qui demande la dispense exceptionnelle fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qu’offre la LIPR doit faire la preuve de l’existence réelle ou probable de malheurs ou d’autres considérations d’ordre humanitaire qui sont supérieurs à ceux auxquels sont habituellement confrontées les personnes qui demandent la résidence permanente au Canada.
[20] Autrement dit, la personne qui demande une dispense pour considérations d’ordre humanitaire doit « établir les motifs exceptionnels pour lesquels on devrait lui permettre de demeurer au Canada » ou être autorisée à obtenir une dispense pour considérations d’ordre humanitaire depuis l’étranger : Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, au paragraphe 90. Il s’agit juste d’une autre façon de dire que la personne qui demande une telle dispense doit faire la preuve de l’existence de malheurs ou d’autres circonstances qui sont de nature exceptionnelle, par rapport à d’autres personnes qui demandent la résidence permanente depuis le Canada ou l’étranger : Jesuthasan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 142, aux paragraphes 49 et 57; Kanguatjivi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 327, au paragraphe 67.
[…]
[23] Pour apprécier si un demandeur a établi l’existence de considérations d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier l’exercice favorable du pouvoir discrétionnaire que confère l’article 25 de la LIPR, tous les faits et facteurs pertinents qu’avance le demandeur doivent être pris en compte et soupesés : arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 25. À cet égard, les mots « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » doivent être considérés comme instructifs, mais non décisifs : arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 33.
[Souligné dans l’original.]
[34] En outre, dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], la Cour suprême du Canada a statué que le demandeur n’a qu’à démontrer qu’il est probable que la discrimination se produise et qu’une telle conclusion peut être inférée :
[52] L’agente accepte d’attribuer les difficultés qu’éprouverait vraisemblablement Jeyakannan Kanthasamy au Sri Lanka à la discrimination qui y est exercée contre les jeunes hommes tamouls. Elle admet en outre une preuve démontrant que les Tamouls du Sri Lanka, en particulier les jeunes hommes du nord, sont couramment pris pour cibles par la police. À son avis, toutefois, les jeunes Tamouls ne sont pris pour cibles que s’ils sont soupçonnés de liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, et le gouvernement a fait des efforts pour améliorer la situation des Tamouls. Elle dit : [traduction] « … il incombe au demandeur de démontrer que cette situation le toucherait personnellement ».
[53] Tout cela amène l’agente à conclure que, à défaut d’éléments de preuve selon lesquels Jeyakannan Kanthasamy ferait personnellement l’objet de mesures discriminatoires, il n’y a pas de preuve de discrimination. Soit dit tout en respect, la démarche de l’agente ne tient pas compte du fait que la discrimination peut être inférée lorsqu’un demandeur établit qu’il appartient à un groupe qui est victime de discrimination. Pour les besoins d’une demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire, la discrimination [traduction] « peut se manifester sous forme d’incidents isolés ou être de nature systémique », et même « les actes discriminatoires qui n’emportent pas individuellement persécution doivent être considérés cumulativement » : (Jamie Chai Yun Liew et Donald Galloway, Immigration Law (2e éd. 2015), p. 413, citant Divakaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 633).
[54] Or, en l’espèce, l’agente exige de Jeyakannan Kanthasamy une preuve directe qu’il courrait un tel risque d’être victime de discrimination s’il était expulsé. Non seulement cette exigence mine la vocation humanitaire du par. 25(1), mais elle traduit une conception très réductrice de la discrimination que notre Cour a largement désavouée au fil des décennies (Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, p. 173‑174; Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3; Québec (Procureur général) c. A, [2013] 1 R.C.S. 61, par. 318‑319 et 321‑338).
[…]
[56] Il appert de ces extraits que le demandeur doit seulement montrer qu’il sera vraisemblablement touché par une condition défavorable comme la discrimination. La preuve d’actes discriminatoires contre d’autres personnes qui partagent les mêmes caractéristiques personnelles est donc clairement pertinente pour l’application du par. 25(1), et ce, que le demandeur puisse démontrer ou non qu’il est personnellement visé. Des inférences raisonnables peuvent en être tirées. Dans Aboubacar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 714, le juge Rennie énonce de façon convaincante les raisons pour lesquelles il est alors possible de tirer des inférences raisonnables :
Bien que les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 doivent s’appuyer sur la preuve, il existe des circonstances où les conditions dans le pays d’origine sont telles qu’elles confortent l’inférence raisonnable relativement aux difficultés auxquelles un demandeur en particulier serait exposé à son retour […] Il ne s’agit pas d’une hypothèse, mais bien d’une inférence raisonnée, de nature non hypothétique, relativement aux difficultés auxquelles une personne serait exposée, et, de ce fait, cela constitue le fondement probatoire d’une analyse sérieuse et individualisée … [par. 12 (CanLII)]
[En italique dans l’original.]
[35] Au cours de l’audience, le défendeur a invoqué la décision Shackleford c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1313, au paragraphe 16, s’appuyant sur Kanthasamy, au paragraphe 23, dans laquelle la Cour a estimé qu’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne devrait être accueillie que dans des circonstances exceptionnelles. Dans le cas contraire, l’article 25 risquerait de devenir un régime d’immigration parallèle, ce que la Cour suprême du Canada a expressément cherché à éviter.
A. La décision de l’agent est déraisonnable
1) L’agent s’est servi de façon déraisonnable des facteurs favorables à l’octroi d’une dispense pour justifier son refus.
[36] À mon avis, il faut retenir l’argument du demandeur selon lequel l’agent a transformé en facteurs défavorables les facteurs d’ordre humanitaire favorables liés à son établissement. L’agent s’est appuyé sur des facteurs précis qui pouvaient démontrer que le demandeur satisfaisait aux facteurs d’ordre humanitaire et, au lieu de juger que ces facteurs sont favorables à ce que la demande soit accueillie, il les a utilisés contre le demandeur en affirmant que ces mêmes facteurs pouvaient démontrer que le demandeur ne ferait pas face à des difficultés s’il était renvoyé au Sri Lanka. Par exemple, l’agent a souligné que le demandeur était [traduction] « résilient »
et avait acquis [traduction] « des compétences professionnelles au Canada qui lui seront également utiles au Sri Lanka »
. Au lieu de considérer ces facteurs comme pertinents pour sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, l’agent a estimé que ces facteurs démontraient que le demandeur pouvait se réinstaller au Sri Lanka.
[37] Le défendeur soutient que l’agent a raisonnablement examiné les facteurs d’établissement de manière indépendante et les a jugés défavorables dans le contexte des antécédents en matière d’immigration du demandeur et des difficultés au Sri Lanka. L’agent a fait des commentaires sur certains facteurs qui s’appliquaient bien au demandeur compte tenu des éléments de preuve à sa disposition (les antécédents professionnels) et il a conclu que ces facteurs ne justifiaient pas une dispense pour considérations d’ordre humanitaire. Par conséquent, ces conclusions étaient raisonnables. Je ne suis pas de cet avis.
[38] Comme l’a conclu la Cour aux paragraphes 23‑28 de la décision Singh, l’agent n’est pas autorisé à transformer des facteurs favorables liés à l’établissement en facteurs défavorables :
[23] L’analyse de l’agent concernant l’établissement des demandeurs au Canada était déraisonnable, car il s’est servi des facteurs favorables à l’octroi d’une dispense pour justifier son refus. Les demandeurs soulignent une partie de l’analyse sur l’établissement qu’ils trouvent troublante, eu égard en particulier aux erreurs commises dans la première décision quant à la demande fondée sur des motifs humanitaires :
[traduction] Même si je reconnais que leur retour en Inde pourrait entraîner des perturbations et leur causer de l’anxiété, je suis convaincu que ce sont des personnes résilientes qui ont la capacité de s’adapter à l’environnement de leur pays natal après une période initiale d’ajustement. […] Même si j’ai accordé un poids positif à leur degré d’établissement au Canada, j’estime que leur capacité d’assimilation à l’environnement de ce pays atteste qu’ils réussiront à s’assimiler à l’environnement de leur pays natal.
[Non souligné dans l’original.]
Il est déraisonnable de renverser les facteurs favorables liés à l’établissement. L’agent ne peut, comme il le fait ici, se servir contre les demandeurs de leur bouclier comme d’une épée.
[24] La Cour a déjà critiqué le recours à un tel raisonnement. Dans Sosi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1300 [Sosi], la Cour est revenue sur la déclaration de l’agent portant que « [l]es qualités de travailleur des membres de cette famille tendent également à démontrer que ceux‑ci pourraient très facilement s’établir de nouveau dans la société kényane, surtout si l’on tient compte du fait qu’ils seront réunis avec leurs enfants à leur retour » (Sosi, au par. 9). Et s’appuyant sur la décision Sosi, le juge Rennie dans Lauture c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 336 [Lauture]), a déclaré que, « [d]’après l’analyse effectuée par l’agente, plus le demandeur réussit, est entreprenant et fait preuve de civisme tandis qu’il est au Canada, moins il a de chances que sa demande fondée sur l’article 25 soit accueillie » (au par. 26).
[…]
[27] La prise en compte de considérations liées à l’établissement au Canada dans l’évaluation des difficultés susceptibles d’être subies au moment du retour ne rend pas en soi la décision déraisonnable (Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 163; voir aussi Brambilla). La combinaison devient toutefois problématique lorsqu’un agent attribue, d’un côté, un poids positif à l’établissement d’un demandeur, mais utilise, de l’autre, les caractéristiques positives de cet établissement (résilience, volonté et détermination) pour atténuer les difficultés futures.
[28] En l’espèce, l’agent a commis cette erreur lorsqu’il a loué les demandeurs qui avaient réussi à s’assimiler à l’environnement canadien, mais qu’il s’est ensuite servi de ces aptitudes positives à leur détriment en affirmant qu’ils pouvaient s’adapter et s’assimiler à l’environnement indien. Ce recours à l’établissement favorable pour retourner les aptitudes des demandeurs contre eux relève précisément du type de raisonnement contre lequel le juge Rennie nous mettait en garde dans la décision Lauture, précitée. Et l’agent a commis une autre erreur déraisonnable lorsqu’il a usé d’un raisonnement similaire dans l’analyse de l’ISE.
[39] En l’espèce, je suis d’accord avec le demandeur pour dire qu’il était déraisonnable pour l’agent de se servir de facteurs d’établissement favorables pour justifier son refus. Dans ses motifs, l’agent reconnaît que le demandeur est [traduction] « résilient »
et qu’il a [traduction] « des compétences professionnelles »
, mais il déclare ensuite que le demandeur pourrait se servir de ces aptitudes pour se réinstaller au Sri Lanka. Cette conclusion est inintelligible (voir aussi Teweldemedhn c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 36 aux para 21, 24; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 848 au para 22; Lauture c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 336 au para 26).
2) L’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve contradictoires pertinents
[40] L’agent a statué sur la demande d’ERAR et sur la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire du demandeur en même temps et au vu du même dossier. Comme l’a déclaré notre Cour au paragraphe 47 de la décision Ramos Ramirez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1404, l’agent qui se prononce sur les deux types de demande en même temps « risquera de toute évidence davantage de confondre les deux analyses distinctes exigées par ces procédures […] [et] peut arriver aux mêmes conclusions. [Il] faut [donc] veiller encore plus à tenir les deux processus distincts »
.
[41] En l’espèce, l’agent a pris en compte certains éléments de preuve dans les conclusions qu’il a tirées concernant la demande d’ERAR, mais il a ensuite fait abstraction de certains de ces mêmes éléments de preuve pertinents dans la décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Toutefois, les éléments de preuve qui ont été écartés aux fins de la décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sont en contradiction directe avec sa conclusion.
[42] Comme je l’ai déjà mentionné, l’omission de tenir compte d’éléments de preuve objectifs pertinents qui contredisent les conclusions est déraisonnable (Vavilov, au para 128). Le décideur n’est pas autorisé à retenir les éléments de preuve qui cadrent avec son raisonnement et à faire abstraction de la preuve existante qui mène à une conclusion contradictoire. Le décideur doit plutôt expliquer pourquoi il n’a accordé que peu de poids, voire aucun poids, aux éléments de preuve contradictoires et pourquoi il a préféré, compte tenu de ces éléments de preuve contradictoires, rejeter la demande (Ehigiator, au para 74; Rajput c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 65 au para 25).
[43] À mon avis, la preuve documentaire présentée par le demandeur démontrait que les Tamouls sont confrontés de nos jours à une discrimination croissante au Sri Lanka et qu’il faisait partie de ce groupe. L’agent a pris en considération ces éléments de preuve, mais il ne les a pas entièrement pris en considération aux fins de l’analyse des considérations d’ordre humanitaire.
[44] L’agent disposait d’un dossier complet et a examiné la preuve relative à la discrimination et au harcèlement des Tamouls, ainsi que les préoccupations concernant le fait que le gouvernement n’avait pas entièrement réglé la situation. Bien que ces renseignements aient été pris en compte dans l’analyse relative à l’ERAR, ils ont été exclus de l’analyse des considérations d’ordre humanitaire. Cependant, ces renseignements restent pertinents et auraient dû être pris en compte et analysés aux fins de la décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agent ne l’a pas fait.
[45] Soit l’agent n’a pas compris les différences entre le critère relatif à l’ERAR et les critères liés aux considérations d’ordre humanitaire, soit il n’a pas examiné et soupesé les éléments de preuve contradictoires. Dans un cas comme dans l’autre, les motifs n’expliquent pas pourquoi cette preuve importante n’a joué aucun rôle dans le processus décisionnel de l’agent.
[46] En effet, les questions relatives à la possibilité de discrimination, de harcèlement ou de menace d’actes criminels avec violence, même si elles ne satisfont pas au critère relatif à l’ERAR, peuvent avoir une incidence directe sur le demandeur s’il est renvoyé. Il s’agit là de considérations importantes dans le cadre du processus relatif aux considérations d’ordre humanitaire.
[47] Comme l’indique la Cour dans la décision Kim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 581 (voir aussi Yanchak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 117 aux para 15‑18) :
[55] Le bon critère juridique ne se limite pas strictement à examiner les difficultés, mais consiste à étudier plus largement les facteurs d’ordre humanitaire qui ressortent des faits de l’affaire (Kanthasamy, au par. 25). Ce n’est pas l’approche que l’agent a adoptée, et il a donc commis l’erreur d’appliquer un critère juridique incorrect.
[48] J’ajouterai que je suis d’accord avec le demandeur pour dire que, dans le cadre de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, l’agent n’a pas semblé s’appuyer sur les éléments de preuve les plus récents qui étaient pertinents pour l’évaluation des considérations d’ordre humanitaire. En effet, en l’espèce, alors que le Sri Lanka est un pays où la situation est fluide, l’agent pouvait et aurait dû s’appuyer sur la preuve objective la plus récente (plus particulièrement les Principes directeurs du HCR relatifs à l’éligibilité). Je fais miennes les conclusions suivantes du juge Brown dans la décision Krishnapillai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 485 :
[28] Je suis également préoccupé par le caractère opportun de l’ERAR et par la considération d’éléments de preuve autres que les conditions actuelles du pays. L’agent a reconnu que la situation au Sri Lanka se détériorait pour les Tamouls du Nord qui reviennent au pays. La décision est du ressort de l’agent, mais j’estime que des éléments de preuve considérables à cet effet ont été fournis à l’agent par le demandeur en février 2020, six mois après avoir présenté sa demande d’ERAR. L’agent a daté sa décision du 27 mai 2020. Cependant, la décision a été communiquée près d’un an plus tard. Pendant cette période, comme on pourrait le conclure des observations du demandeur devant notre Cour, il semble que les conditions se soient détériorées davantage pour les personnes dans la situation du demandeur. Je ne prendrais normalement pas en compte de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire, mais ceux‑ci n’ont pas été contestés et ont comblé le vide laissé par le retard inexpliqué d’un an dans la communication de la décision. Dans la mesure où cela est raisonnablement possible, un ERAR doit être fondé sur des éléments de preuve à jour sur la situation du pays.
[29] D’après les informations déposées en l’espèce et devant l’agent d’ERAR, il me semble que la situation au Sri Lanka est de nouveau changeante, ce qui souligne la nécessité d’un ERAR opportun et à jour. Je note plus particulièrement qu’il y a un nouveau premier ministre, M. Mahinda Rajapaksa, et un nouveau président, le frère du premier ministre, M. Gotabaya Rajapaksa, élu et nommé en 2019.
[30] Je ne suis pas convaincu que le demandeur a bénéficié d’un ERAR à jour en temps opportun, suivant ce que le juge Favel a exprimé dans la décision Navaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 247 :
[27] L’argument du demandeur selon lequel l’agent a tiré une conclusion déraisonnable concernant les conditions du pays est convaincant. Chaque cas doit être décidé en fonction de ses propres faits. Notre Cour a conclu que le Sri Lanka est un pays où les conditions sont en train de changer continuellement (Navaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 244 selon le juge Brown, au paragraphe 13).
[28] Lorsqu’un décideur manque de prendre en considération des éléments de preuve récents sur les conditions du pays et fonde sa conclusion quant au risque sur de la documentation désuète quant à la situation dans le pays, cette décision est déraisonnable (Rasalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 718 selon le juge Diner, aux paragraphes 19 et 20). Certes, il n’est pas nécessaire d’expliquer chaque aspect des éléments de preuve quant à la condition du pays, mais il faut l’examiner entièrement.
[29] À première vue, l’agent s’en est remis à la conclusion de la Section de la protection des réfugiés que les conditions du pays étaient en train de s’améliorer, au lieu d’examiner [traduction] « l’importante trousse de documents qui comprenait des articles sur Internet et des articles de presse ainsi que des publications qui traitent de divers sujets tels que la torture, le viol, la disparition, les violations des droits de la personne, l’impureté, la détention, les rapatriés, la situation du pays, etc. ». En résumé, l’agent était saisi d’éléments de preuve plus récents qui illustraient que les conditions ne s’amélioraient pas. À mon avis, c’est une des raisons pour lesquelles la décision relative à l’ERAR est déraisonnable.
[49] Par conséquent, la décision manque d’intelligibilité et n’est donc pas raisonnable.
JUGEMENT dans le dossier IMM-9026-21
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.
L’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’une nouvelle décision soit rendue.
Aucune question n’a été soulevée aux fins de certification, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.
« Guy Régimbald »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-9026-21 |
INTITULÉ :
|
SATHIYARAJAH AMARASINGAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE |
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 14 FÉVRIER 2023 |
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE RÉGIMBALD |
DATE DES MOTIFS :
|
LE 5 MAI 2023 |
COMPARUTIONS :
Meghan Wilson |
POUR LE DEMANDEUR |
Allison Grandish |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jackman & Associates
Avocats Toronto (Ontario) |
POUR LE DEMANDEUR |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |