Dossier : IMM-983-22
Référence : 2023 CF 597
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 25 avril 2023
En présence de monsieur le juge Norris
ENTRE : |
CLAUDIA LUCIA HORN ZELMANOVITZ |
demanderesse |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La demanderesse a présenté, au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 25 janvier 2022 par un agent des visas d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) confirmant une décision antérieure de refus d’une demande de permis de travail postdiplôme. J’ai déclaré à la clôture de l’audience que j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire pour des motifs à venir. Voici ces motifs.
[2] La demanderesse est citoyenne du Brésil. En mars 2020, elle achevait le dernier semestre de son diplôme en technologie de l’information bibliothécaire à l’Université MacEwan d’Edmonton (Alberta). En raison d’une urgence familiale, la demanderesse a dû faire une brève pause dans ses études et est rentrée au Brésil. Elle a quitté Edmonton le 10 mars 2020 et a réservé son vol de retour du Brésil pour le 21 mars 2020. Cependant, en raison des mesures adoptées pendant son absence en réponse à la pandémie de COVID-19 qui commençait, la demanderesse n’a pas pu revenir au Canada comme prévu.
[3] De plus, en raison de la pandémie, les cours de la demanderesse à l’Université MacEwan ont été suspendus et les examens finaux ont été transformés en examens en ligne. Par conséquent, même si elle était coincée au Brésil, la demanderesse a pu terminer son diplôme à temps.
[4] En mai 2020, la demanderesse a présenté une demande de permis de travail postdiplôme au moyen du portail en ligne d’IRCC. Elle se trouvait au Brésil à ce moment-là. Cependant, elle croyait qu’elle était toujours légalement résidente du Canada parce qu’elle avait encore l’appartement qu’elle louait à Edmonton, que son permis d’études était valide jusqu’au 31 juillet 2020 et que son retour au Canada avait simplement été retardé temporairement par des circonstances indépendantes de sa volonté. Par conséquent, la demanderesse a rempli et présenté le formulaire IMM 5710 d’IRCC – Demande pour modifier les conditions de séjour, proroger le séjour ou demeurer au Canada comme travailleur. Dans une lettre d’accompagnement jointe à sa demande, la demanderesse a expliqué pourquoi, en raison de la pandémie de COVID-19, elle présentait sa demande depuis le Brésil.
[5] Environ 18 mois plus tard, le 17 novembre 2021, un agent des visas d’IRCC a refusé la demande. La seule raison du refus est la suivante : [traduction] « Comme vous n’êtes plus au Canada, vous n’êtes pas une personne visée par les dispositions législatives en matière d’immigration qui peut présenter une demande de modification de conditions ou de prorogation de séjour depuis le Canada. »
[6] La demanderesse a immédiatement retenu les services d’un avocat. Le 9 décembre 2021, son avocat a présenté une demande de réexamen détaillée et complète de la décision défavorable.
[7] En bref, l’avocat a soutenu que : 1) la demanderesse avait utilisé le mauvais formulaire de demande par erreur; 2) le bon formulaire (IMM-1295 – Demande d’un permis de travail présentée à l’extérieur du Canada) avait maintenant été rempli et présenté; 3) la demanderesse satisfaisait à toutes les exigences pour être admissible à un permis de travail postdiplôme; 4) un réexamen était demandé parce que, en raison du temps qu’il avait fallu à IRCC pour rendre la première décision, la demanderesse avait maintenant dépassé le délai de présentation d’une demande de permis de travail postdiplôme prévu par la politique d’IRCC. (En application de cette politique, le demandeur doit présenter une demande de permis de travail postdiplôme dans les 180 jours suivant l’obtention, de l’établissement d’enseignement désigné, d’une confirmation écrite qu’il a satisfait aux exigences pour terminer son programme d’études. La demanderesse a reçu cette confirmation de l’Université MacEwan le 1er mai 2020.)
[8] Je fais remarquer que l’admissibilité de la demanderesse à un permis de travail postdiplôme au titre de l’article 200 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, et de la politique d’IRCC n’avait rien à voir avec le fait qu’elle se trouvait au Canada ou à l’étranger au moment où elle a présenté sa demande.
[9] L’avocat de la demanderesse a expressément demandé que la demande soit transmise au décideur compétent à IRCC si l’agent des visas examinant la demande de réexamen n’est pas en mesure de traiter une demande présentée depuis l’extérieur du Canada.
[10] Le 25 janvier 2022, l’agent d’IRCC qui s’était déjà occupé de l’affaire auparavant a confirmé la décision initiale de refus de la demande. Comme le montrent les notes du Système mondial de gestion des cas (le SMGC) de l’agent, ce dernier était convaincu que la décision initiale était correcte, puisque les nouveaux renseignements confirmaient que la demanderesse se trouvait à l’extérieur du Canada lorsqu’elle a présenté la demande initiale. Quant à la requête de la demanderesse, qui voulait que sa demande soit traitée comme si elle avait été présentée depuis l’extérieur du Canada, l’agent a noté ce qui suit dans le SMGC : [traduction] « Dans le cadre de la présente demande de réexamen, la demanderesse demande que nous transformions sa demande de prorogation du permis de travail présentée au Canada en demande présentée depuis l’extérieur du Canada. Telle qu’elle a été présentée, la demande ne peut être considérée comme une demande présentée depuis l’extérieur du Canada, et la demanderesse doit présenter une nouvelle demande en suivant la procédure établie pour les demandes présentées depuis l’extérieur du Canada. »
[11] Les parties conviennent que la décision de l’agent doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable, et je suis d’accord.
[12] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85). Pour infirmer la décision au motif qu’elle est déraisonnable, la cour de révision doit être convaincue qu’« elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov, au para 100).
[13] Je suis convaincu que la décision de l’agent est déraisonnable. La question déterminante est le refus de l’agent de faciliter le traitement de la demande de permis de travail comme s’il s’agissait d’une demande présentée depuis l’extérieur du Canada. Dans le cadre de sa demande de réexamen, la demanderesse avait corrigé son erreur antérieure et présenté le formulaire approprié pour une personne présentant une demande de permis de travail depuis l’extérieur du Canada. Elle a également expliqué de façon détaillée (étayée par une déclaration solennelle) pourquoi elle avait fait cette erreur antérieure et pourquoi elle présentait maintenant le bon formulaire de demande dans le contexte d’une demande de réexamen. À l’examen, le défendeur n’a pu invoquer aucune loi, aucun règlement, ni aucune politique pour appuyer la déclaration de l’agent selon laquelle [traduction] « telle qu’elle a été présentée, la demande ne peut être considérée comme une demande présentée depuis l’extérieur du Canada »
. Fait important, et contrairement à ce que l’agent semble avoir pensé, il était impossible pour la demanderesse de corriger son erreur antérieure en présentant une nouvelle demande. Comme elle avait maintenant dépassé le délai pour présenter une demande de permis de travail postdiplôme en raison du temps qu’IRCC avait mis à traiter la demande présentée initialement, toute nouvelle demande serait vouée à l’échec pour cette seule raison.
[14] La décision de l’agent doit donc être annulée et l’affaire doit être renvoyée pour nouvel examen.
[15] Dans les circonstances particulières de la présente affaire, je suis également convaincu que le nouvel examen devrait se faire conformément à certaines instructions de la Cour. Premièrement, pour éviter toute autre confusion, IRCC devra considérer la demande comme une demande de permis de travail postdiplôme présentée depuis l’extérieur du Canada. Deuxièmement, pour garantir que la demanderesse ne soit pas lésée davantage par le fait qu’IRCC a pris autant de temps pour rendre la première décision, la date déterminante pour la demande sera celle de la demande initialement présentée en mai 2020. Troisièmement, IRCC devra demander à la demanderesse tout renseignement supplémentaire dont le ministère aura besoin dans les 30 jours suivant la date du présent jugement et lui donner une possibilité raisonnable de fournir les renseignements demandés. Quatrièmement, la demanderesse devra fournir tout autre renseignement mis à jour qu’elle souhaite présenter à IRCC dans les 30 jours suivant la date du présent jugement. Enfin, la demanderesse demande à la Cour d’ordonner à IRCC de rendre une nouvelle décision dans les 60 jours suivant la réception de ses documents mis à jour. Je ne suis pas convaincu qu’il soit approprié d’imposer cette contrainte à IRCC, surtout compte tenu de l’arrêt de travail en cours. Néanmoins, le traitement de l’affaire a été grandement retardé. Le retard est en partie compréhensible, vu les difficultés liées à la pandémie de COVID-19 lorsque la demanderesse a présenté sa demande pour la première fois, mais il n’aurait pas dû être nécessaire qu’elle présente la demande de contrôle judiciaire (avec tout le retard supplémentaire que cela a causé). Par conséquent, j’ordonnerai qu’une nouvelle décision soit rendue aussi rapidement que les circonstances le permettront. Je précise que je m’attends à ce qu’IRCC fasse du nouvel examen une priorité.
[16] Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-983-22
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
La décision de l’agent des visas datée du 25 janvier 2022 est annulée et l’affaire est renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue.
Conformément à l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, le nouvel examen devra être effectué conformément aux instructions suivantes :
IRCC devra considérer la demande comme une demande de permis de travail postdiplôme présentée depuis l’extérieur du Canada.
La date déterminante pour la demande sera celle de la demande initialement présentée en mai 2020.
IRCC devra demander à la demanderesse tout renseignement supplémentaire dont le ministère aura besoin dans les 30 jours suivant la date du présent jugement et lui donner une possibilité raisonnable de fournir les renseignements demandés.
La demanderesse devra fournir tout autre renseignement mis à jour qu’elle souhaite présenter à IRCC dans les 30 jours suivant la date du présent jugement.
La nouvelle décision devra être rendue aussi rapidement que les circonstances le permettront.
Aucune question de portée générale n’est énoncée.
« John Norris »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-983-22 |
INTITULÉ :
|
CLAUDIA LUCIA HORN ZELMANOVITZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Ottawa (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 19 AVRIL 2023
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE NORRIS
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DATE DES MOTIFS :
|
LE 25 avril 2023
|
COMPARUTIONS :
Arghavan Gerami |
POUR La demanderesse |
Narin Sdieq |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gerami Law Professional Corporation
Ottawa (Ontario)
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Pour le demandeur |
Procureur général du Canada Ottawa (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |