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Date : 20230427

Dossier : IMM-1303-22

Référence : 2023 CF 614

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 avril 2023

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

DHVANIBEN ANANDKUMAR PATEL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La question précise soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire consiste à savoir si l’agent des visas a raisonnablement tenu compte de la réponse de la demanderesse à une « lettre d’équité procédurale ». Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’agent ne l’a pas fait, et la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[2] La demanderesse est une citoyenne indienne âgée de 27 ans qui a demandé un permis de travail ouvert pour conjoint (PTOC) pour venir rejoindre son mari au Canada. Sur la demande, elle a coché « Non » en réponse à la question de savoir si elle s’était déjà vu refuser un visa pour le Canada ou tout autre pays ou territoire.

[3] Le 7 juillet 2020, la demanderesse a reçu une lettre d’équité procédurale dans laquelle il était indiqué que l’agent avait des réserves parce qu’elle n’avait pas divulgué qu’un visa pour les États‑Unis lui avait déjà été refusé.

[4] La demanderesse a répondu ce qui suit le 11 juillet 2020 :

[traduction]

Au moment où j’ai rempli mon formulaire de demande de permis de travail au Canada (conjoint), j’ai oublié de mentionner la demande de visa de visiteur pour les États‑Unis. Il s’agissait véritablement d’une erreur. J’étais pressée et trop excitée à l’idée de demander [un] visa et, dans mon excitation, j’ai coché « Non » dans la section 2 des Antécédents. Il s’agit d’une erreur humaine involontaire. Je n’avais pas l’intention de cacher des renseignements ou de déformer des faits. Je joins ci‑dessous les documents mentionnés relatifs à ma demande de visa de visiteur pour les États‑Unis.

[…]

Je vous présente mes sincères excuses pour mon erreur. Je vous saurais gré de bien vouloir approuver ma demande.

[5] Le 15 décembre 2021, l’agent a rejeté la demande de PTOC au motif que la demanderesse avait fait une présentation erronée [la décision contestée]. Les notes versées au Système mondial de gestion des cas [le SMGC] mentionnent ce qui suit :

[traduction]

Cas examiné. La demanderesse n’a pas déclaré que les États‑Unis avaient déjà refusé de lui délivrer un visa et a clairement répondu sur son formulaire de demande qu’elle ne s’était jamais vu refuser un visa pour aucun pays. Ces renseignements sont pertinents du point de vue de la crédibilité de la demanderesse, d’autant plus que les antécédents d’un demandeur doivent être pris en compte dans l’évaluation relative à la recevabilité et à l’admissibilité. La demanderesse affirme qu’elle a oublié de fournir ces renseignements et qu’elle a commis une erreur lorsqu’elle a rempli la demande. Malgré cela, c’est à elle qu’il incombe de s’assurer que sa demande est complète et exacte. Je suis donc d’avis, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse a fait une présentation erronée au titre de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR en fournissant des renseignements inexacts qui auraient pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Il convient de souligner que l’alinéa 40(1)a) vise les présentations erronées faites directement ou indirectement. La demande est rejetée au titre des alinéas 40(1)a) et 16(1)a) de la LIPR. Une interdiction de territoire de cinq ans est imposée à la demanderesse.

[6] Compte tenu de la décision contestée, la demanderesse est interdite de territoire au Canada au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] parce qu’elle a fait une présentation erronée sur un fait important ou une réticence sur ce fait qui risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[7] La conclusion de présentation erronée est importante puisqu’elle signifie que la demanderesse demeurera interdite de territoire au Canada pour une période de cinq ans.

I. Analyse

[8] La seule question en litige consiste à savoir si l’agent a raisonnablement pris en considération la réponse de la demanderesse à la lettre d’équité procédurale. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).

[9] La demanderesse soutient que l’agent n’a pas évalué sa déclaration personnelle dans laquelle elle indiquait qu’elle était excitée et qu’elle avait rempli le formulaire de demande à la hâte, ni son explication des circonstances entourant le rejet de sa demande de visa. Pour étayer sa position, la demanderesse s’appuie sur un certain nombre de décisions dans lesquelles notre Cour a conclu qu’il était déraisonnable qu’un agent n’ait pas expliqué pas pourquoi il avait jugé que la réponse du demandeur à la lettre d’équité procédurale était insuffisante (Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1441, Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 828 et He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 112).

[10] L’examen par l’agent de l’explication de la demanderesse se limite à la déclaration suivante dans les notes du SMGC :

[traduction]

La demanderesse affirme qu’elle a oublié de fournir ces renseignements et qu’elle a commis une erreur lorsqu’elle a rempli la demande. Malgré cela, c’est à elle qu’il incombe de s’assurer que sa demande est complète et exacte.

[11] Le défendeur soutient que les motifs de l’agent sont intelligibles, transparents, clairs et convaincants puisqu’il a tenu compte de l’explication de la demanderesse selon laquelle elle avait oublié de mentionner le rejet de sa demande de visa pour les États‑Unis. L’agent avait cependant jugé qu’il incombait à la demanderesse de s’assurer que sa demande était complète et avait donc conclu qu’elle avait fait une présentation erronée.

[12] Le défendeur s’appuie sur les décisions Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 368 [Wang] et Ram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 795 [Ram]. À mon avis, ces deux décisions portent sur des questions différentes de celle en l’espèce et sont donc peu utiles. Dans la décision Wang, la question consistait à savoir si l’agent avait raisonnablement pris en compte l’exception relative aux erreurs commises de bonne foi. En l’espèce, cependant, rien n’indique que l’agent a jamais pris en compte cette exception. Dans la décision Ram, l’agent avait conclu qu’il y avait eu dissimulation intentionnelle d’informations. Pareille conclusion n’a pas été tirée en l’espèce.

[13] Je conviens que l’agent a reconnu que la demanderesse avait fourni une explication concernant l’erreur, mais il n’a pas expliqué pourquoi il ne l’avait pas acceptée. Les motifs fournis dans les notes du SMGC ne permettent pas à la Cour de savoir si l’agent a rejeté l’explication de la demanderesse parce qu’il n’a pas cru cette dernière, qu’il a jugé qu’un « oubli » ne pouvait jamais être invoqué pour expliquer l’omission de divulguer une demande de visa antérieure ou qu’il s’est appuyé sur un autre motif.

[14] À mon avis, le fait que la réponse de la demanderesse à la lettre d’équité procédurale n’ait pas fait l’objet d’une évaluation sérieuse rend la décision contestée déraisonnable. Lorsqu’un demandeur répond à une lettre d’équité procédurale, il incombe à l’agent de traiter la réponse fournie de manière substantielle et équitable. Cela est d’autant plus vrai au vu des graves conséquences qui découlent d’une conclusion de présentation erronée (Likhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 171 au para 27).

[15] Qui plus est, les guides d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada reconnaissent qu’il peut y avoir des erreurs à l’occasion (Berlin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1117 au para 15).

[16] Pour accepter la position du défendeur selon laquelle l’agent a rejeté l’exception relative aux présentations erronées faites de bonne foi, la Cour devrait lire dans la décision contestée des mots qui ne s’y trouvent pas ou formuler des hypothèses sur les conclusions de l’agent. Ce n’est pas le rôle de la Cour. Lorsqu’elle évalue le caractère raisonnable d’une décision, la Cour analyse les mots utilisés par l’agent au regard des éléments de preuve. En l’espèce, compte tenu des mots utilisés par l’agent, je ne suis pas en mesure de savoir si l’agent a rejeté l’explication de ce qu’il considérait comme une erreur commise de bonne foi ou une erreur intentionnelle. En d’autres mots, sa décision n’était ni transparente, ni intelligible, ni justifiée.

II. Conclusion

[17] La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


 

JUGEMENT dans le dossier IMM‑1303‑22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du 15 décembre 2021 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

 

IMM‑1303‑22

INTITULÉ :

PATEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 AVRIL 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 AVRIL 2023

COMPARUTIONS :

Kriti Gupta

POUR LA DEMANDERESSE

 

Rishma Bhimji

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matkowsky Immigration Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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