Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230503


Dossier : IMM-2372-22

Référence : 2023 CF 642

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

KAZI MOHAMMED REJUYAN

ITI KHATUN

KAZI MOHAMMAD SHOPNO

RAVIA REJUYAN

RIZWANA REJUYAN ROJE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 24 février 2022 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la « SPR ») a conclu que leur demande d’asile était dénuée d’un minimum de fondement et manifestement infondée aux termes du paragraphe 107(2) et de l’article 107.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « LIPR ») et que, par conséquent, ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger, au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[2] Les demandeurs soutiennent qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure que leur demande d’asile était dénuée d’un minimum de fondement et manifestement infondée, car elle n’a pas examiné l’ensemble de la preuve dont elle disposait et n’a pas justifié ses conclusions.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SPR est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Faits

A. Les demandeurs

[4] Kazi Mohammed Rejuyan (le « demandeur principal »), Iti Khatun (la « codemanderesse ») et leurs trois enfants (collectivement, les « demandeurs ») sont citoyens de l’Inde et affirment être musulmans.

[5] Dans son formulaire de fondement de la demande d’asile (le formulaire « FDA »), le demandeur principal affirme qu’il possède et exploite plusieurs entreprises prospères à Kolkata, dans le Bengale-Occidental. Il allègue que sa famille et lui ont été victimes d’extorsion, de menaces et d’agression de la part des membres du Parti Bharatiya Janata (« BJP ») et du Rashtriya Swayamsevak Sangh (« RSS ») dans le Bengale-Occidental.

[6] Après l’arrivée au pouvoir du BJP en 2014, le nationalisme hindou et la violence antimusulmane ont augmenté en Inde. En réponse à la montée du nationalisme hindou, le demandeur principal et son épouse ont fondé et géré une organisation à but non lucratif afin d’enseigner à la communauté musulmane comment défendre ses droits par la non-violence. En décembre 2018, le demandeur principal et son épouse ont organisé une manifestation pour dénoncer le lynchage de musulmans partout en Inde. Le demandeur principal affirme que des hommes armés portant des vêtements du RSS ont attaqué la foule et l’ont battu. Il aurait été blessé et aurait reçu des soins médicaux dans une clinique. Lorsqu’il a tenté de signaler l’agression, la police aurait refusé de l’autoriser à déposer une plainte parce qu’il n’était pas en mesure d’identifier ses agresseurs individuellement.

[7] Le demandeur principal affirme qu’en juin 2019, il a remporté un contrat important en présentant une offre qui surpassait celle d’une entreprise concurrente appartenant à un membre du BJP. Le concurrent aurait menacé le demandeur principal et exigé qu’il retire son offre. Le demandeur principal affirme qu’après avoir refusé, un dirigeant du BJP l’a convoqué à une réunion urgente au cours de laquelle il lui a lancé des insultes raciales et l’a frappé. Le dirigeant du BJP aurait exigé qu’il remette ses profits au membre du BJP concurrent et fasse un « don » au BJP. Le demandeur principal affirme avoir signalé l’incident à la police, mais celle‑ci a refusé de recevoir la plainte contre le dirigeant du BJP par crainte de représailles.

[8] Le demandeur principal allègue que, le 19 juin 2019, alors qu’il se rendait chez lui, plusieurs hommes sont sortis d’une voiture et l’ont frappé. Il affirme que l’un des hommes lui a tendu un téléphone cellulaire et qu’un adjoint du dirigeant du BJP était au bout du fil. L’adjoint aurait puni le demandeur principal pour avoir dénoncé le dirigeant du BJP à la police et aurait doublé le montant du « don » exigé. Le demandeur principal affirme avoir été hospitalisé pour des blessures graves causées par l’agression et qu’il a reçu son congé le 24 juin 2019.

[9] Le demandeur principal affirme qu’en juillet 2019, les membres du BJP ont attaqué ses employés et cambriolé son entrepôt. En août 2019, durant l’Aïd, le demandeur principal et les membres de sa famille ont sacrifié une vache chez lui. Une foule scandant « Jai Shri Ram » aurait attaqué et battu la famille, y compris les demandeurs mineurs. Les demandeurs affirment avoir été blessés et soignés à l’hôpital.

[10] Le demandeur principal affirme que plus tard, en août 2019, il a reçu un appel téléphonique de l’adjoint du BJP, qui lui a rappelé qu’il avait manqué la date limite pour faire le « don » exigé. Il soutient que deux jours plus tard, les membres du BJP l’ont kidnappé et ont demandé une rançon à son épouse. Celle‑ci aurait payé une partie de la rançon en vendant ses bijoux et en empruntant de l’argent à un prêteur à un taux d’intérêt élevé pour obtenir la libération du demandeur principal.

[11] Les demandeurs avaient deux semaines pour payer le solde de la rançon. Ils affirment que comme ils n’ont pas pu trouver l’argent en deux semaines, ils ont fui à Bangalore, dans l’État de Karnataka, le 23 août 2019. Ils auraient loué une maison à Bangalore et y seraient restés jusqu’à ce que des membres du BJP y fassent irruption le 15 septembre 2019. Les demandeurs affirment s’être échappés et s’être réfugiés chez un ami, à Delhi. Le demandeur principal affirme que, au début du mois d’octobre 2019, pendant son absence, des membres du BJP se sont rendus chez son ami pour savoir où il se trouvait, l’accusant d’avoir volé le BJP.

[12] Les demandeurs affirment avoir décidé de fuir l’Inde. Le demandeur principal soutient qu’un membre de la famille a récupéré les passeports des demandeurs à leur domicile, à Kolkata, et les a rencontrés à l’aéroport de Kolkata pour leur remettre leurs passeports.

[13] Les demandeurs sont arrivés au Canada le 11 octobre 2019. Ils ont demandé l’asile le 30 octobre 2019 par crainte d’être persécutés en Inde. Le demandeur principal a modifié son exposé circonstancié le 5 février 2021. La SPR a instruit la demande d’asile des demandeurs les 16 février et 2 décembre 2021.

B. Décision faisant l’objet du contrôle

[14] Dans sa décision du 24 février 2022, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs au motif qu’elle était dénuée d’un minimum de fondement et était manifestement infondée.

[15] La SPR a relevé plusieurs irrégularités dans la preuve des demandeurs :

  1. Lorsqu’il a décrit l’agression qui se serait produite en décembre 2018, le demandeur principal a écrit dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA qu’un agresseur lui avait frappé le coude gauche à l’aide d’un bâton, de sorte qu’il ne sentait plus sa main gauche. Dans son témoignage, le demandeur principal a déclaré avoir été battu avec un bâton et être tombé sur sa main gauche, ce qui a entraîné une perte de sensation.

  2. Le sommaire de congé du demandeur principal, qui décrit les soins médicaux qu’il a reçus après l’agression de décembre 2018, contient des phrases étranges en anglais qui ne correspondent pas à ce à quoi l’on s’attendrait étant donné que l’anglais est utilisé partout en Inde. Le cousin du demandeur principal a pu obtenir le sommaire de congé de la clinique sans l’autorisation écrite de ce dernier. La SPR a conclu que le sommaire de congé avait probablement été fabriqué pour l’audience.

  3. Le demandeur principal a écrit dans son exposé circonstancié qu’il avait réglé sa soumission retenue en juin 2019, mais, dans son témoignage, il n’a pas été en mesure de préciser les étapes qu’il restait à régler et a affirmé que sa soumission avait été acceptée. La SPR a conclu que les allégations du demandeur principal concernant les menaces qu’il avait reçues de la part de l’entreprise concurrente appartenant à un membre du BJP avaient probablement été inventées.

  4. L’allégation selon laquelle le dirigeant du BJP a exigé que le demandeur principal verse tous ses profits au propriétaire de l’entreprise concurrente est « trop irréaliste pour être vraie », puisque le montant exact des profits que le demandeur principal aurait réalisés dans le cadre du contrat qu’il avait obtenu était inconnu à ce moment‑là.

  5. Le demandeur principal a déclaré que le dirigeant du BJP avait doublé le montant du « don » exigé au cours de l’agression du 19 juin 2019 et qu’il ne lui avait donné aucune date limite pour le payer. La SPR a conclu qu’une demande d’argent sans date limite n’avait aucun sens et que, par conséquent, l’incident du 19 juin 2019 n’avait probablement pas eu lieu.

  6. Le sommaire de congé du demandeur principal faisant suite à l’agression du 19 juin 2019 contenait des termes qui, selon la SPR, n’étaient pas conformes aux termes employés dans de tels dossiers médicaux. Le demandeur principal a déclaré qu’il avait obtenu le sommaire de congé en appelant l’hôpital, en fournissant des renseignements d’identification et en demandant que le sommaire de congé soit remis à son cousin. Cependant, il n’a pas pu expliquer pourquoi lui seul aurait pu donner ces renseignements d’identification. La SPR a conclu que le sommaire de congé était probablement un faux.

  7. Le demandeur principal a déclaré qu’il avait obtenu les sommaires de congé des demandeurs à la suite de l’agression d’août 2019 en s’adressant à l’hôpital et en envoyant sa carte d’identité. Toutefois, il n’a présenté aucun document attestant qu’il avait envoyé sa carte d’identité à l’hôpital ou qu’il avait communiqué avec celui‑ci, ni aucun document attestant qu’il avait fourni une autorisation écrite signée par lui. La SPR a conclu que les documents n’étaient probablement pas authentiques.

  8. Les demandeurs ont présenté l’affidavit du cousin maternel du demandeur principal, qui affirme les avoir amenés à l’hôpital après l’agression d’août 2019. La SPR n’a accordé aucun poids à l’affidavit étant donné qu’elle a conclu que les dossiers de l’hôpital n’étaient probablement pas authentiques.

  9. Les demandeurs n’ont présenté aucune preuve documentaire pour démontrer que l’épouse du demandeur principal avait vendu ses bijoux et emprunté de l’argent à un prêteur pour obtenir la libération de ce dernier en août 2019. La SPR a conclu que l’absence de preuve documentaire minait l’allégation selon laquelle le demandeur principal avait été enlevé et libéré après avoir payé une partie de la rançon demandée.

  10. Le demandeur principal a affirmé que les demandeurs avaient loué une voiture pour se rendre à l’aéroport de Kolkata, puis a dit qu’ils avaient pris un taxi, et non une voiture de location. La SPR a conclu que le fait que le demandeur principal avait changé son témoignage « pour éviter une contradiction évidente et importante » minait son allégation selon laquelle quelqu’un d’autre avait récupéré les passeports des demandeurs à leur domicile et qu’ils s’étaient rendus à Bangalore et à Delhi.

  11. Les demandeurs n’ont pas présenté de demande d’asile à l’aéroport à leur arrivée au Canada. Le demandeur principal a déclaré qu’il ne savait pas qu’il devait présenter une demande d’asile à l’aéroport et, plus tard, il a déclaré qu’il n’était pas stable mentalement à son arrivée. La SPR a pris acte de l’absence de dossiers médicaux concernant la santé mentale du demandeur principal et a conclu que le fait d’avoir tardé à demander l’asile minait les allégations des demandeurs.

  12. Le demandeur principal a présenté le certificat de décès de son frère cadet, décédé le 2 avril 2021, et a affirmé que son frère avait été battu et tué par des hommes qui recherchaient le demandeur principal. La SPR n’était pas convaincue que le frère cadet du demandeur principal était décédé des suites d’une agression en lien avec ce dernier, car les demandeurs n’avaient présenté aucun rapport de police ni document démontrant qu’il y avait eu enquête sur le décès du frère cadet.

[16] La SPR a mentionné plusieurs allégations sans les retenir ni les rejeter explicitement, notamment que le demandeur principal avait fondé une organisation sans but lucratif visant à informer les musulmans de leurs droits, qu’il avait tenté de signaler l’agression de décembre 2018 à la police, et que des membres du BJP avaient cambriolé son entrepôt en juillet 2019.

[17] La SPR a conclu que la demande des demandeurs était dénuée d’un minimum de fondement et manifestement infondée et l’a donc rejetée.

III. Question en litige et norme de contrôle

[18] La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la décision de la SPR est raisonnable.

[19] La norme de contrôle n’est pas contestée. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16, 17, 23-25) (« Vavilov »). Je suis du même avis.

[20] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12-13). La cour de révision doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le résultat obtenu et le raisonnement suivi (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif pertinent, du dossier présenté au décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes visées (Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135).

IV. Analyse

[21] Les demandeurs contestent la conclusion de la SPR selon laquelle leur demande est dénuée d’un minimum de fondement et manifestement déraisonnable. Je conclus que la décision de la SPR est raisonnable.

A. Absence de minimum de fondement

[22] La conclusion de la SPR selon laquelle une demande est dénuée d’un minimum de fondement ou est manifestement infondée entraîne de graves conséquences. Suivant l’alinéa 110(2)c) de la LIPR, ces deux conclusions empêchent le demandeur d’asile de faire appel de la décision de la SPR auprès de la Section d’appel des réfugiés. Elles privent également le demandeur d’asile d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi prise contre lui en attendant que la Cour fédérale statue sur une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire au titre de l’alinéa 49(2)c) de la LIPR et du paragraphe 231(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le « RIPR »).

[23] Compte tenu de ces conséquences importantes, notre Cour a conclu que le seuil pour conclure que la demande d’asile est dénuée d’un minimum de fondement ou est manifestement infondée est élevé (Ramón Levario c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 314 au para 18 (« Ramón Levario »); Yuan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 755 au para 45). La SPR ne peut conclure que la demande d’asile est dénuée d’un minimum de fondement s’il existe un élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle pourrait se fonder pour rendre une décision favorable même si, au bout du compte, elle conclut que la demande n’a pas été établie selon la prépondérance des probabilités (Ramón Levario, aux para 18-19; Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89 au para 51 (« Rahaman »)).

[24] Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SPR selon laquelle leur demande d’asile est dénuée d’un minimum de fondement est déraisonnable, car celle‑ci n’a pas expressément tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve dont elle disposait. Ils font valoir qu’ils ont présenté des éléments de preuve attestant de leur identité, des antécédents d’affaires du demandeur principal et de l’organisation sans but lucratif qu’il a fondée. Ils ont également fourni des éléments de preuve objectifs de la persécution des musulmans en Inde. Les demandeurs soutiennent que, même si la SPR avait des doutes sur leur crédibilité, ils ont fourni des éléments de preuve qui lui permettaient de rendre une décision favorable. Ils soutiennent que la SPR n’a pas analysé le risque des demandeurs à la lumière des éléments de preuve dont elle disposait.

[25] Les demandeurs affirment que la SPR, au lieu d’examiner tous les éléments de preuve dont elle disposait, a fait fi de ceux qui contredisaient ses conclusions. Ils ont fourni des lettres et des affidavits corroborant leurs allégations, un rapport de police ainsi que des dossiers médicaux, que la SPR n’a pas mentionnés ou qu’elle a examinés sans les évaluer de manière déterminante. Ils affirment que la SPR ne peut conclure à l’absence de minimum de fondement sans tenir compte de l’ensemble de la preuve.

[26] Les demandeurs soutiennent en outre que la SPR n’a pas expliqué comment elle était parvenue à la conclusion que leur demande était dénuée d’un minimum de fondement. La SPR ne soulève cette question que dans sa conclusion. L’analyse qui précède porte sur la crédibilité des différents éléments de preuve. Les demandeurs font valoir que les conclusions de la SPR selon lesquelles le demandeur principal manquait de crédibilité et la preuve à l’appui était insuffisante ne sont pas des motifs suffisants pour conclure à l’absence de minimum de fondement.

[27] Les demandeurs renvoient à la décision Mahdi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 218, dans laquelle notre Cour a déterminé que la conclusion d’absence de minimum de fondement « ne doit pas être une solution “fourre-tout” ou une solution employée sans discernement, ni un résumé des insuffisances ou des pour et contre des preuves » (au para 10). Ils soutiennent qu’il était déraisonnable de la part de la SPR d’exposer sa conclusion d’absence de minimum de fondement comme une solution fourre‑tout dans le dernier paragraphe et qu’elle n’a pas justifié sa décision.

[28] Le défendeur soutient que la SPR a mené une analyse approfondie de la preuve. Il affirme que la SPR était d’avis que certains documents ne suffisaient pas à étayer la demande et que d’autres étaient frauduleux, et elle a conclu que la demande des demandeurs était dénuée d’un minimum de fondement.

[29] Le défendeur soutient que l’existence d’éléments de preuve authentiques ne remet pas en cause la conclusion d’absence de minimum de fondement. Il doit exister des éléments de preuve crédibles susceptibles d’étayer la demande. Le défendeur indique que les pièces d’identité, les registres commerciaux et la preuve objective sur la situation dans le pays présentés par les demandeurs n’étayent pas les allégations principales formulées dans la demande d’asile et ne peuvent justifier une décision favorable. Il soutient que les demandeurs n’allèguent pas qu’ils sont exposés à un risque en Inde du seul fait de leur religion. Le défendeur affirme que, par conséquent, la preuve d’un sentiment antimusulman en Inde ne suffit pas à justifier une décision favorable, car la demande d’asile des demandeurs repose principalement sur le risque de persécution par le BJP en raison d’une vendetta personnelle.

[30] Je suis d’accord avec le défendeur. Selon moi, les motifs de la SPR ne signifient pas qu’un seul des éléments de preuve jugés non crédibles est suffisant pour conclure que la demande des demandeurs est dénuée d’un minimum de fondement. En fait, j’estime que la SPR a raisonnablement conclu qu’il existait de nombreux doutes concernant la crédibilité de la preuve des demandeurs dans son ensemble, lesquels se rapportent tous au cœur de leur demande d’asile. Bien que la SPR n’avait aucun doute quant à l’identité du demandeur principal ou au fait qu’il était propriétaire d’entreprises, tous les éléments de preuve concernant les allégations principales formulées dans la demande d’asile, à savoir qu’il a été extorqué ou par la suite menacé et agressé, manquent de crédibilité. Il était donc raisonnable de la part de la SPR de conclure que la demande d’asile des demandeurs était dénuée d’un minimum de fondement, et ses motifs révèlent qu’elle a procédé à un examen intelligible et justifié de la preuve pour en arriver à cette conclusion.

B. Demande manifestement infondée

[31] Selon l’article 107.1 de la LIPR, la SPR doit faire état du fait que la demande est manifestement infondée si elle estime que celle‑ci est clairement frauduleuse. Citant la décision Warsame c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 596 au paragraphe 23 (« Warsame »), mon collègue le juge Norris a récemment résumé les principes qui orientent l’application de l’article 107.1 de la LIPR dans la décision Matthew c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 924 au paragraphe 8 :

C’est la demande en soi qui doit être frauduleuse. Le fait que le demandeur a utilisé de faux documents pour échapper à la persécution ou pour entrer au Canada ne suffit pas. Cependant, une fois qu’il a présenté une demande d’asile, le demandeur doit « se conduire de manière irréprochable, et les déclarations qu’il fait à l’appui de cette demande doivent être exactes, sinon elles pourraient être retenues contre lui » (au para 27).

Pour qu’une demande d’asile soit dite frauduleuse, « il faut que le demandeur ait déclaré qu’une situation est d’une certaine nature alors qu’en réalité elle ne l’est pas » (au para 30). Ce n’est pas n’importe quel mensonge ou rapport inexact qui revêt la demande d’asile d’un caractère frauduleux. « Il faut pour cela que les déclarations malhonnêtes, les supercheries, les mensonges touchent à un aspect important de cette demande, de sorte à influer substantiellement sur la décision dont elle fera l’objet » (au para 30). Pour qu’une demande d’asile puisse être déclarée clairement frauduleuse, il faut que « le demandeur essaie de tromper les autorités de manière à la fois substantielle ou fondamentale et pertinente pour la détermination de son statut » (au para 32). Les mensonges « d’importance secondaire ou antérieurs à la présentation de la demande d’asile ne semblent pas remplir cette condition » (au para 31).

L’utilisation du mot « clairement » dénote le degré de fermeté de la conclusion selon laquelle la demande est frauduleuse. (J’ajouterais que l’on pourrait en dire autant du mot « manifestement »). Pour conclure qu’une demande est clairement frauduleuse, le décideur doit avoir « la ferme conviction que l’intéressé cherche à obtenir l’asile par des moyens frauduleux, par exemple des mensonges ou une conduite malhonnête, qui influent sur le point de savoir si sa demande d’asile sera ou non accueillie » (au para 31).

[32] Comme en ce qui concerne la conclusion de la SPR fondée sur le paragraphe 107(2), les demandeurs soutiennent que la SPR n’a pas expliqué comment elle est parvenue à sa conclusion fondée sur l’article 107.1. Les demandeurs soutiennent que le seuil pour parvenir à une conclusion fondée sur l’article 107.1 est élevé et nécessite une justification appropriée. Sans cette justification, la conclusion selon laquelle la demande est manifestement infondée n’est pas raisonnable.

[33] Les demandeurs soutiennent également qu’il n’existe aucune preuve directe démontrant qu’ils ont commis une fraude en ce qui concerne les aspects centraux de leur demande. La SPR a plutôt jugé que certains éléments de preuve soulevaient des doutes quant à leur crédibilité et a estimé que certains documents étaient probablement fabriqués ou frauduleux. Les demandeurs renvoient à la décision Brindar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1216, pour faire valoir qu’une conclusion défavorable quant à la crédibilité ne rend pas une demande manifestement infondée.

[34] Le défendeur fait valoir que la conclusion de la SPR selon laquelle la demande était manifestement infondée repose sur des motifs clairs : la SPR a estimé que des aspects importants de la demande d’asile des demandeurs étaient faux et que ces derniers s’étaient appuyés sur des documents fabriqués ou frauduleux. Ces conclusions se trouvent à différents endroits dans les motifs de la SPR.

[35] Le défendeur soutient que la SPR n’a pas simplement jugé que la preuve était insuffisante pour étayer les allégations. En fait, elle a conclu que le récit des demandeurs était frauduleux et que leurs éléments de preuves avaient été fabriqués. Le défendeur soutient que la SPR a raisonnablement conclu que la demande d’asile des demandeurs était manifestement infondée.

[36] Bien que je sois d’accord avec les demandeurs pour dire que l’analyse visant à déterminer si une demande est manifestement infondée est distincte de celle appliquée pour conclure à un manque de crédibilité, je ne suis pas d’avis que la SPR a commis l’erreur de confondre les deux. Le dossier de preuve des demandeurs contient divers documents présentés à l’appui d’allégations principales qui semblent frauduleux, et la SPR a procédé à une évaluation approfondie et raisonnée de ces éléments de preuve. Selon les demandeurs, le fait que la SPR a utilisé à l’occasion des termes différents démontre que sa conclusion selon laquelle leur demande était manifestement infondée est déraisonnable. Or, cette affirmation équivaut à une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov, au para 102). Cela ne suffit pas à infirmer le caractère raisonnable de la conclusion de la SPR selon laquelle les éléments de preuve des demandeurs, considérés dans leur ensemble, sont frauduleux et que les éléments centraux de la demande semblent avoir été fabriqués.

V. Conclusion

[37] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. La conclusion de la SPR selon laquelle la demande des demandeurs est dénuée d’un minimum de fondement et est manifestement infondée est justifiée à la lumière du dossier. Aucune question à certifier n’a été soulevée, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2372-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2372-22

 

INTITULÉ :

KAZI MOHAMMED REJUYAN, ITI KHATUN, KAZI MOHAMMAD SHOPNO, RAVIA REJUYAN ET RIZWANA REJUYAN ROJE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 février 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 mai 2023

 

COMPARUTIONS :

Allen Chao-Ho Chang

 

Pour les demandeurs

 

Rachel Hepburn Craig

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.