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Date : 20230302

Dossier : IMM-3329-22

Référence : 2023 CF 296

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 2 mars 2023

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

SURJIT SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Dans une décision du 29 octobre 2021, un agent d’immigration du haut‑commissariat à New Delhi a rejeté la demande présentée par le demandeur en vue d’obtenir un permis de travail dans le cadre du programme des travailleurs étrangers temporaires au motif qu’il n’avait pas donné suite à la demande de fournir les résultats de ses tests linguistiques.

[2] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l’agent au motif qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale et que la décision est déraisonnable au regard des principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande sera accueillie. La décision de l’agent sera annulée et la demande de permis de travail sera renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision, sans dépens.

I. Les faits et les événements à l’origine de la demande

[4] Le demandeur est citoyen de l’Inde. En septembre 2018, il a présenté une demande de permis de travail, qui a été rejetée par un agent le 6 décembre 2018. Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de la décision de l’agent. Le défendeur a convenu d’annuler la décision et de faire réexaminer la demande par un autre agent.

[5] Dans le cadre du réexamen, un agent a demandé au demandeur de présenter d’autres documents, notamment des talons de paye, un diplôme d’études secondaires ainsi que des certificats de formation et d’études. L’agent a communiqué avec l’employeur du demandeur en Inde pour confirmer son emploi, son salaire et ses fonctions.

[6] En novembre 2020, l’agent a envoyé une lettre d’équité procédurale au demandeur. Il disait douter de la capacité financière de l’employeur éventuel à embaucher des travailleurs étrangers ainsi que de l’authenticité de l’entreprise et de l’offre d’emploi, car l’adresse de l’entreprise (une entreprise de construction) était celle d’une boucherie. Le demandeur a fourni d’autres renseignements, et l’agent a conclu que l’employeur et l’offre d’emploi paraissaient authentiques.

[7] Le 4 février 2021, l’agent a envoyé une lettre au demandeur pour lui demander de fournir des documents concernant ses compétences linguistiques en anglais. Il lui a demandé les documents suivants :

[traduction]
IELTS/CELPIP : Original des résultats aux tests de l’IELTS ou du CELPIP (photocopies non acceptées). Veuillez nous faire parvenir une preuve de vos compétences linguistiques en anglais au plus tard le 3 mars 2021.

[8] Dans sa lettre, l’agent a informé le demandeur qu’il pouvait transmettre ses documents à une adresse courriel donnée.

[9] Le 2 mars 2021, par courriel à l’adresse précisée dans la lettre, le demandeur a demandé de proroger au 13 mars 2021 le délai pour répondre à la demande visant à faire parvenir une preuve de ses compétences linguistiques en anglais.

[10] Le 12 mars 2021, par courriel à l’adresse précisée dans la lettre, le demandeur (par l’entremise de son avocat) a transmis une réponse à la demande de l’agent. Le demandeur y a joint ses observations écrites préparées par son avocat ainsi que des documents justificatifs, notamment son affidavit et celui de son employeur éventuel. Dans ses observations, le demandeur a indiqué que la maîtrise de l’anglais n’était pas obligatoire selon l’étude d’impact sur le marché du travail pour le poste et les exigences de l’employeur. Il a joint à ses observations un extrait de l’affidavit de son employeur, dans lequel ce dernier confirmait qu’il avait fait passer une entrevue au demandeur, qu’il était entièrement satisfait de ses compétences linguistiques en anglais et en punjabi et que l’anglais n’était pas une exigence pour le poste. De plus, selon la Classification nationale des professions, l’emploi correspondait au code « CNP 7271 – Charpentiers-menuisiers/charpentières-menuisières », lequel n’impose aucune exigence linguistique précise pour travailler comme charpentier‑menuisier en Colombie‑Britannique. Le demandeur a fait valoir qu’il répondait donc aux exigences de l’emploi. Il a indiqué qu’il n’avait pas en sa possession l’original des résultats aux tests de l’IELTS ou du CELPIP. Comme preuve de ses compétences linguistiques, il a fourni son diplôme d’études secondaires et le plan détaillé du programme de certificat de qualification.

[11] Environ un an plus tard, le 10 mars 2022, le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire devant notre Cour en vue d’obtenir une ordonnance de mandamus pour exiger qu’une décision soit rendue à l’issue du réexamen.

[12] Le 11 mai 2022, le demandeur a reçu une lettre du bureau des visas, y compris une lettre datée du 29 octobre 2021 l’informant du rejet de sa demande. L’agent des visas a conclu que sa demande ne répondait pas aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR), car il [traduction] « n’avait pas donné suite à la demande de fournir les résultats de ses tests linguistiques ».

[13] Dans ses notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC), l’agent a écrit ce qui suit :

[traduction]
Le 4 février 2021, le demandeur a été prié de fournir les résultats de ses examens à l’IELTS ou au CELPIP. Il n’a pas répondu. Demande rejetée pour défaut de se conformer.

[14] La demande de prorogation du délai pour répondre présentée par le demandeur le 4 mars 2021 figurait dans ces mêmes notes consignées dans le SMGC, mais pas les observations présentées en réponse par son avocat le 12 mars 2021 concernant ses compétences linguistiques en anglais.

II. Analyse

[15] Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce, les parties conviennent, et je suis du même avis, que la norme de contrôle applicable à la décision sur le fond de refuser le permis de travail est celle de la décision raisonnable, compte tenu des critères de l’arrêt Vavilov : Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 FC 147 au para 14; Jandu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 FC 1787 au para 15.

[16] Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon une norme semblable à celle de la décision correcte, dans le cadre duquel la Cour est appelée à décider si le processus ayant mené à la décision était juste et équitable envers le demandeur eu égard à l’ensemble des circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121 au para 54.

[17] Le demandeur conteste la décision de l’agent au motif qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale et que la décision est déraisonnable sur le fond, car l’agent n’a pas tenu compte de la réponse du 12 mars 2021 déposée par son avocat relativement à ses compétences linguistiques.

[18] Le défendeur soutient que l’agent a précisément demandé au demandeur de lui fournir ses résultats aux tests de l’IELTS ou du CELPIP comme preuve de sa maîtrise de l’anglais, mais que ce dernier ne les a pas fournis et a reconnu ne pas les avoir en sa possession. Le défendeur cherche à étayer la décision de l’agent en invoquant des éléments de preuve au dossier, à savoir des annonces du poste publiées sur Internet qui indiquent que la maîtrise de l’anglais est essentielle.

[19] Je conviens avec le demandeur que la décision doit être annulée.

[20] Au vu de la lettre du 29 octobre 2021, des notes consignées dans le SMGC et de l’ensemble du dossier, je suis convaincu que l’agent n’a pas tenu compte des observations du demandeur et de la preuve qu’il a présentée le 12 mars 2021. Comme l’a fait remarquer le demandeur, cette réponse à la lettre d’équité procédurale du 4 février 2021 ne figurait pas dans le dossier certifié du tribunal.

[21] La lettre d’équité procédurale exigeait que le demandeur fournisse non seulement ses résultats aux tests d’IELTS ou du CELPIP, mais également la preuve de ses compétences linguistiques en anglais. L’agent a fondé sa décision sur le défaut du demandeur de donner suite à la [traduction] « demande de fournir ses résultats aux tests linguistiques ». Dans ses notes, l’agent a indiqué que le demandeur « n’[avait] pas répondu », et la demande a été rejetée pour défaut de se conformer.

[22] En réalité, le demandeur a donné une réponse, assez détaillée, concernant les exigences linguistiques de ce poste en particulier et de sa capacité à y répondre. Il a présenté des éléments de preuve (y compris un affidavit sous serment de son employeur éventuel) étayés par les observations écrites de son avocat.

[23] En ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision sur le fond, l’agent devait, pour rendre une décision raisonnable, examiner la preuve et les observations présentées par le demandeur en réponse à la lettre d’équité procédurale : Vavilov, aux para 125‑128; Loi sur les Cours fédérales, art 18.1(4)d). Il ressort du dossier que la preuve déposée par le demandeur ne s’est tout simplement pas rendue à l’agent et que ce dernier ne l’a donc pas examinée avant de rendre la décision contestée.

[24] Le demandeur sollicite des dépens. L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, prévoit que la demande de contrôle judiciaire ne donne pas lieu à des dépens « [s]auf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales ».

[25] Je comprends que le demandeur souhaite obtenir des dépens, puisque deux décisions le visant ont été annulées et qu’il a dû déposer une demande de mandamus juste pour recevoir une copie de la décision rendue six mois plus tôt à l’issue du réexamen.

[26] Toutefois, pour que la Cour adjuge des dépens, le critère à satisfaire pour que les circonstances soient considérées comme des « raisons spéciales » est élevé : Radiyeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 FC 1234 au para 34; Oladele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1161 au para 5; Ndungu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 208 au para 7. En l’espèce, les circonstances ne satisfont pas au critère. Ni le défendeur ni l’agent n’ont inutilement ou de façon déraisonnable prolongé l’instance ou agi de manière inéquitable, oppressive ou inappropriée, ou de mauvaise foi.

[27] Bien qu’aucuns dépens ne soient adjugés, l’ordonnance de la Cour exigera que le réexamen ait lieu rapidement.

III. Conclusion

[28] La demande sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre décideur pour qu’une nouvelle décision soit rendue rapidement, sur la foi de l’ensemble de la preuve et des observations au dossier.

[29] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3329-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande est accueillie. La décision du 29 octobre 2021 est annulée, et la demande de permis de travail est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision rapidement.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3329-22

 

INTITULÉ :

SURJIT SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 janvier 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 mars 2023

COMPARUTIONS :

Harry Virk

POUR LE DEMANDEUR

 

Brett J. Nash

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Harry Virk

Liberty Law Corporation

Abbotsford (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Brett J. Nash

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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