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Date : 20230418


Dossier : IMM-5331-22

Référence : 2023 CF 563

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 avril 2023

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

HASSAN RIHAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Hassan Rihan sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a conclu qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Pour les motifs qui suivent, je conclus que M. Rihan n’a pas établi que la décision de la SAR est déraisonnable, et la présente demande doit donc être rejetée.

[2] La demande d’asile est fondée sur la crainte éprouvée par M. Rihan envers une famille de criminels notoires établie au Liban. M. Rihan a d’abord refusé de louer son appartement à un membre de cette famille. Toutefois, cette personne a soumis une autre offre de location sous un faux nom par l’entremise de son épouse et a ensuite proféré des menaces à l’encontre de M. Rihan lorsque celui-ci a découvert sa véritable identité. Confronté à ces menaces, ce dernier a loué l’appartement à la personne en août 2018. Lorsque la famille de M. Rihan a voulu récupérer l’appartement au terme du bail en 2019, la personne a refusé de quitter les lieux et a adressé des menaces contre M. Rihan et sa famille. Il n’a ensuite pas tenu compte des avis légaux envoyés par le frère de M. Rihan.

[3] M. Rihan reconnaît que le risque qu’il allègue n’a aucun lien avec un motif prévu à la Convention, mais prétend avoir la qualité de personne à protéger au titre de l’alinéa 97(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR.]. Une analyse effectuée sous le régime du paragraphe 97(1) de la LIPR fait intervenir un critère objectif à appliquer pour apprécier l’existence d’un risque actuel ou prospectif auquel serait exposé le demandeur d’asile : Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 99 au para 15.

[4] La SAR a conclu que M. Rihan n’était pas une personne qui avait la qualité de personne à protéger, car il n’avait pas démontré l’existence d’un risque prospectif advenant son retour au Liban. La SAR a conclu que la famille de criminels avait proféré des menaces uniquement lorsque la famille de M. Rihan avait tenté de récupérer pour lui son appartement, et que s’il y renonçait, elle ne serait pas encline à lui faire du tort. Par conséquent, il ne serait donc pas exposé à un risque. Tout en reconnaissant la perte financière qui en découlerait, la SAR a conclu qu’il s’agissait d’un choix raisonnable pour M. Rihan en vue de se soustraire au risque allégué, renvoyant à l’arrêt Sanchez au para 16.

[5] Pour avoir gain de cause dans le présent contrôle judiciaire, M. Rihan doit démontrer que la décision de la SAR était déraisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17, 23-25; Wei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1310 au para 9.

[6] L’argument principal de M. Rihan tient au fait que la SAR aurait apprécié d’une manière déraisonnable sa crainte que la famille de criminels soit toujours encline à lui faire du tort parce qu’elle a été humiliée par son refus initial de lui louer l’appartement. Malgré les arguments valables formulés par l’avocate, je ne suis pas convaincu que la décision de la SAR est déraisonnable.

[7] La SAR s’est penchée sur la prétention de M. Rihan selon laquelle il serait toujours exposé à un risque même s’il renonçait à l’appartement, du fait que la famille de criminels voudrait se venger de l’humiliation subie suivant le refus initial. La SAR a fait observer que, malgré un avis officiel envoyé en décembre 2019 et resté sans réponse, plus de deux années s’étaient écoulées depuis que M. Rihan avait eu des nouvelles de la famille de criminels. Tout en reconnaissant la nature criminelle de la famille, la SAR a relevé l’absence de contacts, l’absence d’éléments de preuve concernant l’état actuel de l’appartement et la question de savoir si la personne se trouvait même toujours dans le logement, et le fait que les menaces avaient été uniquement proférées quand la famille de M. Rihan avait tenté de reprendre l’appartement et à aucun autre moment entre la signature du bail et les tentatives de reprise du bien. La SAR a conclu que « l’existence de menaces dans le passé est intrinsèquement liée au fait que [M. Rihan], par le biais de son épouse, a tenté de récupérer son appartement ».

[8] Il était raisonnablement loisible à la SAR de tirer cette conclusion au vu de la preuve. Contrairement aux observations formulées par M. Rihan, je n’interprète pas les motifs de la SAR comme étant fondés sur des suppositions que la famille de criminels agirait de manière rationnelle. La SAR a plutôt examiné la preuve relative à la nature des menaces reçues de la part de la famille de criminels et a fait remarquer qu’elles étaient entièrement liées aux efforts déployés pour reprendre l’appartement, et non pas à une prétendue « humiliation » née du refus initial. La preuve factuelle mise à la disposition de la SAR par M. Rihan n’étayait pas sa crainte subjective que les agents de persécution chercheraient à le poursuivre du fait de l’humiliation alléguée. Dit autrement, bien que M. Rihan affirme que c’est [traduction] « le point de vue du persécuteur qui compte », aucun élément de preuve ne permet d’appuyer l’allégation voulant que le point de vue du persécuteur renferme une quelconque intention de faire du tort à M. Rihan ou à sa famille à cause du refus initial.

[9] M. Rihan renvoie à la conduite criminelle de la famille, y compris leur participation à d’autres meurtres, et signale qu’un demandeur d’asile peut produire une preuve concernant des personnes dont la situation est similaire à la sienne pour établir l’existence du risque : Josile c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 39 au para 22, citant Salibian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1990] 3 CF 250 aux pp 258-259. Toutefois, le fait que la famille soit généralement criminellement violente ne démontre pas que M. Rihan est personnellement exposé à un risque de leur part. En outre, les circonstances des autres meurtres ne sont aucunement rapportées d’une manière semblable à la querelle entourant la possession de l’appartement, ce qui fait qu’elles ne peuvent constituer la preuve du risque que M. Rihan courrait advenant son retour au Liban.

[10] Comme le relève à juste titre M. Rihan, on ne pouvait s’attendre à ce qu’il cite à comparaître le membre de la famille de criminels lui-même. C’est une réalité propre à l’ensemble des demandes d’asile : il est en effet rare que l’agent de persécution soit un témoin. Les demandeurs d’asile n’ont pas non plus à se mettre en péril pour recueillir des preuves. Toutefois, ces facteurs ne changent ni n’écartent l’exigence voulant qu’un demandeur d’asile produise des éléments de preuve qui établissent le fondement de sa demande, et ne permettent pas de conjecturer sur l’état d’esprit du persécuteur pour le substituer à la preuve du risque : voir, par exemple, Melaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 92 au para 46, citant Franco Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1006 aux para 24, 32–33.

[11] En l’espèce, M. Rihan n’a pas présenté de preuve étayant sa prétention selon laquelle la famille de criminels continuerait à vouloir lui causer du tort, même s’il renonçait à son appartement, du fait de l’humiliation apparente suivant le refus initial. En fait, la preuve quant aux menaces indiquait le contraire. Compte tenu de la preuve dont elle disposait et de la nature de la demande d’asile de M. Rihan, il n’était pas déraisonnable pour la SAR de conclure qu’il n’avait pas démontré l’existence d’un risque prospectif s’il retournait au Liban qui ferait de lui une personne à protéger.

[12] La conclusion de la SAR quant à l’absence de risque prospectif scellait le sort de l’appel dont elle était saisie, et le caractère raisonnable de cette conclusion permet de statuer sur la présente demande de contrôle judiciaire. Bien que M. Rihan ait soulevé des préoccupations quant aux conclusions de la SAR au regard de son défaut de demander l’asile aux États-Unis, je conviens avec les parties que ces conclusions n’ont pas de répercussions sur l’analyse relative au risque prospectif. Je n’ai donc pas besoin de me pencher sur les arguments des parties sur ce point.

[13] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Ni l’une ni l’autre partie n’a proposé de question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5331-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5331-22

 

INTITULÉ :

HASSAN RIHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 AVRIL 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 avril 2023

 

COMPARUTIONS :

Annabel E. Busbridge

POUR LE DEMANDEUR

 

Mario Blanchard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand Deslauriers avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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