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Date : 20230414


Dossier : T‑718‑22

Référence : 2023 CF 548

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2023

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

STEWART RICHARDSON

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] Le demandeur, Stewart Richardson, est un plaideur non représenté. Il se décrit comme un [traduction] « propriétaire d’entreprise légitime dont les affaires ont été grandement touchées par la COVID‑19 ». Il a présenté une demande de prestation canadienne de la relance économique (la PCRE) en vertu de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la LPCRE], qui a été adoptée pour soutenir la reprise économique du Canada en réponse à la pandémie de COVID‑19, et sa demande a été refusée. L’Agence du revenu du Canada (l’ARC) administre la PCRE au nom du ministre de l’Emploi et du Développement social. Le 6 avril 2022, après un troisième examen de l’admissibilité de M. Richardson, l’ARC a refusé sa demande de PCRE.

[2] M. Richardson demande maintenant à la Cour d’effectuer un contrôle judiciaire de cette décision finale de l’ARC, conformément au paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F–7. Plus précisément, il demande à la Cour d’établir qu’il est effectivement admissible aux prestations de la PCRE et qu’il devrait donc être en mesure de conserver les paiements de la PCRE qui lui ont déjà été versés entre octobre 2020 et mars 2021. Il demande également qu’il soit établi qu’il a droit aux prestations qui lui sont refusées depuis mars 2021.

[3] Pour les motifs qui suivent, j’accueille en partie sa demande de contrôle judiciaire. Je refuse de lui accorder la réparation demandée, à savoir une déclaration selon laquelle il est admissible à la PCRE. Je renvoie la question à l’ARC pour qu’elle procède à un nouvel examen.

II. Faits et décision faisant l’objet du contrôle

A. Premier examen et première décision de l’ARC

[4] Le demandeur a d’abord présenté une demande de PCRE pour 28 périodes de deux semaines, du 27 septembre 2020 au 23 octobre 2021. Après avoir effectué un examen vers le mois de juin 2021, afin de valider la demande de M. Richardson, l’ARC a conclu qu’il n’était pas admissible à la PCRE. L’ARC a conclu qu’il n’était pas admissible à la PCRE parce qu’il n’avait pas gagné au moins 5 000 $ de revenu d’emploi ou de revenu net d’un travail à son compte au cours de l’année d’imposition 2019, au cours de l’année d’imposition 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande. L’ARC a informé M. Richardson de sa décision (la première décision) dans une lettre datée du 24 juin 2021.

[5] M. Richardson n’était pas d’accord avec l’évaluation de l’ARC. À son avis, le revenu de 11 700 $ qu’il avait gagné dans le cadre du programme YWCA/Work BC, soit 3 600 $ pour l’année d’imposition 2019 et 8 100 $ pour l’année d’imposition 2020, a atteint et dépassé le seuil de revenu admissible de 5 000 $. À l’appui de l’évaluation de son admissibilité, M. Richardson a fourni à l’agent responsable de la révision les états de la rémunération (T4A) pour l’année d’imposition 2019 et l’année d’imposition 2020, ainsi qu’une lettre d’appui non datée et non signée d’un représentant du programme YWCA/Work BC. C’est grâce à ce programme que M. Richardson a reçu 11 700 $ en revenu. Je constate que les feuillets T4A fournis par le programme YWCA/Work BC pour l’année d’imposition 2019 et l’année d’imposition 2020 ne font état d’aucun revenu d’emploi ou revenu d’un travail à son compte, mais seulement des « autres revenus » dans la case 28; 3 600 $ pour l’année d’imposition 2019 et 8 100 $ pour l’année d’imposition 2020.

[6] Les dossiers fiscaux internes fournis par l’ARC indiquent que le demandeur a déclaré des gains de 972 $ sur un formulaire T4 et des revenus d’assurance‑emploi de 20 232 $ pour l’année d’imposition 2019. Les parties conviennent que l’assurance‑emploi n’est pas un « revenu admissible » aux fins de la LPCRE dans les circonstances.

B. Deuxième examen et décision de l’ARC

[7] Dans le cadre du deuxième examen, l’ARC a invité M. Richardson à présenter des documents supplémentaires pour démontrer sa rémunération et son admissibilité. M. Richardson a téléversé des documents supplémentaires sur le portail en ligne Mon dossier de l’ARC le 29 juin 2021. Le 2 septembre 2021, il a informé l’ARC qu’il avait des renseignements supplémentaires au sujet du revenu provenant de l’organisation YWCA/Work BC. Comme son deuxième examen n’avait pas encore eu lieu, l’ARC l’a invité à télécharger ces documents également.

[8] À plusieurs reprises, M. Richardson a appelé l’ARC pour s’informer de l’état de sa demande de PCRE. Un agent de l’ARC a même ajouté la mention [traduction] « appelant régulier » à son dossier. En communiquant avec l’ARC, M. Richardson a clairement indiqué qu’il [traduction] « vivait des moments difficiles » et qu’il avait besoin que la situation soit résolue. On lui a dit de communiquer avec la Section de la validation des prestations canadiennes d’urgence, et on l’a avisé que [traduction] « les délais de traitement ont été prolongés en raison des volumes actuels », qu’il n’y avait [traduction] « malheureusement pas de délai prescrit pour les deuxièmes examens » et qu’il devait essayer de [traduction] « rester patient ». Une telle réponse bureaucratique n’a pas rassuré M. Richardson.

[9] Lorsqu’il a effectué son évaluation, l’agent responsable du deuxième examen a tenu compte des documents internes de l’ARC, de la preuve déjà présentée ainsi que des nouveaux documents fournis par M. Richardson. Sans donner de précisions, l’agent responsable du deuxième examen a conclu que M. Richardson n’était pas admissible à la PCRE pour les mêmes motifs exposés par l’agent responsable de la première décision, à savoir parce que M. Richardson n’avait pas gagné au moins 5 000 $ de revenu d’emploi ou de revenu net d’un travail à son compte en 2019, en 2020, ou dans les 12 mois précédant la date de sa première demande. L’ARC a informé M. Richardson qu’il se verrait refuser des prestations pour toute période ultérieure à moins qu’il puisse fournir une preuve supplémentaire d’admissibilité. L’ARC a communiqué la deuxième décision à M. Richardson dans une lettre datée du 12 janvier 2022. L’ARC a également indiqué, dans cette même lettre, qu’il pourrait demander à la Cour un contrôle judiciaire de la décision.

C. Demande de contrôle judiciaire et avis de désistement

[10] Le 1er février 2022, M. Richardson a déposé une demande de contrôle judiciaire. Le défendeur a accepté de renvoyer l’affaire aux fins d’un « nouvel examen » en se fondant sur l’affirmation de M. Richardson selon laquelle il avait de nouveaux renseignements. M. Richardson, qui se représente toujours lui‑même, a déposé un avis de désistement le 15 février 2022.

D. Troisième examen et décision de l’ARC

[11] Après avoir examiné les observations écrites de M. Richardson et l’information dont elle disposait, l’agente responsable du troisième examen a conclu que M. Richardson n’était pas admissible à la PCRE pour essentiellement les mêmes motifs exposés par les deux premiers agents. L’agente responsable du troisième examen a fait remarquer que le problème découlait du fait que le revenu provenant de YWCA/Work BC déclaré à la case 028 (autres revenus) du feuillet T4A n’était pas un revenu « d’emploi ». Se fondant sur les renseignements fournis dans une lettre du directeur du programme YWCA/Work BC, l’agente responsable du troisième examen a conclu que ce « revenu » était pour les « frais de subsistance ». L’ARC a avisé M. Richardson de la troisième décision dans une lettre datée du 6 avril 2022. La lettre ne mentionnait pas le fait que la déclaration du revenu à la case 028 du feuillet T4A était le fondement de l’inadmissibilité de M. Richardson aux prestations de la PCRE. Au lieu de cela, la lettre de refus a encore une fois utilisé un langage générique comme suit :

[traduction]

Vous n’avez pas rempli les critères suivants :

– Vous n’avez pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôt) de revenu d’emploi ou de revenu net d’un travail à votre compte en 2019, en 2020 ou dans les 12 mois précédant la date de votre première demande.

[12] Immédiatement après avoir reçu le troisième refus, le demandeur a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision.

III. Dispositions législatives pertinentes

[13] Les dispositions législatives pertinentes sont les paragraphes 3(1) et 3(2) de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la LPCRE], énoncés ci‑dessous :

Admissibilité

3(1) Est admissible à la prestation canadienne de relance économique, à l’égard de toute période de deux semaines comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 23 octobre 2021, la personne qui remplit les conditions suivantes :

Eligibility

3(1) A person is eligible for a Canada recovery benefit for any two‑week period falling within the period beginning on September 27, 2020 and ending on October 23, 2021 if

 

[…]

d) dans le cas d’une demande présentée en vertu de l’article 4 à l’égard d’une période de deux semaines qui débute en 2020, ses revenus provenant des sources ci‑après, pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente sa demande, s’élevaient à au moins cinq mille dollars :

(d) in the case of an application made under section 4 in respect of a two‑week period beginning in 2020, they had, for 2019 or in the 12‑month period preceding the day on which they make the application, a total income of at least $5,000 from the following sources:

(i) un emploi,

(i) employment

(ii) un travail qu’elle exécute pour son compte,

(ii) self‑employment

(iii) des prestations qui lui sont payées au titre de l’un des paragraphes 22(1), 23(1), 152.04(1) et 152.05(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi,

(iii) benefits paid to the person under any of subsections 22(1), 23(1), 152.04(1) and 152.05(1) of the Employment Insurance Act,

(iv) des allocations, prestations ou autres sommes qui lui sont payées, en vertu d’un régime provincial, en cas de grossesse ou de soins à donner par elle à son ou ses nouveau‑nés ou à un ou plusieurs enfants placés chez elle en vue de leur adoption,

(iv) allowances, money or other benefits paid to the person under a provincial plan because of pregnancy or in respect of the, care by the person of one or more of their new‑born children or one or more children placed with them for the purpose of adoption, and

(v) une autre source de revenu prévue par règlement;

(v) any other source of income that is prescribed by regulation;

e) dans le cas d’une demande présentée en vertu de l’article 4, par une personne qui n’est pas visée à l’alinéa e.1), à l’égard d’une période de deux semaines qui débute en 2021, ses revenus provenant des sources mentionnées aux sous‑alinéas d)(i) à (v) pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente sa demande s’élevaient à au moins cinq mille dollars;

e) in the case of an application made under section 4 by a person other than a person referred to in paragraph (e.1) in respect of a two‑week period beginning in 2021, they had, for 2019 or for 2020 or in the 12‑ month period preceding the day on which they make the application, a total income of at least $5,000 from the sources referred to in subparagraphs (d)(i) to (v);

[…]

Revenu – travail à son compte

Income from self‑employment

(2) Le revenu visé aux alinéas (1)d) à f) de la personne qui exécute un travail pour son compte est son revenu moins les dépenses engagées pour le gagner.

(2) For the purpose of paragraphs (1)(d) to (f), income from self‑employment is revenue from the self‑employment less expenses incurred to earn that revenue.

IV. Questions en litige

[14] La présente affaire soulève les questions suivantes :

A. L’agente de l’ARC responsable du troisième examen a‑t‑elle enfreint les exigences d’équité procédurale en omettant d’informer le demandeur de la preuve à réfuter pour prouver son admissibilité à la PCRE?

B. La décision de l’agente responsable du troisième examen était‑elle déraisonnable en raison d’un manque de transparence et de justification?

V. Norme de contrôle

[15] Lorsqu’on examine la question de l’équité procédurale, la norme de la décision correcte reflète particulièrement bien la norme de contrôle (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général) 2018 CAF 69 aux para 54 à 56). Comme le juge Gleeson l’a récemment écrit dans Khansari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 17, au paragraphe 11 : [traduction] « Lorsqu’elle examine la question de l’équité, la cour de révision doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances. L’accent est mis sur la nature des droits concernés et les conséquences pour les parties touchées. En fin de compte, la cour de révision doit se demander si une partie connaissait la preuve à réfuter et si elle a eu possibilité complète et équitable d’y répondre. »

[16] La norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer au contrôle d’une décision administrative au fond (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23). Aucune des exceptions à la norme présumée ne s’applique en l’espèce (Vavilov, aux para 17 et 25). La question est de savoir si le raisonnement du décideur administratif et le résultat de la décision sont fondés sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles (Vavilov, au para 85). Avant de pouvoir infirmer une décision, la cour de révision doit être convaincue que la décision souffre de lacunes suffisamment graves; ainsi, des lacunes superficielles ou accessoires ne suffiront pas à infirmer la décision (Vavilov, au para 100). Il est important de noter qu’une cour de révision doit examiner la décision dans son ensemble et s’abstenir de procéder à une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (Vavilov, aux para 85 et 102).

VI. Analyse

A. L’agente de l’ARC responsable du troisième examen a‑t‑elle enfreint les exigences d’équité procédurale en omettant d’informer le demandeur de la preuve à réfuter pour prouver son admissibilité à la PCRE ?

[17] Le demandeur ne présente aucune observation concernant la question de l’équité procédurale, sauf pour dire qu’il [traduction] « incombe à l’organisme subventionnaire (le gouvernement fédéral) d’approuver ou de ne pas approuver les prestations au moment de la demande, d’obtenir les documents nécessaires et ainsi de suite avant d’effectuer un seul paiement de la PCRE ».

[18] Le défendeur soutient que l’agente responsable du troisième examen a rendu sa décision de façon équitable sur le plan de la procédure et après un examen attentif des documents fournis par M. Richardson. Le défendeur soutient que M. Richardson a eu la possibilité d’être entendu, qu’il connaissait la preuve à réfuter et qu’il a eu de multiples occasions de fournir d’autres documents à l’appui de sa demande.

[19] Les notes internes de l’ARC montrent que la principale question portait sur le revenu que M. Richardson a reçu de l’organisation YWCA/Work BC. Dans sa tentative de clarifier la nature des paiements, M. Richardson a présenté une lettre du directeur du programme YWCA/Work BC. Cette lettre, résumée comme suit, indiquait que :

a) M. Richardson était parrainé par l’organisation YWCA/Work BC;

b) YWCA/Work BC avait avec lui une [traduction] « entente de travail autonome »;

c) Les paiements effectués concernaient ses frais de subsistance;

d) Les paiements étaient conditionnels à la participation active de M. Richardson au programme;

e) M. Richardson a terminé le programme avec succès en septembre 2020.

[20] M. Richardson a également soumis des dossiers bancaires, dans lesquels tous les montants reçus du YWCA étaient indiqués sous la mention [traduction] « DÉPÔT DE PAIE — YWCA, METRO VAN ».

[21] Il est bien connu en droit que l’obligation d’équité procédurale comprend le droit d’être entendu. Comme l’arrêt Vavilov nous le rappelle, la notion de motifs adaptés aux questions et préoccupations soulevées est inextricablement liée à ce principe étant donné que les motifs sont le principal mécanisme par lequel le décideur démontre qu’il a effectivement écouté les parties (Vavilov, au para 127 [en italique dans l’original], citant Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 au para 28).

[22] Les motifs donnés à M. Richardson dans chaque lettre de refus qu’il a reçue de l’ARC étaient qu’il n’était pas admissible parce qu’il n’avait pas gagné au moins 5 000 $ de revenu d’emploi ou de revenu net d’un travail à son compte en 2019, en 2020 ou dans les 12 mois précédant la date de sa première demande. Pourtant, M. Richardson a remis à l’ARC une lettre de son employeur, dans laquelle il est déclaré qu’il avait une entente de travail autonome avec l’employeur, qu’il devait participer activement au programme pour recevoir ces fonds et qu’il avait terminé le programme. De plus, ses relevés bancaires montraient des dépôts réguliers effectués par le programme YWCA/Work BC, déclarés comme un « dépôt de paie ». À mon avis, il était compréhensible que M. Richardson conclue que le terme [traduction] « paie » est synonyme de [traduction] « rémunération et salaires » et/ou de [traduction] « revenu ».

[23] Compte tenu de ce qui précède, il est compréhensible que M. Richardson n’ait pas reculé après avoir été informé à trois reprises qu’il ne satisfaisait pas aux exigences relatives au revenu d’emploi ou au revenu net d’un travail à son compte d’au moins 5 000 $ en 2019 et en 2020 ou dans les 12 mois précédant la date de sa demande.

[24] À mon avis, l’obligation pour l’ARC d’expliquer un refus de prestations est beaucoup plus élevée que l’obligation, le cas échéant, d’expliquer pourquoi une personne est admissible aux prestations. Une explication du « pourquoi » est clairement requise dans le premier cas. En ne répondant pas aux documents supplémentaires déposés par M. Richardson, l’ARC a démontré qu’elle ne l’a pas écouté. Par conséquent, M. Richardson ne pouvait pas connaître la preuve qu’il devait réfuter.

[25] L’omission de l’ARC d’informer M. Richardson qu’il n’était pas admissible, parce que son revenu était indiqué dans la case 028 du formulaire T4A, l’a nettement désavantagé. Il incombait à l’ARC de communiquer par écrit les motifs de l’exclusion du revenu de la case 028 T4A du calcul des prestations. Cela aurait permis à M. Richardson de vérifier si ceux qui ont rempli le formulaire avaient fait une entrée erronée. Il ne pouvait pas faire une telle vérification sans connaître la nature des préoccupations de l’ARC.

[26] De plus, je souligne que l’ARC a mis à la disposition du grand public une publication intitulée « Guide de la Charte des droits du contribuable : Pour comprendre vos droits en tant que contribuable », RC17(F) Rév 22. Cette publication décrit seize droits et s’appuie sur les valeurs organisationnelles de l’ARC que sont le professionnalisme, le respect, l’intégrité et la collaboration. Le document décrit également le traitement auquel les contribuables ont droit lorsqu’ils interagissent avec l’ARC.

[27] Le droit no 6 est le droit à « des renseignements complets, exacts, clairs et opportuns ». Il est déclaré, dans la publication : « Vous pouvez vous attendre à recevoir des renseignements complets et exacts, en temps opportun, qui expliquent dans un langage simple les lois et les politiques qui s’appliquent à votre situation. » L’ARC n’a jamais expliqué clairement à M. Richardson les lois et les politiques qui s’appliquaient à lui. Malgré tous les efforts qu’il a déployés pour fournir à l’ARC les renseignements dont elle avait besoin pour bien évaluer sa demande, chaque lettre de refus qu’il a reçue et chaque communication téléphonique qu’il a eue avec des agents de l’ARC indiquaient simplement qu’il n’avait pas établi des revenus de 5 000 $ pour les périodes pertinentes. En l’absence d’une réponse satisfaisante de la part de l’ARC indiquant les lacunes de ses documents, M. Richardson n’a pas été en mesure de rassembler les renseignements demandés par l’ARC.

[28] En résumé, je suis convaincu que le droit de M. Richardson d’être entendu comprenait l’obligation pour l’ARC de l’informer des facteurs d’inadmissibilité (exclusion du revenu d’emploi/travail à son compte de la case 028 du feuillet T4A) qui auraient une incidence sur l’issue de sa demande de PCRE. Cela n’a pas été fait. Par sa propre conduite et ses propres motifs, l’ARC a refusé à M. Richardson la possibilité de connaître la preuve à réfuter et, par conséquent, la possibilité de rassembler les éléments de preuve que les responsables de la PCRE s’attendaient à ce qu’il fournisse. M. Richardson s’est vu refuser le droit d’être entendu par les personnes mêmes qui devaient décider de son avenir.

B. La décision de l’agente responsable du troisième examen était‑elle raisonnable?

[29] M. Richardson ne présente aucune observation concernant le concept contemporain du caractère raisonnable tel qu’il est défini dans la jurisprudence citée précédemment. Cela dit, il soutient qu’il est propriétaire d’entreprise et que le revenu qu’il a reçu du programme YWCA/Work BC le rend admissible à la PCRE. Il soutient que cela répond aux exigences nécessaires pour être admissible à la PCRE d’un revenu d’emploi ou d’un revenu net de travail à son compte d’au moins 5 000 $ en 2019 et en 2020 ou dans les 12 mois précédant la date de sa demande. M. Richardson ne nie pas que le revenu qu’il a reçu était inclus dans la case 028 de ses feuillets T4A. Cependant, il croit que le revenu qu’il a reçu et déposé dans son compte sous le titre de « paie » est admissible à titre de revenu conformément aux exigences en matière de revenu en vertu de la LPCRE.

[30] Le défendeur soutient que la décision contestée ne devrait pas être modifiée, car elle satisfait à la norme de la décision raisonnable applicable. Le défendeur soutient que le demandeur n’est tout simplement pas d’accord avec les critères d’admissibilité énoncés dans la LPCRE.

[31] Compte tenu de ma conclusion concernant le droit d’être entendu, il est inutile de traiter de la question du caractère raisonnable. Toutefois, si je me trompe dans mon évaluation de la question de l’équité procédurale, je ne suis pas convaincu que la décision satisfait au critère du caractère raisonnable. Les principes de la justification et de la transparence, qui sont deux des éléments fondamentaux d’une décision raisonnable, exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties (Vavilov, au para 127). Comme il a été mentionné précédemment, l’agent n’a pas fourni de motifs pour lesquels le revenu déclaré dans la case 028 du feuillet T4A de M. Richardson ne répondait pas aux critères d’admissibilité.

[32] Un énoncé général qui dispose qu’une personne ne répond pas aux critères d’admissibilité à la PCRE parce qu’elle [traduction] « n’a pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôt) de revenu d’emploi ou de revenu net d’un travail à son compte en 2019, en 2020 ou dans les 12 mois précédant la date de [la] première demande » est une justification insuffisante à l’ère post‑Vavilov. Cela est encore plus important compte tenu de l’affirmation de M. Richardson, étayée par au moins quelques éléments de preuve, selon laquelle ses gains constituaient un revenu, ce qui correspond à la définition. Il semble que l’ARC n’ait jamais sérieusement examiné la possibilité que l’entrée dans la case 028 du feuillet T4A soit erronée. Bien qu’il ne soit pas du devoir de l’ARC de corriger une telle erreur, il lui incombe de fournir, au moyen de ses motifs, des renseignements adéquats pour permettre à M. Richardson de poser les questions nécessaires. Compte tenu des arguments avancés par M. Richardson, l’ARC ne pouvait, à mon avis, se fier aveuglément à l’exactitude des formulaires remplis par une autre partie que M. Richardson. À tout le moins, les motifs de l’ARC auraient dû tenir compte de ses prétentions et auraient dû être suffisamment clairs pour permettre à M. Richardson d’enquêter auprès de son employeur pour savoir si une erreur avait été commise. Il arrive que les gens puissent cocher les mauvaises cases. Des erreurs se produisent.

VII. Conclusion

[33] À mon avis, l’approche de l’ARC à l’égard des préoccupations de M. Richardson manquait d’équité procédurale. De plus, la décision est déraisonnable compte tenu de son manque de transparence et de justification. Par conséquent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire à l’ARC aux fins de nouvel examen. Des dépens de 3 000 $ seront également accordés en faveur de M. Richardson. J’estime que 3 000 $ est un montant minimal, dans les circonstances, compte tenu de la nature prolongée de ces procédures et des efforts considérables déployés par M. Richardson pour obtenir réparation.


JUGEMENT dans le dossier T‑718‑22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent de l’ARC pour nouvel examen.

  2. Les dépens sont payables par le défendeur au demandeur, d’un montant de 3 000 $, taxes et débours compris.

« B. Richard Bell »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T‑718‑22

 

INTITULÉ :

STEWART RICHARDSON c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 NOVEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 AVRIL 2023

 

COMPARUTIONS :

Stewart Richardson

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Zakiyya Karbani

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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