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Date : 20050425

Dossier : T-697-02

Référence : 2005 CF 561

Montréal (Québec), le 25 avril 2005

Présent :          ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

ENTRE :

                                                        OSMOSE-PENTOX INC.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                                    SOCIÉTÉ LAURENTIDE INC.

                                                                             

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La Cour est saisie d'une requête écrite de la demanderesse afin que soient tranchées en sa faveur une série d'objections (en fait, près de 92 objections) formulées par la défenderesse lors de l'interrogatoire au préalable du représentant de la défenderesse, M. André Buisson; interrogatoire tenu le 10 janvier 2005.


Contexte

[2]                Cette requête survient dans le cadre d'un litige en propriété intellectuelle où, plus spécialement et de façon essentielle, la demanderesse reproche à la défenderesse à divers titres d'avoir usurpé ses droits dans l'emploi de la marque de commerce « Conservator » .

[3]                Ce litige a à ce jour donné lieu à de nombreux soubresauts devant la Cour, ce qui est malheureux en soi pour la situation financière des deux parties qui ne souhaitent, espérons-le, que voir aboutir ledit litige. En ce sens, la juge Gauthier de notre Cour, dans une décision datée du 21 février 2003, rappelait aux parties que l'on devait s'attendre à une « ... poursuite diligente et harmonieuse de l'instance » .

[4]                Le 16 juillet 2003, je faisais droit en partie à une requête de la demanderesse et j'ordonnais alors à la défenderesse d'amender son affidavit de documents afin qu'il y soit listé une série de documents d'ordre financier pour les années 1998 à 2003 relatifs à tous les produits de la défenderesse sur lesquels sont écrits les mots « Conservator » et « Conservateur » (ci-après les produits en litige). Je reconnaissais par là que la demanderesse avait un droit légitime à établir raisonnablement les ventes, profits et part de marché de la défenderesse. Je notais alors également que la demanderesse pourrait également tenir un interrogatoire au préalable. Je rejetais par ailleurs les autres remèdes recherchés par la demanderesse.

[5]                Il est à noter au passage que dans cette décision du 16 juillet 2003, je reprochais à la défenderesse d'avoir déposé à l'encontre de la requête de la demanderesse un dossier de réponse déficient en ce que ce dernier ne contenait pas, entre autres, un affidavit soutenant la trame factuelle que la défenderesse cherchait à faire valoir dans ses représentations écrites.

[6]                Pour revenir à la demanderesse, vu que sa requête n'était néanmoins accueillie qu'en partie, elle se pourvut en appel. Dans une décision datée du 5 septembre 2003, le juge Blais rejeta l'appel (référence 2003 CF 1036). Il nota toutefois en faveur de la demanderesse ce qui suit au paragraphe 10 de ses motifs :

[10]          Le protonotaire prend également acte qu'il y aura un interrogatoire préalable, ce qui l'a amené, tout comme moi, à conclure que d'autres informations et éclaircissements pourront découler dudit interrogatoire et même éventuellement conduire au dépôt de d'autres documents, si nécessaire, qui pourraient amener une preuve plus complète devant le tribunal.

[7]                La demanderesse porta cette décision en appel devant la Cour d'appel fédérale. Le 20 septembre 2004 la Cour d'appel rejeta l'appel (référence 2004 CAF 308) mais nota en faveur de la demanderesse ce qui suit aux paragraphes 2 et 3 de ses motifs :

[2]            Nous sommes d'accord avec les prétentions de l'appelante [la demanderesse] selon lesquelles les documents pertinents à la question du calcul des profits doivent être communiqués [...].

[3]            Si, au cours de l'interrogatoire, il ressort qu'il existe d'autres documents qui sont pertinents aux questions en litige, ces documents font tout autant l'objet de l'obligation de divulgation que ceux déjà divulgués. Cette communication tardive ouvre la porte à un interrogatoire supplémentaire.

[8]                Il est donc clair que de tout temps, cette Cour ainsi que la Cour d'appel fédérale ont tenu que la demanderesse pourrait tenir un interrogatoire au préalable complet de la défenderesse à l'égard de l'étendue ou l'ampleur de la contrefaçon alléguée par la demanderesse en raison des produits en litige.

Analyse

[9]                On doit mentionner au départ qu'une question mérite réponse en interrogatoire au préalable si elle est pertinente aux points qui sont en litige entre les parties, c'est-à-dire si elle est susceptible d'aider, directement ou indirectement, la cause de l'une des parties ou de nuire à la cause de l'autre (voir Sydney Steel Corp. c. Omisalj (Le), [1992] 2 C.F. 193, 197-198).

[10]            De plus, il est à préciser quant aux remèdes recherchés par la demanderesse, advenant qu'elle ait raison au mérite sur l'aspect responsabilité, qu'elle semble pencher pour l'octroi des profits qu'aurait pu réaliser la défenderesse (voir à cet effet le paragraphe 70 des représentations écrites de la demanderesse à son dossier de requête). Or, en matière de propriété intellectuelle, on a reconnu que pour mener à terme l'établissement des profits d'une partie, plusieurs données financières d'une entreprise doivent être regardées. (Voir Teledyne Industries, Inc. v. Lido Industrial Products Ltd. (1982), 68 C.P.R. (2d) 56; Diversified Products Corp. v. Tye-Sil Corp. (1990), 32 C.P.R. (3d) 385.) Dans l'arrêt Depuy (Canada) Ltd. v. Joint Medical Products Corp. (1996), 67 C.P.R. (3d) 145, la Cour d'appel fédérale indiquait en pages 146-147 :


We are also of the view that had the motions judge correctly instructed himself in the law he would have granted the order sought. This is a patent infringement action in which the defence and counterclaim raise serious issues of validity. The plaintiffs reserve the right to seek an accounting of profits with the result that, if severance is not ordered, discovery will necessarily range across the whole of the defendants' business and not be limited to the single allegedly infringing item.

[Non souligné dans l'original.]

[11]            Il est à noter ici que par sa décision du 21 février 2003, la juge Gauthier rejetait une requête de la défenderesse sous la règle 107 des Règles de la Cour fédérale (1998), maintenant les Règles des Cours fédérales (les règles) pour que l'évaluation des dommages fasse l'objet d'un renvoi subséquent. En conséquence les propos du paragraphe 10 ci-dessus demeurent pleinement applicables. D'autre part, tel que noté dans l'arrêt Kun Shoulder Rest Inc. v. Kun (Joseph) Violin and Bow Maker et al. (1997), 137 F.T.R. 163 (l'arrêt Kun), en page 166, paragraphe 6 :

[60            [...] I ruled that, in general, questions bearing on intent were proper in this instance in that they could go to the type of damages to be awarded.

[12]            Enfin, la défenderesse soulève à plusieurs reprises dans ses représentations écrites l'arrêt Kun pour soutenir qu'elle n'a pas à répondre à certaines questions factuelles. Je pense que la demanderesse fait là une application erronée de cet arrêt. L'arrêt Kun cherche simplement à énoncer qu'en interrogatoire au préalable on ne peut référer un témoin à un allégué contenu à une plaidoirie et lui demander de lister les faits qu'il entend prouver pour établir en preuve cet allégué. C'est en ce sens qu'il faut comprendre les propos de mon confrère Hargrave lorsqu'il énonce au paragraphe 16 de ses motifs dans Kun :


[16]          It is proper to ask a discovery witness to speak of all the facts, surrounding a certain incident, of which the witness either knows or must properly inform himself or herself about. It is never permissible to ask a discovery witness as to the facts relied upon in support of a certain allegation, for this requires the witness to choose facts and disclose how his lawyer might prove a given allegation. While a witness may know the general approach that his or her lawyer intends to take, a witness cannot know what facts will assist until he or she knows the law. The particular facts that will be relied upon is based upon counsel's view of the law. An examination for discovery of a witness seeks to discover fact, not argument as to what is relevant in order to prove a given plea.

[13]            Par ailleurs, deux points sont à souligner avant de passer à l'adjudication des objections soulevées par la défenderesse.

[14]            Premièrement, la défenderesse cherche dans ses représentations écrites contenues à son dossier de réponse à faire valoir une myriade de doléances factuelles militant en faveur du rejet total ou partiel de la requête de la demanderesse. Toutefois, son dossier de réponse, une fois de plus et tel que c'était le cas pour les fins de mon ordonnance du 16 juillet 2003 (voir paragraphe 5, supra), n'est supporté que par un affidavit très peu détaillé et qui ne supporte en rien les faits qui auraient pu amener cette Cour à limiter davantage l'interrogatoire au préalable du représentant de la défenderesse. Ce n'est certes pas par le biais d'une demande de la défenderesse à l'effet qu'elle soit dispensée de respecter les règles de cette Cour qu'elle peut espérer ne pas avoir à produire un affidavit valable.


[15]            Deuxièmement, la défenderesse a requis que cette Cour ne dispose pas de la requête de la demanderesse sur la base des représentations écrites des parties mais procède plutôt en sus à une audition en personne de ladite requête. Toutefois aucune des raisons soulevées par la défenderesse ne justifie à mes yeux que la Cour ne puisse pas procéder seulement sur la base des dossiers écrits des parties. En conséquence cette demande d'audition de la défenderesse est rejetée.

[16]            Il y a donc lieu maintenant de passer à l'adjudication des objections ou engagements en litige (ci-après les questions). Vu le grand nombre de questions toujours en plan, la demanderesse a cherché, selon la pratique bien établie de cette Cour, à regrouper lesdites questions en quelque dix catégories. Nous chercherons en autant que faire se peut à nous limiter à ces grandes catégories. Cela sera parfois difficile vu que la défenderesse s'est attardée à chaque question individuelle sans faire véritablement de cas de cette catégorisation par la demanderesse. Ceci est malheureux et ne facilite en rien le travail de la Cour.

Catégorie A

[17]            Sept (7) questions ou engagements se retrouvent sous cette catégorie. À mon sens, ils devront tous recevoir une réponse puisqu'ils portent sur des déclarations passées et présentes de M. Buisson et touchent directement ou indirectement le coeur du litige, soit l'ampleur en termes monétaires de la contrefaçon alléguée.


Catégorie B

[18]            Trois (3) questions ou engagements se retrouvent sous cette catégorie. Pour éviter tout débordement ou interrogatoire d'une personne autre que M. Buisson, ces trois questions n'auront pas à être répondues tel que formulées.Toutefois, la demanderesse devra fournir les statistiques et commandes auxquelles le planificateur se serait référé, et ce, en autant que les produits en litige sont concernés.

Catégorie C

[19]            Je dénombre six (6) questions sous cette catégorie. Ces questions devront recevoir une réponse mais en autant que les produits en litige sont concernés.

Catégorie D

[20]            Quatre (4) questions ou engagements se retrouvent ici. Pour les motifs exprimés par la demanderesse sous cette catégorie, ces quatre (4) questions devront recevoir une réponse.

Catégorie E

[21]            Je dénombre neuf (9) questions ici. Je conçois que la demanderesse puisse rechercher la valeur ajoutée par l'utilisation du mot « Conservator » sur l'étiquette. Toutefois, en termes de pertinence et pour ne pas tomber dans une expédition de pêche, la défenderesse n'aura à répondre qu'aux questions 157, 167 et E-12.

Catégorie F

[22]            Onze (11) questions ou engagements se retrouvent sous cette catégorie qui cherche à connaître les motifs ou raisons à l'origine de la décision de mettre le mot « Conservator » sur l'étiquette des produits en litige. L'intention de la défenderesse est donc soulevée ici. Je considère que c'est de bon aloi pour la demanderesse de procéder ainsi puisqu'en principe cela peut affecter l'ampleur des dommages. Ces questions devront donc recevoir réponse. Toutefois la question 287 et les engagements E-18 et E-20 seront limités aux produits en litige.

Catégorie G

[23]            Les huit (8) questions ou engagements sous cette catégorie devront recevoir une réponse face aux motifs soulevés par la demanderesse.


Catégorie H

[24]            Les trois (3) engagements sous cette catégorie devront recevoir réponse.

Catégorie I

[25]            Vingt (20) questions ou engagements se retrouvent sous cette catégorie.

[26]            La question 615 appert rechercher une opinion d'expert. Elle n'aura pas à recevoir une réponse.

[27]            Les autres questions qui visent directement ou indirectement les rapports ou statistiques de production, inventaire et ventes devront recevoir une réponse mais en autant qu'elles concernent les produits en litige et en autant que les données ou documents existent.

Catégorie J

[28]            Vingt-trois (23) questions sont en litige ici.

[29]            La questions 572 devra recevoir réponse quant aux produits en litige seulement.

[30]            Les questions 732, 776 et 800 n'ont pas à recevoir réponse.

[31]            Les autres questions ou engagements sous cette catégorie devront recevoir une réponse mais en autant que les produits en litige sont concernés.

Conclusion

[32]            Ainsi donc, la Cour ordonne à M. André Buisson de comparaître à nouveau, à ses propres frais, au lieu et place à Montréal à être convenu entre les parties, ou, si les parties ne peuvent s'entendre, à un lieu et place que la demanderesse déterminera lors de la signification d'une mise en demeure de comparaître à M. André Buisson afin que ce dernier réponde aux questions qui doivent de par les présents motifs recevoir une réponse ainsi qu'à toute question additionnelle découlant de ces questions. À tout événement cette poursuite d'interrogatoire devra se tenir et être complétée le ou avant le 25 mai 2005.


[33]            Dans le but de faciliter et de hâter le déroulement de ce dossier et bien que la Cour reconnaisse que le dossier de réponse de la défenderesse soit plus que déficient à cet égard, la Cour autorise néanmoins la défenderesse lors d'une réponse à être produite aux termes de l'exercice décrit au paragraphe 32 à désigner, si cela est raisonnable, toute réponse comme étant la production entre les mains de la demanderesse d'informations commerciales confidentielles. Si tel est le cas, alors seuls un expert extérieur à la demanderesse ainsi qu'un avocat inscrit au dossier et un avocat participant à l'instance qui ne sont pas des parties pourront avoir accès à une telle réponse.

[34]            Quant à tout échéancier futur, les procureurs de chaque partie devront, dans les vingt (20) jours du complément d'interrogatoire de M. Buisson, soumettre à la Cour - de façon conjointe dans la très grande mesure du possible - un échéancier sous forme de projet d'ordonnance qui visera les mesures à entreprendre subséquemment dans l'instance. Tout échéancier proposé par les parties devra se limiter aux mesures essentielles àentreprendre et faire preuve d'un grand souci de célérité.

[35]            La demanderesse se voit accorder les dépens sur la présente requête.

Richard Morneau

protonotaire


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

INTITULÉ :


T-697-02

OSMOSE-PENTOX INC.

                                                               demanderesse

et

SOCIÉTÉ LAURENTIDE INC.

                                                                défenderesse


REQUÊTE ÉCRITE TRAITÉE À MONTRÉAL SANS COMPARUTION DES PARTIES


MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS :                                   25 avril 2005

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :


Me Claudette Dagenais

POUR LA DEMANDERESSE

Me Patrick Goudreau

POUR LA DÉFENDERESSE


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


Dagenais & Associés

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

Dunton Rainville

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE


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