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Date : 20220629


Dossier : T-6-20

Référence : 2022 CF 971

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2022

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

ACTIAL FARMACEUTICA SRL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

I. L’aperçu

[1] VSL#3MD [VSL] est un probiotique censé favoriser la santé intestinale. Le site Web de Ferring Inc [Ferring], ancien distributeur et vendeur du produit au Canada, décrivait VSL comme un [traduction] « supplément alimentaire contenant une combinaison unique de 8 souches de bactéries vivantes qui colonisent l’intestin, à une concentration de 450 milliards de bactéries par sachet ».

[2] Selon les articles et les communiqués de presse déposés dans le cadre de la présente instance, VSL a été inventé par le professeur Claudio De Simone. Au départ, le produit était distribué conformément à un accord commercial conclu entre M. De Simone et VSL Pharmaceuticals Inc. Cependant, la relation a mal tourné, et M. De Simone a par la suite accusé ses anciens partenaires de produire une copie contrefaite de sa formule originale et de la vendre sous le même nom commercial, soit VSL#3MD. La situation a donné lieu à un long litige d’envergure internationale.

[3] Le 9 novembre 2018, une demande a été présentée au ministre de la Santé [le ministre] en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, LRC (1985), c A-1 [la LAI] en vue d’obtenir [traduction] « tous renseignements concernant un arrêt des ventes et un rappel ou toute activité liée à la conformité et à l’application de la loi concernant le NPN 80037590 et le NPN 80042116 dont les licences ont été délivrées à Ferring Inc » pour la période du 1er janvier 2018 à la date de la demande. Le NPN 80037590 [NPN 590] et le NPN 80042116 [NPN 116] correspondent aux licences délivrées par Santé Canada à Ferring pour la distribution et la vente de VSL au Canada.

[4] La Direction générale des opérations réglementaires et de l’application de la loi de Santé Canada a fourni les documents à la Division de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels [la Division de l’AIPRP], soulignant que plusieurs avaient été fournis à Santé Canada par Ferring.

[5] La Division de l’AIPRP a informé Ferring de la demande d’accès le 1er octobre 2019 et elle lui a offert la possibilité de présenter des observations écrites concernant l’application du paragraphe 20(1) de la LAI. Selon cette disposition, le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des secrets industriels de tiers; des renseignements de nature confidentielle fournis par ce tiers; et des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer un préjudice financier au tiers ou d’entraver des négociations qu’il mènerait en vue de contrats ou à d’autres fins.

[6] À l’insu de Santé Canada, Ferring a transmis la lettre datée du 1er octobre 2019 à Actial Farmaceutica srl [Actial], une société établie à Rome, en Italie. Actial est la société mère de VSL Pharmaceuticals Inc, le fournisseur de VSL commercialisé par Ferring au Canada.

[7] Entre les mois d’octobre et de décembre 2019, la Division de l’AIPRP a communiqué avec Ferring au sujet de la demande d’accès. Ferring a demandé à ce que certains renseignements contenus dans les documents à communiquer soient caviardés, affirmant qu’il s’agissait de secrets industriels et de renseignements commerciaux de nature délicate.

[8] Le 16 décembre 2019, la Division de l’AIPRP a donné avis de sa décision à Ferring aux termes de l’article 28 de la LAI, et lui a transmis 140 pages de documents à communiquer [les documents à communiquer]. La plupart des caviardages demandés par Ferring ont été appliqués dans les documents à communiquer.

[9] Actial sollicite le contrôle judiciaire de la décision du ministre de communiquer certains renseignements contenus dans les documents à communiquer. Les renseignements en cause figurent dans deux documents : |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, et une lettre datée du 30 juillet 2018 imprimée sur le papier à en-tête d’Actial et intitulée [traduction] « Lettre d’accompagnement |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| » [la lettre d’accompagnement]. Actial demande que ces documents soient entièrement soustraits à la communication ou, subsidiairement, que d’autres passages soient caviardés au motif qu’ils révèlent des secrets industriels ou des renseignements commerciaux de nature délicate.

[10] Pour les motifs exposés ci-après, je ne suis pas convaincu qu’Actial est un « tiers » habilité à exercer un recours en révision en vertu du paragraphe 44(1) de la LAI. Quoi qu’il en soit, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée, car Actial ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que les renseignements en cause devaient être soustraits à la communication.

II. Le contexte

[11] Le 19 novembre 2012, le ministre a délivré à Ferring une licence lui permettant de mettre en marché VSL au Canada sous le nom commercial VSL#3MD. Le NPN 590 a été attribué au produit. Celui-ci était fourni par VSL Pharmaceuticals Inc et était fabriqué par Danisco USA Inc [Danisco].

[12] Le 7 mai 2013, une deuxième licence a été délivrée à Ferring pour un produit de santé naturel aussi mis en marché sous le nom commercial VSL#3MD. Le NPN 116 a été attribué au deuxième produit.

[13] En février 2015, Danisco a avisé la Direction des produits de santé naturels et sans ordonnance [la DPSNSO] de Santé Canada que VSL Pharmaceuticals n’était plus autorisée à acheter VSL, et que les droits d’achat exclusifs avaient été transférés à ExeGi Pharma, LLC. Toutefois, la preuve scientifique sous-jacente concernant VSL n’a pas été retirée.

[14] Le 16 juin 2015, la vente de Visbiome, le mélange de probiotiques initialement vendu sous le nom VSL#3MD, a été autorisée au Canada. Visbiome contiendrait la formule exclusive créée par M. De Simone. Le titulaire de la licence du produit est ExeGi Pharma, LLC, et le procédé de fabrication est considéré par Santé Canada comme étant le même que celui de Danisco. Le 31 mars 2021, la vente de Visbiome extra fort a été autorisée d’une manière semblable.

[15] Le 20 juin 2016, Ferring a de nouveau été autorisée à commercialiser VSL sous le NPN 116 à condition d’employer les mêmes procédés et organismes que ceux indiqués dans la preuve scientifique initiale. D’autres désignations ont été présentées pour VSL; elles ont été jugées identiques conformément aux pratiques normalisées d’examen de la qualité. La preuve à l’appui comprenait un certificat de dépôt de Belgian Coordinated Collections of Microorganisms, ainsi que des attestations de VSL Pharmaceuticals Inc et de Ferring confirmant qu’il n’existait pas de différence importante dans la composition des deux séries de produits.

[16] En mai 2017 et en février 2018, Santé Canada a reçu trois plaintes au sujet de VSL, plaintes selon lesquelles le produit n’était plus conforme à ce qu’il était censé être. La modification des souches bactériennes entre la formule « originale » et la « nouvelle » formule de VSL donnait supposément lieu à des allégations thérapeutiques trompeuses. La formule « originale » de VSL était fabriquée aux États-Unis par Danisco, tandis que la « nouvelle » formule était fabriquée en Italie par CSL/Nutrilinea.

[17] |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[18] Dans une lettre datée du 11 mai 2018, Ferring a autorisé Actial à communiquer avec Santé Canada concernant ||||||||||||||||||||||||||

[19] La DPSNSO a demandé à Ferring de fournir des renseignements supplémentaires et a proposé quatre possibilités pour répondre ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. Dans sa lettre d’accompagnement en réponse, Actial a confirmé qu’elle avait commandé |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[20] Puisque l’étude d’Actial ne comprenait pas de comparaison entre |||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[21] Le 5 novembre 2018, Ferring a informé la DPSNSO de son intention de renoncer à la licence de mise en marché du NPN 116 à compter du 15 novembre 2018.

[22] Dans une lettre datée du 5 novembre 2019, |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[23] Le 23 décembre 2019, Actial a présenté un avis de transfert de licences à la DPSNSO concernant les deux licences dont Ferring était titulaire. Était jointe à cet avis une lettre d’autorisation conjointe datée du 22 mars 2019 et signée par les représentants de Ferring et d’Actial. Actial soutient que la demande de transfert n’a pas été présentée plus tôt parce qu’un représentant et une adresse au Canada étaient nécessaires en vue de la correspondance avec Santé Canada.

[24] Actial a déposé la présente demande de contrôle judiciaire le 3 janvier 2020.

[25] Le 11 février 2020, la DPSNSO a confirmé que la titularité du NPN 590 avait été transférée de Ferring à Actial. La titularité du NPN 116 n’a pas été transférée puisque le produit était [traduction] « inactif ».

III. Les questions en litige

[26] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Actial a-t-elle qualité pour déposer la présente demande?

  2. Les renseignements doivent-ils être soustraits à la communication?

IV. Analyse

A. Actial a-t-elle qualité pour déposer la présente demande?

[27] Le 6 août 2020, le ministre a présenté une requête en radiation de la demande au motif qu’Actial n’était pas un « tiers » aux fins de l’article 44 de la LAI et qu’elle n’avait donc pas qualité pour agir. Dans une ordonnance datée du 4 janvier 2021, la protonotaire Angela Furlanetto (tel était alors son titre) a rejeté la requête sous réserve de tout autre examen de la question fait par la Cour sur le fondement d’éléments de preuve supplémentaires que présenterait Actial.

[28] Actial reconnaît que Santé Canada s’est adressé exclusivement à Ferring au sujet de la communication des documents en réponse à la demande d’accès à l’information. Cependant, elle soutient que Ferring a sollicité son avis et lui a présenté régulièrement des comptes rendus puisque les documents contenaient des renseignements confidentiels qui lui appartenaient.

[29] Actial affirme qu’elle s’était entendue avec Ferring concernant le transfert de la licence de VSL avant que la Division de l’AIPRP ne donne avis de la demande d’accès à Ferring le 1er octobre 2019 au titre du paragraphe 27(1) de la LAI. Elle s’appuie sur le principe de common law selon lequel un droit de propriété, comme une licence de mise en marché d’un produit de santé naturel, et tout droit ou obligation connexe, peut être transféré librement d’une partie à l’autre.

[30] Bien que le NPN 116 soit inactif, Actial affirme avoir des obligations post-commercialisation qui découlent de la licence. Elle ajoute que Santé Canada n’a invoqué aucun motif juridique à l’appui de sa prétention selon laquelle le droit de propriété d’un NPN inactif ne peut pas être transféré.

[31] Selon le ministre, l’article 44 de la LAI ne confère qu’à un « tiers » le droit d’exercer un recours en révision auprès de la Cour à l’égard d’une décision relative à la communication de documents. Le tiers doit être celui à qui le responsable d’une institution fédérale a donné avis d’une décision au titre de l’alinéa 28(1)b) de la LAI et celui à qui avis a été donné au titre du paragraphe 27(1) de la LAI.

[32] Il n’est pas contesté que Ferring est la partie qui a reçu avis au titre du paragraphe 27(1) de la LAI et la partie avec qui Santé Canada a communiqué concernant la communication des documents au titre de l’article 28 de la LAI. Ferring est la seule partie à laquelle avis de la décision du ministre a été donné aux termes de l’alinéa 28(1)b).

[33] Le ministre reconnaît que la propriété des sociétés peut changer, ce qui peut être pris en compte dans le processus de consultation sur l’AIPRP. Toutefois, la propriété de la société n’a pas changé en l’espèce. Ferring et Actial continuent à exister en tant qu’entités indépendantes malgré l’entente conclue quant au transfert des licences.

[34] De plus, le ministre souligne que le NPN 116 n’a jamais été transféré à Actial et que celle-ci n’est donc pas titulaire de la licence. |||||||||||||||||||||||||||||||| n’a été donné qu’à l’égard du NPN 116.

[35] Je ne suis pas convaincu qu’Actial soit un « tiers » et qu’elle ait qualité pour déposer la présente demande. Santé Canada a raisonnablement désigné Ferring comme étant le tiers approprié sous le régime de la LAI. Ferring était la titulaire de licence à qui revenait la responsabilité légale de répondre à l’enquête de Santé Canada, laquelle était au cœur de la demande d’accès à l’information. Santé Canada n’a été informé de l’accord conclu par Ferring en vue du transfert des licences à Actial que le 23 décembre 2019, au moment où les parties ont présenté un avis de transfert de licences à la DPSNSO.

[36] Malgré qu’elle se soit vu offrir la possibilité de présenter des éléments de preuve supplémentaires, Actial n’a pas démontré que Ferring avait transféré le droit d’exercer un recours en révision en vertu du paragraphe 44(1) de la LAI concernant les documents à communiquer. L’affidavit de Lee Ferreira, directrice générale de Ferring, ne fait que confirmer que Ferring a fourni à Actial les documents à communiquer et qu’elle a autorisé Santé Canada à fournir des documents à Actial. Les extraits de contrats sur lesquels s’est appuyée Actial sont lourdement caviardés et ils n’établissent pas que les renseignements en cause sont confidentiels ou qu’ils lui appartiennent.

[37] La clause 13.1b)(v) de l’accord exclusif d’approvisionnement et de distribution conclu entre Actial et Ferring le 14 février 2017 oblige Ferring à se défendre contre toute communication qui pourrait être autorisée par la loi. Cette disposition survit à l’accord conformément à la clause 14.3.1. Les extraits des modifications apportées à l’accord en 2019 n’ont aucune incidence sur ces dispositions, ce qui donne à penser que le droit d’intenter un recours concernant les documents à communiquer revient toujours à Ferring.

[38] Quoi qu’il en soit, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée, car Actial ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que les renseignements en cause devaient être soustraits à la communication.

B. Les renseignements doivent-ils être soustraits à la communication?

[39] Le paragraphe 44(1) de la LAI permet à un tiers qui a été avisé de la décision du responsable d’une institution gouvernementale de donner communication de documents d’exercer un recours en révision à l’égard de cette décision (LAI, art 44(1)). Un tel recours doit être entendu et jugé comme une nouvelle affaire et en procédure sommaire (LAI, art 44.1, 45).

[40] Il incombe à un tiers de démontrer pourquoi un document ne devrait pas être communiqué (Merck Frosst Canada Ltée c Canada (Santé), 2012 CSC 3 [Merck] au para 92). Le tiers doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’une exemption prévue par la loi s’applique. La preuve nécessaire pour satisfaire à cette norme dépendra de la nature de la thèse que le tiers cherche à faire valoir et du contexte particulier de l’affaire (Merck, au para 94).

[41] L’article 20 de la LAI prévoit ce qui suit :

Renseignements de tiers

20 (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

a) des secrets industriels de tiers;

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

[…]

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d’autres fins.

Third party information

20 (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Part that contains

(a) trade secrets of a third party;

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

[…]

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; or

(d) information the disclosure of which could reasonably be expected to interfere with contractual or other negotiations of a third party.

[42] Lorsqu’elle entend un recours en révision exercé en vertu de l’article 44 de la LAI, la Cour n’examine pas la décision du ministre en soi; elle rend plutôt sa propre décision quant à la question de savoir si les exemptions à la communication énoncées à l’article 20 de la LAI s’appliquent (Canada (Santé) c Elanco Canada Limited, 2021 CAF 191 au para 23).

[43] L’expression « secrets industriels » employée au paragraphe 20(1) de la LAI s’entend « d’un plan ou procédé, d’un outil, d’un mécanisme ou d’un composé » qui possède les caractéristiques suivantes : (i) l’information doit être secrète dans un sens absolu ou relatif; (ii) le détenteur de l’information doit démontrer qu’il a agi avec l’intention de traiter l’information comme si elle était secrète; (iii) l’information doit avoir une application pratique dans le secteur industriel ou commercial; et (iv) le détenteur doit avoir un intérêt (par exemple, un intérêt économique) digne d’être protégé par la loi (Merck, aux para 109, 112).

[44] Actial affirme que VSL est un concentré de probiotiques de souches multiples dont la composition ressemble à celle d’un produit biologique. Elle soutient donc que les renseignements concernant les caractéristiques des souches et les procédés de fabrication constituent nécessairement un secret industriel étroitement protégé. Elle souligne que ses employés et ceux de ses sociétés affiliées, comme Ferring, doivent signer des ententes de confidentialité avant d’obtenir l’accès à ces renseignements exclusifs. Elle soutient aussi que la composition de VSL est visée par une exemption au titre des alinéas 20(1)b), 20(1)c) et 20(1)d) de la LAI.

[45] Actial s’appuie sur l’affidavit du président de son conseil d’administration, Luca Aurelio Guarna, dans lequel M. Guarna a déclaré que lui incombaient les responsabilités suivantes : (i) superviser les finances, les activités, les ventes et les ressources humaines d’Actial; (ii) prendre des décisions à l’égard de nouvelles occasions d’affaires; et (iii) gérer les questions juridiques. Lors de son contre-interrogatoire, M. Guarna s’est décrit lui-même comme un consultant qui s’occupe de la gestion de crise. Il avait été embauché en 2013 pour aider à gérer le différend entre Actial et M. De Simone. Il ne possède pas de qualifications officielles en biologie ou en pharmacologie.

[46] Dans son affidavit, M. Guarna a déclaré que les documents à communiquer contenaient des secrets industriels d’Actial, mais il n’a pas indiqué précisément les renseignements qui s’inscrivaient dans cette catégorie. Il a plutôt renvoyé à la composition et à la production de VSL de façon générale. Sylvie E. Cousineau, une déposante du ministre, a déclaré ce qui suit :

[traduction]

47. J’ai examiné les documents et je n’y ai trouvé aucun renseignement concernant un plan ou un procédé, un outil, un mécanisme ou un composé qui pourrait être visé par la définition d’un secret industriel aux fins de l’alinéa 20(1)a) de la LAI.

48. Dans son affidavit, M. Guarna déclare (aux para 36-38) que certains des documents contiennent des renseignements scientifiques ou techniques liés à VSL#3MD, sans préciser lesquels des renseignements figurant dans les documents à communiquer s’inscrivent dans ces catégories. Il m’est impossible de savoir avec certitude quels renseignements constitueraient, selon la demanderesse, des renseignements scientifiques ou techniques de nature confidentielle au titre de l’alinéa 20(1)b) de la LAI.

49. Les éléments de preuve présentés dans l’affidavit de M. Guarna (aux para 39-41) à l’appui de la déclaration selon laquelle [traduction] « les documents à communiquer causeront à Actial une perte financière appréciable ou nuiront à sa compétitivité » peuvent se résumer ainsi : (i) le PSN VSL#3MD est difficile à copier (au para 39); (ii) la communication de documents confidentiels entraînerait une importante diminution de la valeur de l’investissement de la société (au para 40); et (iii) la communication offrirait aux concurrents des renseignements sur l’approvisionnement ainsi que sur la composition et la fabrication du PSN VSL#3MP (au para 41), ce qui exposerait Actial à un risque sérieux de préjudice économique et de perte financière au Canada au moment du retour sur le marché, ou à l’échelle internationale là où le produit est toujours en vente.

50. Le Visbiome, nom commercial du mélange de probiotiques initialement vendu sous le nom VSL#3MD, est maintenant offert au Canada. La titulaire de la licence de mise en marché est ExeGi Pharma, LLC. (Voir les paragraphes 34 et 35 de l’affidavit de la DPSNSO et les renseignements contenus dans le tableau du domaine public.)

51. Les conséquences invoquées dans l’affidavit de M. Guarna afin de justifier la protection des renseignements figurant dans les documents au titre de l’alinéa 20(1)c) de la LAI sont de nature spéculative en ce qui a trait au risque vraisemblable de préjudice probable qui résulterait de la communication de tout renseignement.

52. Les éléments de preuve présentés dans l’affidavit de M. Guarna (aux para 42-44) à l’appui de l’entrave à des négociations, contractuelles ou autres, menées par Actial ne satisfont pas aux exigences qui permettraient de soustraire à la communication, au titre de l’alinéa 20(1)d) de la LAI, des renseignements contenus dans les documents.

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise.]

[47] Aucune des affirmations de Mme Cousineau n’a été contestée sérieusement lors de son contre-interrogatoire.

[48] Lorsqu’il a été mis en marché, VSL a été présenté comme contenant les souches suivantes :

Bifidobacterium animalis subsp. lactis SD-5219

Bifidobacterium animalis subsp. lactis SD-5220

Bifidobacterium breve SD-5206

Lactobacillus acidophilus SD-5212

Lactobacillus delbrueckii subsp. bulgaricus SD-5210

Lactobacillus paracasei SD-5218

Lactobacillus plantarum SD-5209

Streptococcus thermophilus SD-5207

[49] La Base de données sur les produits de santé naturels homologués, qui est accessible au public, dresse la liste de ces souches dans les renseignements sur le NPN 116.

[50] Dans un article publié en 2017 dans la revue Frontiers in Immunology, les auteurs ont comparé la composition du produit VSL#3MD fabriqué par Dupont/Danisco aux États-Unis avec celle du produit VSL#3MD fabriqué par CSL/Nutrilinea en Italie. L’article dresse la liste de toutes les souches que contient le produit VSL#3MD fabriqué par Dupont/Danisco, ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||  |  ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[51] Les souches que contient VSL#3MD ont aussi été abordées dans un article publié en 2018 et intitulé « Comparative genomic analysis of the multispecies probiotic-marketed product VSL#3® ». Selon cet article, [traduction] « [p]lusieurs formulations dites de probiotiques offertes aux consommateurs contiennent des bactéries lactiques vivantes ou des bifidobactéries. Le produit contenant des souches multiples commercialisé sous le nom VSL#3MD est utilisé pour traiter divers troubles gastro-intestinaux. »

[52] Santé Canada affirme que VSL#3MD, qui a fait l’objet de plus de 60 essais cliniques chez les humains, est l’un des probiotiques les plus étudiés. Selon les pièces jointes aux affidavits présentés pour le compte du ministre, dans de nombreux cas, les renseignements qu’Actial cherche à soustraire à la communication sont déjà du domaine public.

[53] Actial ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les renseignements en cause dans |||||||||||||||||||||||||||||||| ou dans la lettre d’accompagnement risqueraient de révéler des secrets industriels ou de nuire aux intérêts commerciaux d’un tiers s’ils étaient communiqués. Des allégations générales selon lesquelles les [traduction] « caractéristiques des souches » et les « procédés de fabrication » constituent des secrets industriels étroitement protégés ne suffisent pas (Merck, au para 122).

[54] |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[55] Les extraits des ententes de confidentialité d’Actial sont lourdement caviardés, et certaines ententes ne sont pas signées. Les documents ne permettent pas à la Cour de tirer des conclusions fiables sur la nature et la portée des renseignements exclusifs d’Actial.

[56] En ce qui a trait à l’alinéa 20(1)b) de la LAI, il incombe à Actial de démontrer que les renseignements en cause satisfont aux trois volets du critère adopté dans l’arrêt Merck en matière de confidentialité. Ils doivent être (i) financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques; (ii) de nature confidentielle et traités comme tels de façon constante par le tiers; et (iii) fournis à une institution fédérale par un tiers (Merck, au para 133).

[57] Pour que s’applique l’alinéa 20(1)c) de la LAI, Actial doit démontrer qu’elle « [a] fourn[i] » les renseignements en cause. En l’espèce, certains des renseignements concernant les diverses souches figurent dans |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| de Santé Canada.

[58] Une preuve dans laquelle on se contente d’affirmer qu’un préjudice découlerait de la communication ne suffit pas à justifier que soient soustraits à la communication des renseignements qui risqueraient de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers. La preuve doit démontrer que des résultats préjudiciables sont raisonnablement probables. La preuve du préjudice découlant de la communication peut seulement être établie par les documents particuliers en cause. Une telle évaluation est propre aux faits et dépend des circonstances de chaque cas (Samsung Electronics Canada Inc c Canada (Santé), 2020 CF 1103 [Samsung Electronics] au para 113, citant Canada (Commissariat à l’information) c Calian Ltd, 2017 CAF 135 au para 44).

[59] Actial soutient que la communication des renseignements permettra à ses concurrents de copier VSL, mais aucune preuve n’a été présentée pour démontrer en quoi les renseignements contenus dans |||||||||||||||||||||||| ou dans la lettre d’accompagnement pourraient faciliter la copie. De plus, |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[60] Dans la décision Samsung Electronics, le juge Alan Diner a souligné, au paragraphe 98, que de nombreuses décisions « ont atténué l’attente de confidentialité relativement aux renseignements fournis dans des contextes réglementaires, notamment en ce qui a trait aux conclusions ou aux rapports préparés par l’organisme de réglementation [...] ». La délivrance de |||||||||||||||||||||||||||||||| s’est faite dans le contexte d’un cadre réglementaire qui vise à protéger l’intérêt public en veillant à la sûreté des produits de santé naturels.

[61] Actial n’a présenté aucune preuve pour démontrer qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que les renseignements que Ferring avait fournis à l’organisme de réglementation à des fins de surveillance demeureraient toujours confidentiels. Elle ne peut pas démontrer que le maintien de la confidentialité favorisera une relation qui ne soit pas contraire à l’intérêt public (Samsung Electronics, aux para 63, 107-109, citant Air Atonabee Ltd c Canada (Ministre des Transports) (1989), 27 FTR 194). La communication de renseignements est fortement dans l’intérêt du public, d’autant plus que l’objectif de |||||||||||||||||||||||||||| est de veiller à ce que les titulaires de licence se conforment à leurs obligations réglementaires. Ces obligations existent pour le bien du public.

V. Conclusion

[62] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[63] L’adjudication de dépens est laissée à l’appréciation de la Cour, et les dépens suivent habituellement le sort du principal, à condition que l’instance ne soulève pas un principe important et nouveau quant à la loi (LAI, art 53(1), 53(2)). Aucun nouveau principe n’a été soulevé dans la présente instance et, par conséquent, sont adjugés au ministre des dépens calculés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III du tarif B.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Sont adjugés au ministre de la Santé des dépens calculés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III du tarif B.

  3. Les motifs du jugement demeureront confidentiels jusqu’à l’expiration du délai prévu pour interjeter appel, à moins qu’Actial Farmaceutica srl informe la Cour qu’elle n’envisage pas d’interjeter appel.

  4. Si le présent jugement est porté en appel, les motifs demeureront confidentiels jusqu’à ce que la Cour ou la Cour d’appel fédérale donne d’autres directives ou rende une autre ordonnance ou un autre jugement.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-6-20

 

INTITULÉ :

ACTIAL FARMACEUTICA SRL c LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 mai 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 juin 2022

 

COMPARUTIONS :

Gordon Jepson

Anna Troshchynsky

 

Pour la demanderesse

 

Ayesha Laldin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Deeth Williams Wall LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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