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Date : 20230413


Dossier : T-1016-12

Référence : 2023 CF 531

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 avril 2023

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

SERGE EWONDE

demandeur

et

SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA et MARC BOURQUE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] En mai 2012, le demandeur, M. Serge Ewonde, a déposé une déclaration contre les défendeurs. Il sollicitait des dommages-intérêts d’un montant non précisé pour négligence et faute dans l’exercice d’une charge publique, voies de fait, souffrances psychologiques et préjudice corporel en raison de faits survenus alors qu’il était détenu au Pénitencier de Dorchester, un établissement fédéral à sécurité moyenne administré par le Service correctionnel du Canada (le SCC) conformément à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20, et au Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620. La déclaration du demandeur était fondée sur deux allégations : le personnel de l’établissement aurait omis de s’assurer qu’il reçoive ses injections d’insuline aux heures requises, et le particulier défendeur, M. Marc Bourque, l’aurait agressé. À l’époque des faits, Marc Bourque était agent correctionnel au Pénitencier de Dorchester.

[2] Au terme d’un processus long et ardu, un procès de cinq jours a été prévu pour le mois de juin 2022, mais il n’a pas eu lieu en raison de l’état de santé du demandeur. Les parties ont convenu de présenter une requête en procès sommaire en vertu de l’article 213 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), pour faire trancher les questions restantes. Le présent jugement porte sur la requête en procès sommaire des défendeurs et sur le défaut du demandeur de déposer des éléments de preuve ou des observations en réponse à la requête.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la présente action se prête à la tenue d’un procès sommaire par écrit, comme les parties en ont convenu, malgré la décision du demandeur de ne pas déposer de dossier de requête en réponse. Je conclus également que le demandeur n’a pas établi les prétentions avancées dans sa déclaration. Son défaut de déposer quelque preuve que ce soit à l’appui de ses allégations porte un coup fatal à sa cause. En conséquence, l’action du demandeur contre les défendeurs sera rejetée intégralement, avec dépens.

II. Contexte

[4] Selon l’exposé conjoint des faits déposé par les parties en prévision du procès, le demandeur purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour deux chefs de meurtre au premier degré, entre autres. Il est incarcéré depuis 1993 dans divers établissements au Canada. Le demandeur est atteint de diabète de type 1, et il doit recevoir des injections quotidiennes d’insuline.

[5] Le Roi du chef du Canada est désigné comme défendeur dans la présente action intentée conformément à l’article 48 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c 9.

[6] Le défendeur Marc Bourque a été employé par le SCC à titre d’agent correctionnel de 2004 à 2011. De 2008 à 2011, Marc Bourque a travaillé au Pénitencier de Dorchester.

[7] Le demandeur a été placé en isolement préventif à son arrivée au Pénitencier de Dorchester, le 31 août 2010. Il y est resté jusqu’au 30 novembre 2010.

[8] Le demandeur soutient que les agents correctionnels du Pénitencier de Dorchester ont, de façon négligente et intentionnelle, manqué à leur obligation de diligence envers lui parce qu’ils (1) ont omis de faire preuve de diligence raisonnable en ne lui fournissant pas ses injections quotidiennes d’insuline aux heures requises et (2) ont proféré des insultes raciales à son égard et l’ont violemment agressé le 16 septembre 2010 lors d’une visite à l’unité des soins de santé pour recevoir son injection d’insuline.

[9] Dans sa déclaration, le demandeur a réclamé des dommages-intérêts pour négligence, faute dans l’exercice d’une charge publique, infliction intentionnelle de souffrances psychologiques, harcèlement et violation des articles 7, 8 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11. Le demandeur a également réclamé des dommages-intérêts majorés et exemplaires, ainsi que des dommages-intérêts pour les voies de fait et le préjudice corporel dont il aurait été victime. Le 15 octobre 2021, la Cour a déclaré que les questions de fait et de droit à trancher au procès étaient celles de savoir si les défendeurs ont fait preuve de négligence, tel que le demandeur l’a allégué, et, le cas échéant, si le demandeur a subi des dommages indemnisables.

[10] Le demandeur soutient tout d’abord que, à plusieurs reprises, Marc Bourque a refusé de le conduire à l’unité des soins de santé lorsqu’il le demandait pour recevoir ses injections d’insuline. Parfois, il devait attendre quatre ou cinq heures. Il lui arrivait de ressentir des symptômes pénibles, comme des douleurs physiques, une vision embrouillée, un pouls rapide et une perte de coordination, symptômes qui peuvent entraîner des dommages à long terme. Le demandeur affirme que Marc Bourque lui a lancé des épithètes raciales et l’a menacé lorsqu’il a actionné le bouton d’appel d’urgence de sa cellule. Le demandeur a par la suite déposé une plainte officielle contre Marc Bourque.

[11] Ensuite, en ce qui concerne l’agression alléguée (l’incident), les parties conviennent que, le 16 septembre 2010, le demandeur a été escorté à l’unité des soins de santé, où il a reçu son injection d’insuline. Après l’injection, il y a eu une altercation entre le demandeur et des agents correctionnels. La cause et les circonstances de l’incident sont contestées dans la présente action.

[12] Le demandeur soutient avoir été agressé par Marc Bourque, le 16 septembre 2010, alors que celui-ci l’escortait de l’unité des soins de santé à l’unité d’isolement. Le demandeur soutient que Marc Bourque l’a agrippé par le cou et a cogné sa tête à plusieurs reprises contre le mur et contre la fenêtre de la porte de l’unité d’isolement, fracassant la vitre, alors que le demandeur avait les mains menottées dans le dos. Le demandeur déclare qu’il craignait pour sa vie, car Marc Bourque tentait de l’inciter à se battre. Le demandeur n’a pas résisté et ne s’est pas battu. Selon le demandeur, il a été jeté par terre et son visage a été plaqué au sol. Marc Bourque a alors appuyé sur l’alarme d’urgence personnelle du demandeur pour interpeller d’autres agents. Le demandeur soutient qu’il a été placé dans une cellule de détention provisoire, où il a nettoyé son propre sang sur ses mains, son visage et sa tête. Le demandeur a porté des accusations criminelles contre Marc Bourque après l’incident.

[13] Les défendeurs nient les allégations du demandeur. Étant donné que les défendeurs ont déposé des éléments de preuve à l’appui de leur requête en procès sommaire, j’exposerai les détails de leur preuve à la section IV du présent jugement.

[14] En résumé, les défendeurs affirment que, lorsque le personnel des soins de santé du Pénitencier de Dorchester était prêt à recevoir le demandeur pour son injection d’insuline, les agents correctionnels se présentaient à sa cellule pour l’escorter à l’unité des soins de santé. Les défendeurs allèguent que le demandeur refusait souvent d’être escorté à l’unité des soins de santé.

[15] Selon les défendeurs, après avoir reçu son injection d’insuline vers 8 h 30 le 16 septembre 2020, le demandeur a demandé à voir un médecin immédiatement. Lorsqu’il a été avisé par le personnel des soins de santé que c’était impossible, le demandeur est devenu agressif. Les agents correctionnels sont intervenus et ont tenté de l’escorter à l’unité d’isolement. Les défendeurs affirment que le demandeur a résisté et, tandis que les agents tentaient de le maîtriser, le demandeur est entré en contact avec la fenêtre de la porte de l’unité d’isolement, qui s’est brisée. Les agents ont maîtrisé le demandeur et l’ont ramené à l’unité d’isolement. Ils ont appelé le personnel des soins de santé, qui est allé examiner le demandeur plus tard le même jour.

III. Historique de la procédure

[16] Le demandeur a déposé sa déclaration le 24 mai 2012. La défense des défendeurs a été déposée le 25 juin 2012.

[17] Les décisions suivantes fournissent d’autres éléments du contexte procédural :

  • (1)le jugement de la Cour d’appel fédérale faisant droit à l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de l’ordonnance d’avril 2016 par laquelle la Cour fédérale a rejeté l’action pour cause de retard (2017 CAF 112) (bien que la Cour d’appel fédérale ait reconnu que le demandeur avait fait peu de progrès dans ce dossier et dans le cadre de deux autres actions intentées par lui en 2012, elle a accueilli l’appel au motif que la Cour fédérale n’avait pas respecté les obligations que lui imposait la Loi sur les langues officielles, LRC 1985, c 31 (4e suppl), à l’égard du demandeur);

  • (2)l’ordonnance et les motifs rendus par la Cour fédérale (la juge Kane) à la suite du réexamen de l’ordonnance du 16 avril, conformément aux directives de la CAF (2017 CF 1120);

  • (3)l’ordonnance du 11 octobre 2022 par laquelle j’ai rejeté la requête du demandeur visant à présenter de nouveaux éléments de preuve et à obtenir des réponses aux questions auxquelles Marc Bourque avait refusé de répondre lors de son contre-interrogatoire (l’ordonnance d’octobre 2022).

[18] La Cour a mis l’affaire au rôle le 8 novembre 2021, et le procès devait débuter le 13 juin 2022. Entre novembre 2021 et le début du procès, les parties ont eu de nombreux échanges avec la Cour : elles ont notamment participé à une série de conférences de gestion de l’instance et de conférences préparatoires au procès ainsi qu’à une séance de médiation d’une journée.

[19] Au début du procès, le 13 juin 2022, l’avocat du demandeur a informé la Cour que son client avait été conduit à l’unité des soins de santé de l’Établissement de Warkworth, où il était alors incarcéré, et qu’il ne pouvait se présenter à l’audience parce qu’il faisait de la fièvre. Le demandeur ne s’est pas présenté à la reprise du procès, le matin du 14 juin 2022, parce qu’il était toujours malade. Les parties ont présenté des observations concernant la possibilité d’instruire le procès dans le reste du temps alloué. Les parties ont également examiné la demande du demandeur en vue d’introduire de nouveaux éléments de preuve concernant les soins de santé reçus à la suite de l’incident.

[20] J’ai ajourné le procès en raison de l’incertitude entourant la présence du demandeur à l’audience le reste de la semaine, de la disponibilité limitée des témoins des défendeurs et des contraintes liées au temps qu’il restait pour le procès. J’ai ordonné aux parties d’essayer de régler la question de l’introduction de nouveaux éléments de preuve et de proposer à la Cour, au plus tard le 24 juin 2022, un plan pour l’action.

[21] Le 21 juin 2022, les parties ont présenté à la Cour leur entente selon laquelle le demandeur déposerait une requête visant à obtenir une ordonnance a) autorisant le dépôt des éléments de preuve médicale additionnels que le demandeur s’attendait à recevoir à la suite d’une demande d’accès à l’information et b) enjoignant aux défendeurs de communiquer au demandeur les réponses aux questions auxquelles Marc Bourque avait refusé de répondre lors de son contre-interrogatoire. Dans les dix jours suivant la décision de la Cour sur la requête, les défendeurs signifieraient et déposeraient une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire, à laquelle le demandeur répondrait lui aussi dans un délai de dix jours.

[22] Le 5 août 2022, le demandeur a déposé un avis de requête dans lequel il a demandé la réparation envisagée dans l’entente conclue entre les parties le 21 juin 2022. Les défendeurs ont déposé leur dossier de requête en réponse le 15 août 2022. J’ai rejeté la requête du demandeur pour les motifs énoncés dans l’ordonnance d’octobre 2022.

[23] Les défendeurs ont déposé leur avis de requête en procès sommaire par écrit, des affidavits à l’appui de leur requête et des observations écrites le 21 octobre 2022.

[24] Conformément à l’échéancier convenu entre les parties dans leur lettre du 21 juin 2022, le demandeur avait jusqu’au 31 octobre 2022 pour signifier et déposer des documents en réponse à la requête.

[25] Le demandeur n’a pas déposé de dossier de requête en réponse conformément à l’entente intervenue entre les parties.

[26] Le 14 novembre 2022, j’ai informé les parties que la Cour avait reçu le dossier de requête déposé au nom des défendeurs le 21 octobre 2022 et que le délai pour déposer des documents en réponse était expiré. J’ai également informé les parties que la Cour examinerait la requête en procès sommaire des défendeurs sur la foi des documents déposés.

[27] Je précise que la procédure obligatoire pour les requêtes en jugement sommaire ou en procès sommaire est énoncée aux articles 213 à 216 des Règles. Le paragraphe 213(4) des Règles prévoit que la partie qui reçoit signification de la requête doit signifier et déposer un dossier en réponse au plus tard dix jours avant la date de l’audition de la requête. Bien que les parties en l’espèce aient demandé que la requête soit tranchée par écrit, le paragraphe 213(4) des Règles souligne néanmoins l’importance du dossier de requête en réponse lorsqu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire est déposée.

IV. Requête en procès sommaire des défendeurs et preuve par affidavit

[28] Dans le cadre de la présente requête en procès sommaire, les défendeurs demandent à la Cour de rendre un jugement en leur faveur, avec dépens, en vertu du paragraphe 216(6) des Règles. Ils soutiennent que les questions présentées à la Cour sont bien définies et que les faits nécessaires pour trancher ces questions sont exposés dans la preuve. Les défendeurs reconnaissent que les actes de procédure et la preuve soulèvent certaines questions de crédibilité, mais ils soutiennent que la preuve déposée permet à la Cour d’examiner et de régler ces questions. Les défendeurs soutiennent également que la tenue d’un procès sommaire est un recours expéditif, qui permet de préserver les précieuses ressources de la Cour.

[29] Les défendeurs ont joint six affidavits à leur avis de requête, dont celui du défendeur Marc Bourque. Tous les déposants, à l’exception d’Ansle John (assistant juridique travaillant avec les avocats des défendeurs), affirment que leur affidavit respectif tient lieu de preuve au procès.

(1) Affidavit de Marc Bourque souscrit le 16 mai 2022

[30] Comme je l’ai mentionné, Marc Bourque a été employé par le SCC de 2004 à 2011 et, de 2008 à 2011, il travaillait au Pénitencier de Dorchester. En août et en septembre 2010, Marc Bourque a fait des quarts de travail dans l’unité d’isolement préventif, entre autres fonctions. Dans le cadre de ces fonctions, il escortait les détenus à l’unité des soins de santé, toujours en compagnie d’un autre agent correctionnel, comme l’exige la politique du SCC.

[31] En août et septembre 2010, Marc Bourque a eu des interactions fréquentes avec le demandeur. Il affirme qu’il n’a jamais menacé ou harcelé le demandeur ou tenu des propos racistes à son égard.

[32] Le 16 septembre 2010, vers 7 h 45, Marc Bourque et un autre agent correctionnel, M. Corey Allain, ont escorté le demandeur à l’unité des soins de santé pour son injection du matin. Le demandeur avait les mains menottées devant son corps.

[33] Après avoir reçu son injection d’insuline, le demandeur a demandé à voir le médecin immédiatement, mais on l’a informé qu’il n’en avait pas le droit. Marc Bourque affirme que le demandeur est devenu belliqueux et que lui-même, M. Allain et un agent affecté à l’unité des soins de santé ce jour-là, Kelly Bourque (aucun lien de parenté avec Marc Bourque), ont tenté de maîtriser le demandeur en le poussant contre un mur. M. Allain et Kelly Bourque retenaient le demandeur et Marc Bourque lui a empoigné l’épaule gauche d’une main et, de son autre main, tenait un vaporisateur de gaz poivré. Au même moment, la porte de l’unité d’isolement menant au corridor s’est ouverte et le demandeur s’est enfui. Les trois agents sont partis à sa poursuite et l’ont rattrapé à l’autre bout du corridor. Les agents ont poussé le demandeur contre l’armoire d’incendie.

[34] Marc Bourque affirme que le demandeur s’est écarté du mur avec ses mains, mais qu’il a été repoussé par les trois agents contre la porte de l’unité d’isolement, qui se trouvait directement à côté de l’armoire d’incendie. La vitre de la porte s’est brisée de façon inattendue. Marc Bourque ne sait pas si c’est la tête ou l’épaule du demandeur qui a brisé la vitre. Les quatre hommes se sont immobilisés et Marc Bourque, M. Allain et Kelly Bourque ont soigneusement retiré le demandeur de la fenêtre et l’ont placé sur le sol. Marc Bourque affirme que le demandeur coopérait entièrement à ce moment-là. Les menottes du demandeur ont été enlevées et ses mains ont été menottées dans son dos, et il a été escorté dans une cellule vide de l’unité d’isolement.

[35] Marc Bourque est d’avis que le recours à la force pour maîtriser le demandeur était conforme aux politiques du SCC. Il affirme également qu’il était à jour dans sa formation à la date de l’incident.

[36] Marc Bourque a rempli un Rapport sur le recours à la force (pièce A jointe à son affidavit) et un Rapport d’observation ou déclaration d’un agent (pièce B jointe à son affidavit), qui explique en détail l’incident. Les deux rapports ont été signés par Marc Bourque le 16 septembre 2010 et sont conformes à tous égards importants aux faits énoncés dans son affidavit. Le Rapport sur le recours à la force comprend les observations d’un professionnel de la santé, datées du 16 septembre 2020, qui a noté que le demandeur avait deux petites égratignures au bras droit et qu’il se plaignait d’un mal de tête. Le professionnel de la santé n’a remarqué aucune bosse sur la tête du demandeur. Le Rapport sur le recours à la force est également signé par le chef des services de santé, le gestionnaire correctionnel (Matthew Alward), le sous-directeur et le directeur de l’établissement.

[37] Plus tard le 16 septembre 2010, Marc Bourque assistait à l’évaluation du demandeur par une infirmière lorsque le demandeur s’est emporté et a menacé Marc Bourque. Marc Bourque a déposé une accusation contre le demandeur. Il a rempli et signé le même jour une deuxième déclaration dans laquelle il a décrit les menaces proférées contre lui, dont une copie est jointe à son affidavit en tant que pièce C.

[38] Marc Bourque affirme qu’il a été accusé de voies de fait par la Gendarmerie royale du Canada par suite de l’incident, mais que l’accusation a été retirée par le procureur de la Couronne lors de sa première comparution devant le tribunal, en avril 2011.

(2) Affidavit de Corey Allain souscrit le 19 octobre 2022

[39] M. Allain est agent correctionnel au SCC depuis 2008. En août et en septembre 2010, il a travaillé au Pénitencier de Dorchester, notamment dans l’unité d’isolement préventif de l’établissement.

[40] Le matin du 16 septembre 2010, M. Allain était en poste à l’unité d’isolement et, en compagnie de Marc Bourque, il a escorté le demandeur à son rendez-vous à l’unité des soins de santé. Les mains du demandeur étaient menottées devant son corps, conformément au protocole. M. Allain confirme que, pendant qu’il était à l’unité des soins de santé, le demandeur a indiqué qu’il souhaitait voir le médecin. L’infirmière l’a informé qu’elle prendrait rendez-vous avec le médecin, mais le demandeur a continué de demander à voir un médecin et a refusé d’obtempérer aux ordres des agents de retourner à l’unité d’isolement.

[41] M. Allain et Marc Bourque ont tenté d’escorter le demandeur dans le corridor entre l’unité des soins de santé et l’unité d’isolement, mais, lorsque l’infirmière a ouvert la porte de l’unité des soins de santé, le demandeur a commencé à résister physiquement. Les agents ont collé le demandeur contre le mur et l’armoire d’incendie, puis contre la porte donnant accès à l’unité d’isolement. L’épaule du demandeur est passée au travers de la fenêtre de la porte. À ce moment-là, M. Allain et Marc Bourque ont mis le demandeur au sol et placé ses mains derrière son corps. Une fois que les agents ont repris le contrôle, le demandeur a été escorté à l’unité d’isolement. Le demandeur ne semblait pas blessé et ne saignait pas.

[42] M. Allain affirme que, pendant toute la durée de l’incident, Marc Bourque n’a jamais été seul avec le demandeur.

[43] Le 16 septembre 2010, M. Allain a rempli un Rapport d’observation ou déclaration d’un agent, qui est selon lui un compte rendu exact de l’incident (le rapport est joint à son affidavit en tant que pièce 1). Dans son rapport, M. Allain confirme que le demandeur n’a pas obtempéré à l’ordre des agents de quitter l’unité des soins de santé après que sa demande de voir un médecin eut été refusée. Le rapport est conforme à tous égards importants à la description de l’incident faite par M. Allain dans son affidavit.

[44] M. Allain affirme qu’il avait suivi une formation du SCC avant l’incident et qu’il sait que la norme pour le recours à la force par les employés du SCC consiste à employer le moins de force possible pour contrôler une situation. Selon M. Allain, ses actes et ceux de Marc Bourque lors de l’incident étaient conformes à la norme du SCC en matière de recours à la force.

[45] M. Allain se souvient d’avoir travaillé avec Marc Bourque à d’autres occasions au Pénitencier de Dorchester. Il ne se souvient pas de confrontations verbales ou de querelles entre Marc Bourque et le demandeur.

[46] M. Allain s’identifie comme un homme de race noire, et il est bien conscient du racisme et attentif aux propos racistes. Il ne se souvient pas d’avoir entendu Marc Bourque tenir des propos racistes durant la période où ils ont travaillé ensemble.

(3) Affidavit de Kelly Bourque souscrit le 21 octobre 2022

[47] M. Kelly Bourque (qui, je le répète, n’a aucun lien de parenté avec Marc Bourque) est employé par le SCC. Il travaille au Pénitencier de Dorchester depuis 2000. En août et septembre 2010, il effectuait entre autres des quarts de travail de quatre heures à l’unité des soins de santé.

[48] Kelly Bourque ne se souvient pas d’avoir interagi avec le demandeur avant le 16 septembre 2010. Ce matin-là, il était en poste à l’unité des soins de santé lorsque M. Allain et Marc Bourque y ont escorté le demandeur. À ce moment-là, les mains du demandeur étaient menottées devant son corps.

[49] Le demandeur est devenu agité lorsqu’il n’a pas été autorisé à consulter un médecin et, alors que Marc Bourque et Kelly Bourque l’escortaient dans le corridor qui sépare l’unité des soins de santé et l’unité d’isolement, il a commencé à résister et s’est retourné vers l’unité des soins de santé. Le demandeur a été poussé contre la porte de l’unité d’isolement alors que les agents tentaient de le reprendre le contrôle. Kelly Bourque affirme qu’il est possible que d’autres agents correctionnels soient intervenus, mais que son attention était centrée sur le demandeur. La fenêtre de la porte de l’unité d’isolement a cédé et Kelly Bourque a vu l’épaule du demandeur, et peut-être sa tête, passer par la fenêtre. Selon Kelly Bourque, la force utilisée pour pousser le demandeur contre la porte était modérée, et il est surpris que la vitre se soit brisée.

[50] Marc Bourque et Kelly Bourque ont doucement mis le demandeur au sol, et le demandeur a cessé de résister. Ses menottes ont été enlevées et ses mains ont été menottées dans son dos. Le demandeur ne semblait pas blessé et ne saignait pas. À aucun moment durant l’incident Marc Bourque n’a été seul avec le demandeur.

[51] Le 16 septembre 2010, Kelly Bourque a rempli un Rapport d’observation ou déclaration d’un agent qui est selon lui est un compte rendu exact de l’incident (joint à son affidavit en tant que pièce 1). Le rapport confirme que le demandeur a été escorté à l’unité des soins de santé le 16 septembre 2010 par Marc Bourque et M. Allain pour son injection d’insuline et est conforme à tous égards importants à la description de l’incident faite par Kelly Bourque dans son affidavit.

[52] Kelly Bourque affirme qu’il avait suivi une formation du SCC sur le recours à la force avant l’incident. Il sait que la norme applicable aux agents consiste à employer le moins de force possible pour contrôler les détenus et veiller au respect des ordres. Selon lui, ses actes et ceux de Marc Bourque lors de l’incident étaient conformes à cette norme et à cette formation.

(4) Affidavit de Matthew Alward souscrit le 19 octobre 2022

[53] M. Matthew Alward est employé par le SCC depuis 2000. En septembre 2010, il occupait le poste de gestionnaire correctionnel au Pénitencier de Dorchester.

[54] M. Alward affirme qu’en août et septembre 2010, les agents correctionnels ont suivi une formation sur le recours à la force et le contrôle physique des détenus. La formation comprenait un volet sur l’arrestation et le contrôle, qui enseignait les méthodes de recours à la force et de contrôle des détenus. Les agents correctionnels ont reçu pour instruction d’utiliser le moins de force possible pour veiller à ce que les détenus respectent les règles de l’établissement et les ordres des agents. Cette règle générale s’appliquait à tous les détenus, y compris ceux en isolement.

[55] M. Alward déclare qu’il est au courant de l’incident et qu’il a participé à l’examen du recours à la force, comme l’indique le Rapport sur le recours à la force rédigé après l’incident par Marc Bourque (également la pièce A de l’affidavit de M. Alward). M. Alward affirme qu’à la suite de son examen du recours à la force par les agents correctionnels lors de l’incident, il a conclu que ceux-ci avaient suivi toutes les politiques et procédures applicables. À la date de son affidavit, M. Alward était toujours du même avis.

[56] M. Alward décrit la procédure relative à l’escorte des détenus de l’unité d’isolement de l’établissement à l’unité des soins de santé. En tout temps, l’escorte doit être effectuée par deux agents correctionnels. S’il n’y a pas suffisamment d’agents disponibles, le déplacement du détenu est retardé. Les détenus sont menottés avant de sortir de leur cellule.

[57] Avant un rendez-vous médical pour un détenu en isolement, le personnel de l’unité des soins de santé et les agents correctionnels communiquent pour s’assurer que l’unité des soins de santé est prête à recevoir le détenu. En général, l’appel est initié par l’unité des soins de santé, mais il peut arriver que les agents de l’unité d’isolement appellent l’unité des soins de santé. En fin de compte, c’est au personnel de l’unité des soins de santé qu’il appartient de décider s’il est prêt à accueillir un détenu. Les agents correctionnels qui escortent un détenu demeurent avec lui jusqu’à ce que la visite médicale soit terminée. Ils escortent ensuite le détenu jusqu’à l’unité d’isolement. Encore une fois, un minimum de deux agents correctionnels est requis pour l’escorte.

[58] M. Alward connaît bien l’endroit où est survenu l’incident et affirme que, à la date de l’incident, il y avait un petit corridor entre l’unité d’isolement et l’unité des soins de santé au Pénitencier de Dorchester. À chaque extrémité du corridor, il y avait une lourde porte en acier avec une petite fenêtre. Les portes s’ouvraient soit de façon électronique, soit au moyen d’une clé. Pour des raisons de sécurité, les fenêtres des portes étaient fabriquées au moyen d’un matériau qu’il était possible de briser facilement en cas d’urgence afin d’éviter les complications, par exemple une prise d’otages dans une zone inaccessible.

(5) Affidavit de Jennifer Lorette souscrit le 20 octobre 2022

[59] En août et septembre 2010, Mme Jennifer Lorette était employée par le SCC à titre d’infirmière autorisée et travaillait à l’unité des soins de santé du Pénitencier de Dorchester. Elle fournissait des médicaments aux détenus, gérait les situations d’urgence et organisait des cliniques avec les médecins et le personnel infirmier. Mme Lorette s’occupait également de documenter les traitements et les rendez-vous.

[60] Dans son affidavit, Mme Lorette décrit la procédure relative à la prise de rendez-vous non urgents à l’unité des soins de santé. Elle affirme que les rendez-vous pour les traitements hebdomadaires étaient fixés automatiquement. Dans le cas des détenus de l’unité d’isolement, les agents correctionnels recevaient la liste de rendez-vous, mais devaient attendre que l’unité des soins de santé confirme que le détenu pouvait être vu. L’unité des soins de santé ne recevait les détenus en isolement que lorsqu’aucun autre détenu n’était présent. Lorsque l’unité des soins de santé était prête à recevoir le détenu, elle appelait les agents correctionnels de l’unité d’isolement pour les en informer et le détenu était escorté par un minimum de deux agents.

[61] Dans le cas des détenus diabétiques, les infirmières vérifiaient le taux de sucre du détenu et celui-ci administrait lui-même son insuline. L’infirmière consignait chaque injection d’insuline par l’apposition de ses initiales dans le dossier du détenu. Le dossier d’administration des médicaments du demandeur pour août 2010 est joint à l’affidavit de Mme Lorette en tant que pièce 1. Ce document montre que le demandeur a reçu des doses d’insuline deux fois par jour, sauf à trois reprises, où aucune infirmière n’a apposé ses initiales pour confirmer la dose de l’après-midi. Mme Lorette explique que le fait qu’il n’y a pas d’initiales ne signifie pas nécessairement que le demandeur n’a pas reçu son injection d’insuline, puisque l’infirmière peut avoir été occupée à autre chose.

[62] Mme Lorette reconnaît que le traitement à l’insuline pouvait être retardé pour de nombreuses raisons. Dans ce cas, une collation était généralement fournie, ou le repas à venir était retardé. Elle affirme que le fait qu’une injection soit reçue tardivement une fois de temps en temps n’a habituellement aucun effet sur la santé du patient et que le taux de glucose du demandeur n’a pas changé de manière significative au cours des mois d’août et de septembre 2010.

(6) Affidavit d’Ansle John souscrit le 20 octobre 2022

[63] Ansle John est un assistant juridique qui travaille au ministère de la Justice du Canada. Dans le cadre de ses fonctions, M. John a collaboré avec les avocats des défendeurs en l’espèce.

[64] M. John affirme que, le 24 mai 2022, l’avocat du demandeur a contre-interrogé Marc Bourque sur l’affidavit qu’il a souscrit le 16 mai 2022. Une copie de la transcription du contre-interrogatoire est jointe à son affidavit en tant que pièce A.

V. Défaut du demandeur de répondre à la requête

[65] Le 21 juin 2022, le demandeur a accepté de régler la présente action par la voie d’un procès sommaire. Par la même occasion, les défendeurs ont convenu d’un échéancier pour le dépôt et le déroulement de la requête du demandeur en vue de faire admettre de nouveaux éléments de preuve et d’obtenir des réponses aux questions auxquelles Marc Bourque avait refusé de répondre lors de son contre-interrogatoire.

[66] Le demandeur a dûment déposé sa requête, les défendeurs y ont répondu et la Cour a rendu une ordonnance rejetant la requête. Les défendeurs ont ensuite signifié et déposé leur dossier de requête en procès sommaire dans les dix jours convenus. Toutefois, le demandeur a choisi de ne pas déposer de documents en réponse. Le 14 novembre 2022, la Cour l’a prévenu que le délai pour déposer son dossier de requête était expiré.

[67] Puisque le demandeur n’a déposé aucun dossier de requête en réponse, la Cour ne dispose d’aucune preuve à l’appui de ses prétentions.

VI. Questions en litige

[68] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. L’action en l’espèce se prête-t-elle à la tenue d’un procès sommaire?

  2. Le demandeur a-t-il établi l’une ou l’autre de ses allégations contre les défendeurs?

VII. Analyse

A. La présente action se prête-t-elle à la tenue d’un procès sommaire?

[69] Le paragraphe 216(5) des Règles régit le pouvoir discrétionnaire de la Cour quant à la tenue d’un procès sommaire. La Cour rejette la requête en procès sommaire si, selon le cas, « les questions soulevées ne se prêtent pas à la tenue d’un procès sommaire » ou « un procès sommaire n’est pas susceptible de contribuer efficacement au règlement de l’action ». En revanche, le paragraphe 216(6) des Règles prévoit que la Cour peut rendre jugement sur l’ensemble des questions ou sur une question en particulier si elle est « convaincue de la suffisance de la preuve pour trancher l’affaire, indépendamment des sommes en cause, de la complexité des questions en litige et de l’existence d’une preuve contradictoire », à moins qu’il serait injuste de le faire.

[70] Le libellé des paragraphes 216(5) et (6) des Règles doit être interprété et appliqué de façon large, en tenant pleinement compte du principe de proportionnalité visé à l’article 3 et des principes de l’équité, de l’accès à un règlement abordable et du caractère expéditif (ViiV Healthcare Company c Gilead Sciences Canada, Inc, 2021 CAF 122 aux para 18, 37 (ViiV Healthcare CAF).

[71] La Cour a défini un certain nombre de facteurs pour évaluer s’il convient de tenir un procès sommaire compte tenu des articles 3 et 216 des Règles :

  • a)la complexité de l’affaire;

  • b)la nature urgente de l’affaire;

  • c)le coût d’un procès complet en comparaison du montant en cause;

  • d)la question de savoir si le litige est prolongé;

  • e)la question de savoir si le procès sommaire prendrait du temps;

  • f)la question de savoir si la crédibilité est un enjeu et si les déposants des affidavits contradictoires ont été contre-interrogés;

  • g)la question de savoir si le procès sommaire comporte un risque important de gaspillage d’efforts et d’énergie;

  • h)la question de savoir si le procès sommaire donnerait lieu à un morcellement du litige;

  • i)la question de savoir si les parties ont consenti à la tenue d’un procès sommaire.

(Wenzel Downhole Tools Ltd c National-Oilwell Canada Ltd, 2010 CF 966 au para 37 (Wenzel); Tremblay c Orio Canada Inc, 2013 CF 109 au para 24 (Tremblay); Ark Innovation Technology Inc c Matidor Technologies Inc, 2021 CF 1336 aux para 17-19 (Ark Innovation Technology). Les décisions Wenzel et Tremblay ont été citées avec approbation par la CAF au paragraphe 38 de l’arrêt ViiV Healthcare FCA.)

[72] La partie requérante (en l’occurrence les défendeurs) doit démontrer qu’il convient de tenir un procès sommaire (Janssen Inc c Apotex Inc, 2022 CF 107 au para 51). Afin de satisfaire à cette exigence, les défendeurs ont déposé avec leur avis de requête un ensemble complet d’affidavits souscrits par les principaux acteurs visés par les allégations du demandeur, la transcription du contre‑interrogatoire de Marc Bourque par le demandeur, ainsi que des observations écrites à l’appui de la requête.

[73] Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que la présente affaire n’est pas complexe. Les questions de fait en litige sont définies et les questions de droit et les principes applicables en matière de négligence, d’obligation de diligence et de causalité sont bien établis. De plus, la présente instance a fait l’objet de retards importants et, à mon avis, la voie vers un procès complet et de vive voix n’est ni claire ni simple.

[74] Les versions divergentes des parties quant à l’administration en temps opportun des injections d’insuline du demandeur et à l’incident soulèvent certaines questions de crédibilité. Le règlement de ces questions dans le cadre de toute forme de procès repose sur les témoignages du demandeur et de Marc Bourque, les principaux protagonistes. Avant le procès prévu en juin 2022, le demandeur a accepté que le témoignage de Marc Bourque soit présenté par la voie d’un affidavit. L’affidavit de Marc Bourque a été signifié au demandeur le 17 mai 2022 et le demandeur a contre-interrogé Marc Bourque sur son affidavit le 24 mai 2022. La Cour dispose de la transcription du contre-interrogatoire.

[75] Le demandeur a eu la possibilité de présenter sa preuve à l’appui des allégations et des prétentions décrites dans sa déclaration. Il a choisi de ne pas le faire. Bien que la preuve par affidavit du demandeur ait pu présenter une version différente des faits entourant l’administration de ses injections d’insuline en septembre 2010 et de l’incident, je suis d’avis que les questions de crédibilité en l’espèce auraient pu et peuvent être réglées dans le cadre d’un procès sommaire. Le paragraphe 216(6) des Règles permet la tenue d’un procès sommaire en dépit de l’existence d’une preuve contradictoire, dans la mesure où il ne serait pas injuste de procéder de cette façon. Selon moi, les préoccupations liées à la crédibilité ne créent aucune injustice pour l’une ou l’autre des parties si l’affaire est instruite par la voie d’un procès sommaire. Il ne serait pas injuste de tenir un procès sommaire.

[76] De plus, les parties ont convenu de procéder par la voie d’un procès sommaire par écrit après l’échec du procès en juin 2022. Le demandeur est représenté par un avocat depuis un certain nombre d’années et il a eu une possibilité équitable d’examiner la proposition des défendeurs relativement au dépôt d’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire. Il a accepté de procéder à un procès sommaire après avoir contre-interrogé le principal témoin de faits des défendeurs, Marc Bourque.

[77] Je conclus que les défendeurs ont démontré que la présente action se prête à la tenue d’un procès sommaire par écrit. Bien que le consentement des parties ne soit pas déterminant, il s’agit d’un facteur important dans mon examen de la question de savoir s’il est juste de procéder par la voie d’un procès sommaire (Ark Innovation Technology, au para 18). Le fait que le procès sommaire soit le recours le plus expéditif pour régler la présente action, qui dure depuis longtemps, est un facteur tout aussi important. À mon avis, la décision contraire et la reprise du processus menant à un procès complet retarderaient davantage un litige qui dure depuis déjà dix ans. La décision du demandeur de renoncer à répondre à la requête en procès sommaire des défendeurs ne modifie pas ma conclusion. Je suis convaincue que les conditions préalables à la tenue d’un procès sommaire aux termes des Règles, examinées à la lumière de l’article 3 des Règles, sont remplies et qu’il est possible pour moi d’évaluer et de trancher la requête et l’action de façon juste et équitable, tout en réduisant les délais, les coûts et l’incertitude.

B. Le demandeur a-t-il établi l’une ou l’autre de ses allégations contre les défendeurs?

[78] Bien que les défendeurs, en tant que parties requérantes, doivent démontrer qu’il convient de tenir un procès sommaire, il incombe en fin de compte au demandeur d’établir ses allégations sur le fond des questions du procès sommaire, en l’occurrence les questions en litige dans l’action sous-jacente, au moyen d’une preuve claire et convaincante selon la prépondérance des probabilités (FH c McDougall, 2008 CSC 53 aux para 40, 45-46; Viiv Healthcare Company c Gilead Sciences Canada, Inc, 2021 CF 486 au para 20, conf par Viiv Healthcare CAF, au para 44).

[79] Au risque évident de me répéter, le demandeur n’a produit aucune preuve à l’appui des allégations formulées dans sa déclaration. L’absence de preuve porte un coup fatal à ses allégations de négligence et à sa demande de dommages-intérêts connexe.

[80] J’ai néanmoins examiné attentivement la preuve des défendeurs contenue dans les affidavits déposés avec leur avis de requête, principalement pour éclairer mon analyse quant à la question de savoir s’il convient de tenir un procès sommaire en l’espèce, mais aussi pour souligner l’importance pour le demandeur de fournir une preuve détaillée en réponse. La preuve des défendeurs porte directement sur les aspects de l’incident et de l’administration des injections d’insuline du demandeur au Pénitencier de Dorchester, en août et septembre 2010, qui se rapportent aux allégations du demandeur. J’ai également examiné les questions posées à Marc Bourque lors de son contre-interrogatoire par l’avocat du demandeur et les réponses qui ont été données.

[81] Le témoignage de Mme Lorette porte sur la procédure relative à l’administration des injections d’insuline requises par le demandeur et sur les circonstances dans lesquelles un traitement à l’insuline peut être retardé. Mme Lorette, infirmière autorisée travaillant au Pénitencier de Dorchester, affirme également que le taux de glucose du demandeur n’a pas changé de manière significative au cours des mois d’août et de septembre 2010.

[82] Le reste de la preuve des défendeurs porte sur les circonstances de l’incident, relatées par Marc Bourque, M. Allain et Kelly Bourque. La preuve des défendeurs explique également la procédure normale à appliquer lorsque les détenus de l’unité d’isolement du Pénitencier de Dorchester doivent se rendre à l’unité des soins de santé et précise que ceux-ci doivent être escortés en tout temps par deux agents correctionnels (M. Alward). Marc Bourque, M. Allain et Kelly Bourque ont chacun décrit l’incident et le recours à la force qui a été nécessaire pour maîtriser le demandeur. Leurs descriptions sont essentiellement cohérentes les unes par rapport aux autres; les seules différences découlent de leurs rôles et de leurs points de vue respectifs lors de l’incident et se rapportent à certains détails mineurs. Dans son affidavit, M. Alward décrit la formation sur le recours à la force qui était offerte par le SCC aux agents correctionnels du Pénitencier de Dorchester à l’époque de l’incident, conclut que les trois agents ont respecté toutes les politiques et procédures du SCC lors de l’incident et décrit la nature des matériaux qui ont été utilisés pour fabriquer les fenêtres des portes du Pénitencier de Dorchester.

[83] La transcription du contre-interrogatoire de Marc Bourque ne révèle aucune contradiction ou omission importante dans le récit contenu dans son affidavit. L’avocat du demandeur a fait ressortir des différences ou omissions mineures entre l’affidavit de Marc Bourque et le Rapport sur le recours à la force et le Rapport d’observation ou déclaration d’un agent joints à son affidavit, d’une part, et les réponses qu’il a fournies en contre-interrogatoire, d’autre part. Cependant, j’estime que ces différences et omissions ne minent pas la description de l’incident faite par Marc Bourque, ni ne contredisent les faits énoncés dans les affidavits de M. Allain et de Kelly Bourque. J’estime également que le contre-interrogatoire n’a révélé aucune contradiction dans les réponses de Marc Bourque aux questions concernant son rôle dans l’administration en temps opportun des injections d’insuline du demandeur.

[84] En conclusion, je juge que le demandeur n’a pas réussi à établir que le SCC ou ses employés, y compris Marc Bourque, ont été négligents. Les défendeurs ne sont donc pas responsables dans la présente action, et il n’y a aucune raison d’accorder des dommages-intérêts.

[85] Par conséquent, l’action doit être et sera rejetée dans sa totalité.

VIII. Dépens

[86] Je ne vois aucune raison de déroger à la règle générale selon laquelle les dépens suivent l’issue de la cause, et j’adjugerai les dépens aux défendeurs. Compte tenu de l’ensemble des circonstances de la présente instance, y compris le fait que le demandeur est un détenu dont les moyens de payer les dépens sont limités, et compte tenu des facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles, je conclus qu’il est raisonnable d’adjuger aux défendeurs une somme globale de 1 000 $ au titre des dépens, honoraires, débours et taxes applicables compris.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1016-12

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La requête en procès sommaire des défendeurs est accueillie.

  2. L’action du demandeur est rejetée.

  3. Une somme de 1 000 $, honoraires, débours et taxes applicables compris, est adjugée aux défendeurs au titre des dépens.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1016-12

 

INTITULÉ :

SERGE EWONDE c SA MAJESTÉ LE ROI DU CHEF DU CANADA ET MARC BOURQUE

 

REQUÊTE ÉCRITE EN PROCÈS SOMMAIRE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) EN VERTU DES ARTICLES 213 ET 216 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 AVRIL 2023

 

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Hélène Robertson

Christian Holt

 

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Todd Sloan Legal Services

Avocat

Kanata (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

 

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