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Date : 20050131

Dossier : IMM-1988-04

Référence : 2005 CF 126

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2005

Présent :        L'honorable juge François Lemieux

ENTRE :

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                      demandeur

                                                                            et

AUGUSTIN MBOUKO

ROLANDE ANNIE MBOUKO

ELVIRA CHANTAL MBOUKO

AUGUSTANIE LUDM MBOUKO

                                                                             

                                                                                                                                      défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

CONTEXTE


[1]                Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le « Ministre » ) recherche l'annulation de la décision de la Section de la protection des réfugiés (le « tribunal » ou la « SPR » ) rendue le 16 février 2004 par laquelle le tribunal a conclu (1) que la famille Mbouko, citoyens de la République centrafricaine (la « République » ou la « RCA » ), sont des réfugiés au sens de la Convention, (2) qu'ils étaient des réfugiés sur place, (3) que le Ministre n'a pas relevé son fardeau de prouver que monsieur Mbouko devrait être exclu en vertu de l'article 1F(b) de l'ancienne Loi sur l'immigration (crime grave de droit commun) et enfin (4) que les événements qui se sont produits dans la République en 2003 n'équivalaient pas à un changement de circonstances suffisant pour enlever la raisonnabilité de la crainte alléguée.

[2]                Selon le Ministre, un seul motif justifie que la décision du tribunal soit cassée. Le Ministre soumet que le tribunal a erré en droit, voire violé les principes d'équité procédurale ou de justice naturelle en fournissant des motifs insuffisants ou inadéquats pour étayer sa décision, s'appuyant sur un nouveau texte législatif quant à l'obligation de fournir des motifs écrits (l'alinéa 61(3) des Règles de la SPR) et sur la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1992] A.C.F. no 545.

[3]                La demande d'asile a été entendue le 5 avril 2002, le 17 septembre 2002, le 13 novembre 2002 et le 26 février 2003. Tel que mentionné, la décision du tribunal fut rendue le 16 février 2004.


[4]                Le demandeur principal craint la persécution de la République reliée dit-il à un complot contre lui monté à cause de ses opinions politiques (appartenance au parti d'opposition le Rassemblement démocratique centrafricain (RDC) et son appui de celui-ci durant les élections de 1999) et de son ethnie yakoma.

[5]                Il fuit la RCA en février 2000 et se rend au Cameroun où il demande un visa canadien qui lui est refusé. En août 2000, il est aux États-unis et cinq semaines plus tard au Canada.

[6]                Le complot se manifeste par une mise en accusation de fraude le 27 janvier 2000 pour faux et usage de faux, complicité de fraude douanière et escroquerie ainsi que par mandat d'arrêt national et international émis par le Doyen des Juges d'instruction de la RCA.

[7]                Ces délits prennent la forme de ventes de pétrole par PETROCA, chez qui M. MBOUKO occupait les fonctions d'Assistant du directeur commercial, à Zongo Oil, hors-taxes parce que destiné à l'exportation mais par la suite revendu frauduleusement par Zongo Oil sur le marché intérieur avec taxes comprises au profit des politiciens au pouvoir. Zongo Oil était alors dirigé par Sani Yalo, le gendre du Président Patassé.

[8]                L'analyse du tribunal s'étend seulement sur une page de sa décision de quelques pages. Je reproduis en entier cette analyse.


ANALYSE

Après avoir analysé toute la preuve, tant testimoniale que documentaire, le tribunal en est arrivé à la conclusion que le revendicateur, la revendicatrice et leurs enfants sont des « réfugiés au sens de la Convention » pour les raisons suivantes.

Le témoignage du revendicateur principal nous est apparu crédible. Le demandeur a établi qu'il travaillait comme cadre à PETROCA et qu'il a servi de « bouc émissaire » pour une fraude, en raison de son appartenance à l'ethnie yakoma et au parti RDC. De nombreux documents personnels déposés en preuve confirment les allégations du revendicateur.

La représentante du Ministre n'a pas relevé son fardeau de prouver que le demandeur devrait être exclu en vertu de l'article 1Fb) puisqu'aucune preuve n'a été apportée établissant une raison sérieuse de penser que le revendicateur a participé à la fraude dont il est accusé.

De plus, étant donné la violation de la confidentialité, concernant des renseignements nominatifs, d'un dossier de revendicateur du statut de réfugié, les quatre revendicateurs sont devenus des réfugiés sur place, en application des paragraphes 94 à 96 du Guide du HCR.

En effet, une personne de l'Ambassade du Canada a rencontré le procureur général de la République centrafricaine, un pays où la liberté d'expression était limitée, puisqu'à l'époque dirigé par le Président Patassé, pour obtenir des informations sur monsieur Mbouko, le revendicateur, (Pièce M-10), alors qu'il s'agissait d'un dossier pénal impliquant le Président de la République.

Enfin, le témoignage des revendicateurs adultes est conforme à l'abondante preuve documentaire déposée dans ce dossier qui ne fait pas état d'un changement profond et durable dans la situation politique en RCA. [je souligne]

[9]                Le nouvel alinéa 61(3) des Règles de la SPR que l'on ne retrouvait pas dans l'ancien régime sur l'immigration se lit :


(3) Dans le cas où elle indique dans les motifs de sa décision qu'elle accueille la demande d'asile après avoir conclu que les sections E ou F de 'article premier de la Convention sur les réfugiés ne s'appliquent pas, la Section transmet au demandeur d'asile et au ministre, avec l'avis de décision, les motifs écrits de la décision. [je souligne]

(3) If the reasons of the Division indicate that it has allowed a claim for refugee protection after determining that sections E or F of Article 1 of the Refugee Convention do not apply, the Division must provide the notice of decision and written reasons for the decision to the claimant and the Minister.



ANALYSE

1)         Principes

[10]            L'essentiel de l'arrêt Mehterian, précité, se résume dans les deux paragraphes suivants de la décision du juge Hugessen, alors membre de la Cour d'appel fédérale:

Le paragraphe 69.1(11) de la Loi sur l'immigration, L.R. (1985), ch. I-2 impose à la section du statut l'obligation de "motiver par écrit" toute décision défavorable à l'intéressé. Pour satisfaire à cette obligation il faut que les motifs soient suffisamment clairs, précis et intelligibles pour permettre à l'intéressé de connaître pourquoi sa revendication a échoué et de juger s'il y a lieu, le cas échéant, de demander la permission d'en appeler.

Nous sommes tous d'avis que les motifs donnés par la section du statut dans le présent dossier ne répondent pas à ces critères. Déclarer que le "demandeur n'a pas prouvé l'existence de la crainte raisonnable de persécution", sans dire plus, peut vouloir dire que le tribunal n'a pas cru le demandeur, ou qu'il l'a cru mais que les motifs de la prétendue persécution ne sort pas parmi ceux énumérés dans la Loi, ou encore que la crainte raisonnable qui avait existé dans le passé n'est plus raisonnable en raison de changements de circonstances dans le pays d'origine. Il y a plusieurs autres possibilités, dont notamment une mauvaise interprétation par la section du statut de la Loi elle-même.

Nous concluons que le revendicateur, la revendicatrice ainsi que leurs enfants ont établi qu'en cas de retour en République centrafricaine, ils auraient une « possibilité raisonnable » de persécution, selon les termes de l'arrêt Adjei. [je souligne]

[11]            La jurisprudence définit les circonstances pour l'application du principe de l'obligation de rendre des motifs adéquats afin de permettre à l'intéressé de connaître pourquoi sa demande a échouée et de juger, s'il y a lieu, d'en appeler.

[12]            Je cite le juge Martineau dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Koriagin, [2003] C.F. 1210, aux paragraphes 5, 6 et 7:


¶ 5 Pour satisfaire à l'obligation prévue à l'alinéa 69.1 (11)b) de la Loi, les motifs doivent être suffisamment clairs, précis et intelligibles afin de permettre au Ministre ou à l'intéressé de comprendre les motifs sous-jacents la décision, et le cas échéant, advenant un appel de la décision, afin de permettre à la Cour de s'assurer que la Section du statut de réfugié a exercé sa compétence de façon conforme à la Loi. Voir notamment : Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 545 (C.A.F.) (QL); Ministre de la citoyenneté et de l'immigration c. Roitman, [2001] A.C.F. no 718 (C.F. 1re inst.) (QL); Zannat c. Ministre de la citoyenneté et de l'immigration (2000), 188 F.T.R.148; Zoga c. Ministre de la citoyenneté et de l'immigration, [1999] A.C.F. no 1253 (C.F. 1re inst.) (QL); Khan v.Minister of Citizenship and Immigration, [1998] F.C.J. no 1187 (C.F. 1re inst.) (QL).

¶ 6 La détermination de l'existence d'une crainte raisonnable de persécution pour l'un des motifs énumérés à la Convention soulève une question mixte de droit et de fait. Dans l'arrêt Chan c. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1995] 187 N.R. 321, la Cour suprême du Canada a réitéré qu'un revendicateur du statut de réfugié a le fardeau de démontrer l'existence d'une crainte fondée de persécution. Sans contredit, cette détermination exige une analyse minutieuse du témoignage du revendicateur et de la preuve documentaire sur les conditions du pays. Lorsque des motifs écrits sont requis, il ne suffit pas d'affirmer que la détermination positive est fondée sur la preuve sans autre précision.

¶ 7 La crainte subjective du revendicateur doit toujours être appréciée. Lorsque la preuve révèle que le revendicateur n'a pas profité de la première occasion pour revendiquer le statut de réfugié, cela peut compromettre dans certaines circonstances sa demande d'asile. Bien que cette considération ne soit pas déterminante en soi, il s'agit d'un facteur pertinent dans l'appréciation de la crédibilité du revendicateur : Gavryushenko c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration) [2000] A.C.F. no 1209 (Q.L.); Ilie c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (1994), 88 F.T.R. 220; Huerta c. Ministre de l'emploi et de l'immigration [1993] 157 N.R. 225, par. 4 (C.A.F.).

[13]            J'invoque aussi la décision de la juge Layden-Stevenson dans Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1501:

Il est important de ne pas perdre de vue l'objectif visé par les motifs. Dans la décision Il c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 413 (C.F. 1re inst.), le juge Teitelbaum, citant la décision Syed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 83 F.T.R 283 (C.F. 1re inst.), a dit


Les motifs écrits ont pour fonction de faire connaître à ceux que la décision d'un tribunal administratif a défavorisé la raison sous-jacente de cette décision. À cette fin, les motifs doivent être appropriés, adéquats et intelligibles et ils doivent prendre en considération les points importants soulevés par les parties [...] La section du statut de réfugié est tenue, pour le moins, de faire des commentaires sur la preuve produite par le requérant à l'audience. Que cette preuve soit admise ou rejetée, le requérant doit en connaître les raisons.

En même temps, il ne faut pas scruter les motifs à la loupe et leur appliquer la norme de la perfection. Il faut les lire dans leur ensemble : Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 120 N.R. 385 (C.A.F.); Ahmed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 156 N.R. 221 (C.A.F.).

[14]            Bien que le jugement du juge Evans, alors juge de la Division de première instance, dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, traitait de la question à savoir si le tribunal avait omis de tenir compte d'éléments de preuve dont il disposait, je le crois pertinent en l'espèce:

15 La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" du fait qu'il n'a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l'égard de l'interprétation qu'un organisme donne de sa loi constitutive, s'il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d'un organisme en l'absence de conclusions expresses et d'une analyse de la preuve qui indique comment l'organisme est parvenu à ce résultat.

¶ 16 Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.


¶ 17 Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[15]            La notion de motifs adéquats a été soulevée plusieurs fois récemment devant la Cour suprême du Canada, quoique dans le contexte pénal qui n'est pas celui de l'immigration mais qui, sur le plan des principes devant guider la question précise devant moi, peut, à mon avis, nous servir.

[16]            Je cite le paragraphe 46 des motifs du jugement du juge Binnie dans l'arrêt R. c. Sheppard, 2002 CSC 26:


¶ 46 J'estime que ces affaires montrent clairement que l'obligation de donner des motifs, lorsqu'elle [page893] existe, découle des circonstances d'une affaire donnée. Lorsque la raison pour laquelle un accusé a été déclaré coupable ou acquitté ressort clairement du dossier, et que l'absence de motifs ou leur insuffisance ne constitue pas un obstacle important à l'exercice du droit d'appel, le tribunal d'appel n'interviendra pas. Par contre, lorsque le raisonnement qu'a suivi le juge du procès pour démêler des éléments de preuve embrouillés ou litigieux n'est pas du tout évident ou lorsque des questions de droit épineuses requièrent un examen, mais que le juge du procès les a contournées sans explication, ou encore lorsque (comme en l'espèce) on peut donner de la décision du juge du procès des explications contradictoires dont au moins certaines constitueraient manifestement une erreur en justifiant l'annulation, le tribunal d'appel peut, dans certains cas, s'estimer incapable de donner effet au droit d'appel prévu par la loi. Alors, l'une ou l'autre des parties pourra douter de la justesse du résultat, mais l'absence de motifs ou leur insuffisance l'aura à tort privée de la possibilité d'obtenir un examen convenable en appel du verdict prononcé en première instance. En pareil cas, même si le dossier révèle des éléments de preuve qui, d'une certaine manière, pourraient appuyer un verdict raisonnable, les lacunes des motifs peuvent équivaloir à une erreur de droit et fonder l'intervention d'un tribunal d'appel. Il appartiendra à la cour d'appel de décider si, dans un cas donné, les lacunes des motifs l'empêchent de s'acquitter convenablement de ses fonctions en appel. [je souligne]

[17]            Je cite à l'appui la décision récente du juge Catzman de la Cour d'appel de l'Ontario dans R. c. Brown (2002), 61 O.R. (3d) 619, où le juge a cassé la décision de Première instance parce que les motifs « neither advanced the accused's understanding of the reasons for his conviction (beyond the blanket rejection of his testimony and the unenlightening reference to the "accumulation of evidence") nor did they facilitate meaningful appellate review of the correctness of the decision » .

2)         La norme de contrôle

[18]            Quant à la norme de contrôle, la juge Layden-Stevenson dans Liang, précité, résume bien ma pensée au paragraphe 9 de ses motifs que je cite:

9 La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait de la SSR est établie à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, modifiée. Ces conclusions, dans la mesure où elles sont factuelles, ne peuvent être contrôlées que si elles sont erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la Section du statut disposait. La norme est identique à la norme définie par l'expression "manifestement déraisonnable". Ces conclusions, dans la mesure où elles appliquent le droit aux faits de la cause, ne peuvent être contrôlées que si elles sont déraisonnables. Dans la mesure où elles interprètent le sens d'une clause d'exclusion, elles peuvent être contrôlées si elles sont erronées : Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 302 N.R. 178 (C.A.F.). Les questions de droit sont contrôlables selon la norme de la décision correcte : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 (Pushpanathan).


3)         Conclusions

[19]            Le procureur des revendicateurs me dit que la décision du tribunal est bien motivée et pour me convaincre, par référence au dossier du tribunal, discute la preuve testimoniale et documentaire.

[20]            Selon lui, cette preuve appuie la théorie du bouc émissaire - la dissimulation par le Président de la République et la haute direction de PETROCA de leur participation dans la fraude douanière en accusant faussement, avec l'aide des juges d'instruction, les cadres inférieurs de la pétrolière. Il soumet que rien dans le dossier ne contredit M. Mbouko qui jouit de la présomption de dire la vérité.

[21]            Le Ministre n'a pas, selon l'avocat des intimés, relevé son fardeau de démontrer que M. Mbouko devrait être exclu puisqu'il n'a mis en preuve que l'acte d'accusation et n'a soumis aucune autre preuve.

[22]            De plus, le revendicateur principal a expliqué son délai de venir au Canada.

[23]            En dernier lieu, la preuve documentaire démontre que les changements en RCA sont fragiles.

[24]            À mon avis, il est indéniable que certains éléments de preuve supportent la thèse des revendicateurs.

[25]            Mais, comme le prétend le procureur du Ministre, il y avait aussi des éléments de preuve contraires et ce qui est reproché au tribunal est de n'avoir pas analysé et soupesé la preuve dans son ensemble. Il est important, dit-il, d'apprécier que ma tâche n'est pas de trancher la question de savoir si les conclusions du tribunal sont justifiées - si les renvendicateurs devraient être reconnus comme réfugiés. La question se limite à savoir si les motifs du tribunal sont suffisants.

[26]            À mon avis, le ministre avait plusieurs raisons de prétendre que les motifs du tribunal étaient inadéquats constituant ainsi une erreur de droit.

[27]            Premièrement, le tribunal énonce un constat de crédibilité sans mentionner les éléments de preuve qui entachaient, à mon avis, la crédibilité du récit du revendicateur principal:

1)         la preuve contradictoire quand il a cessé d'occuper son poste à PETROCA;

2)         son témoignage sur son salaire et les sommes d'argent qui apparaissaient dans les relevés bancaires qu'il a présentés à l'Ambassade canadienne à l'appui de sa demande de visa;


3)         la plausibilité de son témoignage quant à son arrestation, son inculpation et sa fuite;

4)         le fait que deux de ses collègues qui avaient été arrêtés avec lui n'avaient pas été libérés par la suite;

5)         la crédibilité du récit de son séjour de cinq semaines aux États-Unis.

[28]            Sur ce point, je cite le jugement du juge Nadon dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Roitman, 2001 CFPI 462 aux paragraphes 15 et 16:

¶ 15 Une autre erreur de Me Choquette, à mon avis, concerne sa conclusion relative à la crédibilité des défendeurs. À la page 2 des ses motifs, Me Choquette s'exprime comme suit:

D'entrée de jeu, le Tribunal n'hésite pas à déclarer que l'histoire, principalement récitée par la revendicatrice, est laconiquement confirmée par l'enfant mineur, eu égard aux blessures personnelles qui lui ont été infligées à lui, est foncièrement honnête et crédible.

¶ 16 Il n'y a rien d'autre dans les motifs de Me Choquette concernant la crédibilité des défendeurs. Il y avait en preuve devant la section du statut plusieurs éléments qui pouvaient entacher leur crédibilité. Pour s'en convaincre, il suffit de lire les motifs dissidents de Me Handfield concernant les points suivants: le fait que les revendicateurs n'ont pas revendiqué le statut de réfugié lors de leurs séjours en Irlande, en Hollande et possiblement en France; le fait que la défenderesse ait indiqué dans son FRP que tous les membres de sa famille, sauf elle, demeuraient en Moldavie, alors qu'elle a témoigné viva voce que ses soeurs Irina et Anna, ainsi que sa mère, demeuraient aussi en Israël; le fait que le défendeur Alexander ne pouvait relater le nom de la ville où il avait vécu en Israël, et; le fait que la défenderesse ne pouvait se souvenir du nom de l'école où elle avait inscrit son fils en septembre 1999.


[29]            Deuxièmement, le tribunal n'a fait aucune analyse du coup d'état de 2003 en RCA contre le président Patassé, maintenant déchu du pouvoir présidentiel. Il n'a pas non plus statué sur la manière dont ce coup d'état pouvait éliminer la crainte du revendicateur principal ou la crainte de son épouse, cousine du fils de l'ancien président de la République, soit le chef du RCD maintenant revenu d'exil et membre du Conseil des ministres ré-établi au rang de Lieutenant-général.

[30]            Troisièmement, le tribunal ne fait aucun commentaire et ne se réfère à aucune preuve quant à la valeur probante du mandat d'arrestation international lancé contre M. Mbouko par les autorités judiciaires en RCA. Dans ce contexte, le tribunal ne se réfère à aucune preuve pour appuyer sa conclusion que M. Mbouko a servi de bouc émissaire pour une fraude.

[31]            Quatrièmement, le tribunal a conclu que les revendicateurs étaient des réfugiés sur place du simple fait qu'une personne à l'Ambassade du Canada a rencontré le Procureur général de RCA pour obtenir des informations sur le revendicateur principal.

[32]            Sur ce point, le paragraphe 96 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié publié par le Haut-commissariat des Nations-unies pour les réfugiés indique que:

96. Une personne peut devenir un réfugié « sur place » de son propre fait, par exemple, en raison des rapports qu'elle entretient avec des réfugiés déjà reconnus comme tel ou des opinions politiques qu'elle a exprimées dans le pays où elle réside. La question de savoir si de tels actes suffisent pour établir la crainte fondée de persécution doit être résolue à la suite d'un examen approfondi des circonstances. En particulier, il y a lieu de vérifier si ces actes sont arrivés à la connaissance des autorités du pays d'origine et de quelle manière ils pourraient être jugés par elle.

[33]            Aucune analyse n'a été faite par le tribunal; des éléments de preuve indiquent que les autorités de la RCA savaient que le revendicateur principal avait fui le pays et où il était.

[34]            Aussi, je me réfère au jugement de la juge McGillis dans Igbinosun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1705. La juge McGillis écrit ceci au paragraphe 6:

¶ 6 En l'espèce, la preuve établit que l'identité du requérant a été communiquée aux autorités policières nigérianes pour déterminer s'il avait été accusé de meurtre. Rien n'indique que des renseignements confidentiels donnés par le requérant dans son formulaire de renseignements personnels ont été communiqués. L'objection à l'admissibilité du télex pour le motif que la Loi sur la protection des renseignements personnels a été violée a été soulevée sans être étayée sur la preuve qui s'impose et, par conséquent, doit être rejetée. Subsidiairement, même si les autorités canadiennes ont communiqué à la police nigériane des renseignements confidentiels concernant le requérant, la divulgation a été faite dans le but de permettre au ministre de décider si la revendication du requérant soulevait une question relevant des causes d'exclusion visées au paragraphe F(b) de l'article premier de la Convention. [Voir le sous-alinéa 69.1(5)a)(ii) de la Loi sur l'immigration.] Le requérant ayant fourni les renseignements pour les fins de la procédure d'immigration, leur utilisation, le cas échéant, par le ministre ou ses représentants visait manifestement "les usages qui sont compatibles avec ces fins" au sens de l'alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. [Voir également Rahman c. M.E.I., décision du 10 juin 1994, Section de première instance, Imm-2078-93]. [je souligne]

[35]            Cinquièmement, le tribunal ne nous a pas expliqué sur quelles preuves il s'est appuyé pour conclure « qu'il n'y avait aucune preuve apportée établissant une raison sérieuse de penser que le revendicateur a participé à la fraude dont il avait été accusé » .

[36]            Le tribunal ne nous parle aucunement de la norme de preuve applicable, qui n'est ni « hors de tout doute raisonnable » ni « par balance des probabilités » , mais plutôt la norme plus basse d'une « possibilité sérieuse basée sur une preuve crédible » .

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

Pour tous ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal est cassée et l'affaire est remise pour nouvelle étude par un tribunal constitué différemment. Chaque partie a une semaine pour proposer une ou des questions certifiées avec droit de réplique dans les cinq jours ouvrables de la date de la communication de la proposition de question certifiée.

                                                                       

                                   J u g e                              


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                       IMM-1988-04

INTITULÉ:                                       MCI c. AUGUSTIN MBOUKO ET AL

LIEU DE L'AUDIENCE :               MONTREAL

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 10 janvier 2005

MOTIFS [de l'ordonnance ou du jugement] :           Le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                                                          le 31 janvier 2005

COMPARUTIONS:

Me François Joyal

POUR LE DEMANDEUR

Me Noël St-Pierre

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

JUSTICE CANADA

Complexe Guy Favreau

200, René-Lévesque Ouest

Montréal (Québec)    H2Z 1X4

Téléphone: (514) 842-5880

Télécopie : (514) 283-3856

POUR LE DEMANDEUR

ST-PIERRE GRENIER AVOCATS

460, Ste-Catherine Ouest

Bureau 410

Montréal (Québec)    H3B 1A7

Téléphone: (514) 866-5599

Télécopie : (514) 866-3151

POUR LE DÉFENDEUR


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