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Date : 20230331


Dossier : IMM-3619-22

Référence : 2023 CF 457

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2023

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

SANDRA MARLENE RAMIREZ DE CASTANEDA

Partie demanderesse

et

MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Sandra Ramirez de Castaneda, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 25 mars 2022 par la Section de la protection des réfugiés (SPR). La SPR conclut que certaines des allégations essentielles au soutien de sa demande d’asile ne sont pas crédibles et rejette donc la demande.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

I. Contexte

[3] La demanderesse est citoyenne d’El Salvador. Elle craint la violence à la fois par l’ex-épouse de son mari, ainsi qu’un médecin-ophtalmologiste qui l’a agressé sexuellement. La demanderesse craint également de subir de mauvais traitements par les gangs et la société machiste en raison de son profil de femme seule en l’El Salvador.

[4] La demanderesse a fait l’objet de menaces en 2013 par l’ex-épouse de son mari et elle a obtenu alors des mesures de protection contre celle-ci. En 2016, la demanderesse a été mise au courant de menaces à son endroit par son mari selon lesquelles l’ex-épouse voudrait s’en prendre à elle si la demanderesse continuait ses demandes pour obtenir la garde légale de la fille de son mari.

[5] La demanderesse a fait aussi l’objet d’attouchements de nature sexuelle par un médecin-ophtalmologiste en novembre 2015. De plus, elle a subi des menaces de celui-ci de ne pas dénoncer les gestes subis. À la suite de cet incident, le mari de la demanderesse a déposé une plainte administrative. La demanderesse n’a pas enregistré une plainte criminelle contre le médecin, mais il a été condamné pour d’autres gestes criminels de nature sexuelle à l’endroit d’une mineure et condamné à huit ans de prison.

[6] La demanderesse allègue qu’elle est partie d’El Salvador après une série d’événements troublants en 2017. Dans son formulaire de fondement de la demande d’asile (FDA), la demanderesse déclare avoir été suivie par un jeune homme en bicyclette qui a fait la tour de sa voiture avant de s’éloigner. Elle allègue aussi avoir reçu un appel de menaces deux semaines plus tard. La demanderesse a envoyé au tribunal une lettre de plainte datée du 16 octobre 2017 concernant l’appel menaçant et une demande de suivi de cette plainte datée du 1er janvier 2018.

[7] En décembre 2017, la demanderesse se sentait surveillée, car elle a remarqué la présence d’une voiture suspecte non immatriculée près du domicile de sa sœur chez laquelle elle avait trouvé refuge. Elle allègue avoir reçu des appels subséquents provenant du même indicatif régional « 502 » que celui pour lequel elle a déposé une plainte en octobre 2017.

[8] Le 11 janvier 2018, la demanderesse a quitté l’El Salvador pour les États-Unis. Quelques jours plus tard, elle est arrivée à la frontière du Canada et a y demandé l’asile. Elle a été permise d’entrer le pays parce que son mari est résident permanent du Canada.

II. La décision sous contrôle

[9] La SPR rejette la demande d’asile, estimant que la demanderesse est crédible sur plusieurs aspects des incidents au soutien de sa demande sauf en ce qui a trait à certains éléments spéculatifs ainsi que certaines allégations d’événements précis de menaces ayant précipité son départ d’El Salvador.

[10] Les conclusions pertinentes de la SPR sont les suivantes :

  1. Depuis 2016, les seules craintes de la demanderesse sont liées au fait que la fille de son mari cherche à savoir des nouvelles de celle-ci. Selon la SPR, la demanderesse spécule sur la base de cette information que l’ex-femme de son mari voudrait encore s’en prendre à elle par vengeance. La SPR conclut que les questions de la fille ne démontrent pas que la demanderesse fait actuellement l’objet de menaces de la part de l’ex-femme.

  2. L’allégation de la demanderesse selon laquelle le médecin-ophtalmologiste a été libéré après seulement un an d’incarcération n’est pas convaincante parce que la SPR ne peut pas se baser sur un blogue et un extrait non daté d’un site internet d’une clinique où apparaissent les informations du médecin. La SPR note aussi que la demanderesse n’a eu aucun contact avec le médecin, ni reçu aucune autre menace de celui-ci depuis 2015. La SPR conclut donc que la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve de démontrer qu’il lui en veuille encore.

  3. En ce qui a trait aux événements de 2017 (le jeune homme en bicyclette; un premier appel de menaces ; la voiture suspecte non immatriculée près du domicile de sa sœur ; les appels subséquents de menaces), la SPR explique que le témoignage de la demanderesse lors de l’audience selon lequel les appels, le jeune homme et la voiture sont tous reliés à l’un ou l’autre de ses agents de préjudice n’est appuyé par aucun fait autre que la spéculation circonstancielle.

  4. Également, la demanderesse n’a pas démontré le comportement dont on peut raisonnablement s’attendre d’une personne qui dit craindre d’être persécuté.

[11] Quant à sa crainte alléguée d’être persécuté en raison de son statut de femme seule, la SPR constate que la violence est généralisée en l’El Salvador et que certains groupes de femmes sont plus susceptibles de persécution. Or, la demanderesse n’a pas établi des faits démontrant que sa situation personnelle correspond à celle des femmes craignant avec raison d’être persécutées en raison de leur sexe. De plus, son retard à quitter son pays d’origine et sa décision de ne pas aller aux États-Unis nonobstant qu’elle possède un visa à entrées multiples et valide jusqu’en 2024 illustrent une absence de crainte subjective et minent sa crédibilité générale. La SPR conclut que la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau d’établir une possibilité sérieuse de persécution en l’El Salvador en raison de son sexe.

III. Analyse

[12] La demanderesse reproche notamment à la SPR d’avoir manqué à son obligation d’équité procédurale en commettant cinq erreurs par lesquelles elle a nié le droit de la demanderesse de présenter pleinement son cas. Cependant, une seule de ces erreurs me permet de disposer de la présente demande : l’allégation selon laquelle de nombreuses erreurs importantes dans l’interprétation du témoignage de la demanderesse ont été commises lors de l’audience, l’une desquelles a entaché de manière irrévocable sa crédibilité.

[13] Les questions d’équité procédurale ne sont pas véritablement tranchées en fonction d’une norme de contrôle particulière. Le rôle d’une cour de révision est plutôt de déterminer si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 (CCP)). Comme il a été signalé dans l’arrêt CCP, au paragraphe 56 : « la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre ».

[14] Le reçoit des appels menaçants représente un élément important précipitant le départ de la demanderesse de l’El Salvador en 2017. À cet égard, la SPR remarque que la demanderesse a témoigné qu’elle a vu le numéro de téléphone complet de l’interlocuteur menaçant et en a fait rapport aux autorités policières dans sa plainte officielle. Or, dans la plainte déposée par la demanderesse, il n’en fait mention que de l’indicatif régional, le « 502 ». En réponse à la question posée par la SPR au sujet de cette contradiction, la demanderesse a expliqué qu’elle a indiqué aux autorités seulement l’indicatif régional relié au premier appel et qu’il y avait d’autres chiffres (non précisés) par la suite. En outre, elle a expliqué qu’elle n’avait pas tenté de noter le numéro complet des appels subséquents parce qu’elle n’allait pas les appeler et que le numéro était parfois bloqué.

[15] La SPR conclut que les explications fournies par la demanderesse ne sont pas raisonnables et que si la demanderesse « avait transmis le numéro de téléphone complet aux autorités policières, celui-ci serait indiqué dans la plainte qu’elle a enregistrée ».

[16] La demanderesse inclut dans son mémoire déposé à l’appui de cette demande de contrôle judiciaire un extrait de la transcription de son témoignage. L’extrait démontre que son conseil a interrompu le commissaire de la SPR lors de l’audience et lui a expliqué qu’il y avait des problèmes par rapport à l’interprétation :

Conseil de la demanderesse : et madame n’a jamais dit l’information que vous avez compris

Commissaire : alors qu’est-ce que je n’ai pas compris?

Conseil de la demanderesse : « lors de l’entrevue au point d’entrée, la plainte de 2017, la pièce C-24, vous faites référence aux appels aux numéros 502, et aujourd’hui vous avez témoigné que vous avez le numéro complet, que vous avez donné à la police et pourtant vous avez communiqué outre le tribunal », ce pas ce que madame a dit. Et maintenant vous avez demandé si madame a essayé d’enregistrer les numéros et l’interprète dit

Commissaire : Non, j’ai demandé si son téléphone a enregistré, j’ai demandé si elle a essayé de noter les numéros.

Conseil de la demanderesse : oui, ok, mais l’interprète a dit « si vous avez, si vous avez appelé à ce numéro », donc Madame répond à toute une autre question

Commissaire : alors ça, je comprends, on va le clarifier

Conseil de la demanderesse : Oui

Commissaire : il n’y a pas de problème, je vais en tenir compte

(Souligné dans l’original)

[17] Il est bien établi que les demandeurs d’asile qui comparaissent devant la SPR ont droit à une interprétation continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante. De plus, ils n’ont pas à prouver l’existence d’un préjudice réel pour démontrer la violation de ce droit (Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191 au para 4 (Mohammadian); Muamba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 388 au para 12 (Muamba)).

[18] Il n’est pas cependant nécessaire que l’interprétation soit parfaite (Mohammadian au para 6). Pour que l’erreur d’interprétation équivaille à un manquement à l’équité procédurale, elle doit être suffisamment sérieuse, réelle et importante (Muamba au para 13).

[19] La demanderesse soutient qu’elle a fait une allégation de manquement aux règles d’équité procédurale à la première occasion, soit lors de l’audition devant la SPR. Elle souligne que l’erreur commise par l’interprète a déformé son témoignage et a donné lieu à une conclusion négative de sa crédibilité, lui causant un préjudice réel.

[20] Je suis d’accord. Ayant lu l’extrait de la transcription de l’audience devant la SPR, je conclus que l’interprétation erronée de la question posée à la demanderesse par la SPR est sérieuse et réelle. En effet, la demanderesse a répondu à une question fondamentalement différente de celle posée par le tribunal. Sa réponse a amené la SPR à sa conclusion selon laquelle la demanderesse n’a pas reçu d’appels de menaces en 2017, un élément important de sa conclusion ultime.

[21] Je reconnais que la SPR indique que, même si elle tient compte de l’allégation de l’interprétation inadéquate, elle considère que si la demanderesse avait reçu un appel la menaçant de viol ou de mort, elle aurait tenté de noter le numéro de téléphone pour transmettre ce numéro aux autorités. Cependant, la SPR n’explique pas intelligiblement si elle comprend que la demanderesse a répondu à une question différente de celle qu’elle lui a posée concernant le ou les numéros de téléphone des interlocuteurs menaçants. Son affirmation relative à l’interprétation n’est que vague et ne répond pas à l’objection précise du conseil de la demanderesse.

[22] Dans ces circonstances, je conclus qu’il a eu manquement à l’équité procédurale qui a nui considérablement au droit de la demanderesse à une audience et un processus équitable devant la SPR. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et la décision est annulée. Il se peut très bien que le résultat soit le même lors du réexamen de l’affaire, mais il est essentiel que la demanderesse ait eu l’occasion de présenter pleinement son cas à la SPR avec exactitude.

[23] Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire de considérer les autres arguments du demandeur.


JUGEMENT AU DOSSIER IMM-3619-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la Section de la protection des réfugiés du 25 mars 2022 est annulée.

  3. L’affaire est renvoyée devant la Section de la protection des réfugiés pour un nouvel examen par un tribunal constitué différemment.

  4. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3619-22

 

INTITULÉ :

SANDRA MARLENE RAMIREZ DE CASTANEDA c MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ, ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 février 2023

 

JUGEMENT ET :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 MARS 2023

 

COMPARUTIONS :

Me Fabiola Ferreyra Coral

 

Pour la demanderesse

 

Me Julien Primeau-Lafaille

 

Pour lA défendeRESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ROA Services Jurdiques

Avocates

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour lA défendeRESSE

 

 

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