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Date : 20230315


Dossier : IMM-4312-22

Référence : 2023 CF 353

Ottawa (Ontario), le 15 mars 2023

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

GÉRARD BUNAME

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Gérard Buname, est citoyen burundais d’ethnie tutsie. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 19 janvier 2022 refusant sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR).

[2] Après avoir examiné les motifs de l’agent principal d’immigration (l’agent d’ERAR), la preuve qui lui a été présentée et le droit applicable, je ne trouve aucune raison d’infirmer la décision sous contrôle. Cette demande est donc rejetée.

I. Contexte

[3] Le demandeur est arrivé au Canada en septembre 2016 accompagné de son épouse et y a demandé d’asile. Il invoquait une crainte de retour au Burundi puisque sa vie serait à risque en raison de son opposition aux violences en cours dans son pays d’origine.

[4] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la SPR rejette la demande d’asile du demandeur le 27 août 2020. Le tribunal avait des « raisons sérieuses de penser » que le demandeur s’est rendu complice de crimes contre l’humanité en raison de sa contribution à la fois volontaire, significative et consciente aux crimes commis par l’administration burundaise dans l’arrondissement de Karusi en 1972. La SPR conclut donc que le demandeur ne peut avoir la qualité de réfugié au sens de la Convention des nations Unies relative au statut des réfugiés (Convention), car il est visé par l’article 1F de la Convention et par l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 21 (LIPR).

[5] La SPR constate aussi que le demandeur n’a pas réussi à démontrer la véracité de certaines de ses allégations principales. Le tribunal conclut alors que le demandeur n’a pas établi son implication politique ni l’influence alléguée dans son récit qui pourrait expliquer l’intérêt des autorités burundaises à son égard.

[6] En juin 2021, le demandeur a présenté une demande d’ERAR.

[7] L’agent d’ERAR conclut que le demandeur est exclu de l’examen en vertu de l’article 96 de la LIPR en raison de l’application de l’article 1F de la Convention. Il s’ensuit que le demandeur est une personne décrite au paragraphe 112(3)c) de la LIPR et l’examen ERAR se fait exclusivement en vertu de l’article 97(1).

[8] Dans sa demande, le demandeur invoque le risque de persécution en raison de son appartenance ethnique en tant que Tutsi. Il allègue aussi être persécuté pour son opinion politique implicite que découle du fait qu’il serait opposé au gouvernement à majorité hutue du Burundi. L’agent d’ERAR estime que le demandeur présente les mêmes risques que ceux qui ont été avancés devant la SPR.

[9] Le demandeur présente un certain nombre de documents à titre de nouvelle preuve et l’agent d’ERAR les examine en vertu de l’alinéa 113a) de la LIPR :

Examen de la demande

Consideration of application

113 Il est disposé de la demande comme il suit :

113 Consideration of an application for protection shall be as follows:

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

[10] L’agent conclut que le demandeur n’a pas fourni des preuves objectives suffisantes pour démontrer qu’il serait personnellement soumis à un danger estimé pour des motifs substantiels, soit au risque pour la vie ou soit au risque d’être soumis à la torture ou à des peines cruelles à Burundi. Pour conclure ainsi, l’agent se fonde sur les éléments suivants :

  • a)L’agent n’est pas en mesure d’examiner que les risques possibles qui ont surgi depuis la décision de la SPR. Bien que les articles présentés soient datés postérieurs à cette décision, leur contenu collectif fait référence à des questions de persécution qui étaient présentes au moment du processus de la SPR en 2020.

  • b)Les articles sont extraits de sources en ligne. Essentiellement, ils font état de la violence ethnique au Burundi qui a débuté dans les années 1970. Le demandeur avait accès à des articles similaires durant le processus de la SPR et il ne fournit aucune explication convaincante pour démontrer pourquoi il n’aurait pas pu soumettre des articles similaires à la SPR.

  • c)En outre, le demandeur n’explique pas suffisamment comment les événements décrits dans ces articles s’appliquent à sa situation.

  • d)Les rapports concernant l’état du pays traitent principalement des questions de persécution fondées sur l’ethnicité, l’appartenance à un groupe social ou les opinions politiques : des questions englobées par l’article 96 de la LIPR et non pas l’article 97.

  • e)Les nouveaux éléments de preuve ne surmontent pas suffisamment les restrictions imposées par l’article 1F de la Convention et ne répondent pas à l’inférence négative de la SPR concernant la crédibilité du demandeur, particulièrement en ce qui concerne ses affiliations politiques et ses allégations de menaces.

  • f)Le demandeur a déposé une lettre de l’Assemblée des Burundais du Canada pour étayer ses allégations de risque. Cependant, les qualifications de la coordinatrice pouvant corroborer ces allégations ne sont pas apparentes. De plus, elle ne fournit pas de preuves objectives pour expliquer la raison pour laquelle elle croit que le demandeur sera soumis à la torture et même à l’exécution à Burundi. La coordinatrice évoque des convictions politiques du demandeur et son appartenance ethnique, mais ces deux facteurs sont généralement associés aux motifs de la Convention et de l’article 96(1) de la LIPR. Conséquemment, l’agent n’accorde à la lettre aucune valeur probante.

[11] L’agent d’ERAR rejette sa demande le 19 janvier 2022 et le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

II. Analyse

[12] Le demandeur soutient d’abord que l’agent d’ERAR omet de convoquer une audience malgré ses doutes à l’égard de la crédibilité du demandeur (le paragraphe 113b) de la LIPR et l’article 167 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227). Selon le demandeur, l’agent a rendu une conclusion de crédibilité déguisée lorsqu’il déclare que « les nouveaux éléments de preuve ne répondent pas à l’inférence négative des décideurs précédents quant à la crédibilité du demandeur ».

[13] L’argument du demandeur n’est pas convaincant. Tel que le soulève le défendeur, la déclaration de l’agent d’ERAR doit être prise au contexte. Dans le paragraphe en question, l’agent explique comment les éléments de preuve déposée à l‘appui de la demande d’ERAR ne surmontent pas les conclusions de la SPR, y compris son inférence négative concernant les affiliations politiques du demandeur et les menaces auxquelles il ferait face à Burundi.

[14] En évoquant l’inférence négative de la SPR, l’agent n’arrive pas à sa propre conclusion quant à la crédibilité du demandeur (Hurtado c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 768 au para 10). Il ne remet pas en question les faits qui lui ont été présentés. L’agent évalue plutôt les documents soumis par le demandeur eu égard à la décision de la SPR et ses conclusions concernant les mêmes risques dont le demandeur soulève dans sa demande d’ERAR.

[15] Plus précisément, l’agent ne justifie pas sa décision par une appréciation de la crédibilité du demandeur. Il ne laisse pas entendre qu’il doutait de la crédibilité de la demanderesse. En outre, les motifs de l’agent n’indiquent pas qu’il tire des conclusions voilées quant à la crédibilité du demandeur.

[16] Je conclus que l’agent d’ERAR n’était pas tenu de convoquer une audience en vertu du paragraphe 113b) de la LIPR. Ma conclusion demeure inchangée que la Cour examine cette question selon la norme de contrôle de la décision raisonnable ou celle de la procédure équitable (Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 447 au paras 11‑21; cf. Iwekaez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 814 au paras 7-14).

[17] Le demandeur conteste aussi le bien-fondé de la décision sous contrôle. Il soutient que : (1) l’agent d’ERAR a omis d’entreprendre une analyse de sa demande en vertu de l’article 97, et (2) que l’agent lui a effectivement imposé un fardeau impossible de preuve corroborante.

[18] La norme de contrôle applicable à la révision de la décision d’un agent d’ERAR, y compris son évaluation des éléments de preuve, est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux paras 10, 23 (Vavilov); Tesfay c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 593 au para 5).

[19] Le demandeur soutient que l’omission par l’agent d’ERAR de considérer son appartenance à certains groupes sociaux (les Tutsis et les perçus opposants politiques) en vertu de l’article 97 et la preuve objective au dossier est une erreur révisable. Selon le demandeur, même s’il n’en a pas fait référence explicitement dans sa demande ERAR, il est évident qu’il ferait face à un risque individualisé de torture et des traitements cruels et inusités au Burundi au sens de l’article 97.

[20] Je ne suis pas d’accord. La décision démontre de façon transparente et intelligible l’analyse de l’agent des nouveaux éléments de preuve fournie par le demandeur. L’agent a constaté que, malgré les dates des articles, « leur contenu collectif fait référence à des questions de persécution qui étaient présentes au moment de processus de la SPR en 2020 » (Scotland c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 512 au para 16). Le demandeur lui-même reconnait que les articles concernent des événements et des faits existants qui « persistent » depuis l’audience devant la SPR. Par conséquent, il lui incombait de démontrer qu’il n’avait pas d’accès à cette preuve lors de l’audience devant la SPR ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il l’ait présentée lors de l’audience. Malheureusement, le demandeur n’explique pas pourquoi il n’aurait pas pu soumettre des articles similaires à la SPR, étant donné que ces articles ont été extraits de ressources en ligne. L’agent conclut donc que le demandeur avait accès à des articles similaires durant le processus de la SPR et, selon moi, l’agent n’a aucunement erré en se concluant ainsi.

[21] Le demandeur soutient aussi que l’agent lui a imposé un fardeau impossible de preuve corroborante.

[22] Dans sa demande d’ERAR, le demandeur évoque les mêmes risques qui « persistent » depuis l’audience devant la SPR et il fournit de la nouvelle preuve qui corroborait ces risques. Le demandeur souligne qu’il est assez aîné et qu’il habite maintenant au Canada. Il ne peut déposer que la preuve objective du même genre que celle dont il a présentée à la SPR dans ces circonstances. Selon le demandeur, l’agent a ignoré les principes articulés par la Cour dans l’affaire Senadheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968 (Senadheerage) en exigeant des preuves spécifiques à sa situation.

[23] Après avoir considéré soigneusement la preuve au dossier et les motifs de l’agent d’ERAR, je ne suis pas convaincue par les arguments du demandeur. Il incombe au demandeur de démontrer le lien entre ses circonstances personnelles et l’existence d’un risque personnalisé. En d’autres termes, le demandeur devait établir qu’il serait personnellement exposé à un risque d’être soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités advenant un retour au Burundi.

[24] L’agent a expressément considéré la preuve au dossier et la question du risque individualisé du demandeur au Burundi au sens de l’article 97 : « À cet égard, le demandeur n’explique pas suffisamment comment les événements décrits dans ces articles s’appliquent à sa situation ». Bien que le demandeur puisse être en désaccord avec l’interprétation de l’agent des éléments de preuve qu’il a présentés, il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve (Vavilov, au para 125). Le demandeur allègue que l’agent n’a pas considéré la question de son risque personnalisé, mais il ne démontre pas comment les articles déposés s’appliqueraient spécifiquement à lui.

[25] Le demandeur explique qu’un décideur ne peut exiger de la preuve corroborante que s’il établit clairement un motif indépendant pour exiger la corroboration, comme des doutes quant à la crédibilité (Senadheerage au para 36). Selon le demandeur, le demandeur était assujetti à « un fardeau impossible de preuve corroborante » si l’agent ne considérait pas sa la nouvelle preuve objective comme suffisante.

[26] Le cas en espèce se distingue de l’affaire Senadheerage, où le juge Grammond a conclu que la SAR a erré en faisant défaut d’expliquer pourquoi elle a exigé de la preuve corroborante. (Senadheerage aux paras 22-43). En l’espèce, l’agent conclut que la preuve du demandeur et ses affirmations ne sont pas suffisantes pour établir un lien évident entre sa situation et les conditions générales au Burundi. Le demandeur n’a simplement pas réussi à rencontrer son fardeau de preuve. Il n’a pas démontré comment la preuve objective et généralisée et ses arguments dans sa demande d’ERAR établissent son risque personnalisé. À mon avis, le demandeur n’a pas relevé devant la Cour une erreur dans l’analyse ou la conclusion de l’agent susceptible de contrôle.

[27] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et je conviens qu’il n’y en a aucune.

[28] Il convient de modifier l’intitulé de cause pour nommer le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à titre de défendeur, conformément à l’alinéa 4(1) de la LIPR, et tel les deux parties y consentent.


JUGEMENT AU DOSSIER IMM-4312-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé est modifié afin que le défendeur soit désigné comme étant le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

  3. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4312-22

 

INTITULÉ :

GÉRARD BUNAME c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 janvier 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 MARS 2023

 

COMPARUTIONS :

Arthur Ayers

 

Pour le demandeur

 

Maryse Piché Benard

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Arthur Ayers

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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