Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230327


Dossier : IMM-5408-21

Référence : 2023 CF 417

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2023

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

QIAOQIN YUE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse est citoyenne de la Chine. Elle détient, par l’intermédiaire d’une société à dénomination numérique, une participation majoritaire dans le Little Szechuan Restaurant, situé à Saskatoon, en Saskatchewan. La société ayant fait l’objet d’une étude d’impact sur le marché du travail (l’EIMT) favorable au titre de l’article 203 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR), l’autorisant à recruter un travailleur étranger temporaire pour la gestion du restaurant, la demanderesse a présenté à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté (IRCC) une demande de permis de travail au titre de l’article 200 du RIPR de manière à pouvoir s’embaucher elle-même en tant que gérante. Sa demande de permis de travail a été rejetée le 14 juin 2021. L’agent des visas n’était pas convaincu que, comme l’exige l’alinéa 200(3)a) du RIPR, la demanderesse avait établi qu’elle était capable d’exercer l’emploi qu’elle voulait occuper. Il n’était pas non plus convaincu que, comme l’exige l’alinéa 200(1)b) du RIPR, la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé.

[2] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Elle soutient que les conclusions tirées par l’agent au titre des alinéas 200(3)a) et 200(1)b) du RIPR sont déraisonnables. Comme je l’explique dans les motifs qui suivent, je ne suis pas de cet avis. Plus particulièrement, je ne suis pas convaincu que la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse n’a pas démontré qu’elle pouvait exercer l’emploi qu’elle voulait occuper est déraisonnable. Ainsi, il n’est pas nécessaire que je me penche sur la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse n’a pas établi qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[3] Les parties conviennent, et c’est aussi mon avis, que la décision de l’agent est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 85). La cour de révision doit faire preuve de déférence à l’égard de la décision qui possède ces attributs (ibid). En revanche, « si des motifs sont communiqués, mais que ceux‑ci ne justifient pas la décision de manière transparente et intelligible […], la décision sera déraisonnable » (Vavilov, au para 136). Il incombe à la demanderesse de démontrer que la décision de l’agent est déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue « qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[4] Le principal argument de la demanderesse est que la conclusion de l’agent selon laquelle elle n’a pas établi qu’elle sera capable d’effectuer le travail de gérante de restaurant est déraisonnable parce qu’elle est incompatible avec l’EIMT favorable, laquelle a été accordée au vu d’un plan d’affaires qui prévoyait expressément qu’elle‑même gérerait le restaurant.

[5] Je ne puis souscrire à cet argument. Ainsi que le souligne le défendeur, l’EIMT vise à permettre à Emploi et Développement social Canada d’évaluer l’incidence de l’embauche d’un étranger sur le marché du travail au Canada. Elle n’évalue pas la capacité de l’étranger à effectuer le travail en question. Il revient à l’agent des visas d’IRCC de décider s’il convient de délivrer le permis de travail demandé (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 115 au para 20). De plus, le fait que l’embauche d’un étranger donné n’aurait pas d’incidence défavorable sur le marché du travail canadien ne signifie pas que cette personne est capable d’effectuer le travail en question. L’agent des visas est tenu de procéder à une appréciation indépendante pour établir si les conditions préalables à la délivrance du permis de travail sont remplies; il doit notamment être convaincu que l’étranger est capable d’exercer l’emploi pour lequel le permis est demandé (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 483 au para 31). Bref, l’EIMT favorable « n’est pas déterminante quant à une demande de visa de travail temporaire, et l’agent n’est pas lié par son contenu » (Patel, au para 32).

[6] La demanderesse a présenté une demande de permis de travail pour exercer les fonctions de gérante de restaurant. Le code 0631 de la Classification nationale des professions (la CNP) (directeurs/directrices de la restauration et des services alimentaires) précise, notamment, que le poste requiert plusieurs années d’expérience dans le domaine des services alimentaires, y compris de l’expérience en supervision. De même, sont habituellement exigées la réussite d’un programme d’études collégiales ou de tout autre programme en gestion de services d’alimentation ou d’hébergement et, dans le cas des établissements où l’on sert des boissons alcoolisées, la réussite d’un programme pour un service raisonnable de boissons. En dépit du fait que l’agent qui a rejeté la demande ne renvoie pas expressément à la CNP 0631 dans les notes qu’il a consignées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC) pour expliquer les raisons du rejet, il en est fait mention dans la section « Détails de l’emploi » de la décision favorable quant à l’EIMT, dont disposait l’agent. De même, ces conditions ont été consignées dans le SMGC par un autre agent environ un mois plus tôt. L’agent des visas qui a rejeté la demande a aussi examiné minutieusement le rôle prévu pour le gérant ou la gérante du restaurant dans le plan d’affaires que la demanderesse avait présenté à l’appui de l’EIMT et de la demande de permis de travail.

[7] Dans le contexte de la CNP 0631 et du plan d’entreprise, l’agent a conclu qu’il [traduction] « n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve des études et de la formation du sujet se rapportant aux services alimentaires ». En fait, selon mon examen du dossier, il n’y en avait aucun. Bien que la demanderesse ait de l’expérience en tant que comptable et propriétaire d’entreprise en Chine, sa demande de permis de travail n’était étayée par rien de plus que la simple affirmation selon laquelle son expérience l’a préparée à assumer ces fonctions entièrement nouvelles. Il était tout à fait raisonnable que l’agent conclue qu’il n’y avait [traduction] « pas de preuve quant aux raisons pour lesquelles le sujet serait qualifié pour diriger cette entreprise » et [traduction] « possède la compréhension, les qualifications et les connaissances requises pour diriger un restaurant ». Contrairement à ce qu’a souligné la demanderesse, l’agent n’a pas [traduction] « infirmé » ou [traduction] « miné » la décision favorable quant à l’EIMT de quelque façon étant donné que les deux décisions portent sur des questions complètement différentes.

[8] L’agent a également conclu que la demanderesse n’avait pas établi sa connaissance de l’anglais, comme l’exigeait l’EIMT. On peut s’interroger quant aux raisons pour lesquelles cette exigence a été incluse dans l’EIMT. Il n’est toutefois pas nécessaire de répondre à la question ou d’établir, quoi qu’il en soit, si l’agent a eu raison de prendre l’EIMT au pied de la lettre. Il en est ainsi parce que, outre l’exigence quant à la connaissance de l’anglais inscrite dans l’EIMT, l’agent a aussi tenu compte du fait que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle maîtrisait l’anglais à un niveau qu’il serait raisonnable de considérer comme nécessaire [traduction] « étant donné les fonctions et les responsabilités de l’emploi de gestion qui est offert, ce qui pourrait inclure la formation et la supervision de cuisiniers et d’employés de cuisine, ainsi que les risques potentiels en matière de sécurité au travail ». C’était une considération pertinente, indépendante et distincte de l’EIMT (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 1378 au para 13). Dans le dossier dont disposait l’agent, la conclusion selon laquelle la demanderesse n’a pas établi qu’elle avait la connaissance requise de l’anglais était raisonnable.

[9] En somme, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle était capable d’effectuer le travail souhaité et, au contraire, qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’elle en était incapable. L’agent devait donc, conformément à l’alinéa 200(3)a) du RIPR, rejeter la demande. Il n’y a aucune raison de modifier cette décision.

[10] Étant donné que cette conclusion est suffisante pour maintenir la décision de l’agent, il n’est pas nécessaire que j’examine la conclusion supplémentaire de l’agent au titre de l’alinéa 200(1)b) du RIPR, selon laquelle la demanderesse n’a pas établi qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé. Quoi qu’il en soit, je souligne que l’avocat du défendeur a très honnêtement affirmé qu’il n’aurait pas continué à défendre la décision pour cet unique motif. Il estime que la question déterminante est le caractère raisonnable de la conclusion tirée au titre de l’alinéa 200(3)a) du RIPR. C’est aussi mon avis.

[11] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[12] Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

[13] Enfin, l’intitulé initial désigne le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada en tant que défendeur. Même si le défendeur est ainsi couramment désigné, son nom au titre de la loi demeure le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration : Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, par. 5(2), et LIPR, par. 4(1). Par conséquent, dans le cadre du présent jugement, l’intitulé est modifié pour désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à titre de défendeur.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5408-21

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. L’intitulé est modifié de manière que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné comme défendeur.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5408-21

 

INTITULÉ :

QIAOQIN YUE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 AOÛT 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 MARS 2023

 

COMPARUTIONS :

Jacob R. Watters

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Brendan Friesen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Watters Law Firm

Avocat

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.