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Date : 20230322


T‑374‑21 T‑24‑19

Référence : 2023 CF 402

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

TANZIRUL ALAM

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Tanzirul Alam, présente une requête écrite visant la conversion de sa demande de contrôle judiciaire en action, conformément au paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, RSC 1985, c F‑7 (la LCF).

[2] Le demandeur affirme qu’une demande de contrôle judiciaire ne lui offre pas de garanties procédurales adéquates étant donné qu’il demande un jugement déclaratoire. Le demandeur dit également qu’il a l’intention de demander des dommages‑intérêts financiers au défendeur, que les faits nécessaires ne peuvent pas être établis par des affidavits et que la conversion lui assurerait un accès à la justice et éviterait des coûts et des retards inutiles en l’espèce.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que le demandeur n’a pas réussi à justifier qu’une ordonnance de conversion soit rendue en vertu du paragraphe 18.4(2) de la LCF. La requête est par conséquent rejetée, avec dépens.

II. Faits

[4] Le 23 juin 2017, le demandeur a été reconnu coupable de treize infractions au Code criminel, LRC 1985, c C‑46, notamment d’agression sexuelle, d’exploitation sexuelle et de fabrication, de possession et de transmission de pornographie juvénile. Le demandeur a été condamné à une peine d’emprisonnement de douze ans, qui a été réduite à huit ans et huit mois au titre de la détention provisoire (R v Alam, 2020 ABCA 10 au para 2).

[5] Le demandeur a d’abord été incarcéré à l’établissement de Bowden, en Alberta. Le 17 octobre 2017, il a été informé de son transfert à l’établissement de Matsqui, en Colombie‑Britannique. La décision de son transfert a été rendue le 12 novembre 2017. Le 12 décembre 2017, le demandeur a fait appel de cette décision relative à son transfert par le biais du processus interne du Service correctionnel du Canada (SCC). Un agent du SCC a confirmé la décision de transfert.

[6] Le 7 janvier 2019, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour, contestant à la fois la décision de transfert de novembre 2017 et la décision de l’agent du SCC de confirmer cette décision de transfert. L’historique procédural du cas du demandeur devant notre Cour est décrit aux paragraphes 4 à 14 de la décision Alam c Canada (Procureur général), 2022 CF 833 (Alam).

[7] La date de la libération d’office du demandeur est prévue pour le 3 avril 2023. La libération du demandeur rendrait sans objet une partie importante de sa demande de contrôle judiciaire, étant donné que sa principale demande de réparation est le prononcé d’une ordonnance de mandamus obligeant le SCC à le transférer à nouveau vers l’établissement de Bowden, en Alberta.

[8] Le 15 décembre 2022, le demandeur a déposé par écrit la requête dont je suis saisi en l’espèce au titre du paragraphe 18.4(2) de la LCF, demandant une ordonnance en conversion de sa demande de contrôle judiciaire en action.

III. Question en litige et norme de contrôle

[9] La seule question qui se pose en l’espèce est de savoir si la demande de contrôle judiciaire doit être convertie en action en vertu du paragraphe 18.4(2) de la LCF.

[10] Une ordonnance de conversion est une ordonnance de procédure plutôt qu’une ordonnance sur le fond. Si le droit substantiel applicable concerne toujours le contrôle judiciaire, les règles relatives aux actions peuvent s’appliquer à l’instruction de la demande (Canada (Commission des droits de la personne) c Nation crie de Saddle Lake, 2018 CAF 228 au para 24 (Nation crie de Saddle Lake). Une ordonnance de conversion doit donc préciser en quoi la demande sera instruite comme une action, par exemple en prévoyant la réalisation d’interrogatoires préalables ou en autorisant la modification de la demande pour étayer une réclamation pour dommages‑intérêts en droit public (Nation crie de Saddle Lake, au para 25).

[11] Les facteurs non exhaustifs que la Cour doit prendre en considération dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 18.4(2) sont énoncés par la Cour d’appel fédérale (CAF) dans l’arrêt Association des crabiers acadiens Inc. c Canada (Procureur général), 2009 CAF 357 (Crabiers). La conversion est possible dans les cas suivants : 1) lorsqu’une demande de contrôle judiciaire ne fournit pas de garanties procédurales suffisantes lorsqu’on cherche à obtenir un jugement déclaratoire; 2) lorsque les faits permettant à la Cour de prendre une décision ne peuvent être établis d’une manière satisfaisante par simple affidavit; 3) lorsqu’il y a lieu de faciliter l’accès à la justice et d’éviter des coûts et des délais inutiles; 4) lorsqu’il est nécessaire de remédier aux lacunes qu’une demande de contrôle judiciaire présente en matière de réparation, tel l’octroi de dommages‑intérêts (Crabiers, au para 39). Il incombe à la partie qui demande la conversion de justifier les raisons pour lesquelles la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire (Crabiers, au para 35).

[12] Le paragraphe 18.4(2) doit être interprété de manière large afin de promouvoir les objectifs d’accès à la justice et d’éviter des coûts et des délais inutiles pour les parties qui demandent réparation (Meggeson c Canada (Procureur général), 2012 CAF 175, au para 38). Toutefois, la jurisprudence récente de notre Cour souligne le caractère rare et exceptionnel d’une ordonnance de conversion (Mahoney c Canada, 2021 CF 399 au para 10, citant Canada (Procureur général) c Slansky, 2013 CAF 199 au para 56; Nation Tsleil‑Waututh c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 au para 104).

IV. Analyse

[13] Dans ses observations écrites, le demandeur soutient que la demande de contrôle judiciaire n’est pas assortie des garanties procédurales adéquates, étant donné qu’il demande un jugement déclaratoire. Le demandeur fait valoir que la principale mesure visée par sa requête, soit l’ordonnance de mandamus relative à son transfert, sera rendue théorique et sans objet par sa libération en avril 2023, ce qui entraînera un manque de garanties procédurales. Le demandeur prétend en outre que les faits nécessaires ne peuvent pas être établis de manière satisfaisante par de simples affidavits, et qu’une présentation adéquate de sa demande nécessite des preuves d’experts en psychologie et en santé mentale lesquelles ne peuvent pas être établies de manière adéquate par des affidavits.

[14] Le demandeur avance qu’une ordonnance de conversion permettrait en l’espèce d’éviter des coûts et des retards inutiles, puisque quatre ans se sont déjà écoulés depuis l’introduction de la demande de contrôle judiciaire. Il assure que le redémarrage du processus en tant qu’action entraînerait un gaspillage des ressources et des délais. Le demandeur soutient également que l’instruction de la demande en tant qu’action faciliterait l’accès à la justice, car si la demande est en grande partie rendue sans objet par sa libération, il ne sera pas en mesure d’obtenir une réparation utile.

[15] Enfin, le demandeur explique qu’il souhaite obtenir des dommages‑intérêts de la part du défendeur pour des actes répréhensibles allégués, et que l’examen des lacunes du contrôle judiciaire pèse donc en faveur d’une ordonnance de conversion.

[16] Le défendeur répond que le cas du demandeur ne constitue pas une circonstance rare et exceptionnelle justifiant qu’une ordonnance de conversion soit rendue en vertu du paragraphe 18.4(2) de la LCF. Considérant chacun des facteurs décrits dans l’arrêt Crabiers, le défendeur soutient en premier lieu que le demandeur doit préciser quelles garanties procédurales sont exclues par la requête et qu’une réparation particulière ne constitue pas une garantie procédurale. Le défendeur prétend que le demandeur n’a pas démontré en quoi les affidavits ne pouvaient pas être constitués en preuve et qu’il n’a fourni que des arguments vagues et non étayés sur le facteur de l’accès à la justice et sur les coûts et délais excessifs. Le défendeur dit en outre que la conversion n’est pas justifiée par le seul fait que le demandeur cherche maintenant à obtenir des dommages‑intérêts de la part du défendeur.

[17] Le défendeur précise que, contrairement à ce qu’affirme le demandeur, le caractère théorique de sa demande au moment de sa libération est dû à un changement important de sa situation, qui se traduit par une meilleure solution que celle qu’il cherchait à obtenir par le biais d’une demande de contrôle judiciaire. Le défendeur note en outre que ce caractère théorique est dû à l’absence de progrès de la demande de contrôle judiciaire, elle‑même due à la négligence du demandeur quant au respect des délais. Le défendeur ajoute qu’il ne s’agit pas [traduction] « d’une situation où une erreur de procédure commise par inadvertance peut vouer à l’échec une demande potentiellement valable ».

[18] Enfin, le défendeur soutient que le demandeur, dans ses observations écrites, interprète mal la portée d’une ordonnance de conversion rendue en vertu du paragraphe 18.4(2), lequel a un effet « purement procédural » (Nation crie de Saddle Lake, au para 24). Le défendeur avance que les observations du demandeur correspondent à une demande visant à ce qu’il engage une toute nouvelle action, étant donné que l’avis de demande initial ne contient qu’une fraction des allégations contenues dans les documents qu’il a déposés à l’appui de la présente requête, avec seulement quelques chevauchements au niveau des faits et des mesures correctives demandées.

[19] Je suis du même avis que le défendeur. Il incombait au demandeur de justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour en vertu du paragraphe 18.4(2) et ce dernier ne l’a pas fait. En grande partie, les observations écrites du demandeur présentées en l’espèce réitèrent les mêmes points et ne sont pas étayées par la jurisprudence. Néanmoins, je n’estime pas qu’un examen cumulatif des facteurs énumérés dans l’arrêt Crabiers pèse en faveur d’une ordonnance visant à traiter la demande comme une action. La prise en compte des ressources et du temps de la Cour plaide plutôt en faveur de l’adhésion à la règle générale énoncée au paragraphe 18.4(1), qui consiste à statuer sur la demande de contrôle judiciaire sans délai et de manière sommaire. En outre, le demandeur n’a pas démontré quelles garanties procédurales lui font défaut, ni pourquoi les preuves ne pourraient pas être présentées de manière adéquate sous forme d’affidavits ou comment l’accès à la justice serait facilité si la demande était instruite en tant qu’action.

[20] L’un des principaux arguments présentés par le demandeur à l’appui de la présente requête, répété sous de multiples facteurs dans ses observations écrites, concerne le caractère potentiellement théorique de sa demande de contrôle judiciaire et son incapacité à obtenir la réparation demandée. Bien que quatre années se soient écoulées depuis le dépôt initial par le demandeur de son avis de demande, la demande de contrôle judiciaire n’a pas progressé, principalement en raison « [d’]un manque général de diligence et d’une tendance persistante à ne pas respecter les dates limites applicables » de la part du demandeur (Alam, au para 20). Le retard accusé dans le traitement de la demande peut être attribué au demandeur lui‑même et risque maintenant de rendre la demande théorique et sans objet. Le fait que le demandeur soutienne maintenant que ce caractère théorique justifie la conversion de la demande en action n’est pas suffisant pour justifier que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire à cet égard.

[21] Je suis également d’accord avec le défendeur sur le fait que le contenu de la requête du demandeur modifie et élargit considérablement les allégations et la réparation demandée dans l’avis de demande initial, déposé en 2019. Une ordonnance de conversion rendue en vertu du paragraphe 18.4(2) ne suspend ni ne remplace un avis de demande, mais peut autoriser la modification des motifs de contrôle (Nation crie de Saddle Lake , aux para 24‑25). Toutefois, les observations du demandeur semblent modifier de manière considérable et notable l’avis de demande et la réparation demandée, ce qui prive le défendeur de la possibilité de comprendre l’affaire à laquelle il doit répondre et la Cour de statuer correctement sur la demande. Cela ne relève pas du champ d’application d’une ordonnance rendue en vertu du paragraphe 18.4(2) de la LCF.

V. Conclusion

[22] Pour ces motifs, et à la lumière des considérations et circonstances pertinentes en l’espèce, je ne crois pas qu’une ordonnance de conversion de la demande de contrôle judiciaire en action soit justifiée. La requête du demandeur au titre du paragraphe 18.4(2) de la LCF est rejetée, avec dépens.


ORDONNANCE dans le dossier T‑24‑19

LA COUR ORDONNE le rejet, avec dépens, de la requête visant à convertir la demande de contrôle judiciaire en action présentée au titre du paragraphe 18.4(2).

« Shirzad A. »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑24‑19

 

INTITULÉ :

TANZIRUL ALAM c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT AU TITRE DU PARAGRAPHE 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 mars 2023

 

COMPARUTIONS :

Tanzirul Alam

(pour son propre compte)

 

Pour le demandeur

 

Benjamin Bertram

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

 

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