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Date : 20230320


Dossier : IMM-2021-22

Référence : 2023 CF 373

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2023

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

MOULAYE ZEI AIDARA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Moulaye Zei Aidara, s’est vu autorisé à demander le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] qui a confirmé celle de la Section des réfugiés [SPR] selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié ou une personne à protéger. La demande de contrôle judiciaire est faite en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

I. Les faits

[2] M. Aidara se dit persécuté par sa famille immédiate du fait de son adhésion en 2019 à l’Islam Chiite. Il est un citoyen du Sénégal; il est âgé de 36 ans. On sait qu’il a quitté le Sénégal le 12 octobre 2019. Le fondement de sa demande d’asile [FDA] porte la date du 10 décembre 2019.

[3] M. Aidara déclare à son FDA que son intérêt pour le « culte des chiites l’a amené le janvier 2019 à adhérer à l’Islam Chiite ». Sa famille n’a pas accepté ce changement de vie. Il en est résulté des menaces à sa vie venant de ses oncles paternels, qui auraient délégué des cousins pour le menacer le 30 avril 2019, de même que d’un oncle maternel. Face à ces menaces, le demandeur a demandé un visa pour le Canada et y a fait une demande d’asile.

II. La décision dont le contrôle judiciaire est demandé

[4] Tant la décision de la SPR que celle de la SAR sont courtes. Essentiellement, la SPR en est venue à la conclusion que le demandeur n’était pas crédible.

[5] La SPR a confronté le demandeur à sa déclaration sur formulaire selon laquelle il habitait à Dakar de février 2019 à juin 2019, pour par la suite habiter à Tambacounda de juin 2019 à octobre 2019. Pourtant l’incident du 30 avril 2019 où des menaces lui auraient été proférées se serait déroulé chez son oncle maternel à Tambacounda, sa ville natale.

[6] Pour la SPR, il s’agit là d’une difficulté majeure quant à la crédibilité du demandeur. D’abord la menace reçue aurait été à Tambacounda le 30 avril 2019, alors qu’il disait demeurer à Dakar. Dans un document reproduit aux pages 102 et 103 du dossier certifié du tribunal, intitulé « Annexe A – Antécédents/Déclaration » signé par le demandeur en date du 19 décembre 2019, le demandeur indique deux fois mieux qu’une qu’il résidait à Dakar entre février et juin 2019, non à Tambacounda. Les deux lieux sont séparés de plusieurs centaines de kilomètres. Cette contradiction n’aurait pas été expliquée. De plus, la SPR a vu une incohérence significative dans le récit en ce que l’oncle maternel, qui est un agent de persécution, a reçu le demandeur chez lui à Tambacounda où il serait demeuré. La seule explication donnée aura été que le demandeur voulait voir sa mère. Le fait d’aller vivre chez son persécuteur n’est pas incompatible avec une crainte pour sa vie et sa sécurité, dit-il. Ce n’est pas la conclusion tirée par la SPR.

[7] La SAR mène sa propre analyse et confirme la décision de la SPR pour les mêmes motifs. L’essence de la décision sur le lieu de l’incident du 30 avril se trouve aux paragraphes 26 et 27 de la décision de la SAR.

[26] À mon avis, la contradiction soulevée par la SPR n’était pas sans pertinence ou non déterminante, car en fait, elle était importante et M. Aidara n’a pas été en mesure de fournir une explication satisfaisante.

[27] L’interrogatoire au sujet de la contradiction susmentionnée et des chronologies fournies concernant l’endroit où vivait M. Aidara a duré longtemps, et celui-ci a eu de nombreuses occasions d’expliquer la différence entre son témoignage selon lequel il a été attaqué à Tambacounda et l’historique de ses adresses montrant qu’il se trouvait à Dakar à la date où la prétendue attaque a eu lieu.

[8] La SAR a aussi considéré que la décision d’aller vivre chez son oncle qui serait un agent de persécution porte atteinte à la crédibilité du demandeur. Comme pour la SPR, la SAR y voit là un comportement qui ne correspond pas à celui d’une personne craignant pour sa vie et sa sécurité. Le demandeur avait le choix de vivre à Dakar s’il avait voulu. Il ne l’a pas fait.

[9] Devant la SAR, le demandeur dans son appel s’était aussi plaint qu’on ne lui ait pas communiqué à l’avance le formulaire qu’il avait signé où il indiquait avoir habité à Dakar de février 2019 à juin 2019. S’il y avait une difficulté du fait que ledit formulaire n’avait pas été transmis, l’avocat de M. Aidara n’a à l’audience devant la SPR pas indiqué qu’il ne les avait pas reçus; en fait, aucune objection n’a été soulevée. La SAR a écouté l’enregistrement et rien de tel n’a été soulevé durant une audience qui aura duré plusieurs minutes. Le tribunal écrit :

[12] Les formulaires remplis au PDE ont été mentionnés au début de l’audience lorsque le commissaire de la SPR a passé en revue la liste des documents, comme il est fait à toutes les audiences de la SPR, et le conseil de M. Aidara en a accepté le contenu et il n’a nullement mentionné que quoi que ce soit manquait à son dossier.

[13] Lorsque le commissaire de la SPR a fait référence au formulaire IMM5669 en particulier, il l’a affiché afin que M. Aidara et son conseil puissent le voir. Pendant cet interrogatoire, le conseil de M. Aidara n’a jamais précisé qu’il ne détenait pas de copie de ce formulaire.

III. Arguments et analyse

[10] Le demandeur reprend devant la Cour les mêmes thèmes que ceux argumentés devant la SAR (et aussi la SPR).

[11] Ainsi, il prétend à une atteinte à l’équité procédurale et s’attaque aux conclusions tirées par la SAR sur sa crédibilité.

[12] En ce qui a trait à l’équité procédurale, le demandeur ne fait aucune démonstration en quoi il y aurait eu une atteinte à celle-ci, pas plus d’ailleurs qu’il ne cite quelle qu’autorité. En fait, il devait démontrer qu’il y aurait pu y avoir une violation en faisant la preuve que la formule remplie et signée le 10 décembre 2019 n’était pas en sa possession. Telle preuve n’a pas été faite. Au contraire, les indications sont plutôt que l’identification du formulaire a bien été faite à l’audience et qu’il y a eu amplement de temps pour soulever des écarts qui auraient alors pu être remédiés. Au mieux, l’avocat du demandeur cherche à témoigner ex post facto à même le mémoire des faits et du droit. La Cour ne peut qu’ignorer ces assertions.

[13] Le défendeur n’a pas tort de noter que le demandeur ne s’est pas objecté de l’utilisation de ce formulaire. L’avocat du demandeur n’a pas non plus cherché à éclaircir ce qui apparaissait comme une contradiction plutôt flagrante quant au moment où il aurait été victime d’agression par des membres de sa famille. Ceci dispose de l’argument de violation de l’équité procédurale. Elle n’a pas été établie et, de toute façon, s’il y en avait une, elle n’a pas été soulevée en temps utile (Hashim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 676, para 17).

[14] Le demandeur est tenu à la norme de la décision raisonnable concernant ses allégations relatives à sa crédibilité entachée. La conséquence de la norme de la décision raisonnable est bien sûr que celui qui attaque les décisions sur cette base supporte le fardeau d’en faire la démonstration (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov], para 100). La Cour de révision doit faire preuve de retenue judiciaire et adopter une attitude de respect face à la décision prise (Vavilov, para 13-14). La décision raisonnable est celle qui est justifiée, transparente et intelligible, étant justifiée au regard des contraintes factuelles et pertinentes (Vavilov, para 99). Pour attaquer la raisonnabilité il faut démontrer des lacunes graves à un point tel où on peut dire qu’il n’est pas satisfait aux caractéristiques d’une décision raisonnable que sont la justification, la transparence et l’intelligibilité. Il eut fallu que le demandeur convainque la Cour des lacunes suffisamment capitales ou importantes pour rendre la décision déraisonnable. A-t-on démontré que la décision est indéfendable sous certains rapports?

[15] Je dois conclure que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau.

[16] Je tire de la plaidoirie présentée par le demandeur et son mémoire des faits et du droit qu’il est en désaccord avec le poids donné à la contradiction autour de la date du 30 avril où des cousins du demandeur l’auraient menacé à un endroit alors qu’il demeurait ailleurs, à plusieurs centaines de kilomètres de là. Cela n’est pas banal. Cela ne fait pas la démonstration d’une décision déraisonnable. À mon avis, il n’est pas banal non plus qu’alors même que le demandeur se dit suffisamment craintif pour sa vie et sa sécurité qu’il choisit de venir au Canada pour s’y réfugier, il choisit quand même d’aller habiter chez l’un des agents de persécution. Aucune explication valable n’a été fournie.

[17] Il ne suffit pas de prétendre, comme le fait le demandeur, que la SAR a erré. Il faut démontrer le caractère déraisonnable de la décision. De simplement avancer que « la SAR a erré dans l’application du droit et dans son analyse des faits au dossier » (mémoire des faits et du droit, para 31) n’avance en rien la cause du demandeur alors que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Le fardeau sur le demandeur n’a pas été déchargé.

IV. Conclusion

[18] La Cour doit donc rejeter la demande de contrôle judiciaire. Il n’y a pas de question grave de portée générale qui émerge de ce dossier.

 


JUGEMENT au dossier IMM-2021-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Yvan Roy »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2021-22

 

INTITULÉ :

MOULAYE ZEI AIDARA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 mars 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 mars 2023

 

COMPARUTIONS :

Me Cheikh Sadibou Fall

Pour le demandeur

Me Mario Blanchard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Cheikh Sadibou Fall

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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