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Date : 20230316

Dossier : T-1904-22

Référence : 2023 CF 356

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2023

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

ZHANHONG ZHANG

 

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision en date du 15 août 2022 [la décision] par laquelle un délégué [le délégué] du ministre du Revenu national [le ministre] a refusé la demande de réexamen présentée par le demandeur au sujet du refus de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] d’exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 204.1(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [la LIR], et d’annuler l’impôt établi à son égard pour les années 2017, 2018 et 2019 relativement à des cotisations excédentaires à un régime enregistré d’épargne‑retraite [REER].

[2] Comme je l’expliquerai plus en détail ci‑après, la présente demande sera accueillie, car la décision est déraisonnable. Le délégué n’a pas été convaincu par les éléments de preuve et les arguments présentés par le demandeur, car il a conclu à tort que le demandeur avait été avisé de la cotisation de 2013 au REER, qui est en cause dans la présente demande, dans un délai suffisant pour obtenir des éléments de preuve corroborants de sa banque et qu’il n’avait quand même pas agi avec diligence pour obtenir de tels éléments de preuve.

II. Contexte

[3] En 2006, le demandeur, Zhanhong Zhang, et sa conjointe ont acheté ensemble leur première maison. Ils ont chacun effectué un retrait de leur REER respectif dans le cadre du régime d’accession à la propriété offert par le gouvernement fédéral [RAP].

[4] En 2012, la conjointe avait un solde impayé de 13 142 $ au titre du RAP. Le 12 juillet 2013, elle s’est rendue dans une succursale de la Banque Royale du Canada [la RBC] pour faire un versement à son REER afin de rembourser le solde en question. Or, selon le demandeur, plutôt que de verser le paiement dans le compte REER personnel de la conjointe et de désigner cette dernière comme étant la cotisante, la RBC l’a versé par erreur dans le compte REER conjoint de la conjointe et a désigné le demandeur comme étant le cotisant. La RBC a remis à la conjointe un reçu de cotisation du conjoint [le reçu] faisant ainsi état de la transaction. La conjointe a déduit ce remboursement de 13 142 $ au titre du RAP dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2013.

[5] Le demandeur n’a pas déduit ce paiement de 13 142 $ dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2013. Il a plutôt effectué un paiement de 13 111 $ en remboursement de son propre solde au titre du RAP et a déduit ce montant dans sa déclaration de revenus. Toutefois, en raison de l’erreur reprochée à la RBC, l’ARC estime que le demandeur a également effectué le paiement de 13 142 $ à titre de cotisant, de sorte qu’il a dépassé la cotisation qu’il avait le droit de faire à son REER en 2013.

[6] En plus des autres cotisations faites à son REER au cours des années qui ont suivi, le demandeur a versé 19 000 $ à son REER en février 2018, pour l’année d’imposition 2017, à la suite d’un paiement forfaitaire provenant d’un régime de pension. Bien que n’ayant pas de lien direct avec l’aspect de la décision qui est contesté dans la présente demande (qui ne concerne que la cotisation faite en trop de 2013), il semble que ces 19 000 $ aient également donné lieu à une cotisation excédentaire parce que le demandeur s’est mépris sur l’incidence du paiement forfaitaire provenant d’un régime de pension.

[7] Selon le paragraphe 204.1(1) de la partie X.1 de la LIR, le contribuable qui a versé des cotisations excédentaires à un REER est tenu de payer un impôt mensuel égal à 1 % de l’excédent. Le 1er novembre 2019, l’ARC a fait parvenir au demandeur une demande de déclaration T1‑OVP (déclaration destinée à tenir compte de cet impôt sur les cotisations excédentaires) pour l’année d’imposition 2018. Le demandeur n’ayant pas répondu à cette lettre, l’ARC lui a fait parvenir une lettre de suivi le 3 décembre 2020.

[8] Le 21 décembre 2020, à la demande du demandeur, l’ARC a rempli les déclarations T1‑OVP pour le demandeur pour les années d’imposition 2017 à 2019. Le 3 juin 2021, l’ARC a envoyé au demandeur des avis de cotisation se rapportant aux déclarations T1‑OVP de 2017 à 2019.

[9] Le demandeur affirme que ce n’est qu’en décembre 2020, au cours d’une conversation téléphonique qu’il a eue avec un représentant de l’ARC, qu’il a appris que l’ARC estimait qu’il avait versé une cotisation excédentaire de 13 142 $ en 2013. À la suite de cet appel, le demandeur s’est rendu compte que cette situation était attribuable à une erreur qui, à son avis, avait été commise par la RBC lorsque cette dernière avait traité le remboursement de la conjointe au titre du RAP. En juillet 2021, le demandeur a demandé une renonciation à son impôt de la partie X.1, conformément au pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 204.1(4) de la LIR. Il a fondé cette demande sur les arguments suivants :

  1. La RBC a transféré par erreur le paiement de 13 142 $ effectué en juillet 2013 par la conjointe à son REER conjoint plutôt qu’à son REER personnel;

  2. Lorsque le demandeur a pris connaissance de cette erreur, il a communiqué avec la RBC, mais plus de sept ans s’étant écoulés depuis la date de la transaction, la RBC n’avait plus en sa possession les documents associés à la transaction;

  3. Le demandeur n’a donc pas pu obtenir de la RBC une lettre reconnaissant son erreur;

  4. Le demandeur a mal compris les règles qui régissent les paiements forfaitaires provenant de régimes de pension lorsqu’il a versé la cotisation de 19 000 $ en 2018.

[10] Au terme d’un examen de premier niveau de la demande du demandeur de renoncer à l’impôt de la partie X.1, un délégué du ministre a rejeté la demande pour les motifs suivants :

  1. Le demandeur n’a pas fourni de reçu modifié pour cotisation au REER ni de lettre de la RBC reconnaissant l’erreur alléguée;

  2. Il appartenait au demandeur de s’assurer que toutes les cotisations avaient été faites conformément aux règles et règlements;

  3. Même si son maximum déductible au titre du REER pour 2017 était de 8 614 $, le demandeur a versé 19 000 $ au cours des 60 premiers jours de 2018;

  4. Le demandeur n’avait effectué aucun retrait du REER pour remédier à la situation concernant la cotisation excédentaire.

[11] Le demandeur a reçu avis de cette décision par courrier en date du 29 avril 2022.

[12] Il a ensuite présenté une seconde demande de renonciation à l’impôt de la partie X.1 dans une lettre datée du 26 mai 2022. Le refus de cette demande par le délégué est la décision faisant l’objet d’un contrôle en l’espèce.

III. Décision faisant l’objet d’un contrôle

[13] La décision résume les arguments sur lesquels le demandeur a fondé sa demande. Il s’agit des arguments qui ont été formulés à l’appui de sa première demande, auxquels se sont ajoutés d’autres arguments, dont l’explication que le logiciel TurboTax qu’il utilisait pour préparer ses déclarations de revenus ne l’avait pas guidé vers le formulaire T1‑OVP.

[14] La décision résume les exigences énoncées au paragraphe 204.1(4) de la LIR, selon lesquelles le ministre peut renoncer à l’impôt de la partie X.1 lorsque les cotisations excédentaires font suite à une erreur acceptable et que le contribuable a pris ou prenait les mesures indiquées pour éliminer l’excédent.

[15] Le délégué reconnaît que les cotisations excédentaires faites par le demandeur au REER n’étaient pas intentionnelles, mais il précise que les erreurs commises par des tiers ne justifient normalement pas l’annulation d’un impôt. Le délégué affirme qu’une erreur commise par un tiers devrait généralement être résolue entre le demandeur et le tiers et précise que, lorsqu’une banque ne peut fournir une lettre de reconnaissance, l’ARC accepterait un relevé de compte indiquant de quel compte provient le montant en cause et qui est titulaire de ce compte.

[16] Le délégué explique ensuite dans sa décision que le participant à un régime de revenu différé, comme un REER, doit faire tout son possible pour savoir dans quoi il investit. Cette partie de la décision semble se rapporter à la cotisation excédentaire de février 2018 (qui n’est pas directement pertinente pour la présente demande de contrôle judiciaire), puisque le délégué note qu’aucune explication n’a été fournie sur la raison pour laquelle le demandeur n’a pas effectué les vérifications nécessaires avant d’investir la somme de 19 000 $ à son REER au cours des 60 premiers jours de 2018. Le délégué rappelle qu’il incombe au demandeur de veiller à ce que toutes les cotisations faites au REER respectent les lignes directrices énoncées dans la législation.

[17] Le délégué aborde ensuite les arguments du demandeur qui portent sur le logiciel de calcul de l’impôt qu’il a employé. Il déclare que le demandeur est tenu de s’assurer de l’exactitude des informations fiscales qu’il fournit, même lorsqu’il utilise un logiciel de préparation des impôts, et que l’impôt ne peut être annulé pour les erreurs découlant de l’utilisation d’un tel logiciel. En outre, le logiciel TurboTax est destiné à la production des déclarations de revenus et non à celle du formulaire T1‑OVP. Encore une fois, cette partie de la décision semble se rapporter à la cotisation excédentaire faite en février 2018.

[18] Le délégué précise que le demandeur a été informé de ses cotisations excédentaires à son REER dans ses avis de cotisation de 2017 et de 2018, datés respectivement du 10 mai 2018 et du 29 avril 2019. Il conclut que, si le demandeur avait agi sur la base de ces renseignements à ce moment‑là, la RBC aurait encore eu en sa possession les documents datant de 2013.

[19] Il fait également remarquer que les dossiers de l’ARC ne montrent aucune tentative de la part du demandeur de retirer les cotisations excédentaires faites au REER pour régler la situation relative à la cotisation excédentaire.

[20] Le délégué mentionne les arguments contestant les calculs de l’ARC dans les déclarations T1‑OVP, mais il les rejette. Toutefois, la présente demande de contrôle judiciaire ne remet pas en cause cet aspect de la décision.

[21] Le délégué conclut qu’il n’existe aucune circonstance indépendante de la volonté du demandeur, telle qu’une catastrophe naturelle ou d’origine humaine, qui permettrait l’annulation de la pénalité, et regrette que la décision ne puisse lui être favorable.

IV. Questions en litige

[22] Comme je l’ai déjà mentionné, la présente demande de contrôle judiciaire ne vise que l’aspect de la décision qui se rapporte à la cotisation excédentaire de 13 142 $ faite en 2013. Le demandeur n’a pas expressément dressé une liste des questions sur lesquelles il demande à la Cour de se prononcer. Le défendeur soutient que la seule question de fond qui se pose en l’espèce est celle de savoir si la décision est raisonnable. Comme l’indique cette formulation, la norme de contrôle applicable à l’égard du bien‑fondé de la décision, qui comporte l’examen des arguments selon lesquels le délégué a commis une erreur dans l’application du critère prévu au paragraphe 204.1(4) de la LIR, est celle du caractère raisonnable de la décision (voir l’arrêt Connolly c Canada (Revenu national), 2019 CAF 161 [Connolly] au para 56).

[23] Le défendeur soulève également les questions procédurales suivantes :

  1. Il soutient que l’intitulé de la cause dans la présente demande devrait être modifié afin que le procureur général du Canada [le PGC], et non l’ARC, y figure à titre de défendeur;

  2. Il soutient qu’il y a dans le dossier du demandeur des éléments de preuve dont le délégué ne disposait pas lorsqu’il a pris la décision et que la Cour ne devrait donc pas prendre en considération dans la présente demande.

V. Analyse

A. La modification de l’intitulé de la cause

[24] Comme le soutient le défendeur, les paragraphes 303(1) et (2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, prévoient que, lorsqu’aucune personne autre que l’office fédéral visé par la demande n’est directement touchée, le demandeur désigne le PGC à titre de défendeur. Étant donné que l’ARC est effectivement l’office fédéral visé par la demande, le défendeur fait valoir que c’est le PGC qui doit être le défendeur.

[25] Le demandeur n’a pas pris position sur cette question. Je suis d’accord avec l’analyse du défendeur et j’ordonnerai que l’intitulé de la cause soit modifié afin que le procureur général du Canada soit désigné à titre de défendeur à la place de l’Agence du revenu du Canada.

B. Le dossier dont disposait le délégué

[26] Le dossier présenté à la Cour dans la présente demande comprend des affidavits faits sous serment par le demandeur, la conjointe et un agent des ressources du Programme de conformité T1‑OVP du Centre national de vérification et de recouvrement de l’ARC [l’agent des ressources] qui a préparé le rapport et la recommandation ayant mené à la décision du délégué. Selon l’affidavit de l’agent des ressources, les documents joints en appui à l’affidavit de la conjointe n’ont pas été présentés par le demandeur à l’appui de sa demande de renonciation à l’impôt de la partie X.1 et n’ont pas été examinés par l’agent des ressources lorsqu’il a préparé sa recommandation.

[27] Toutefois, dans son exposé des faits et du droit, le défendeur reconnaît que la déclaration faite dans l’affidavit de l’agent des ressources est partiellement erronée, étant donné que certains des documents joints à l’affidavit de la conjointe ont effectivement été présentés par le demandeur et ont été pris en considération lors du processus d’examen de la demande de renonciation. Les documents qui restent en litige et qui, selon le défendeur, ne devraient pas être pris en considération par la Cour dans la présente demande, sont les suivants [les documents contestés] :

  1. l’avis de cotisation de 2013 de la conjointe;
  2. un imprimé de la cotisation T1 2013 de la conjointe tiré du site Web de l’ARC;
  3. le résumé de la déduction et de la cotisation au titre du REER du demandeur daté du 25 juin 2021.

[28] Le défendeur note qu’une demande de contrôle judiciaire doit être tranchée sur la base des éléments de preuve qui ont été fournis au décideur administratif à la date de la décision (voir la décision Wood c Canada (Procureur général), [2001] ACF no 52 (QL) au para 34). Il admet qu’il existe des exceptions à cette règle (voir l’arrêt Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 aux para 98 à 100), mais il soutient que les documents contestés ne relèvent pas de ces exceptions.

[29] En réponse, le demandeur affirme que les documents contestés sont tous des documents fiscaux en possession de l’ARC et qu’ils étaient donc à la disposition du décideur administratif. Il explique également que les informations contenues dans ces documents sur lesquels il souhaite se fonder figurent également dans d’autres documents dont, le défendeur l’admet, le décideur disposait.

[30] Je ne puis conclure que le fait d’être pour l’essentiel en la possession de l’ARC fait en sorte que les documents contestés puissent faire partie du dossier dont le décideur disposait et donc du dossier que la Cour doit prendre en considération dans le présent contrôle judiciaire. Ainsi que le soutient le défendeur, il incombe au demandeur, dans le cadre de demandes d’allègement pour les contribuables, de fournir au ministre tous les éléments de preuve nécessaires avant qu’il rende une décision (voir la décision Dougal & Co Inc c Canada (Procureur général), 2017 CF 1075 au para 23). Pour cette raison, je ne tiendrai pas compte des documents contestés dans la présente demande. Or, cela ne change rien au résultat, car le demandeur ne semble se fonder sur aucun renseignement contenu dans les documents contestés et qui ne figure nulle part ailleurs dans le dossier.

C. Le caractère raisonnable de la décision

[31] En ce qui concerne le bien‑fondé de la demande en l’espèce, je note que le demandeur soutient principalement qu’il était déraisonnable pour le délégué de conclure qu’il ne pouvait établir que la cotisation de 2013 au REER lui a été attribuée par erreur que sur le fondement d’éléments de preuve obtenus auprès de la RBC. Le demandeur fait observer que les éléments de preuve présentés à l’appui de sa demande de renonciation démontrent que le montant de la cotisation de 2013, soit 13 142 $, est exactement celui qui était dû au titre du RAP de la conjointe en 2013 et que, tel qu’il a été reconnu dans le rapport préparé par l’agent des ressources à l’appui de la décision [le rapport], cette cotisation a été déduite par la conjointe et non par le demandeur. Il soutient que le délégué a déraisonnablement fait fi de cet élément de preuve lorsqu’il a conclu qu’en l’absence d’une preuve provenant de la RBC, le demandeur ne pouvait démontrer que cette dernière lui a attribué dans le reçu la cotisation de 13 142 $ par erreur.

[32] Le demandeur ne m’a pas convaincu que le délégué a négligé cet élément de preuve ou qu’il en a fait fi. Le rapport préparé à l’appui de la décision fait état de l’observation du demandeur selon laquelle la cotisation de 13 142 $ représentait le solde du RAP de la conjointe pour 2013 et que cette cotisation a été déduite par la conjointe et non par le demandeur. Je saisis bien l’argument du demandeur selon lequel cet élément de preuve aurait dû être suffisant pour convaincre le délégué que la cotisation lui a été attribuée par erreur, mais dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il n’incombe pas à la Cour de peser à nouveau les éléments de preuve dont le décideur administratif disposait.

[33] Toutefois, le demandeur se fonde également beaucoup sur l’analyse, contenue dans le rapport et dans la décision, selon laquelle il a été informé de ses cotisations excédentaires dans ses avis de cotisation de 2017 et 2018, datés respectivement du 10 mai 2018 et du 29 avril 2019, et que, s’il avait donné suite à ces informations, la RBC aurait été en mesure de corriger son erreur lorsqu’elle était encore en possession des documents associés à la transaction de 2013. Le demandeur conteste cette analyse, car, soutient‑il, il n’y a dans les avis de cotisation de 2017 et de 2018 rien qui se rapporte à la thèse de l’ARC selon laquelle il a fait en 2013 une cotisation de 13 142 $ au REER ou qui aurait pu l’informer de cette thèse.

[34] J’estime bien fondée cette partie de l’argumentation du demandeur. Comme il l’explique, selon l’avis de cotisation de 2017, le maximum déductible au titre d’un REER pour 2017 était de 8 614 $, et s’y est ajouté la somme de 2 226 $ pour 2018. Compte tenu de ces cotisations, l’avis de cotisation attribuait au demandeur un droit de cotisation négatif pour 2018 de « (11 688 $) ». Le défendeur note également qu’il a cotisé au REER pour 2017 un total de 22 528 $, soit 3 258 $ en options d’achat d’actions de son employeur et 19 000 $ à la suite du paiement forfaitaire provenant d’un régime de pension. Ces chiffres sont étayés par des documents joints à l’affidavit de l’agent des ressources et décrits comme étant les reçus de cotisation à un REER du demandeur.

[35] Comme le soutient le demandeur, le chiffre « (11 688 $) » semble être le résultat de l’ajout des montants qui forment le maximum déductible au titre du REER pour 2017 et 2018 (8 614 $ + 2 226 $) et de la déduction de la cotisation totale de 22 528 $ effectuée pour 2017. En d’autres termes, l’avis de cotisation de 2017 témoigne de la cotisation excédentaire de 19 000 $ que le demandeur a faite en février 2018 parce qu’il a mal compris les règles qui régissent les paiements forfaitaires provenant de régimes de pension, mais il ne témoigne pas de la cotisation de 13 142 $ faite en 2013.

[36] De même, l’avis de cotisation de 2018 est rajusté compte tenu d’un maximum déductible supplémentaire pour 2019 et d’une cotisation supplémentaire faite pour 2018, dont l’effet global est de faire passer le droit de cotisation négatif de 11 688 $ à 5 326 $. Toutefois, encore une fois, l’avis de cotisation de 2018 ne témoigne pas de la cotisation de 13 142 $ faite en 2013.

[37] Lors de l’audience, le défendeur a fait valoir en réponse aux arguments du demandeur que les avis de cotisation de 2017 et de 2018 incluent tous deux une mention selon laquelle, si le droit de cotisation est un montant négatif (indiqué entre parenthèses), le contribuable n’a aucun droit de cotisation pour l’année en question et pourrait avoir cotisé en trop à son REER, de sorte qu’il pourrait devoir payer un impôt sur toute cotisation excédentaire.

[38] Je ne sais pas comment le délégué aurait pu conclure qu’en avertissant simplement le demandeur, dans les avis de cotisation de 2017 et de 2018, de l’existence de cotisations excédentaires, l’ARC lui faisait aussi savoir qu’elle estimait qu’il avait fait une cotisation en trop de 13 142 $ en 2013 et qu’il pouvait donc en discuter avec la RBC. À mon avis, ce raisonnement manque de logique et de transparence.

[39] Je note également que le défendeur s’est fondé sur la lettre de l’ARC datée du 1er novembre 2019 comme preuve que le demandeur avait été informé qu’il avait cotisé en trop. Or, cette lettre montre seulement que les dossiers de l’ARC révèlent qu’à compter de l’année d’imposition 2018, le demandeur avait fait des cotisations excédentaires au titre du REER. Comme pour les avis de cotisation, rien dans cette lettre n’indique que l’ARC était d’avis que le demandeur avait fait une cotisation excédentaire en 2013. De plus, le délégué ne fait pas référence à cette lettre dans le raisonnement exposé dans sa décision.

[40] Comme je l’ai déjà souligné dans les présents motifs, le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire ne consiste pas à apprécier de nouveau les éléments de preuve dont le décideur administratif disposait. Toutefois, dans la présente affaire, il semble que le délégué n’ait pas été convaincu par les éléments de preuve et les arguments présentés par le demandeur, puisqu’il a conclu à tort que le demandeur avait été informé de la question de la cotisation de 2013 suffisamment tôt pour qu’il obtienne auprès de la RBC une preuve corroborante, et qu’il n’avait quand même pas agi avec diligence pour le faire. Cela mine le caractère raisonnable de l’analyse du délégué sur la question de savoir si le demandeur a satisfait au premier volet du critère que prévoit le paragraphe 204.1(4), à savoir établir que la cotisation excédentaire fait suite à une erreur acceptable.

[41] Comme le souligne le défendeur à juste titre, le critère prévu au paragraphe 204.1(4) est conjonctif. C’est‑à‑dire que, pour obtenir un allègement, un contribuable doit établir non seulement que la cotisation excédentaire fait suite à une erreur acceptable, mais aussi que les mesures indiquées pour éliminer l’excédent ont été prises. Même s’il est satisfait aux deux volets du critère, le ministre conserve le pouvoir discrétionnaire de ne pas renoncer à l’impôt (voir la décision Kapil c Canada (Agence du revenu), 2011 CF 1373 au para 28).

[42] En ce qui concerne le deuxième volet du critère, le délégué mentionne que les dossiers de l’ARC montrent que le demandeur n’a pas tenté de mettre fin à la situation relative à la cotisation excédentaire en retirant les cotisations excédentaires faites au REER. Sur le plan factuel, cela est exact. Toutefois, le demandeur soutient que sa situation se distingue, par exemple, du genre de situation abordée dans l’arrêt Connolly, où le contribuable a reconnu qu’il avait cotisé en trop à son REER pendant plusieurs années parce qu’il s’était mépris sur son maximum déductible ainsi que sur le maximum déductible concernant un REER de conjoint. L’analyse requise dans cette affaire a donc porté sur la question de savoir si cette erreur commise par le contribuable lorsqu’il avait fait la cotisation excédentaire était acceptable (voir l’arrêt Connolly, au para 77). Or, le demandeur soutient qu’il n’a pas commis d’erreur et qu’il n’a pas fait une cotisation excédentaire à son REER en 2013. Il soutient plutôt que l’erreur a été commise par la RBC qui, dans les documents, lui a attribué une cotisation au REER qu’il n’a pas réellement faite.

[43] Le demandeur soutient que, dans ce contexte, on ne devrait pas s’attendre à ce qu’il fasse un retrait du REER pour corriger une situation concernant une cotisation en trop qui n’existerait pas si le ministre souscrivait à son argument selon lequel la cotisation de 13 142 $ faite en 2013 ne devrait pas lui être attribuée. Cet argument soulève ce que j’estime être un point valable selon lequel ce qui constitue des mesures acceptables aux termes du deuxième volet du critère énoncé au paragraphe 204.1(4) peut, dans certaines circonstances, dépendre des faits particuliers entourant la cotisation excédentaire pour laquelle une exonération d’impôt est demandée. Dans la présente affaire, en raison de l’analyse déraisonnable qu’il a faite concernant le premier volet du critère, le délégué ne pouvait accepter la façon dont le demandeur a qualifié la cotisation de 2013 ni considérer les mesures correctives acceptables qui, le cas échéant, devaient être prises selon cette qualification.

[44] Par conséquent, je conclus que l’erreur du délégué relevée dans les présents motifs est une erreur susceptible de révision qui mine le caractère raisonnable de la décision.

VI. Mesures de réparation

[45] Au chapitre des mesures de réparation, le demandeur sollicite dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire une ordonnance annulant les impôts et les pénalités établis par l’ARC pour la cotisation de 13 142 $ en 2013. Il demande également 1 $ pour les souffrances morales et le stress subis pendant la pandémie de COVID‑19, et il demande les dépens de la présente demande.

[46] Lorsqu’elle accueille une demande de contrôle judiciaire, la Cour choisit habituellement de renvoyer l’affaire au décideur pour qu’il revoie la décision, mais à la lumière cette fois des motifs donnés par la Cour (voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 141 [Vavilov]). Il y a des situations limitées dans lesquelles le renvoi de l’affaire pour nouvel examen fait échec au souci de résolution rapide et efficace d’une manière telle qu’un résultat donné est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien (voir l’arrêt Vavilov, au para 142). Cependant, tel n’est pas le cas en l’espèce. La mesure de réparation qui convient est plutôt la mesure de réparation habituelle. J’ordonnerai donc que la décision soit infirmée et que l’affaire soit renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

[47] Étant donné qu’il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire et non d’une action en dommages‑intérêts, le demandeur ne peut réclamer de dommages‑intérêts symboliques pour souffrances morales.

[48] Ni l’une ni l’autre partie n’a formulé d’observations sur la question des dépens. Tout comme dans la récente décision de la Cour dans l’affaire Kotowiecki c Canada (Procureur général), 2022 CF 1314 au paragraphe 40, le demandeur non représenté par un avocat n’a pas démontré qu’il avait engagé un coût de renonciation, à savoir qu’il avait dû renoncer à une activité rémunératrice pour préparer et présenter son dossier. Je refuse d’adjuger des dépens autres que les débours qu’il a engagés devant la Cour.


JUGEMENT dans le dossier T-1904-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. L’intitulé de la cause dans la présente demande est modifié pour désigner le procureur général du Canada à titre de défendeur à la place de l’Agence du revenu du Canada.

  2. La présente demande est accueillie, la décision est infirmée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux motifs de la Cour.

  3. Le défendeur doit rembourser au demandeur les débours engagés devant la Cour.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1904-22

INTITULÉ :

ZHANHONG ZHANG c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 MARS 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 16 MARS 2023

COMPARUTIONS :

Zhanhong Zhang

POUR SON PROPRE COMPTE

Lalitha Ramachandran

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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