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Date : 20230314


Dossier : T-1004-21

Référence : 2023 CF 344

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2023

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

KOLO SCOOTER INC.

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DES TRANSPORTS

partie défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I. Introduction

[1] La demanderesse, Kolo Scooter Inc. (Kolo) est une entreprise spécialisée dans l’importation de véhicules électriques récréatifs. En novembre 2021, Kolo a commandé des véhicules fabriqués par Wuxi Guyu E-Vehicles (Wuxi), un fabricant chinois de véhicules électriques. Selon Kolo, les véhicules commandés sont des bicyclettes assistées qui sont exclues du régime de sécurité parce qu’elles sont conçues pour une utilisation hors route.

[2] En avril 2021, Kolo a été informée que les véhicules électriques en question, qui ressemblent à un scooter et à une motocyclette de petite taille, ne peuvent pas être importés au Canada puisqu’ils ne sont pas en conformité avec les normes de sécurité applicables aux véhicules conçus pour être utilisés sur la route.

[3] Kolo sollicite un contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision, alléguant que l’interprétation du Règlement sur la sécurité des véhicules automobiles (RSVA) adoptée par le défendeur est déraisonnable.

[4] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte

[5] Kolo a été fondée en 2020. L’unique administrateur et actionnaire de la compagnie, M. Adam Paradis, a travaillé dans le domaine du commerce de véhicules électriques au Québec pendant quelques années avant la création de la compagnie.

[6] En novembre 2021, Kolo a effectué une commande de véhicules auprès de Wuxi : 35 véhicules du modèle « Écolo » et 50 du modèle « Faster K1 » (voir Annexe « A » pour les photos des deux véhicules).

[7] En avril 2021, le conteneur des véhicules commandés par Kolo a été inspecté par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), qui a contacté Transport Canada afin de valider l’admissibilité de cette importation. Après cette consultation, l’ASFC a informé Kolo que ses véhicules sont inadmissibles à l’importation au pays parce qu’ils ne sont pas conformes à la nouvelle modification du RSVA entrée en vigueur le 4 février 2021. Transport Canada a précisé qu’après l’entrée en vigueur des nouvelles règles, l’ancienne définition de « bicyclette assistée » n’est plus pertinente :

The new approach towards e-bicycles… is to first assess its on-road versus off-road design characteristics. Any e-bicycle product, regardless of speed limitation, equipped with features that resemble on-road prescribed classes of vehicles such as scooters or motorcycles and motor tricycles will be assessed as such.

E-bicycles with off-road characteristics will not be considered regulated if they are designed to operate under the top speed of 32km/h while those that can operate at or speeds greater than 32km/h will be subject to compliance requirements as restricted-use vehicles.

[8] Kolo a demandé une reconsidération de la décision. La demanderesse soutient que la définition de la catégorie réglementaire de « motocyclette à usage restreint » a été modifiée et renommée « véhicule à usage restreint » et que :

Tout véhicule que constitue une motocyclette à usage restreint aujourd’hui et qui constituera un véhicule à usage restreint dans l’avenir s’il ne peut pas atteindre une vitesse maximale de 32 km/h … ne sera plus considéré comme faisant partie de la catégorie réglementaire.

[9] En résumé, la position de la demanderesse est à l’effet que « les bicyclettes assistées ne pouvant atteindre la vitesse maximale de 32 km/h ne sont pas des « véhicules à usage restreint », et sont parfaitement conformes aux lois applicables au Canada. »

[10] Le 25 mai 2021, Transport Canada a confirmé que les véhicules ne peuvent être importés sans preuve de conformité aux normes de sécurité. La décision finale confirme que, selon la définition de « véhicule à usage restreint », le facteur le plus pertinent pour le décideur est celui de savoir si le véhicule a été conçu pour être utilisé sur la voie publique ou non. En appliquant cette approche, la décision affirme :

Les véhicules présentés semblent être capables de se mélanger au trafic routier. Ils sont équipés de clignotants avant et arrière, d'un phare, d'un feu d’arrêt, d'un support de plaque d'immatriculation, de rétroviseurs, etc. et semble conçus principalement en tant que motocyclette à vitesse limitée indiquant qu'ils ont été conçus pour un usage routier.

Votre cas a été examiné par plusieurs inspecteurs automobiles, dont moi-même. Les conclusions que vous a communiquées M. Thibodeau sont définitives. Vous n'avez pas fourni de preuves satisfaisantes pour modifier ces résultats. En tant que tels, ces véhicules sont inadmissibles car aucune preuve de conformité à la classe réglementée de motocyclette à vitesse limitée n'a été fournie. Notre position demeure la même les véhicules sont non-admissible à l’importation au Canada.

[11] La demanderesse sollicite un contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[12] La seule question en litige est de savoir si la décision finale est déraisonnable selon le cadre d’analyse établi par la Cour suprême du Canada dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. À cet effet, la demanderesse soutient que l’interprétation du RSVA adoptée par Transport Canada devrait être rejetée. Par ailleurs, la demanderesse allègue qu’elle a été victime d’un traitement arbitraire parce que le défendeur n’a pas empêché ses concurrents d’importer des véhicules similaires à ceux qui font l’objet du débat en l’espèce.

[13] La norme de la décision raisonnable se concentre sur la décision prise par le décideur administratif, ce qui englobe à la fois le raisonnement suivi et le résultat (Vavilov aux para 83. Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99).

[14] La cour de révision ne doit pas « apprécier à nouveau la preuve prise en compte » par le décideur (Vavilov au para 125). La cour doit plutôt adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). Il importe de rappeler que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable tire toujours son origine du principe de la retenue judiciaire et doit témoigner d’un respect envers le rôle distinct conféré aux décideurs administratifs (Vavilov aux para 13, 75). La présomption d’application de la norme de la décision raisonnable repose sur le « respect du choix d’organisation institutionnelle de la part du législateur qui a préféré confier le pouvoir décisionnel à un décideur administratif plutôt qu’à une cour de justice » (Vavilov au para 46).

[15] Le contrôle judiciaire d’une décision axée sur l’interprétation d’une loi comporte des considérations particulières. Les propos suivants de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 sont aptes :

[40] Le décideur administratif « jouit [d’un privilège] en matière d’interprétation » (McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, par. 40). Lorsqu’elle examine une question d’interprétation législative, la cour de révision ne devrait pas procéder à une interprétation de novo, ni tenter de déterminer un éventail d’interprétations raisonnables avec lesquelles elle peut comparer l’interprétation du décideur. « [L]e juge réformateur n’établit pas son propre critère pour ensuite jauger ce qu’a fait l’administrateur » (Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, par. 28 (CanLII), cité dans Vavilov, par. 83). La cour de révision ne « se demand[e] [pas] ce qu’aurait été la décision correcte » (Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247, par. 50, cité dans Vavilov, par. 116). Ces rappels sont particulièrement importants compte tenu du fait qu’« une cour de révision peut facilement glisser de la norme de la décision raisonnable à celle de la décision correcte lorsqu’elle se penche sur une question d’interprétation qui soulève une pure question de droit » (New Brunswick Liquor Corp. c. Small, 2012 NBCA 53, 390 R.N.‑B. (2e) 203, par. 30)

[16] La Cour d’appel fédérale a ajouté des précisions dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 [Mason], en citant la décision antérieure dans l’affaire Hillier c Canada (Procureur général), 2019 CAF 44 :

[16] L’arrêt Hillier commence par rappeler aux cours de révision trois éléments fondamentaux dont elles doivent tenir compte dans les examens effectués selon la norme de la décision raisonnable. Premièrement, dans de nombreuses affaires, un éventail d’options d’interprétation peut s’offrir au décideur administratif, selon le texte, le contexte et l’objet de la loi. Deuxièmement, dans certaines affaires en particulier, le décideur administratif peut être plus en mesure que les cours d’apprécier cet éventail d’options, en raison de sa spécialisation et de son expertise. Enfin, troisièmement, la loi, c’est-à-dire le texte législatif que les cours de révision sont tenues d’appliquer, confère non pas aux cours de révision, mais aux décideurs administratifs la responsabilité d’interpréter la loi.

[17] Pour ces motifs, l’arrêt Hillier dit aux cours de révision de laisser aux décideurs administratifs la latitude voulue par le législateur, mais les oblige néanmoins à se justifier. Pour y arriver, les cours de révision peuvent procéder à une analyse préliminaire du texte, du contexte et de l’objet de la loi, simplement pour comprendre l’état de la situation, avant d’examiner les motifs du décideur administratif. Elles doivent toutefois se limiter à cette analyse. Elles ne doivent pas elles-mêmes rendre des décisions ou des conclusions définitives. Si c’était le cas, elles établiraient alors leur propre critère pour jauger l’interprétation du décideur administratif et s’assurer que cette interprétation est la bonne.

[17] C’est l’approche que je suivrai en l’instance.

IV. Objection préliminaire

[18] Une question préliminaire a été soulevée par le défendeur, et il convient de la traiter avant d’aborder le fond de l’affaire.

[19] Transport Canada constate que quelques documents soumis par Kolo dans son dossier sont inadmissibles puisqu’ils ne faisaient pas partie des documents que Transport Canada avait en sa possession au moment de rendre sa décision. Plus précisément, il s’agit des Pièces B, O, P et Q de son affidavit, et les paragraphes correspondant dans le Mémoire des faits et de droit de la demanderesse. En particulier, le défendeur note que la facture de la commande des véhicules n’était pas devant le décideur (un élément pertinent, comme nous le verrons plus loin), et que les autres documents sont postérieurs à la décision. Le défendeur demande la radiation de ces documents et paragraphes correspondants.

[20] En réponse, Kolo a concentré ses arguments sur l’admissibilité de la facture en Pièce B de son affidavit. La demanderesse avance que le défendeur doit nécessairement avoir eu en main une copie de la facture dans le cadre de son analyse du dossier, compte tenu de leur politique et de leur pratique en ce qui concerne les factures liées aux importations. Dans l’examen du présent dossier, Kolo soutient que les agents de l’ASFC ont consulté Transport Canada afin de savoir comment traiter l’importation des véhicules, et compte tenu du fait que la politique de l’ASFC exige que l’importateur produise une facture, force est de conclure que les agents de l’ASFC devaient avoir une copie du document que Kolo a soumis avec son affidavit.

[21] À l’audience, j’ai déterminé qu’il n’y avait pas de preuve que l’ASFC ou le décideur de Transport Canada était en possession de la facture (Pièce B), et donc que ce document n’était pas admissible. Par contre, j’ai déterminé que les autres documents sont pertinents afin d’expliquer le contexte et qu’ils sont donc admissibles.

V. Analyse

[22] Le point central de cette affaire est de savoir si l’interprétation que Transport Canada a faite du RSVM est déraisonnable. Il est utile de commencer par examiner le cadre juridique applicable.

A. Cadre juridique

[23] Le ministre des Transports est responsable de l’application et de l’administration de la Loi sur la sécurité automobile, L.C. 1993, ch 16 [la Loi], et de ses règlements, dont le RSVA, ce qui comprend aux annexes III à VI, les Normes de sécurité des véhicules automobiles du Canada [Normes de sécurité]. Le but de la Loi est reflété dans son titre complet : « Loi régissant la fabrication et l’importation des véhicules et équipements automobiles en vue de limiter les risques de mort, de blessures et de dommages matériels et environnementaux ».

[24] La Loi vise toutes les entreprises qui fabriquent, distribuent ou importent des véhicules, sauf pour les exceptions indiquées à l’article 4 du RSVA. Dans l’affaire dont je suis saisi aujourd’hui, les modifications récentes du RSVA sont au cœur du débat entre les parties. Le cadre règlementaire a été modifié en deux étapes.

[25] En février 2020, la définition de « motocyclette à usage restreint » a été modifiée et, plus particulièrement, le Règlement de modification a ajouté à l’alinéa 4(2)b) du RSVA une nouvelle exception pour les « motocyclettes à usage restreint dotées d’une force motrice et conçues pour que leur vitesse à 1,6 km (1 mille) soit inférieure à 32 km/h ». Ce type de véhicule est dorénavant exclu des catégories règlementaires, et donc ces véhicules n’étaient pas tenus de se conformer aux exigences de sécurité du RSVA et aux Normes de sécurité.

[26] Ensuite, en février 2021, une deuxième vague de modifications est survenue. Le Règlement de modification a alors abrogé la définition de « bicyclette assistée » ainsi que celle de « motocyclette à usage restreint ». Les deux définitions sont remplacées par une nouvelle catégorie réglementaire de « véhicule à usage restreint » :

véhicule à usage restreintVéhicule — sauf le véhicule de compétition, mais y compris le véhicule tout terrain conçu principalement pour les loisirs — qui, à la fois :

a) est conçu pour rouler sur au plus quatre roues en contact avec le sol;

b) n’est pas conçu pour être utilisé sur les voies publiques;(restricted-use vehicle)

restricted-use vehicle means a vehicle — excluding a competition vehicle but including an all-terrain vehicle designed primarily for recreational use — that

(a) is designed to travel on not more than four wheels in contact with the ground, and

(b) is not designed for use on public roads; (véhicule à usage restreint)

 

[27] Au même moment, le Règlement de modification a aussi modifié l’alinéa 4(2)b) du RSVA afin que l’expression « motocyclette à usage restreint » soit remplacée par l’expression « véhicules à usage restreint ».

[28] Comme expliqué dans le « Résumé de l’étude d’impact de la règlementation » (DORS/2020-22 à la p. 211), les modifications élargissent la définition de « véhicules à usage restreint » :

(P)our veiller à ce que ces types de véhicules soient assujettis au régime de défauts et de rappels, tout en améliorant l’harmonisation des pratiques du Canada et des États-Unis en appliquant une vitesse minimale aux fins d’examen comme catégorie réglementaire de véhicules à usage restreint afin d’exclure les véhicules à basse vitesse qui ne sont pas conçus pour un usage sur la voie publique.

[29] Reconnaissant le fait que cette deuxième vague de modifications aurait un impact sur les constructeurs et les importateurs de certains véhicules qui n’étaient pas auparavant assujettis au règlement, le gouverneur en conseil a prévu qu’elles entreraient en vigueur douze mois après la date effective d’entrée en vigueur des modifications de la première vague, soit le 4 février 2021.

B. Position des parties

(1) Position de Kolo

[30] La demanderesse soutient que Transport Canada aurait dû adopter une interprétation des termes pertinents du RSVA selon son contexte global et dans le sens grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la Loi, l’objet et l’intention du législateur. Selon elle, le cœur du litige porte sur l’interprétation des termes de l’article 2(1)(b) du RSVA, plus spécifiquement la phrase : « n’est pas conçu pour être utilisé sur les voies publiques ».

[31] Citant des définitions du terme « conçu » tiré des dictionnaires, Kolo affirme qu’il « semble clair que le terme « conçu » réfère à la création du véhicule et son processus de fabrication. Pourtant, c’est plutôt l’apparence et les éléments détachables qui ont basé la décision de Transport Canada. » (Para 47, plan d’argumentation de la demanderesse).

[32] Selon la demanderesse, l’objectif du législateur en adoptant les modifications précises des termes connexes dans le RSVA était que la définition de l’article 2(1) inclut le plus de véhicules possible, afin que la définition réponde davantage à l’évolution de l’industrie des véhicules récréatifs, et que soient exclus du RSVA les véhicules récréatifs à basse vitesse.

[33] Kolo note que les instructions aux administrés du régime précisent que « (l)’intention du concept initial du fabricant (c.-à-d. la catégorie et les caractéristiques du véhicule au moment du montage principal), et non pas la façon dont l’importateur entend utiliser le véhicule au Canada, détermine le statut non réglementé du véhicule. » (Mémorandum D19-12-1 de l’ASFC). Compte tenu de ce guide d’interprétation, la demanderesse fait valoir que le fabricant Wuxi affirme dans sa lettre que les véhicules électriques qu’il fabrique sont conçus pour une utilisation hors route. Kolo soutient que cette déclaration aurait dû suffire pour qualifier le Écolo et Faster K1 qu’elle désire importer comme des véhicules à usage restreint.

[34] La demanderesse allègue que l’interprétation adoptée par Transport Canada est incompatible avec la lecture de l’article 2(1)b) du RSVA, et ne cadre ni avec son contexte ni avec ses objectifs. Kolo avance que l’interprétation du terme « conçu » adopté par Transport Canada mène au résultat absurde où des bicyclettes assistées qui étaient auparavant non réglementées le deviennent.

[35] En deuxième lieu, Kolo affirme que Transport Canada n’applique pas son raisonnement de manière uniforme, ce qui rend sa décision dans ce dossier arbitraire. La demanderesse allègue que Transport Canada a autorisé le dédouanage de véhicules hautement similaires et même identiques que tentaient d’importer ses compétiteurs. Kolo a fourni au décideur des documents de comparaison entre les véhicules qui démontrent les similarités entre les modèles.

[36] En ce qui concerne le modèle Écolo, la demanderesse constate que le modèle est spécifiquement conçu pour la balade hors-piste et plus précisément pour la circulation sur les pistes cyclables, les terrains privés et les espaces de camping. Le fait que le modèle ne soit pas muni d’un plancher ni d’une marche à pied oblige l’utilisateur à conduire avec ses pieds sur les pédales, au même titre qu’un simple vélo.

[37] Quant au Faster K1, Kolo affirme qu’il s’agit d’un modèle à l’apparence d’un cyclomoteur à essence de petite taille. Il est conçu pour circuler exclusivement sur des chemins hors route tels que des pistes cyclables, des espaces de camping, des pourvoiries et des routes privées. Kolo a noté que le Faster K1 est fabriqué avec les composantes suivantes : un système de pédalier afin de recharger le moteur électrique; des pneus non certifiés; des lumières non homologuées; un moteur de 500 watts, avec une puissance insuffisante pour circuler sur la voie publique, et l’absence de numéro d’identification tel que requis par le RSVA pour les véhicules qui circulent sur la route.

[38] Malgré que ces documents et les précisions de Kolo quant aux principales caractéristiques de ces véhicules aient été envoyés au décideur avant que la décision finale ne soit rendue, Transport Canada n’a pas offert d’explication quant à la raison de la différence de traitement entre les modèles.

[39] En somme, Kolo soutient que l’interprétation du RSVA, en ce qui concerne les véhicules qui sont impliqués en l’espèce, est arbitraire et déraisonnable et devrait être renversée.

(2) Position de Transport Canada

[40] Le défendeur soutient que la décision est raisonnable parce que le décideur a examiné la preuve soumise par la demanderesse, mais a ultimement basé sa décision sur le fait que les véhicules comportent des caractéristiques de conception de véhicules conçus pour la circulation sur les voies publiques. Transport Canada affirme que les éléments notés par le décideur, incluant des rétroviseurs, des clignotants, un phare et un feu d’arrêt, démontrent qu’ils ne sont pas des véhicules « à usage restreint ».

[41] Selon Transport Canada, le cœur du débat en l’instance porte sur l’interprétation de la phrase « n’est pas conçu pour être utilisé sur les voies publiques » (not designed for use on public roads) qui se trouve dans la définition de « véhicule à usage restreint » à l’article 2(1) du RSVA.

[42] Afin de déterminer si les véhicules sont « conçus pour être utilisé sur les voies publiques », Transport Canada a analysé leurs caractéristiques de conception. Le ministère a déterminé que les véhicules que la demanderesse tentait d’importer possèdent certaines des caractéristiques d’un véhicule conçu pour une utilisation sur les voies publiques, dont des clignotants, un phare, un feu d’arrêt, un support de plaque d’immatriculation et des rétroviseurs.

[43] Transport Canada affirme que l’interprétation qu’ils ont adoptée de l’article 2(1) du RSVA concorde avec l’approche moderne de l’interprétation des lois. Il constate qu’une cour de révision doit faire preuve de retenue dans un contexte comme celui-ci, compte tenu de l’ampleur et de la complexité du régime législatif et règlementaire impliqué, et sa particularité en matière de sécurité et transport.

[44] Quant à la décision en l’espèce, Transport Canada soutient que le raisonnement du décideur est bien évident. Après avoir pris en considération toute la preuve soumise par la demanderesse, et en tenant compte de l’équipement dont les véhicules sont dotés, le décideur a conclu que les véhicules semblent être capables de se mélanger au trafic routier, et donc qu’ils ne correspondent pas à la définition de « véhicule à usage restreint ». Transport Canada affirme que c’est une conclusion raisonnable, compte tenu de l’objectif de la loi qui vise à la protection de la sécurité routière, et considérant les caractéristiques des véhicules visés par la décision.

[45] En ce qui concerne l’allégation de Kolo quant au traitement arbitraire, Transport Canada soutient que cet argument doit être rejeté parce qu’il existe une explication raisonnable à la différence de traitement. Selon Transport Canada, les autres importateurs ont démontré que les véhicules qu’ils souhaitaient importer avaient été fabriqués avant l’entrée en vigueur des dernières modifications du RSVA, mais en l’espèce, Kolo n’a pas produit une telle preuve avant que la décision ne soit rendue.

[46] Transport Canada maintient que la décision est raisonnable, et qu’une cour de révision doit faire preuve d’une retenue considérable, compte tenu de l’expertise du ministère et de l’importance de son mandat de protection du public.

(3) Discussion

[47] L’analyse doit commencer par une référence à l’approche moderne de l’interprétation des lois. La Cour suprême nous enseigne : « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, para 21).

[48] La Cour suprême confirme également, dans Vavilov (au para 119) que « (l)es décideurs administratifs ne sont pas tenus dans tous les cas de procéder à une interprétation formaliste de la loi. ». Néanmoins, l’interprétation du décideur doit être conforme à son texte, à son contexte et à son objet:

[121] La tâche du décideur administratif est d’interpréter la disposition contestée d’une manière qui cadre avec le texte, le contexte et l’objet, compte tenu de sa compréhension particulière du régime législatif en cause. Toutefois, le décideur administratif ne peut adopter une interprétation qu’il sait de moindre qualité — mais plausible — simplement parce que cette interprétation paraît possible et opportune. Il incombe au décideur de véritablement s’efforcer de discerner le sens de la disposition et l’intention du législateur, et non d’échafauder une interprétation à partir du résultat souhaité.

[49] Il faut tenir compte du fait qu’il s’agit en l’espèce d'un contrôle judiciaire d’une décision fondée sur une interprétation du RSVA par Transport Canada. Donc, les orientations définies dans Mason (au para 16) s’appliquent, selon lesquelles la cour de révision doit garder à l’esprit :

  1. que le décideur administratif peut avoir à sa disposition plusieurs options d’interprétation;

  2. que celui-ci peut être mieux placé que la Cour pour interpréter sa loi ou son règlement en raison de son expertise, et

  3. que le législateur a conféré à ce décideur, plutôt qu’à la cour de révision, la tâche d’interpréter les lois et règlements qu’il applique.

[50] En commençant par le texte, la phrase clé dans la présente affaire est « n’est pas conçu pour être utilisé sur les voies publiques ». Les deux parties font référence au dictionnaire afin d’appuyer leur position, mais c’est évident qu’il n’y a pas une seule interprétation définitive de ces termes dans le contexte du RSVA.

[51] Même s’il n’y a pas de définition législative du terme « voies publiques », l’interprétation adoptée par Transport Canada reflète l’usage courant de cette expression.

[52] Les parties sont d’accord que le mot « conçu » (in English : design) signifie « (é)laborer quelque chose dans son esprit, en arranger les divers éléments et le réaliser ou le faire réaliser. » (Dictionnaire Larousse). J’accepte cette proposition : dans le contexte du RSVA, il est question de la conception originale et de la réalisation de cette idée dans la réalité.

[53] Transport Canada a informé le public, incluant les importateurs, de leur interprétation du terme « conçu » dans le document intitulé « Véhicules hors route – Sont-ils réglementés? » :

Les critères ci-après sont utilisés pour déterminer si un véhicule est conçu exclusivement pour un usage hors route ou non :

• l'intention initiale du concept du fabricant;

• Les caractéristiques du véhicule montrent que le véhicule a été conçu pour être utilisé exclusivement sur des emprises routières non aménagées, sur des terrains marécageux, en rase campagne ou sur toute autre surface non préparée. Ces caractéristiques de conception ne doivent pas être limitées aux éléments facilement détachables tels que des miroirs, des lampes ou des pneus, mais devraient inclure des fonctionnalités telles que les caractéristiques d'une suspension ou d'une transmission et autres que l'on retrouve uniquement sur des véhicules conçus exclusivement pour une utilisation sur des surfaces non préparées;

• si le fabricant ou le vendeur du véhicule aide l'importateur/l'acheteur à obtenir une Description de véhicule neuf (DVN) ou un permis (propriétaire du véhicule) pour enregistrer le véhicule pour un usage routier;

• si on fait constamment la promotion du véhicule pour un usage hors route exclusif ou non.

[54] L’interprétation de Transport Canada reflète le contexte règlementaire et son objet primordial quant à la protection du public et de la sécurité routière. Par exemple, la référence aux « éléments facilement détachables » et la façon dont la compagnie fait la promotion du véhicule démontrent que Transport Canada a appliqué son expertise règlementaire lors de son interprétation du sens des termes du RSVA.

[55] Dans la décision sous contrôle, Transport Canada a examiné les caractéristiques des deux modèles, le Ecolo et Faster K1, et a conclu qu’ils semblent être conçus pour une utilisation sur les voies publiques.

[56] Kolo avance que Transport Canada a erré en utilisant le terme « semble » au lieu d’analyser la réalisation dans son ensemble. Selon Kolo, une simple ressemblance visuelle entre deux véhicules n’est pas suffisante afin de déterminer sa catégorie réglementaire. Kolo souligne que le fabricant Wuxi a confirmé que les véhicules ont été conçus uniquement pour utilisation hors route.

[57] De plus, Kolo soutient que le défendeur a mis trop d’emphase sur des détails détachables au lieu d’examiner les composantes essentielles des véhicules, c’est-à-dire la puissance du moteur, la vitesse maximale, et les autres composantes indiquant que les deux modèles qu’elle veut importer sont conçus pour une utilisation hors route.

[58] Je ne suis pas persuadé par les arguments de Kolo. L’interprétation de la phrase « n’est pas conçu pour être utilisé sur la voie publique » adoptée par Transport Canada est raisonnable. Plusieurs éléments étayent mon constat sur ce point.

[59] La référence au terme « conçu » reflète l’intention du législateur de porter attention à la conception originale du fabricant, au lieu de mettre l’emphase sur l’intention de l’importateur ou du consommateur. L’interprétation de Transport Canada correspond à cette intention.

[60] Kolo ne remet pas en question le fait que les véhicules comportent des caractéristiques d’un véhicule routier, dont les clignotants, un phare, un feu d’arrêt, un support de plaque d’immatriculation, et des rétroviseurs. Je suis d’accord avec Transport Canada que plusieurs de ces caractéristiques servent à signaler l’intention du conducteur aux autres usagers de la route ou à prévenir un danger. Ce sont des composantes que l’on retrouve souvent dans les véhicules routiers.

[61] Le fait que Kolo apporte plus d’attention aux autres composantes des véhicules impliqués n’est pas une indication que l’interprétation de Transport Canada est déraisonnable. En effet, Kolo a porté à l’attention du décideur les autres éléments (qui ont été résumées précédemment), dont le fait que les véhicules ont une vitesse maximale inférieure à 32 km/h. Compte tenu de tous ces facteurs, Kolo a indiqué au décideur que les véhicules doivent être traités comme des véhicules à usage restreint non règlementés.

[62] Il y a plusieurs indications dans les courriels entre les employés de Transport Canada, ainsi que dans les documents d’interprétations qu’ils ont publiés afin d’aider les agents avec l’interprétation des termes connexes, que Transport Canada est au courant du fait que les nouvelles dispositions réglementaires ont des conséquences sur son évaluation des véhicules à basse vitesse, et qui sont conçus pour utilisation hors route. Un document préparé par le groupe responsable de l’interprétation du RSVA note, par exemple :

The new (restricted use vehicle) definition has resulted in the inclusion of previously unregulated vehicle types designed exclusively road use that did not fit the original RUM definition. To preserve the departments desire to not regulate slow-moving vehicles designed exclusively for use off-road or on private property and not designed to be used or mix with regular road traffic (such as pedestrian mall vehicles, mobility scooters, yard maintenance vehicles, ride-on lawn mowers other abnormal vehicles), MVSR Section 4 (2)(b) Prescribed Classes of Vehicles now excludes RUVs designed with maximum speed attainable in 1.6 km (1 mile) of less than 32 km/h, from having to conform with regulations.

[63] Cependant, le document souligne que la vitesse maximale n’est pas déterminante en soi : « Another key aspect in the (restricted use vehicle) definition to be used to help clarify what is and isn’t regulated is (b) : not designed for use on public roads ». La discussion dans le document du traitement des « mobility devices » , « scooters » et « toys » reflète les mêmes considérations. Et le document affirme que l’utilisation prévue d’un véhicule n’est pas non plus déterminante.

[64] La décision prise en l’espèce est compatible avec l’approche élaborée dans le document, et concorde avec le texte, le contexte et le but du régime créé par les modifications du RSVA. Le fait que Transport Canada privilégiera l’interprétation qui contribuera le plus possible à assurer la sécurité des routes et de leurs usagers est également cohérent avec la loi qui sous-tend le régime réglementaire.

[65] Par rapport à la lettre de Wuxi, je conviens que Transport Canada lui a accordé peu de poids. Mais la politique du défendeur est claire : les déclarations des fabricants ne sont pas contraignantes. Considérant le contexte et le but du régime législatif de protéger la sécurité du public, c’est une approche raisonnable.

[66] Finalement, en ce qui concerne l’allégation de Kolo selon laquelle la décision est arbitraire compte tenu du traitement différentiel des importations des véhicules similaires par d’autres compagnies, je ne suis pas d’accord. Transport Canada a donné une explication raisonnable pour les décisions qu’il a pris dans les autres cas. La preuve démontre que Transport Canada a approuvé l’importation des véhicules qui ont été fabriqués avant l’entrée en vigueur des modifications du RSVA, tout en avertissant les importateurs qu'à l'avenir leurs produits pourraient ne pas être approuvés. Dans le cas d’une modification importante du régime règlementaire applicable, il s’agit d’une approche administrative raisonnable compte tenu des circonstances. Kolo ne peut pas se plaindre si elle n’a pas fourni de preuve au décideur quant à la date de fabrication des véhicules qui sont visés par la décision.

[67] À la lumière de tous ces éléments, je considère que la décision sous contrôle est raisonnable. L’interprétation de la phrase clé adoptée par Transport Canada correspond au texte, contexte et au but des modifications du régime réglementaire, et l’analyse du décideur est claire et cohérente à la lumière de la preuve et des soumissions déposées par la demanderesse.

[68] Il n’y a pas lieu d’infirmer la décision.

[69] En ce qui concerne les dépens, considérant la vaste discrétion de la Cour vis-à-vis l’octroi des dépens et la fixation de leur montant suivant la Règle 400 des Règles des Cours fédérales, je ne vois pas de raison de s’écarter de la pratique habituelle. Transport Canada réclame des dépens de 3 425,00 $, et je conviens que c’est un montant approprié compte tenu de la nature de l’affaire, qui n’est pas très complexe, et de la durée de l’audience (une journée seulement).

VI. Conclusion

[70] Cette affaire porte essentiellement sur la question de savoir quelles composantes des véhicules sont pertinentes pour déterminer s'ils ont été conçus pour être utilisés sur une voie publique.

[71] Kolo souligne le fait que ses importations antérieures de véhicules similaires ont été approuvées et font état de décisions arbitraires concernant ses concurrents. Kolo met l'accent sur certaines caractéristiques de conception des véhicules et accorde une importance particulière à leur vitesse maximale limitée. Elle affirme que les réformes réglementaires visaient à laisser aux provinces le soin de réglementer ces véhicules à faible vitesse.

[72] Dans sa décision, Transport Canada met l'accent sur d'autres éléments de la conception des véhicules, en particulier les caractéristiques de sécurité routière et les caractéristiques communément associées à l'utilisation sur une voie publique. Il précise qu'il a approuvé d'autres importations parce que les véhicules ont été fabriqués avant l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation.

[73] Après avoir examiné les preuves et les arguments, je ne suis pas en mesure de conclure que la décision de Transport Canada dans cette affaire est déraisonnable. Son interprétation des modifications réglementaires est claire, conforme à leur contexte et à leur objet, et elle est expliquée dans la décision. Ce n’est pas mon rôle de faire une interprétation du RSVA à nouveau.

[74] Pour tous ces motifs, la demande de révision judiciaire est rejetée, avec dépens. La demanderesse doit verser à la partie défenderesse une somme globale de 3 425,00$.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de révision judiciaire est rejetée, avec dépens.

  2. La demanderesse doit verser à la partie défenderesse une somme globale de 3 425,00$.

« William F. Pentney »

Juge

 


ANNEXE A

Apendix A - Moving Record (French)

Apendix A - Moving Record (French) 2


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-1004-21

 

INTITULÉ :

KOLO SCOOTER INC. c LE MINISTRE DES TRANSPORTS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 février 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE PENTNEY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 mars 2023

 

COMPARUTIONS :

Me Carole-Anne Pelletier

Me Julien Dubois

 

Pour la partie demanderesse

KOLO SCOOTER INC.

 

Jessica Pizzoli

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

LE MINISTRE DES TRANSPORTS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dunton Rainville

Avocats et notairesMontréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

KOLO SCOOTER INC.

 

Ministère de la Justice Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

LE MINISTRE DES TRANSPORTS

 

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